Perspectives budgétaires et risques pour la viabilité budgétaire

Dette publique, politique monétaire et stabilité fi nancière
Banque de France • Revue de la stabilité fi nancière • N° 16 • Avril 2012
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Perspectives budgétaires et risques
pour la viabilité budgétaire à long terme
CARLO COTTARELLI
Directeur
Fonds monétaire international, Département des Finances publiques
Cet article examine les perspectives des fi nances publiques dans les économies avancées et les économies
émergentes à la suite de la crise fi nancière. Il met en évidence les risques émanant de la situation actuelle
et examine les principales raisons pour lesquelles les marchés apportent des réponses différentes à la
détérioration des situations budgétaires selon les régions (l’Europe d’une part, les États-Unis et le Japon
d’autre part). Il présente les implications de cette situation en termes de politique économique à court
et moyen terme.
NB : L’auteur remercie Nathalie Carcenac et Raquel Gomez Sirera, qui l’ont beaucoup aidé dans ses recherches. Il remercie également S. Ali Abbas, Abdul Abiad,
Tamim Bayoumi, Nina Budina, James Daniel, Philip Gerson, Thomas Helbling, Paolo Mauro, Abdelhak Senhadji, Hajime Takizawa et Anna Ter-Martirosyan
pour leurs commentaires extrêmement utiles.
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Banque de France • Revue de la stabilité fi nancière • N° 16 • Avril 2012
Perspectives budgétaires et risques pour la viabilité budgétaire à long terme
Carlo Cottarelli
L
e présent article examine la situation des
nances publiques dans l’ensemble des pays.
Le tableau qui en ressort est préoccupant.
Dans plusieurs pays, les fi nances publiques n’avaient
pas été aussi fragiles depuis des décennies, voire, dans
certains cas, ne l’avaient jamais été autant. Ce tableau
est également très contrasté, puisque les perspectives
sont plus sombres dans la plupart des pays avancés
que partout ailleurs. Néanmoins, dans un monde
économiquement et fi nancièrement de plus en plus
intégré, les chocs budgétaires dans une région ont
de fortes répercussions sur tout le globe. Dans la
pratique, le concept de « dette publique mondiale »
n’est pas pertinent, étant donné que cette dette est
émise par différents États. Il constitue néanmoins
un indicateur synthétique utile, qui renseigne sur
l’exposition conjointe aux chocs, et qui n’avait pas
atteint un niveau aussi élevé depuis des décennies
(cf. graphique 1).
On ne saurait, bien sûr, résumer la situation des
nances publiques au moyen d’un seul indicateur.
La section 1 de cet article examinera les projections
budgétaires de référence, pour les économies
avancées et émergentes, et les principaux risques
correspondants. La section 2 évaluera globalement
les vulnérabilités macroéconomiques qui découlent
de cet état des fi nances publiques, ainsi que les
implications pour la politique publique. Enfin,
la section 3 en tirera des conclusions et des
enseignements pour l’avenir.
1|
SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE ET RISQUES
ENTOURANT CE SCÉNARIO
La crise économique qui a commencé en 2008
a ébranlé les fi nances publiques dans le monde entier,
mais son impact n’a pas été uniforme. Le graphique 2
représente les indicateurs budgétaires de base pour
trois ensembles relativement homogènes de pays
avancés :
les « deux grands » (Japon et États-Unis) : le choc
y a été de grande ampleur, d’où des défi cits encore
proches de 10 % du PIB en 2011. On peut penser
que ces déficits vont diminuer à l’avenir mais
qu’en l’absence de plans d’ajustement ambitieux,
ils resteront élevés à moyen terme 1. Toutefois, ces
deux pays continuent de bénéfi cier d’une solide
confi ance des marchés et fi nancent leur dette à des
taux d’intérêt historiquement bas ;
la zone euro, où, en moyenne et avec des exceptions
notables, le choc n’a pas été aussi fort et où l’ajustement
a été rapide en 2011, dans un contexte de vives tensions
sur les marchés dans une partie de cette zone ;
les autres pays avancés, dans lesquels, à quelques
exceptions près (Royaume-Uni, notamment), les
comptes publics affi chent une assez bonne tenue,
la dette reste relativement faible et les tensions sur
les marchés n’ont rien d’inquiétant.
