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RAPPORT SUR LE COMMERCE MONDIAL 2013
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matières premières sur de grandes distances, de sorte
que seules les marchandises ayant le ratio prix/poids le
plus élevé (épices, métaux précieux, thé et café) étaient
échangées. Cependant, lorsque les bateaux à vapeur ont
remplacé les voiliers en bois, et le chemin de fer le
transport à cheval, il est brusquement devenu possible
d’acheminer une plus grande variété de produits jusqu’aux
grands centres industriels et la gamme des produits
manufacturés disponibles dans le monde s’est diversifiée.
Dans le courant du XIXe siècle, le commerce
transocéanique des céréales, des métaux, des textiles et
d’autres marchandises en vrac est devenu de plus en plus
courant.1 À partir du milieu du siècle, les agriculteurs
européens ont été de plus en plus exposés à la
concurrence directe des vastes exploitations très
productives d’Amérique et de Russie.2 En Grande‑
Bretagne, malgré une croissance démographique rapide
et des terres arables limitées, les prix des denrées
alimentaires ont cessé d’augmenter dans les années
1840 et ont ensuite commencé à baisser (O’Rourke et
Findlay, 2007 ; O’Rourke et Williamson, 1999).
La baisse des prix des produits alimentaires a été
bénéfique pour les ouvriers de l’industrie et les
consommateurs urbains, contribuant à l’industrialisation et
à l’urbanisation, mais elle a désavantagé les propriétaires
terriens et les ouvriers agricoles. Selon Pomeranz,
l’industrialisation rapide de l’Europe tout au long du XIXe
siècle a été facilitée, dans une large mesure, par l’existence,
dans les Amériques, de vastes étendues de terres fertiles
incultes qui pouvaient être utilisées pour produire les
grandes quantités de produits agricoles nécessaires pour
nourrir une population européenne en pleine croissance, et
libérer ainsi de la main‑d’œuvre et des terres en Europe
pour poursuivre l’industrialisation (Pomeranz, 2000).
En même temps, les Amériques, l’Asie et l’Afrique
constituaient un marché en expansion pour les produits
manufacturés européens. Tout comme les agriculteurs
des pays industrialisés qui étaient confrontés à la forte
concurrence des agriculteurs très compétitifs du Nouveau
Monde, les petits producteurs et artisans des pays en
développement ont été dépassés et écrasés par la
concurrence des producteurs mieux dotés en capital et
en technologie des pays du Nord en pleine
industrialisation (Bairoch et Kozul‑Wright, 1996a).
L’afflux massif, dans les pays en développement, de
produits manufacturés européens, en particulier de
textiles et de vêtements, pendant tout le XIXe siècle, a
abouti, d’après l’historien de l’économie Paul Bairoch, à la
« désindustrialisation » de ces pays, en termes absolus et
relatifs. La destruction de l’industrie textile en Inde en a
été un exemple frappant, mais un processus de
désindustrialisation analogue s’est produit en Chine, en
Amérique latine et au Moyen‑Orient (Bairoch et
Kozul‑Wright, 1996b). Le monde en développement a vu
sa part de la production manufacturière mondiale passer
de plus d’un tiers à moins d’un dixième entre 1860 et
1913 (Bairoch, 1982). Ce n’est qu’après le début du
XXe siècle que la diminution de la capacité industrielle
des pays en développement a commencé à s’inverser.
L’amélioration des transports et des communications a
facilité la circulation des personnes, des capitaux et des
marchandises à travers le monde, ce qui a stimulé la
croissance des marchés étrangers, favorisé les
investissements dans les infrastructures de transport et
de communication et accéléré l’intégration mondiale.
Entre 1820 et 1913, 26 millions d’Européens ont émigré
aux États‑Unis, au Canada, en Australie, en
Nouvelle‑Zélande, en Argentine et au Brésil. Cinq millions
d’Indiens ont migré au sein de l’Empire britannique vers
des destinations comme la Birmanie, la Malaisie, Ceylan
(Sri Lanka) et l’Afrique, et un nombre plus grand encore
de Chinois ont émigré vers les pays riverains de l’océan
Pacifique et au‑delà (Ravenhill, 2011).
L’ouverture des Amériques, de l’Australasie et de l’Asie
septentrionale à de nouvelles populations a nécessité des
investissements considérables, en particulier dans les
voies ferrées. Après 1870, les capitaux européens ont
afflué à l’étranger vers les pays d’outre‑mer. En 1913, les
investissements à l’étranger de la Grande‑Bretagne, de la
France et de l’Allemagne s’élevaient à 33 milliards de
dollars EU ; après 1870, la Grande‑Bretagne avait investi
à l’étranger plus de la moitié de son épargne et en 1913,
les revenus de ses investissements représentaient près
de 10 % de la production intérieure totale de biens et de
services (Maddison, 2001). En outre, ces capitaux ont été
investis de plus en plus dans les pays en développement.
Entre 1870 et 1914, la part des investissements
britanniques en Europe et aux États‑Unis a diminué de
moitié, passant de 52 % à 26 % du total, tandis que la part
des investissements en Amérique latine et dans les
colonies et dominions britanniques est passée de 23 % à
55 % (Kenwood et Lougheed, 1994).
Un nouveau paysage économique mondial, caractérisé
par un « centre » industriel avancé et une « périphérie »
fournissant des matières premières, s’est peu à peu
dessiné au cours du XIXe siècle, reflétant la division
internationale croissante du travail (O’Rourke et Findlay,
2007). La Grande‑Bretagne, en particulier, faisait plus de
commerce avec son empire et ses dominions qu’avec les
autres pays industrialisés. En 1913, par exemple, elle
importait davantage de l’Australie, du Canada et de l’Inde
réunis (plus quelques autres pays) que des États‑Unis,
pourtant gros fournisseur de coton pour l’industrie textile
britannique, et elle exportait cinq fois plus vers ces pays
que vers les États‑Unis. De même, en 1913, la France
exportait plus en Algérie qu’aux États‑Unis (Ravenhill,
2011).
Même dans les pays industrialisés, le commerce était
largement dominé par les produits primaires jusqu’après
la Première Guerre mondiale. À son apogée en 1890, le
commerce des produits agricoles et les autres produits
primaires représentait 68 % du commerce mondial, et en
1913, il avait légèrement diminué, à 62,5 % (Kenwood et
Lougheed, 1994). Lorsque la Première Guerre mondiale a
éclaté, les produits primaires représentaient encore les
deux tiers des importations britanniques (Ravenhill, 2011).
Dans le centre industrialisé, les revenus étaient
généralement convergents au XIXe siècle, mais ils
divergeaient fortement entre le centre et la périphérie de
l’économie mondiale. De nombreux économistes,