L’incontinence est fréquente chez les patients déments. Les
urologues sont souvent perplexes sur l’intérêt d’une consultation
dans ce contexte. Il faut cependant savoir que bien que les troubles
urinaires et la démence soient classiquement associés, il existe des
patients avec des états démentiels très avancés qui ne présentent
pas d’incontinence. De plus, la survenue de l’incontinence est
souvent une étape importante dans la prise en charge de ces
patients, qui peut même sonner le glas de leur prise en charge à
domicile, et amener à une institutionnalisation qui dégradera
encore plus les choses [1,2]. Le but de cette mise au point n’est
donc pas de détailler les différents mécanismes physiopathologiques
qui pourraient expliquer les troubles urinaires dans la démence,
mais plutôt de fournir quelques informations pratiques pour prendre
en charge ces patients le mieux possible. Plusieurs questions
peuvent se poser :
I. INDÉPENDAMMENT DE LA DÉMENCE,
QUELLE EST LA RESPONSABILITÉ DU
VIEILLISSEMENT DE L’APPAREIL
URINAIRE DANS L’INCONTINENCE ?
Chez les personnes âgées après 65 ans se développe la notion de
personnes âgées fragiles (frail older persons)[3] qui associent une
dépendance physique, psychique, une diminution de la force
musculaire, une poly pathologie, une poly médication et la nécessité
d’aide pour réaliser les activités classiques de la vie quotidienne.
C’est dans cette population que se trouvent la majorité des patients
vivant en institution. Cette population très spécifique présente
souvent une incontinence à la fois urinaire et anale, qui peut être
indépendante d’une atteinte des fonctions supérieures. L’étiologie
de l’incontinence urinaire chez ces patients est multi-factorielle.
Un des facteurs importants du risque élevé d’incontinence urinaire
est l’existence d’une dégradation avec l’âge de la vessie, de l’urètre
et du plancher pelvien [3].
II. LES TROUBLES URINAIRES ONT-ILS LA
MÊME PRÉVALENCE DANS TOUS LES
TYPES DE DÉMENCE ?
Les travaux traitant spécifiquement des troubles urinaires et de la
démence sont rares. L’incontinence fait cependant partie de la
définition de certaines démences. Ainsi l’hydrocéphalie à pression
normale associe démence, troubles de l’équilibre et incontinence
urinaire.
Dans les démences associées à la maladie de Parkinson, à la
maladie des corps de Lewy,l’existence d’une démence témoigne
d’une maladie déjà évoluée. L’incontinence urinaire est très
fréquente mais probablement plus liée à l’évolution de la maladie
qu’à l’existence de la démence.
Dans les démences vasculaires secondaires à des accidents
vasculaires multiples l’incontinence urinaire est également très
fréquente.
Dans la maladie d’Alzheimer l’incontinence urinaire n’est pas
constante. En effet dans cette pathologie, la prévalence des
symptômes dysautonomiques est plus rare que dans les autres
pathologies et peu différente des sujets contrôles. C’est dans cette
pathologie spécifique que l’incontinence ne survient que très tard,
RÉSUMÉ
Bien que les troubles urinaires et la démence soient
classiquement associés, il existe clairement des patients avec
des états démentiels très avancés qui ne présentent pas
d’incontinence.
La prise en charge de ces patients suppose une approche
réfléchie, afin d’estimer au mieux la responsabilité respective
du vieillissement de l’appareil urinaire et de la démence dans
l’incontinence. Il est également important de distinguer au sein
des syndromes démentiels ceux qui s’accompagnent
obligatoirement d’une incontinence urinaire (comme
l’hydrocéphalie à pression normale) et ceux pour lesquels la
survenue d’une incontinence urinaire est un phénomène tardif
(comme la maladie d’Alzheimer). La stratégie diagnostique et
thérapeutique doit ensuite se faire pas à pas, en éliminant toutes
les causes « simples » de troubles urinaires et en privilégiant
les traitements les plus conservateurs possible.