L’envolée du ratio de dette publique, mise en
évidence par le graphique 2, est principalement
imputable à la contraction du PIB. Cette contraction,
qui induit une baisse des recettes non compensée par
des réductions correspondantes des dépenses et un
décrochage entre taux d’intérêt et taux de croissance,
explique les deux tiers de la hausse du ratio de dette
Graphique 1
Ratio dette publique mondiale/PIB
(en %)
0
20
40
60
80
100
120
140
1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
Monde
Économies avancées
Économies émergentes
Note : La série dette publique « mondiale »/PIB repose sur les ratios dette/PIB
d’un échantillon constant de 68 pays, pondérés par le PIB en parité de pouvoir
d’achat (PPA). Les chiffres relatifs à la dette proviennent de l’étude A Historical
Public Debt Database, qui présente des données quasiment complètes sur la
période 1880-2011 pour toutes les économies avancées et pour certaines économies
émergentes. Pour les années antérieures, on a comblé les chiffres manquants
du PIB en PPA et de la dette en recourant à une extrapolation rétrospective au
moyen des taux de croissance de la dette et du PIB en PPA des pays pour lesquels
des données étaient disponibles.
Source : FMI, Département des Finances Publiques, A Historical Public Debt
Database, 2011
1 Les projections se fondent sur les hypothèses élaborées par les services du FMI en ce qui concerne les politiques publiques susceptibles d’être mises en œuvre
d’après ce qui a été annoncé. Elles correspondent à celles présentées par le FMI dans l’édition de janvier 2012 de son Moniteur des fi nances publiques.
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des économies avancées du G20 (cf. graphique 3).
La contribution de la relance budgétaire s’avère,
quant à elle, relativement faible. L’impact de la
croissance du PIB sur les tendances budgétaires
apparaît aussi sur le graphique 4, qui illustre la forte
corrélation entre les chocs sur la production et les
chocs sur les défi cits.
À plus long terme, les finances publiques des
économies avancées subiront de graves tensions en
Graphique 2
Économies avancées : indicateurs budgétaires de base
2007-2015
(en pourcentage du PIB)
Défi cit global des administrations publiques
- 3
0
3
6
9
12
15
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
Défi cit primaire des administrations publiques
- 3
0
3
6
9
12
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
Dette brute des administrations publiques a)
30
50
70
90
110
130
150
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
Japon et États-Unis
Zone euro
Autres économies avancées
Note : Toutes les moyennes sont pondérées par le PIB en parité de pouvoir d’achat.
