UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
LA DÉCONSTRUCTION DE L’ONTO-THÉOLOGIE PAR JACQUES DERRIDA :
DÉTOUR LITTÉRAIRE ET MISE EN RELIEF DE LA MATRICE LANGAGIĒRE
COMME DIFFÉRANCE
PAR
CLARA J. HAGGAI
Directeur de recherche
M. JEAN GRONDIN
Département de Philosophie
Faculté des Arts & des Sciences
*
Thèse présentée à la Faculté des Études Supérieures
en vue de l’obtention du grade de
Philosophiae Doctor (Ph. D.)
Décembre 2015
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REMERCIEMENTS
Je souhaiterais dédier ce travail à un absent, un absent qui m’est ô combien cher et qui ne
cesse d’habiter mes pensées et souvenirs. Papa, ceci est pour toi. Ton amour profond des
Lettres, ton immense passion pour la poésie et la musique, ont su bercer mes jeunes années
et me donner cette sensibilité si particulière. De toi, je tiens sans doute ce goût précieux
pour le mystère des mots et l’alchimie de la phrase. Tu as su, depuis ma tendre enfance,
m’encourager à poursuivre cette voie souvent ardue et ingrate de l’écriture. Même malade
et très affaibli, tu accueillais avec joie mes idées et me transmettais, avec enthousiasme, tes
suggestions. La simple évocation de Mallarmé se traduisait, sur ton visage, par cet
énigmatique sourire dont toi seul avais le secret. Il y a six ans, subitement, tu es parti. Ton
absence, pesante, cruelle, s’est abattue sur nous. Les textes d’Apories ou de Circonfession
ont soudain pris une dimension différente, bien plus personnelle. Je comprenais alors
pourquoi notre mort est d’abord la mort de l’autre, de cet autre si proche dont l’absence
imparable nous laisse un vide amer et triste. Le dialogue pourtant n’est jamais rompu, car
ce texte t’est destiné. Au fil de la rédaction, j’ai imaginé tes réactions, tes commentaires, tes
critiques aussi, car ta lecture était toujours aiguisée et exigeante.
De Jérusalem, aujourd’hui, je sais que tu me souris.
Bien évidemment, je me dois de remercier toutes les personnes qui ont, de près ou de loin,
contribué à la réalisation de cette étude. Maman, jamais je n’aurais pu mener ce travail à
bien sans ton précieux concours, sans tes judicieux conseils qui m’ont, tant de fois, aidée à
surmonter l’angoisse de la page blanche, les affres de l’argument incertain et mal formulé.
Tu as su trouver les mots pour m’encourager à coucher sur papier mes idées et c’est avec
fierté que tu accueillais mes moindres progrès et relisais avec intérêt mes paragraphes qui
se transformaient en chapitres. De Nice à Montréal en passant par Paris, ton soutien n’a
jamais failli et tu as ma plus profonde reconnaissance.
Je tiens également à remercier très chaleureusement mon directeur de thèse, Monsieur Jean
Grondin, pour son immense expertise, sa grande compréhension, ses encouragements
renouvelés ainsi que pour sa lecture toujours très attentive et bienveillante.
Une pensée bien entendu pour ma chère sœur Jessie dont l’optimisme, l’humour et la bonne
humeur sont hautement contagieux et qui a très certainement contribué à rehausser ma
motivation dans les moments où elle me faisait malheureusement défaut.
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« Quand les mythologies s’effondrent,
c’est dans la poésie que trouve refuge le divin »
Saint-John Perse
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RÉSUMÉ
Le mouvement derridien de la différance marque la rupture avec l’affirmation de la métaphysique de la présence,
avec l’autorité du signifié transcendantal. Dans cet univers mouvant de signifiants qui se renvoient perpétuellement les uns
aux autres, la logique d’univocité se disloque. La « présence » n’est que fantomatique, s’esquissant au sein d’une chaîne
ininterrompue de signifiants et se laissant toujours creuser par la marque d’un irréductible manque. Face au logocentrisme,
corollaire de l’affirmation de la présence, l’écriture se veut siège et articulation de la trace, d’une origine qui ne peut être
que raturée, véhicule d’une irrémédiable fêlure. Le volet littéraire de la déconstruction a pour but de mettre en évidence le
fonctionnement de l« indécidabilité » du discours, soit une certaine ambivalence dans la signification qui caractérise tout
texte. L’objectif principal de la présente recherche est de fournir une compréhension plus approfondie de la déconstruction
en insistant sur l’ancrage langagier de tout texte. Le discours philosophique n’échappe ainsi pas au canisme différentiel
du langage et à la dérive métaphorique. La parenté entre la perspective déconstructiviste derridienne et la conception
mallarméenne du langage poétique semble frappante. La mise en œuvre, par Mallarmé, d’une dislocation de l’espace
textuel, son minutieux « creusement » du vers après renoncement à toute quête d’« Idéal », la mise en relief du leurre de
l’appropriation langagière, voilà qui trouve un écho particulier dans les thèses derridiennes. La mimésis platonicienne se
voit au travers du prisme de la mimique mallarméenne. La déconstruction poursuit son travail de « luxation » de l’oreille
philosophique, insérant les philosophèmes dans la matrice langagière, les livrant ainsi au hasard du cheminement textuel et
les confrontant à l’aporie. La philosophie n’a alors d’autre choix que d’abandonner ses prétentions transcendantales. La
marche de la différance instaure une inexorable distance qui prive le sujet de tout rapport direct avec une origine assurée et
lui ôte toute possibilité de maîtrise sur le monde. Au travers de la langue, se profile la question de l’altérité, de la relation
dissymétrique qui nous lie à cet « autre », ce « tout-autre » qui nous fonde et nous constitue. L’accueil inconditionnel de
cette altérité nous mènera à l’étude de la « religion », la déconstruction se tournant vers le « religieux » tout en effectuant
un « retournement » habile de tout credo essentialiste.
