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médecins soit changent définitivement de métier, soit exer-
cent en temps partiel, soit partagent le métier médical avec
une autre profession. Selon un sondage de 2008 de l’asso-
ciation (française) nationale des médiateurs (ANM) [18], 18 %
se disent insatisfaits de leur profession. En Nouvelle-Zélande,
57 % sont mécontents de leur métier et envisagent de quit-
ter la médecine [19].
Le burnout touche sans discrimination hommes comme fem-
mes, jeunes comme moins jeunes. Si 67 % des jeunes inter-
nes australiens sont victimes d’épuisement professionnel, ce
sont surtout les tranches 36-45 ans et 46-55 ans qui sont les
plus affectées avec une moyenne de 30 % [14]. L’épuisement
professionnel touche aussi bien ceux exerçant en libéral
comme à l’hôpital, seul ou en groupe. Aux États-Unis, la propor-
tion d’hommes (52 %) et de femmes (50 %) est pratiquement
identique. Le Royaume-Uni se classe en seconde position avec
46 % des femmes atteintes de burnout [20]. Il faut toutefois
faire remarquer que certaines spécialités médicales sont plus
enclines au burnout que d’autres. Selon une étude Medscape
(2013), 53 % des urgentistes sont en burnout suivis par 43 %
de gynécologues, anesthésistes et chirurgiens [14].
Les effets du burnout
sur la relation médecin-patient
Le burnout a également des conséquences sur la relation
médecin/patient. Il faut rappeler qu’au fil des années, les pa-
tients sont devenus plus exigeants. Selon une étude euro-
péenne, 10 à 20 % des patients entretiennent des relations
difficiles avec leur médecin [21]. Ceci peut se manifester à
travers leur mécontentement de ne pas se voir prescrire les
certificats ou médicaments voulus, d’attendre trop long-
temps. S’ajoutent les abus réguliers à vouloir passer tout de
suite, ou entre deux consultations, d’obtenir des soins par
téléphone ou se voir prescrire des certificats ou ordonnances
sans consultation ni paiement, le nomadisme médical, les
plaintes au Conseil de l’Ordre...
Il est donc évident que les médecins sont soumis à des dif-
ficultés relationnelles avec leurs patients qui n’existaient que
très rarement 40 ans auparavant. Parce qu’ils sont plus exi-
geants sur leur santé, les patients vont jusqu’à désacraliser
la parole médicale voire déconsidérer la profession. Ce pre-
mier rapport avec la patientèle tant recherché à l’origine par
les jeunes médecins se retrouve bafoué dans leur pratique
quotidienne. Selon un sondage de l’ANM [18], 31 % des
Français font des recherches sur Internet avant ou après la
consultation chez le médecin pour s’assurer de ses dires. Et
24 % ont contesté le diagnostic médical.
Au regard de ces comportements de patients et autres élé-
ments susmentionnés, le médecin démotivé finit par devenir
cynique et à déshumaniser le patient par un langage distant.
Le patient devient non plus un être humain à soigner, mais
la maladie elle-même qu’il faut tenter au mieux de guérir.
33 % des médecins ont avoué s’être déshumanisés de leurs
patients et 44,5 % avaient des relations très négatives avec
eux [13]. Il est vrai que certains patients ne gratifient pas les
médecins pour leurs efforts. Pour eux, soigner est un dû et
ne nécessite aucun remerciement.
Le problème est qu’un tel manque de reconnaissance amène
progressivement certains médecins à se détacher de leur
dévotion médicale. Ainsi, les demandes des patients risquent
d’être traitées moins vite et avec un contact froid. Toujours
selon le sondage de l’ANM, 30 % des patients se plaignaient
du temps que le médecin leur accordait durant la consulta-
tion. 23 % des plaintes étaient dues au manque d’écoute et
d’accueil, 18 % pour manque d’humanité, de dévouement et
de disponibilité [18].
Cette dépréciation dans la relation médecin/patient est à dou-
ble tranchant. Elle se détériore des deux côtés, chacun étant
réceptif à l’attitude de l’autre. Et chacun sort perdant dans la
bonne prise en charge et administration des soins. Le patient
risque ainsi de recevoir des soins de moins en moins cha-
leureux et attentionnés. Quant au médecin, stressé face aux
exigences de répondre à plusieurs demandes à la fois, en
pleine fatigue chronique, problèmes physiques et psycholo-
giques, il peut en arriver à commettre des erreurs allant d’une
mauvaise prescription à une faute médicale. Dans les deux
situations, c’est le patient qui reste victime même si, à cer-
tains égards, il a pu être un facteur déclencheur direct ou
indirect. Le cercle vicieux perdure avec les poursuites judi-
ciaires intentées contre les médecins qui leur créeront en-
core plus de stress, de dévalorisation et déshumanisation.
La relation médecin/patient peut aussi prendre des tournures
plus dramatiques par le biais d’attaques verbales et physi-
ques et conduire même à la mort de médecins dans l’exer-
cice de leur fonction. En France, sur les vingt dernières an-
nées, une quarantaine de médecins ont trouvé la mort par
agression de patients [16]. Une telle insécurité a poussé de
nombreux médecins à quitter leur cabinet professionnel sans
se faire remplacer, voire même à quitter définitivement la
profession médicale.
Au final, un tel phénomène conduit à une mauvaise gestion
de la santé, tant vis-à-vis du médecin et du patient, que de
la répartition territoriale des professionnels de santé, et de
l’avenir de la médecine. Par conséquent, le burnout ne doit
pas être mésestimé par les pouvoirs publics. Étant un pro-
blème de société, l’épuisement professionnel ne doit plus
être un sujet tabou. Notre société est déjà malade de son
mode de vie. Il ne faut donc pas y rajouter les médecins qui
le sont du fait de leur métier. Le syndrome d’épuisement
professionnel n’est pas incurable. Il nécessite une prise de
conscience, un travail sur soi et un changement radical de
vie. Il nécessite également un soutien de la part d’agents
extérieurs comme le sont les patients qui se doivent de re-
valoriser la profession médicale. Ou à défaut de ne pas la
déconsidérer.
Conclusion
Maladie de notre société, le burnout est avant tout un pro-
blème de santé publique. L’attention ne doit pas être tou-
jours tournée vers les patients. Les médecins sont égale-
ment à prendre en compte. Désenchantés, dévalorisés voire
incompris, les médecins victimes de burnout se consument
physiquement et psychologiquement dans un engrenage
dont ils ne voient pas l’issue.
36 MÉDECINE janvier 2014
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
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