a) Dette nette pour le Canada et le Japon
Sources : FMI, Moniteur des fi nances publiques, mise à jour de janvier 2012 ;
calculs des services du FMI
Graphique 3
Économies avancées membres du G20 :
creusement de la dette des administrations publiques
2008-2015
(en points de pourcentage du PIB)
Baisse
des recettes
Relance
budgétaire
Soutien
au secteur
financier
Prêts nets
et autres
ajustements
stocks-flux
Dynamique de l’écart
taux d’intérêt-
taux de croissance
6,8
3,7
3,3
6,4
18,4
Note : Moyenne pondérée sur la base du PIB en parité de pouvoir d’achat de 2009
Source : FMI, Moniteur des fi nances publiques, septembre 2011
Graphique 4
Croissance et défi cits
(axe des abscisses : écart du PIB par rapport aux projections d’avant la crise,
en points de pourcentage (PP) du PIB ; axe des ordonnées : écart du défi cit par
rapport aux projections d’avant la crise, en PP du PIB ; moyenne 2009-2012)
AU
AT BE CA
CZ
DK
FI
FR
DE
GR
HK
IS
IL IT
JP
KR
NL NZ
NO
PT
SG
SK SI
ES
SE
CH
GB
US
- 2
0
2
4
6
8
10
- 5 0 5 10 15 20
AT = Autriche ; AU = Australie ; BE = Belgique ; CA = Canada ;
CH = Suisse ; CZ = République tchèque ; DE = Allemagne ; DK = Danemark ;
ES = Espagne ; FI = Finlande ; FR = France ; GB = Royaume-Uni ; GR = Grèce ;
HK = Hong Kong ; IL = Israël ; IS = Islande ; IT = Italie ; JP = Japon ;
KR = Corée ; NL = Pays-Bas ; NO = Norvège ; NZ = Nouvelle-Zélande ;
PL = Pologne ; PT = Portugal ; SE = Suède ; SG = Singapour ; SI = Slovénie ;
SK = Slovaquie ; US = États-Unis
Sources : FMI, Moniteur des fi nances publiques, mise à jour de janvier 2012 ; FMI,
Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2007 ; calculs des services du FMI
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Perspectives budgétaires et risques pour la viabilité budgétaire à long terme
Carlo Cottarelli
raison des dépenses de retraite et de santé : d’après les
projections du Fond monétaire international (FMI),
en l’absence de nouvelles réformes, la progression
médiane de ces dépenses représenterait 6,75 points
de pourcentage du PIB sur les quarante prochaines
années (cf. graphique 5).
Les perspectives apparaissent nettement
meilleures pour les économies émergentes
(cf. graphique 6). Si le choc budgétaire a été plus
marqué dans l’Europe émergente, l’ajustement
opéré y a aussi été de plus grande ampleur, ce
qui a ramené le défi cit moyen en deçà de 2 % en
2011. Globalement, la dynamique fondamentale
de la dette reste favorable dans toutes les régions,
même si la dette latino-américaine est toujours
relativement élevée. Les tendances des dépenses
à long terme s’améliorent elles aussi, malgré des
tensions non négligeables : la progression médiane
des dépenses de retraite et de santé devrait être
supérieure à 4 points de pourcentage sur les
quarante prochaines années.
Graphique 5
Hausse des dépenses de retraite et de santé
2010-2050
(en points de pourcentage du PIB)
Économies avancées
- 5 0 5 10152025
Luxembourg
Corée
États-Unis
Suisse
Nouvelle-Zélande
Grèce
Portugal
Royaume-Uni
Slovénie
Autriche
Pays-Bas
Islande
Belgique
Espagne
Finlande
Norvège
Australie
République slovaque
Canada
Irlande
République tchèque
Allemagne
France
Japon
Italie
Danemark
Suède
Médiane
Économies émergentes
0- 5 5 10 15 20 25
Santé Retraite
Médiane
Turquie
Brésil
Ukraine
Russie
Arabie saoudite
Argentine
Chine
Lituanie
Malaisie
Roumanie
Bulgarie
Afrique du Sud
Thaïlande
Philippines
Lettonie
Mexique
Indonésie
Chili
Pologne
Pakistan
Inde
Hongrie
Estonie
Sources : FMI (2010) : Macro-Fiscal Implications of Health Care Reform in Advanced
and Emerging Economies ; FMI (2011) : The Challenge of Public Pension Reform in
Advanced and Emerging Economies, FMI Policy Paper ; calculs des services du FMI.
Graphique 6
Économies émergentes : indicateurs budgétaires de base
2007-2015
(en pourcentage du PIB)
Défi cit global des administrations publiques
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
- 3
- 2
- 1
0
1
2
3
4
5
6
7
Défi cit primaire des administrations publiques
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
- 5
- 4
- 3
- 2
- 1
0
1
2
3
4
5
Dette brute des administrations publiques
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
Europe émergente
Asie émergente
Amérique latine émergente
20
30
40
50
60
Note : Toutes les moyennes sont pondérées par le PIB en parité de pouvoir d’achat.
