Journée d’étude « La détermination côté définitude »
Mercredi 12 mars 2008
LEDIT = AD+PP ? Le fonctionnement de [LEDIT N] en moyen
français
Jesse Mortelmans
Dans les différentes versions de ce que Kleiber (1986) a appelé la thèse de la
réduction, l’adjectif démonstratif est décrit comme un article défini accompagné
d’une indication déictique. Cette idée réductionniste “que les descriptions
démonstratives ne sont que des descriptions définies d’un type particulier et donc
que l’analyse de l’adjectif démonstratif repose en définitive sur celle de l’article
défini” (Kleiber 1986, 195) a été amplement réfutée dans une série d’études qui
plaident pour une approche plus sémantique des démonstratifs (cf. Kleiber 1990, De
Mulder 1990, 1997).
D’une façon comparable, plusieurs auteurs ont suggéré que le sens du
déterminant LEDIT, relativement fréquent en moyen français (cf. De Wolf, 2003 et
Guillot et al. à paraître), résulterait de la combinaison de l’article défini avec le
participe passé du verbe dire, dont le rôle se limiterait à renforcer la valeur
anaphorique. Ainsi, Rasmussen (1958) note que l’emploi de LEDIT est si fréquent
dans certains textes en prose du 15e siècle « que le terme devient presque
l’équivalent de l’article défini. […] A quel point l’emploi de LEDIT est mécanique, on le
voit dans le début d’un conte où LEDIT détermine une localité qui n’a pas été
mentionnée ‘plus haut’ » (Rasmussen, 1958, 33-34). Pareillement, dans l’apparat
critique de son édition de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Salminen (1999,
509) signale qu’elle a soulevé « l’alternance le-ledict (souvent sigle) devant les noms
de personnes ». Dans le compte-rendu de l’édition, Lagorgette (2001, 494) regrette
cette neutralisation « qui rend impossible de considérer la forme ‘ledist’ qui
appartenait au style curial et qui est sémantiquement assez distincte de l’article
défini auquel elle est assimilée ici » (ma traduction).
Dans cette contribution, nous démontrerons qu’en moyen français, l’article défini
et LEDIT ne fonctionnent pas dans les mêmes contextes, et qu’ils n’ont pas le même
rôle discursif non plus. L’article défini a un emploi beaucoup plus étendu que LEDIT,
tandis que ce dernier est employé dans des contextes bien circonscrits, servant par
exemple à mettre en évidence les topiques de discours. Il s’avérera ainsi que le
fonctionnement de LEDIT n’équivaut pas à la simple somme de LE+DIT.
Marguerite de Navarre, Heptaméron, éd. Salminen, Renja, 1999, Genève, Droz.
De Mulder, Walter, 1990, « Anaphore définie versus anaphore démonstrative : un problème
sémantique ? », in Kleiber, Georges & Jean-Emmanuel Tyvaert (éds), 1990, L’anaphore et
ses domaines, Metz, Centre d’Analyse Syntaxique de l’Université de Metz, p. 143-158.
De Mulder, Walter, 1997, « Les démonstratifs : des indices de changement de contexte », in
De Mulder, Walter, Flaux, Nelly & Van de Velde, Danièle (éds), 1997, Entre général et
particulier : les déterminants, Arras, Artois Presses Université, p. 137-200.
De Wolf, Anouk, 2003, « Un nouveau déterminant : le déterminant anaphorique -dit en
français médiéval », Verbum 25/3, p. 335-351.
Guillot, Céline, Heiden, Serge, Lavrentiev, Alexei, à paraître, « Typologie des textes et des
phénomènes linguistiques pour l'analyse du changement linguistique avec la Base de
Français Médiéval », à paraître dans LINX.
Kleiber, Georges, 1986, « A propos de l’analyse Adjectif démonstratif = article défini +
élément déictique ou Sur l’irréductibilité des symboles indexicaux », in Actes du XVIIe
Congrès International de linguistique et de philologie romanes, vol. 4, p. 194-212.