La différence, une valeur et un droit
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Il faut bien admettre que nous avons encore aujourd’hui du mal à accepter la différence. Le réflexe consiste à ramener
l’individu dans la norme, ou bien à effacer le handicap ou la dépendance. Jacques Derrida est celui qui a inspiré nos
travaux sur Condillac et nous a mené sur la piste de la dimension humaniste du métier d’éducateur. Il nous a permis
notamment d’accéder au concept de « différance » qu’il a lui-même créé : « … en jouant avec le double sens du verbe
différer – retarder et distinguer – et en créant un substantif à partir du premier sens – “différance” –, Jacques Derrida
concentre en ce néologisme les deux valeurs fondamentales qui marquent l’éthique de l’éducateur : savoir surseoir à
l’immédiateté de la différence qui impose un réflexe de rejet et de violence, et savoir repérer la ressemblance, qui, sous
la différence, évite le rejet dans l’anormalité ou la monstruosité et donne du crédit au postulat d’éducabilité [6][6] P.
Gaberan, De l’engagement en éducation, Toulouse,.... » Il faut bien admettre que nous ne savons pas encore penser la
« différence » sinon par un recours quasi instinctuel au jugement et au rejet : la différence gêne et dérange. Elle
provoque le désir de la norme et de la contrainte. Peut-être parce que, tout comme la dépendance, en fin de compte, la
différence est calculée du regard en termes de manque. L’autre est regardé comme différent dès lors qu’il « a » ou « n’a
pas » quelque chose que le plus grand nombre, à son tour, « a » ou « n’a pas ». La différence est pesée du côté de
l’avoir, elle n’est pas jaugée du côté de l’être. « Quand par exemple la reconnaissance cherchée n’est pas celle de l’être
et du possible qui nous reconnaît avec surprise (“Tiens, c’est toi ?”, vous dit l’idée que vous cherchez, elle vous
“reconnaît”, vous donne lieu, vous renouvelle), mais celle d’images qui s’effacent et d’idoles qui se brisent l’une par
l’autre dans une course folle, c’est un nihilisme analogue : où pour exister un peu, on nie tout ce qui n’est pas soi, on
fait tout pour des signes de reconnaissance qui relèvent… de l’avoir et non de l’être [7][7] D. Sibony, Don de soi ou
partage de soi ?, Paris, Odile.... » En clair, l’individualisme qui porte les sociétés modernes cultive le culte de
l’apparence au détriment de ce qui fait l’essence de l’individu, son image plutôt que son histoire. En dépit de l’immense
évolution des sciences humaines et du changement de regard porté sur l’homme, les sociétés contemporaines ne savent
toujours pas penser l’être pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a. C’est notre travail à nous, éducateurs, de voir l’être
pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a ou n’a pas.