Mots-clés : vessie neurologique, troubles vésico-sphinctériens,
démence, Alzheimer,sujet âgé, incontinence
Progrès en Urologie (2007), 17 403-405
Chapitre K
Troubles vésico-sphinctériens et
syndromes dégénératifs encéphaliques
G. Robain - E. Chartier-Kastler - A. Ruffion
403
voire jamais, surtout si les sujets gardent une bonne possibilité de
déambulation, et des habitudes de mictions programmées régulières
dans un environnement connu. Par contre l’institutionnalisation
lui faisant perdre ses repères et les risques de chutes induisant une
contention induiront obligatoirement l’apparition très rapide et
souvent irréversible d’une incontinence.
III. PRISE EN CHARGE PRATIQUE
1. Stratégie globale
Il faut faire la part des choses entre l’incontinence-dépendance
secondaire aux troubles démentiels (trouble de l’orientation,
apraxie de l’habillage…) ou des troubles urologiques intercurrents
de la maladie démentielle. Pour cela, il faut garder à l’esprit les
grandes causes de déséquilibre de la continence chez la personne
âgée :
Causes urologiques « classiques » (insuffisance sphinctérienne,
hypermobilité uretrale…), mictions par regorgement (même
chez la femme).
Infections urinaires chroniques (qui peuvent aggraver un
syndrome d’urgenturie-pollakiurie [4]).
Troubles de la mobilité (consécutifs à un traumatisme, un
AVC…). Il s’agit d’un des facteurs de risque majeur
d’incontinence chez les patients âgés fragiles. Pour certains
auteurs[5], ils seraient mêmes supérieurs à la gravité de la
démence. Comme en cas de troubles confusionnels aigus, ils
peuvent amener à prendre l’habitude de mettre des changes
complets au patient, alors qu’il n’en aurait pas forcément
besoin en dehors de l’épisode aigu, lorsque la confusion a
régressé. L’étude de l’environnement du patient et un
interrogatoire « policier » sur les circonstances de survenue
des fuites peuvent parfois amener à proposer des mesures
simples (mise à disposition d’un urinoir, d’une chaise à
proximité du lit) qui feront, au moins temporairement disparaître
l’incontinence.
Troubles confusionnels temporaires (délire aigu, changement
brutal d’environnement, perte d’un proche) : ils exposent aux
mêmes risques que ceux décrits ci-dessus.
Troubles de la trophicité vulvo-vaginale.
Constipation opiniâtre.
Apnée du sommeil (elle peut être évoquée devant des
ronflements, une obésité, une hypersomnie diurne, des
céphalées ; elle aggrave la nycturie habituelle chez les sujets
âgés).
Mauvaises habitudes alimentaires (boissons abondantes le
soir,prise excessive de caféine…).
Médication inappropriée (diurétiques le soir, somnifères trop
puissants…).
2. Bilan diagnostique
L’interrogatoire peut être aidé par l’utilisation de questionnaires
fermés comme le MHU ou le questionnaire de l’AFU (cf. Annexes)
qui permettront de n’omettre aucune facette des symptômes
urologiques que présente le patient. Un point important à noter est
leretentissement des troubles urinaires sur la qualité de vie du
patient, une indifférence aux symptômes étant de très mauvais
pronostic [6]. Il est important d’obtenir dans la mesure du possible
un calendrier mictionnel sur trois jours, au besoin en le faisant
remplir par l’entourage (famille ou personnel soignant).
L’examen clinique sera complété au minimum par une recherche
d’un résidu post-mictionnel en échographie.
L’intérêt du bilan urodynamique est souvent limité lorsque le
patient n’est pas coopérant. Il peut cependant être parfois intéressant
de rechercher l’existence d’une hyperactivité détrusorienne si un
traitement médical est envisagé [3].
3. Propositions thérapeutiques
L’utilisation de traitements médicamenteux doit être prudente
chez ces patients. Les anticholinergiques ont tous un risque
d’aggraver les troubles cognitifs même si les nouveaux sont moins
délétères pour la mémoire [7].
