standardisées, pas la complexité ; les gestes tech-
niques, pas l’acte intellectuel. Elle ne prend en
compte ni la gravité, ni l’activité de services hospi-
taliers hautement spécialisés, ni la précarité, ni les
problèmes psychologiques, ni l’éducation du pa-
tient... Autrement dit, elle est à peu près adaptée
ou du moins adaptable aux pathologies relevant
d’actes techniques et de procédures bien définies
comme la radiologie, mais elle se révèle inadaptée
et probablement inadaptable pour l’essentiel de
l’activité des services de médecine (médecine in-
terne, maladies infectieuses, diabétologie, rhuma-
tologie, gériatrie, neurologie...) des hôpitaux pu-
blics [5]. Les auteurs parlaient ici du codage
permettant l’introduction du « bon sens compta-
ble » à l’hôpital, mais le raisonnement peut s’appli-
quer dans tous les domaines de la santé.
Mesurer la performance et manquer l’objec-
tif ? L’inquiétude n’est pas limitée à l’hexagone !
Des épidémiologistes et généralistes anglais ont
rappelé – à l’occasion de l’introduction d’une
forme de paiement à l’acte dans le NHS anglais
(pay for performance) – que fonder la qualité des
soins sur l’EBM n’a jamais signifié s’abstraire du
jugement clinique, et qu’atteindre des cibles pré-
déterminées n’entraîne pas nécessairement une
amélioration de la qualité de soins : « n’importe
quel clinicien sait que le même traitement appli-
qué à deux personnes atteintes de la même pa-
thologie peut avoir des résultats très différents
[...] Il est plus difficile d’évaluer les résultats de
soins que les processus en cause, notamment au
niveau des pratiques individuelles, mais mettre
l’accent sur les procédures ne devrait pas nous
écarter des objectifs sanitaires fondamentaux »
[6]. Nous avons préféré dans Médecine le terme
de « médecine factuelle » pour traduire l’angli-
cisme Evidence based medicine. Il s’agit bien de
« faits », pas de preuves : la décision médicale se
prend à chaque fois pour un patient particulier, par
un médecin particulier. Elle s’appuie à la fois sur
les données scientifiques les mieux évaluées à ce
moment de la recherche médicale, mais aussi sur
l’expertise clinique individuelle et l’identification
raisonnée et compassionnelle des croyances,
droits et préférences du patient [7]. À partir de
cette analyse des pionniers de l’EBM, il est diffi-
cile de résumer la recherche de qualité nécessaire
en médecine à l’évaluation de quelques indica-
teurs, même basés sur les données scientifiques
les moins contestables du moment. Évaluer la
qualité des pratiques professionnelles : mythe ou
réalité ? rêve des uns et cauchemar des autres ?
La série d’articles qui débute dans ce numéro
de Médecine pose des questions dérangean-
tes dans la « routine » qui a semblé peu à peu
s’établir, malgré les avatars législatifs, dans le
paysage français de la santé. Dominique Dupagne
et ses partenaires du forum atoute.fr s’interro-
gent et nous interpellent à contre-courant de
cette routine [8]. Ils proposent des solutions qui
paraîtront sans doute iconoclastes à certains.
C’est en tout cas un débat essentiel à un moment
où le système qui s’est déjà partiellement mis en
place semble piétiner et hésiter. Les enjeux pour
la santé sont trop importants pour que le concept
même de qualité des soins puisse être résumé à
un parcours curieux directement inspiré de la dé-
marche qui a abouti dans l’industrie aux procédu-
res ISO. La santé, « produit » d’une chaîne de
montage où l’on peut identifier « préventive-
ment » et corriger les maillons faibles ? Le ma-
lade, « client », acheteur du « produit santé » ? Le
médecin, « fournisseur » du dit produit ? L’hypo-
thèse est trop simpliste pour être réaliste.
Ne peut-on demander, voire exiger, que la néces-
sité de regards sur les pratiques ne débouche une
fois encore sur une entreprise technocratique ?
Le dossier Qualité et santé, qui débute dans ce
numéro, rappelle que la dictature de la norme ne
vaut pas beaucoup mieux que celle du oremplis-
sage de la salle d’attente. Faut-il chasser les
« qualiticiens » du temple ?
Références :
1. Décret no2005-346 du 14 avril 2005 relatif à l’évaluation des pratiques professionnel-
les.
2. Version internet de l’avant-projet de loi patients/Santé/Territoires au 22 août 2008. Il
ne s’agit évidemment pas de la version définitive...
3. Serment d’Hippocrate. Version 1996. Le serment prêté par les jeunes médecins de-
vant l’Ordre. Conseil National de l’Ordre des Médecins.
4. Descartes R. Discours de la méthode. Leyde: 1637.
5. Grimaldi A, Papo T, Vernant JP. Traitement de choc pour tuer l’hôpital public. Le Monde
diplomatique. Février 2008.
6. Heath I, Hippisley-Cox J, Smeeth L. Measuring performance and missing the point?
BMJ. 2007;335:1075-6.
7. Sackett DL, Rosenberg WMC, Muir Gray JA, Brian Haynes R, Scott Richardson W.
Evidence based medicine: what it is and what it isn’t. BMJ. 1996;312:71-2.
8. Dupagne D. Qualité et santé. Médecine 2008;4;???.
341octobre 2008MÉDECINE
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