Son fond était le culte de Cybèle, aspect anatolien de la Grande Déesse asianique et
personnification de la fécondité. Le prince consort, uni à cette reine du monde, son fils, frère
ou amant, rappelle de nombreux "héros" indoeuropéens. L'Attis phrygien, comme l'Adonis
syrien, est un génie de la végétation et des récoltes. On devait se consumer de douleur à sa
mort, le 24 mars, et se réjouir de sa résurrection le lendemain. Cette passion et résurrection
étaient des idées très répandues aux alentours des colonies grecques, depuis la Thrace
jusqu'à l'Égypte, en passant par l'Asie antérieure et la Syrie. Le culte de Dionysos, qui se
superpose à celui d'Attis et qui est d'origine thracio-phrygienne, irradia bien au-delà de
l'Hellespont et de l'Asie Mineure. Le sentiment dramatique de toute vie et la tragédie du
destin, sentiments intimes de la dévotion phrygienne, se heurtaient à l'harmonie, œuvre
d'Apollon et au panthéon présidé par Zeus. Il y avait, d'autre part, le mithraïsme importé du
centre à l'ouest d'Asie. On y vénérait Mithra, non pas tant comme dieu de la Lumière, mais
comme génie propice aux immolations occultes qui purifient le cœur et assurent l'immortalité.
Au grand scandale de l'Occident hellénique, le problème de fond en Anatolie est la vie future,
et non l'existence présente.
Du rite agraire, conservateur des lois naturelles et garant de la subsistance humaine – qui
était le point de départ des Asiatiques -, l'âme frénétique des Thraces fait du surnaturel une
technique qui répond aux exigences non pas de la vie mais à celles du salut. L'agent
principal de cette technique est le rythme qui transmute les âmes et transfigure les corps au
moyen des sons et des attitudes. La terreur et la confiance, la consternation et l'espérance,
donnent toute la gamme des émotions ; après les avoir expérimentées, le cœur se sent
purifié.
L'épuisement physique, l'ivresse et le délire collectif si contagieux, mettent l'individu dans un
état propice pour produire "l'extase". Le transport de "l'enthousiasme" se produisant dès lors
que le sujet était agité par des forces irrésistibles - et par conséquent divines - qui le
possédaient en l'ayant envahi. Les rites qui déchaînent un tel paroxysme n'ont rien en
commun avec les cultes propitiatoires de la famille ou de l'État. Ils ouvrent la voie à un autre
type de spiritualité et se reflètent, à travers Orphée et Pythagore, dans cette recherche de
l'illumination qui correspond à la tradition mystique.
ISRAËL
La ferveur juive ne cède rien en sincérité à la frénésie phrygienne, mais elle a eu son anxiété
propre et elle l'a léguée à l'Occident.
Il y avait une indiscutable affinité entre la religion de Cybèle et celle des Cananéens ou
Phéniciens que les Juifs devaient assimiler pour conquérir ce qui était leur terre promise. Les
Baals et les Astartés locaux auxquels, en Judée, se confrontait Yahvé, le Maître des
nomades araméens, avaient un caractère égéo-sumérien. De tels dieux multiples desquels
on espérait les biens sensibles étaient, aux yeux des puritains du désert, simple paganisme
et immoralité.
Avec la transformation des conditions sociales, d'un peuple errant en sédentaire et
agriculteur, Yahvé fut érigé en dieu de la Nature autant que de la tribu. En revanche, la
puissante inspiration des prophètes (inspiration qui surabonde entre les VIIIe et VIIe siècles
av. J.-C.), assigna à Yahvé le plus grand rôle moral. Dieu est une exigence universelle de
justice, et il ne demande pas d'offrandes mais la pureté et la soumission du cœur.
Il s'agit cette fois d'un esprit révolutionnaire : l'extase n'est plus mise au service du
mysticisme mais de l'ordre humain. Les prophètes créent la foi. Ils œuvrent par passion, par
colère et indignation. S'ouvre ainsi l'ère des Apocalypses et des annonces de jugement
dernier.
La croyance en l'imminence de la fin du monde donnera lieu à cette "réforme" juive que fut le
christianisme. Ce fut de cette façon que les premières générations de l'Église se
représentèrent cette réforme qui réalisa la synthèse idéale, tant recherchée, du Dieu auquel