A l’inverse, plusieurs traitements de la démence reposent sur
l’utilisation de molécules cholinergiques à tropisme cérébral. Peu
de travaux ont été effectués, mais, une étude récente avec évaluation
clinique et urodynamique [8], montre que l’utilisation de
cholinergiques centraux, chez un petit nombre de patients étudiés
de façon systématique, améliore les troubles cognitifs sans aggraver
les troubles urinaires.
Nous n’avons pas retrouvé de travaux portant sur les résultats
des traitements chirurgicaux de l’incontinence chez les patients
déments. De même, la littérature est très peu fournie sur les
traitements chirurgicaux des troubles obstructifs du bas appareil
urinaire. Dans ces cas, une prise en charge « standard »est
conseillée. En effet, si peu d’études ont analysé le devenir de ces
patients après résection de prostate ou adénomectomie [9,10] et
si les résultats fonctionnels des interventions semblent logiquement
moins bons que dans la population générale, une partie des patients
pourront en bénéficier.
CE QU’IL FAUT RETENIR
1La démence n’est pas synonyme d’incontinence urinaire.
Dans certaines pathologies comme la maladie d’Alzheimer,
l’apparition d’une incontinence peut être le signe d’une
aggravation de la maladie.
2L’interrogatoire des patients et l’examen clinique doivent
s’attacher à rechercher des causes facilement curables
d’incontinence qui peuvent être liées au patient, mais aussi
àses conditions de vie ou au comportement de l’entourage
(familial ou soignant)
3L’utilisation chez ces patients d’outils standardisés comme
les questionnaires ou le calendrier mictionnel, est
particulièrement intéressant du fait des difficultés fréquentes
de l’interrogatoire.
4En cas de traitement chirurgical des troubles obstructifs du
bas appareil urinaire, l’entourage doit être prévenu du risque
élevé de résultats fonctionnels médiocres.
404
RÉFÉRENCES
1. Rabins PV, Mace NL, Lucas MJ. The impact of dementia on the family. Jama
1982;248:333-5
2. O’Donnell BF, Drachman DA, Barnes HJ, et al. Incontinence and troublesome
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3. Fonda D DC, Harari D, Ouslander JG, Plmer M, Roe B. 3rd international
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l’International Continence Society. Prog Urol 2004;14:1103-11
5. Resnick N, Baumann M, Scott M. Risk factors for incontinence in the nursing
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7. Kay G, Crook T, Rekeda L, et al. Differential Effects of the Antimuscarinic
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8. Sakakibara R, Uchiyama T, Yoshiyama M, Yamanishi T, Hattori T. Preliminary
communication: urodynamic assessment of donepezil hydrochloride in patients
with Alzheimersdisease. Neurourol Urodyn 2005;24:273-5
9. Yonou H, Kagawa H, Oda A, et al. [Transurethral resection of the prostate
for patients with dementia]. Hinyokika Kiyo 1999;45:241-4
10. Barkin M, Dolfin D, Herschorn S, Comisarow R, Fisher R. Voiding dysfunction
in institutionalized elderly men: the influence of previous prostatectomy. J Urol
1983;130:258-9
____________________
SUMMARY
Lower urinary tract dysfunction and degenerative
brain disease
Although lower urinary tract dysfunction and dementia are
classically associated, some patients with advanced dementia do
not experience incontinence. Management of these patients must
be based on careful assessment of the respective roles of ageing
of the urinary tract and dementia in the pathogenesis of
incontinence. It is also important to distinguish those dementia
syndromes that are inevitably accompanied by urinary incontinence
(such as normal pressure hydrocephalus) and those in which
urinary incontinence is a late phenomenon (such as Alzheimer’s
disease). The diagnostic and therapeutic strategy must then be
based on a stepwise approach, by eliminating all simple causes
of lower urinary tract dysfunction and preferring the most
conservative treatments possible.
Key-Words: neurogenic bladder, lower urinary tract dysfunction,
dementia, Alzheimer, elderly, incontinence
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