MOTS-CLÉS : Derrida Mallarmé Déconstruction Différance Philosophie Littérature Langue Écriture
Texte Onto-théologie Religion Signifiant Signe Supplément
ABSTRACT
The play of traces described in Derrida’s différance” highlights the fact that the relationship between the signifier
and the signified is arbitrary. Deconstruction thus undermines the guaranteed certainty of presence, which is at the very
core of Western metaphysical tradition or “logocentrism”. Ontology appears to be forever tainted by the “hauntological”
presence of the trace. The equivocal and infinite logic of the supplement forbids access to any uncontaminated origin.
As nothing exists outside the differential mechanism of the text, we are caught in a maze of signs, unable to bypass the
complex process of language. The main purpose of our study is to provide an accurate understanding of Derridas
deconstruction of ontotheology by drawing attention to the importance of language. Just like general discourse, philosophy
is affected by the play of difference, as philosophemes are themselves embedded in the metaphorical roots of language.
Derrida’s work on literature is well-known but we will show that his literary analyses are part of a strategy to emphasize
the “undecidability” of all texts. In this regard, Mallarmé’s attention to syntax, vocabulary, his purposeful use of spacing
and the disruption of conventional textual linearity, will have a significant impact on deconstruction. The permanent
displacement of any reference in Mallarmé’s “mimique” will indeed provide Derrida with a useful tool to deconstruct the
traditional Platonic schema of mimesis and consequently, “luxate” the philosophical ear. Philosophy is however not
destructed, yet renewed. As the ambivalence of language is stressed, philosophy has no choice but to jettison its
transcendental claims and be open to “destinerrance” and aporiae. The “colonial” structure of all language reminds us that
language always comes from the “other” and eventually always remains with the “other” or “wholly other”. The absolute
welcoming of the “other”, this unconditional hospitality, will lead us towards the analysis of “religion” -or should we say
“traces of religion”- in Derrida’s deconstruction. Derrida “turns” to religion but, at the same time, knows how to “turn
religion around”, as he cleverly dismantles any faith in essentialism.
KEYWORDS : Derrida MallarDeconstruction Différance Philosophy Literature Language Writing
Text Ontotheology Religion Signifier Sign Supplement
4
SOMMAIRE
« Au commencement, c’est la fiction. Il y aurait écriture » …
18-45
Remarques méthodologiques
46-49
CHAPITRE PREMIER :
Littérature et philosophie, une inéluctable porosité des frontières
50-160
I - L’écriture, un ambivalent « pharmakon » : la crypte du signe
50-86
a) Texte littéraire et philosophèmes : affirmation d’une continuité
dans le corpus derridien
52-56
b) Réévaluation de la secondarité du signe dans « La pharmacie de Platon » :
Thot, cet insaisissable dieu de l’écriture
56-60
c) Des hiéroglyphes à l’écriture phonétique :
« scribble » et dissimulation cryptique du savoir
60-64
d) La métaphore : déplacement et « supplémentarité tropique »
64-67
e) Enchevêtrement entre « indication » et « expression » :
la réfutation derridienne du « Présent vivant » phénoménologique
67-75
f) Le « vouloir-dire » investi par le signe :
le sensualisme de Condillac et la « frivolité de l’arkhè »
75-78
g) Entre dessaisissement et réappropriation :
l’ambivalence du rôle de l’écriture chez Rousseau
78-80
h) Des « Speech Acts » à la généralisation du parasitage
80-86
II - Différance, aléa et équivocité généralisée
87-126
a) Pulsion « paléonymique » et différance
89-92
b) La déconstruction attentive à la lucidité du rêve
92-96
c) « Monolinguisme de l’autre »: la langue « hantée » par l’altérité
96-100
d) « Effet de métalangage » et suspension de la « naïveté référentielle »
100-102
e) « Cartepostalisation » et trajectoire aléatoire du texte
102-108
f) Arme stylistique et mise en scène de la distance
109-112
g) « Gramophonie » joycienne et généralisation de l’équivocité langagière
112-119
h) Articulation entre langage et absence : l’Autre, ce disparu
120-126
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