
310Neurologies • Mai 2011 • vol. 14 • numéro 138
ÉTHIQUE
non par “client” ou “patient”, ce
qui ne permettrait pas de carac-
térisation suffisante, mais plutôt
par l’expression « people living
with Alzheimers’ disease » .
Si l’on prend la définition médi-
cale du DSM-IV, manuel améri-
cain qui fait référence, on retient
que la démence est a priori un
processus incurable et définitif.
Le dément devient incapable
de s’adapter au situations nou-
velles : n’est-ce pas le cas de
certains artistes, d’hommes po-
litiques...
UN MOT SYNONYME
DE VIOLENCE,
DE SOUFFRANCE
La banalisation du terme “dé-
ment” rappelle celle de la vio-
lence et du spectaculaire, de tout
ce qui fait recette ; les journaux
écrits ou télévisés parlent sur-
tout des scandales, des crimes,
du sensationnel.
La démence reste véritable-
ment terrifiante pour les pa-
tients, les familles et même cer-
tains médecins, étant une source
de souffrance indicible ; pas seu-
lement par le caractère un peu
mystérieux de la maladie, mais
aussi pour le pronostic effroy-
able et par la connotation sociale
péjorative et destructurante.
Ne va-t-on pas leur mettre une
étoile jaune ou leur donner une
clochette, comme autrefois les
lépreux, pour mieux les repérer ?
Le respect ne doit-il pas rester
la valeur absolue dans une so-
ciété entièrement tournée vers
le politiquement correct et le
profit. Où se trouve le respect de
l’identité, de la dignité, de leurs
décisions, de leurs opinions, de
la souffrance intérieure inimagi-
nable de ces patients ?
Le terme de dément est un peu
synonyme d’inhumanité : « ce
n’est plus mon mari, ce n’est
plus un être humain, c’est un
dément » qui entre dans un pro-
cessus inexorable de disquali-
fication, de désintégration psy-
chique. Plus que le mot démence
utilisé, à la rigueur, nosologique-
ment par les professionnels, le
terme dément est une atteinte à
la dignité de l’Homme.
Qui peut supporter le désappren-
tissage progressif de l’être aimé,
cette évolution vers la déchéance
absolue, s’il n’est pas considéré
avant tout comme un malade ?
OÙ COMMENCE, OÙ
S’ARRÊTE LA DÉMENCE ?
Il semble que, quelle que soit la
gravité du diagnostic, très à la
mode de nos jours, il est à l’évi-
dence plus facile d’accepter ce-
lui de maladie d’Alzheimer, car
sant “grands déments” (quelques
mots de ceux qui ne parlaient
plus depuis des mois, une reprise
d’activité simple, dans le chant,
la musique…, un sourire chez
certains totalement inexpressifs
depuis si longtemps…).
Qu’y a-t-il de dément chez un
patient qui perd un peu la mé-
moire, qui a quelques difficultés
d’orientation dans le temps, qui
fait des erreurs dans ses comptes,
mais qui continue à peindre des
toiles, à jouer aux cartes, ou à rire
avec ses petits-enfants ?
Qu’y a-t-il dans leur regard, si-
non une détresse incommensu-
rable et/ou une anxiété infinie ?
Où est la démence dans tout
cela ? Où commence la dé-
mence, à quel chiffre du MMS ?
Dans notre société de mesures,
de tests, de records, de standar-
disation, de normalisation, qui
La banalisation du terme “dément” rappelle
celle de la violence et du spectaculaire.
il sous-entend celui de malade,
donc de reconnaissance d’un sta-
tut social, d’une prise en charge
et d’un traitement ; surtout pas
celui de DTA, démence de type
Alzheimer, sigle qui devrait être
amené à disparaître ou tout au
moins à changer de signification.
Dément est un mot barbare qui
nie toute la capacité restante du
patient : son affectivité majeure
qu’il ne peut pas exprimer, sa
spiritualité, toutes ses ressources
enfouies qui ne demandent qu’à
être stimulées ; et les équipes de
soignants le savent lorsqu’elles
obtiennent des résultats non pas
spectaculaires, mais tellement
enrichissants de la part de soi-di-
pourra dire à quel moment pré-
cis on bascule dans la démence ?
Cette société d’experts autopro-
clamés en tous genres, de sidéa-
nologues, d’alzheimérologues,
a-t-elle besoin en plus de dé-
mentologues ?
A partir de quand va-t-il être rejeté
par sa famille (la séparation d’avec
la famille est souvent un déchire-
ment pour cette dernière), ou par
la société qui en a peur ?
DES MALADES “COMME
LES AUTRES”
Non, ce ne sont pas des déments,
ce sont des malades comme les
autres, ce sont des déficients,