Q. – Vous distinguez donc nettement la maltraitance de l’in-
compétence. Et la définissez comme le fait de « mal traiter »
les patients et notamment les patientes, par des comporte-
ments inappropriés. Que comprend la maltraitance ?
R. – Ne pas vous écouter, dénigrer votre point de vue, vous
humilier, ne pas vous informer de votre dossier, ne pas ré-
pondre à vos questions, ne pas vous regarder, vous répri-
mander de ne pas lui obéir, reprocher vos remises en cause
de ses prescriptions, s’opposer à un second avis, menacer
de ne plus vous soigner si vous refusez une intervention,
prescrire une intervention majeure sans consentement
éclairé ou sans laisser le temps d’y penser, vous rendre mal
à l’aise durant l’examen, vous culpabiliser à propos de vos
comportements sanitaires, charger des honoraires imprévus,
etc.
Q. – Doit-on toujours refuser la « maltraitance » que vous
décrivez ?
R. – Exception faite des urgences majeures et, dans la me-
sure du possible, oui. Aucun diplôme, aucun statut, aucun
titre ne peut justifier un comportement maltraitant. Il faut
s’extraire de la situation, briser le silence.
Q. – Que pensez-vous des infirmières ?
R. – Beaucoup de bien. Les infirmières chevronnées en sa-
vent beaucoup plus que les jeunes médecins qu’elles for-
ment et même que certains vieux médecins. La différence
entre les deux professions ne tient pas tant aux compéten-
ces comme soignants que de leur statut, c’est une différence
de classe.
Q. – Que pensez-vous des sages-femmes ?
R. – Beaucoup de bien. Souvent, elles en savent plus que
les obstétriciens. Elles font tout ce qu’il fait ou devrait faire,
sans avoir le même statut ni le même revenu.
Q. – Qu’avez-vous appris de votre collaboration dans les an-
nées 1983-1989 à la revue Prescrire ?
R. – L’omniprésence de l’industrie dans le paysage médical.
Première revue française indépendante consacrée au médi-
cament, totalement financée par les abonnements et sans
interférence industrielle ou gouvernementale, Prescrire (et
sa version anglaise Prescrire International) est un chef de file
mondial des bulletins thérapeutiques indépendants. Près de
35 ans après la fondation de la revue, les mondiales du mé-
dicament continuent d’influencer la profession et ses me-
neurs d’opinion hospitalo-universitaires qui, impunément et
sans aucune honte, se placent en conflits d’intérêts.
Q. – Comme vous avez préfacé l’ouvrage Le grand mythe du
cholestérol par Sinatra et Bowden, 2014, je me permets de
vous questionner sur la statinisation à tout va qui sévit un
peu partout.
R. – Les normes physiologiques du cholestérol sanguin ont
été fixées par des experts étroitement liés aux fabricants et
l’utilisation phénoménale des statines est sans commune
mesure avec les besoins réels de la population. Les méde-
cins soigneusement désinformés prescrivent, y compris aux
patients qui n’ont rien demandé, par bienveillance naïve ou
conscience professionnelle mal avisée, des médicaments
inutiles et dangereux à des personnes qui n’en ont pas be-
soin. Paternalistes, ils sont persuadés que forcer les patients
à accepter leurs ordonnances est moralement justifié, ce qui
inclut celles des statines.
Q. – Vous avez eu une enrichissante expérience comme soi-
gnant auprès des femmes. Quels genres de maltraitances y
avez-vous observés ?
R. – Ne pas laisser le choix d’une méthode contraceptive, ne
pas informer impartialement des avantages et inconvénients
de chacune. Dénigrer le comportement sexuel ou son orien-
tation. Culpabiliser ou banaliser l’avortement, ne pas respec-
ter cette décision. Dénuder inutilement ou humilier durant
l’examen gynécologique, ou le faire annuellement en routine.
Manquer de respect durant l’accouchement, ne pas partager
la décision des interventions qui l’entourent.
La santé des femmes passe par l’autonomie, le droit de dis-
poser de son corps concernant les dépistages, la fertilité, la
grossesse, l’accouchement, la ménopause. Les sages-fem-
mes méritent un statut de soignantes à part entière.
Q. – Comme Québécois d’adoption depuis 2009, vous avez
pu constater que trois médecins y occupent les fonctions les
plus hautes après une élection tenue en 2014 (un neurochi-
rurgien à la Chefferie, un radiologue à la Santé, un généraliste
à l’Éducation). Ils sont déjà accusés de « dérapages éthi-
ques », de « comportements d’enfants-rois » et de « promo-
tion à leur niveau d’incompétence, selon le principe de Pe-
ter », alors doit-on s’interroger sur l’impartialité d’un médecin
en politique ?
R. – Le métier de médecin et la fonction d’élu sont incom-
patibles. Lorsqu’un médecin devient député ou ministre de
la Santé, peut-il toujours mener une politique de santé équi-
table en suivant la ligne du parti qui lui a confié ce poste ?
Mis en situation de pouvoir, personne n’est à l’abri de la cor-
ruption, les médecins pas plus que les autres. Les individus
plus intéressés par le pouvoir que par le soin devraient s’en-
gager d’emblée dans une autre carrière.
Q. – Quel est le meilleur indice d’un soignant véritable ?
R. – C’est quand on se sent systématiquement mieux en
sortant de la rencontre qu’en y entrant.
Q. – Vous proposez pour la sélection des étudiants en mé-
decine une méthode quasi révolutionnaire. Pouvez-vous nous
en parler ?
R. – Il faudra lire le livre.
Q. – Merci Dr Zaffran.
228 MÉDECINE mai 2015
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
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