Pratiques professionnelles

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ÉDITORIAL
éditorial
Jean-Pierre Vallée
Rédacteur en chef
de Médecine
Mots clés : pratiques
professionnelles,
qualité des soins,
évaluation
Pratiques
professionnelles :
la qualité peut-elle
être quantité ?
DOI : 10.1684/med.2008.0321
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Question classique pour philosophe provisoire et
inquiet sur sa table de futur bachelier... Question
fortement d’actualité dans tous les débats sur
l’évaluation des pratiques professionnelles, depuis
le décret de 2005 sur la question [1], qui confiait à la
HAS l’élaboration ou la validation des méthodes de
mise en œuvre de cette évaluation. On peut rappeler que ce décret « fondateur » précisait que
« l’évaluation des pratiques professionnelles, avec
le perfectionnement des connaissances, fait partie
intégrante de la formation médicale continue ».
L’évaluation des pratiques professionnelles est
donc aujourd’hui obligatoire au regard de la loi.
Le législateur lui a donné pour objectif d’améliorer
la qualité des soins. Ce que l’on connaît à ce jour de
la future loi Hôpitaux/santé/Patients/Territoires
confirme d’ailleurs le décret de 2005 : « la formation médicale continue comporte un volet relatif à
l’évaluation des pratiques [...] En conséquence, les
dispositions proposées visent à conforter l’obligation de formation continue, dorénavant recentrée
sur la formation à visée évaluative » [2]. Aucun médecin ne peut à l’évidence s’y opposer : l’antique
serment d’Hippocrate qu’il a prononcé après avoir
soutenu sa thèse ne parle certes pas d’évaluation
des pratiques, mais il fait explicitement référence
aux compétences à entretenir et perfectionner
« pour assurer au mieux les services qui me seront
demandés » [3]. Mais fallait-il aller au-delà de cette
définition fondamentale de la formation permanente, obligatoire selon le code de déontologie
avant même d’avoir fait l’objet d’une quelconque
réglementation : la nécessité d’analyser et perfectionner sans cesse la compétence professionnelle
au service des malades ? Parle-t-on encore réellement de qualité des soins, donc du malade, ou de
qualité des pratiques, donc du médecin et du système de soins ? Autrement dit d’évaluation des
résultats ou d’évaluation des moyens ? Le débat
340 MÉDECINE octobre 2008
est ancien et sans réponse, sauf pour quelques cas
d’école comme les taux de complications ou de
mortalité post-opératoire, et encore : le lien entre
le résultat obtenu et la procédure mise en œuvre
n’est pas si sûr...
La « qualité » est-elle « quantité » ? La réponse
est peut-être évidente pour un esprit cartésien.
Mais faut-il accabler notre grand philosophe des
aspects si réducteurs d’une évaluation de pratiques professionnelles fondée sur le respect de
multiples indicateurs mesurables ? Descartes résumait certes toute réflexion logique à la division
toujours possible en « parcelles » aussi petites
que nécessaire pour résoudre au mieux la difficulté (ses 3 derniers « préceptes ») [4]. Mais son
premier « précepte » était surtout de ne tenir pour
vrai que ce qui était démontré. Il est sans doute
préférable pour notre ego national de voir en lui un
génial précurseur de l’Evidence Based Medicine
plutôt que des dénombrements chers aux qualiticiens. Si l’évaluation peut sembler assez simple
pour ce qui concerne les procédures de santé ou
de celles de tout autre domaine, elle devient infiniment complexe lorsque l’on parle de l’humain,
plus encore de l’humain malade, qui a le mauvais
goût de cumuler les pathologies, ou d’être « hors
normes » – tous nos patients le sont – parce que
trop... âgé, jeune, fumeur, etc. Reconnaissons
pour le moins que la qualité des soins ne saurait
avoir une seule définition : elle est coût pour l’assurance-maladie, norme pour le décideur, référentiel pour diverses agences, mais pour le malade ?
Et pour le médecin ? André Grimaldi, Thomas
Papo et Jean-Paul Vernant, à qui nul n’oserait faire
le reproche de n’être que de doux rêveurs, ont
encore récemment alerté sur les dangers d’une
évaluation – cela concernait l’hôpital – fondée sur
le simple quantitatif. « La T2A est faite pour mesurer la quantité, pas la qualité ; les procédures
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standardisées, pas la complexité ; les gestes techniques, pas l’acte intellectuel. Elle ne prend en
compte ni la gravité, ni l’activité de services hospitaliers hautement spécialisés, ni la précarité, ni les
problèmes psychologiques, ni l’éducation du patient... Autrement dit, elle est à peu près adaptée
ou du moins adaptable aux pathologies relevant
d’actes techniques et de procédures bien définies
comme la radiologie, mais elle se révèle inadaptée
et probablement inadaptable pour l’essentiel de
l’activité des services de médecine (médecine interne, maladies infectieuses, diabétologie, rhumatologie, gériatrie, neurologie...) des hôpitaux publics [5]. Les auteurs parlaient ici du codage
permettant l’introduction du « bon sens comptable » à l’hôpital, mais le raisonnement peut s’appliquer dans tous les domaines de la santé.
