Dans la tradition philosophique grecque, la légende veut que Pythagore (VIe siècle
avant J.-C.), étant passé à côté d’une forge, constata que les marteaux qui frappaient
simultanément le fer produisaient des sons harmoniques les uns par rapport aux autres. Il
inspecta ensuite ces marteaux et remarqua qu’ils avaient des poids mathématiquement
proportionnels les uns aux autres. Il appliqua ensuite cette découverte à des cordes tendues par
des poids dans les mêmes rapports et engendra ainsi des accords harmoniques. Il s’aperçut
alors qu’en touchant une de ces cordes, les autres vibraient aussi sans avoir été touchées. Ce
phénomène de vibration sympathique des cordes lui a offert un modèle réduit pour expliquer
tous les mécanismes gouvernant le monde. Tout ce qui pouvait être interprété en termes de
relations s’est vu ramené à un problème d’harmonie ou de discordance : les sons d’un
intervalle, les écarts des ramifications d’une plante, les mouvements des astres, en passant par
la magie, l’amour et la poésie. Tout était en relation, tout était nombre.
De même, pour Pythagore, le corps et l’âme étaient des harmonies, réagissant par
sympathie avec le monde qui les entoure. Le tempérament de l’esprit était une harmonie
d’éléments contraires tels la colère, le flegme ou la mélancolie ; si un déséquilibre se
produisait dans l’âme et qu’elle tendait trop vers un de ces éléments, la médecine
pythagoricienne enseignait qu’on pouvait rétablir l’équilibre psychique en lui faisant entendre
la mélodie adéquate. Or, si la musique pouvait servir à guérir un déséquilibre, elle pouvait
aussi le provoquer. La musique, entrant en résonance directe avec l’âme, pouvait l’influencer
de façon considérable en la conduisant à la joie comme à la tristesse, en passant par tout le
panel émotionnel. L’auditeur ne pouvait donc pas s’en protéger et était à la merci de la
musique, tel Ulysse enchanté par les sirènes. Comme nous n’avons malheureusement pas de
traces écrites des dires de Pythagore, ces idées nous ont été retransmises essentiellement par
des documents rédigés par ses élèves, les pythagoriciens.
Pour Platon et Aristote (Ve - IVe siècle avant J.-C.), il s’agissait de limiter ce pouvoir
énorme qu’avait la musique par la raison. Ils argumentaient qu’il existait une hiérarchie entre
l’âme et le corps ; l’âme, le siège de la raison, se situait au-dessus et régulait le corps, le siège
des émotions. Si on se laissait aller à ses émotions, sans les contrôler par la raison, on se
retrouvait au même rang qu’un animal. D’après eux, le texte, parlant à l’âme, se retrouvait
hiérarchiquement supérieur à la musique, qui, elle, parlait seulement au corps. A ce titre,
Aristote rejetait l’aulos, une sorte de flûte double typique de cette époque, qui « […] n'est pas
un instrument moral ; elle n'est bonne qu'à exciter les passions, et l'on doit en limiter l'usage
aux circonstances où l'on a pour but de corriger plutôt que d'instruire. Ajoutons que la flûte
possède, en fait, un inconvénient en complète opposition avec sa valeur éducative : c'est
l'impossibilité de se servir de la parole quand on en joue. » (Aristote, La Politique, livre VIII,
chap. 6, § 5). Selon lui, la plus grande faute de cet instrument était d’empêcher la parole
pendant que l’on en jouait, à l’inverse de la cithare qui, elle, accompagnait le chant poétique.
L’aulos, associé au rite dionysiaque, n'était donc toléré que dans la tragédie, un spectacle issu
du culte à Dionysos qui avait une valeur cathartique aux yeux des théoriciens.
Pour Aristote et Platon, la musique est nombre, et à ce titre elle s'adresse à la ratio
plutôt qu'aux sens uniquement. Ainsi, le véritable musicien devait écouter les nombres plutôt
que les sons. Les intervalles purs étaient favorisés (octave, quinte, quarte), car