116615 - Folio : q4 - Type : qINT 08-10-28 13:20:11 L : 219.992 - H : 306.994 - Couleur : Black Cyan Magenta Yellow ÉDITORIAL éditorial Jean-Pierre Vallée Rédacteur en chef de Médecine Mots clés : pratiques professionnelles, qualité des soins, évaluation Pratiques professionnelles : la qualité peut-elle être quantité ? DOI : 10.1684/med.2008.0321 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Question classique pour philosophe provisoire et inquiet sur sa table de futur bachelier... Question fortement d’actualité dans tous les débats sur l’évaluation des pratiques professionnelles, depuis le décret de 2005 sur la question [1], qui confiait à la HAS l’élaboration ou la validation des méthodes de mise en œuvre de cette évaluation. On peut rappeler que ce décret « fondateur » précisait que « l’évaluation des pratiques professionnelles, avec le perfectionnement des connaissances, fait partie intégrante de la formation médicale continue ». L’évaluation des pratiques professionnelles est donc aujourd’hui obligatoire au regard de la loi. Le législateur lui a donné pour objectif d’améliorer la qualité des soins. Ce que l’on connaît à ce jour de la future loi Hôpitaux/santé/Patients/Territoires confirme d’ailleurs le décret de 2005 : « la formation médicale continue comporte un volet relatif à l’évaluation des pratiques [...] En conséquence, les dispositions proposées visent à conforter l’obligation de formation continue, dorénavant recentrée sur la formation à visée évaluative » [2]. Aucun médecin ne peut à l’évidence s’y opposer : l’antique serment d’Hippocrate qu’il a prononcé après avoir soutenu sa thèse ne parle certes pas d’évaluation des pratiques, mais il fait explicitement référence aux compétences à entretenir et perfectionner « pour assurer au mieux les services qui me seront demandés » [3]. Mais fallait-il aller au-delà de cette définition fondamentale de la formation permanente, obligatoire selon le code de déontologie avant même d’avoir fait l’objet d’une quelconque réglementation : la nécessité d’analyser et perfectionner sans cesse la compétence professionnelle au service des malades ? Parle-t-on encore réellement de qualité des soins, donc du malade, ou de qualité des pratiques, donc du médecin et du système de soins ? Autrement dit d’évaluation des résultats ou d’évaluation des moyens ? Le débat 340 MÉDECINE octobre 2008 est ancien et sans réponse, sauf pour quelques cas d’école comme les taux de complications ou de mortalité post-opératoire, et encore : le lien entre le résultat obtenu et la procédure mise en œuvre n’est pas si sûr... La « qualité » est-elle « quantité » ? La réponse est peut-être évidente pour un esprit cartésien. Mais faut-il accabler notre grand philosophe des aspects si réducteurs d’une évaluation de pratiques professionnelles fondée sur le respect de multiples indicateurs mesurables ? Descartes résumait certes toute réflexion logique à la division toujours possible en « parcelles » aussi petites que nécessaire pour résoudre au mieux la difficulté (ses 3 derniers « préceptes ») [4]. Mais son premier « précepte » était surtout de ne tenir pour vrai que ce qui était démontré. Il est sans doute préférable pour notre ego national de voir en lui un génial précurseur de l’Evidence Based Medicine plutôt que des dénombrements chers aux qualiticiens. Si l’évaluation peut sembler assez simple pour ce qui concerne les procédures de santé ou de celles de tout autre domaine, elle devient infiniment complexe lorsque l’on parle de l’humain, plus encore de l’humain malade, qui a le mauvais goût de cumuler les pathologies, ou d’être « hors normes » – tous nos patients le sont – parce que trop... âgé, jeune, fumeur, etc. Reconnaissons pour le moins que la qualité des soins ne saurait avoir une seule définition : elle est coût pour l’assurance-maladie, norme pour le décideur, référentiel pour diverses agences, mais pour le malade ? Et pour le médecin ? André Grimaldi, Thomas Papo et Jean-Paul Vernant, à qui nul n’oserait faire le reproche de n’être que de doux rêveurs, ont encore récemment alerté sur les dangers d’une évaluation – cela concernait l’hôpital – fondée sur le simple quantitatif. « La T2A est faite pour mesurer la quantité, pas la qualité ; les procédures Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. 