Sources : FMI, Moniteur des fi nances publiques, mise à jour de janvier 2012 ;
calculs des services du FMI
Dette publique, politique monétaire et stabilité fi nancière
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Perspectives budgétaires et risques pour la viabilité budgétaire à long terme
Carlo Cottarelli
Ces projections de référence sont sensibles à un
certain nombre d’hypothèses clés, notamment en
ce qui concerne les aspects suivants :
le niveau du PIB des économies avancées. D’après
les projections, le PIB ne renouera pas avec sa
tendance d’avant la crise (cf. graphique 7). Cette
crise a provoqué un net fl échissement du PIB, et la
baisse des recettes qui en découle coûte, en moyenne,
quelque 3 points de pourcentage. Au lendemain de
la plupart des crises fi nancières (FMI, 2009), on
constatait certes un repli durable de la production,
mais on pouvait espérer de bonnes surprises ;
les taux d’intérêt et la croissance dans les économies
avancées. Au vu des niveaux d’endettement élevés de
ces pays, les hypothèses relatives aux taux d’intérêt
sont fondamentales. Celles sur lesquelles reposent
les projections de référence sont plutôt optimistes,
compte tenu de l’envolée des ratios d’endettement
(cf. graphique 8) et des données montrant
qu’un endettement substantiel s’accompagne
habituellement d’une croissance faible et de taux
d’intérêt en hausse 2 ;
les hypothèses de croissance et de taux d’intérêt sont
également cruciales pour les économies émergentes.
D’après le scénario de référence, l’écart taux
d’intérêt-taux de croissance restera négatif dans
toutes les régions. Un écart négatif, qui explique les
tendances favorables de la dette sur 2012-2015 en
présence de défi cits primaires, en moyenne (sauf
en Amérique latine), n’est cependant pas inhabituel
pour les économies émergentes. Il témoigne
non seulement d’une croissance vigoureuse
mais aussi d’une répression financière et d’un
sous-développement (Escolano, Shabunina et Woo,
2011). À l’avenir, si la libéralisation fi nancière se
poursuit, ce différentiel pourrait être moins favorable
à la dynamique de la dette ;
le scénario de référence ne prévoit pas de choc
dans le secteur fi nancier. Si l’on fait abstraction des
chocs dus à l’état des fi nances publiques (évalués
Graphique 7
PIB réel des économies avancées,
avant la crise et actuellement
(base 100 : année 2000)
100
105
110
115
120
125
130
135
2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014
Octobre 2007, Perspectives de l'économie mondial
e
Janvier 2012, Perspectives de l'économie mondiale
Note : Toutes les moyennes sont pondérées par le PIB en parité de pouvoir d’achat.
Sources : FMI, Perspectives de l’économie mondiale, janvier 2012 et octobre 2007
Graphique 8
Différentiel taux d’intérêt/taux de croissance,
par ensemble économique et par région
(en %)
Économies avancées
- 1,0
- 0,5
0,0
0,5
1,0
1,5
2,0
1985-2000 2000-2007 2012-2015
Économies émergentes
- 9
- 6
- 3
0
Asie émergente
Europe émergente
Amérique latine émergente
1985-2000 2000-2007 2012-2015
Source : Escolano (J.), Shabunina (A.) et Woo (J.) (2011), “The puzzle of
persistently negative interest rate growth differential: fi nancial repression
or income catch-up?”, FMI Working Paper, novembre
2 Cf. Reinhart et Rogoff (2009), Cecchetti, Mohanty et Zampolli (2011), ainsi que Kumar et Woo (2009) à propos de la relation entre dette publique et croissance.
De nombreuses données montrent que la dette publique infl ue sur les taux d’intérêt (cf., par exemple, Baldacci et Kumar, 2010).
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