Mesurer la performance et manquer l’objectif ? L’inquiétude n’est pas limitée à l’hexagone !
Des épidémiologistes et généralistes anglais ont
rappelé – à l’occasion de l’introduction d’une
forme de paiement à l’acte dans le NHS anglais
(pay for performance) – que fonder la qualité des
soins sur l’EBM n’a jamais signifié s’abstraire du
jugement clinique, et qu’atteindre des cibles prédéterminées n’entraîne pas nécessairement une
amélioration de la qualité de soins : « n’importe
quel clinicien sait que le même traitement appliqué à deux personnes atteintes de la même pathologie peut avoir des résultats très différents
[...] Il est plus difficile d’évaluer les résultats de
soins que les processus en cause, notamment au
niveau des pratiques individuelles, mais mettre
l’accent sur les procédures ne devrait pas nous
écarter des objectifs sanitaires fondamentaux »
[6]. Nous avons préféré dans Médecine le terme
de « médecine factuelle » pour traduire l’anglicisme Evidence based medicine. Il s’agit bien de
« faits », pas de preuves : la décision médicale se
prend à chaque fois pour un patient particulier, par
un médecin particulier. Elle s’appuie à la fois sur
les données scientifiques les mieux évaluées à ce
moment de la recherche médicale, mais aussi sur
l’expertise clinique individuelle et l’identification
raisonnée et compassionnelle des croyances,
droits et préférences du patient [7]. À partir de
cette analyse des pionniers de l’EBM, il est difficile de résumer la recherche de qualité nécessaire
en médecine à l’évaluation de quelques indicateurs, même basés sur les données scientifiques
les moins contestables du moment. Évaluer la
qualité des pratiques professionnelles : mythe ou
réalité ? rêve des uns et cauchemar des autres ?
La série d’articles qui débute dans ce numéro
de Médecine pose des questions dérangeantes dans la « routine » qui a semblé peu à peu
s’établir, malgré les avatars législatifs, dans le
paysage français de la santé. Dominique Dupagne
et ses partenaires du forum atoute.fr s’interrogent et nous interpellent à contre-courant de
cette routine [8]. Ils proposent des solutions qui
paraîtront sans doute iconoclastes à certains.
C’est en tout cas un débat essentiel à un moment
où le système qui s’est déjà partiellement mis en
place semble piétiner et hésiter. Les enjeux pour
la santé sont trop importants pour que le concept
même de qualité des soins puisse être résumé à
un parcours curieux directement inspiré de la démarche qui a abouti dans l’industrie aux procédures ISO. La santé, « produit » d’une chaîne de
montage où l’on peut identifier « préventivement » et corriger les maillons faibles ? Le malade, « client », acheteur du « produit santé » ? Le
médecin, « fournisseur » du dit produit ? L’hypothèse est trop simpliste pour être réaliste.
Ne peut-on demander, voire exiger, que la nécessité de regards sur les pratiques ne débouche une
fois encore sur une entreprise technocratique ?
Le dossier Qualité et santé, qui débute dans ce
numéro, rappelle que la dictature de la norme ne
vaut pas beaucoup mieux que celle du oremplissage de la salle d’attente. Faut-il chasser les
« qualiticiens » du temple ?
Références :
1. Décret no 2005-346 du 14 avril 2005 relatif à l’évaluation des pratiques professionnelles.
2. Version internet de l’avant-projet de loi patients/Santé/Territoires au 22 août 2008. Il
ne s’agit évidemment pas de la version définitive...
3. Serment d’Hippocrate. Version 1996. Le serment prêté par les jeunes médecins devant l’Ordre. Conseil National de l’Ordre des Médecins.
4. Descartes R. Discours de la méthode. Leyde: 1637.
5. Grimaldi A, Papo T, Vernant JP. Traitement de choc pour tuer l’hôpital public. Le Monde
diplomatique. Février 2008.
6. Heath I, Hippisley-Cox J, Smeeth L. Measuring performance and missing the point?
BMJ. 2007;335:1075-6.
7. Sackett DL, Rosenberg WMC, Muir Gray JA, Brian Haynes R, Scott Richardson W.
Evidence based medicine: what it is and what it isn’t. BMJ. 1996;312:71-2.
8. Dupagne D. Qualité et santé. Médecine 2008;4;???.
MÉDECINE octobre 2008 341
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