116615 - Folio : q5 - Type : qINT 08-10-28 13:20:11 L : 219.992 - H : 306.994 - Couleur : Black Cyan Magenta Yellow standardisées, pas la complexité ; les gestes techniques, pas l’acte intellectuel. Elle ne prend en compte ni la gravité, ni l’activité de services hospitaliers hautement spécialisés, ni la précarité, ni les problèmes psychologiques, ni l’éducation du patient... Autrement dit, elle est à peu près adaptée ou du moins adaptable aux pathologies relevant d’actes techniques et de procédures bien définies comme la radiologie, mais elle se révèle inadaptée et probablement inadaptable pour l’essentiel de l’activité des services de médecine (médecine interne, maladies infectieuses, diabétologie, rhumatologie, gériatrie, neurologie...) des hôpitaux publics [5]. Les auteurs parlaient ici du codage permettant l’introduction du « bon sens comptable » à l’hôpital, mais le raisonnement peut s’appliquer dans tous les domaines de la santé. Mesurer la performance et manquer l’objectif ? L’inquiétude n’est pas limitée à l’hexagone ! Des épidémiologistes et généralistes anglais ont rappelé – à l’occasion de l’introduction d’une forme de paiement à l’acte dans le NHS anglais (pay for performance) – que fonder la qualité des soins sur l’EBM n’a jamais signifié s’abstraire du jugement clinique, et qu’atteindre des cibles prédéterminées n’entraîne pas nécessairement une amélioration de la qualité de soins : « n’importe quel clinicien sait que le même traitement appliqué à deux personnes atteintes de la même pathologie peut avoir des résultats très différents [...] Il est plus difficile d’évaluer les résultats de soins que les processus en cause, notamment au niveau des pratiques individuelles, mais mettre l’accent sur les procédures ne devrait pas nous écarter des objectifs sanitaires fondamentaux » [6]. Nous avons préféré dans Médecine le terme de « médecine factuelle » pour traduire l’anglicisme Evidence based medicine. Il s’agit bien de « faits », pas de preuves : la décision médicale se prend à chaque fois pour un patient particulier, par un médecin particulier. Elle s’appuie à la fois sur les données scientifiques les mieux évaluées à ce moment de la recherche médicale, mais aussi sur l’expertise clinique individuelle et l’identification raisonnée et compassionnelle des croyances, droits et préférences du patient [7]. À partir de cette analyse des pionniers de l’EBM, il est difficile de résumer la recherche de qualité nécessaire en médecine à l’évaluation de quelques indicateurs, même basés sur les données scientifiques les moins contestables du moment. Évaluer la qualité des pratiques professionnelles : mythe ou réalité ? rêve des uns et cauchemar des autres ? La série d’articles qui débute dans ce numéro de Médecine pose des questions dérangeantes dans la « routine » qui a semblé peu à peu s’établir, malgré les avatars législatifs, dans le paysage français de la santé. Dominique Dupagne et ses partenaires du forum atoute.fr s’interrogent et nous interpellent à contre-courant de cette routine [8]. Ils proposent des solutions qui paraîtront sans doute iconoclastes à certains. C’est en tout cas un débat essentiel à un moment où le système qui s’est déjà partiellement mis en place semble piétiner et hésiter. Les enjeux pour la santé sont trop importants pour que le concept même de qualité des soins puisse être résumé à un parcours curieux directement inspiré de la démarche qui a abouti dans l’industrie aux procédures ISO. La santé, « produit » d’une chaîne de montage où l’on peut identifier « préventivement » et corriger les maillons faibles ? Le malade, « client », acheteur du « produit santé » ? Le médecin, « fournisseur » du dit produit ? L’hypothèse est trop simpliste pour être réaliste. Ne peut-on demander, voire exiger, que la nécessité de regards sur les pratiques ne débouche une fois encore sur une entreprise technocratique ? Le dossier Qualité et santé, qui débute dans ce numéro, rappelle que la dictature de la norme ne vaut pas beaucoup mieux que celle du oremplissage de la salle d’attente. Faut-il chasser les « qualiticiens » du temple ? Références : 1. Décret no 2005-346 du 14 avril 2005 relatif à l’évaluation des pratiques professionnelles. 2. Version internet de l’avant-projet de loi patients/Santé/Territoires au 22 août 2008. Il ne s’agit évidemment pas de la version définitive... 3. Serment d’Hippocrate. Version 1996. Le serment prêté par les jeunes médecins devant l’Ordre. Conseil National de l’Ordre des Médecins. 4. Descartes R. Discours de la méthode. Leyde: 1637. 5. Grimaldi A, Papo T, Vernant JP. Traitement de choc pour tuer l’hôpital public. Le Monde diplomatique. Février 2008. 6. Heath I, Hippisley-Cox J, Smeeth L. Measuring performance and missing the point? BMJ. 2007;335:1075-6. 7. Sackett DL, Rosenberg WMC, Muir Gray JA, Brian Haynes R, Scott Richardson W. Evidence based medicine: what it is and what it isn’t. BMJ. 1996;312:71-2. 8. Dupagne D. Qualité et santé. Médecine 2008;4;???. MÉDECINE octobre 2008 341