diminution de la douleur. Ce phénomène a été mis en évi-
dence de façon claire par les études expérimentales de Be-
nedetti et al. [1] et on peut le distinguer partiellement de celui
des attentes [30]. Pour ce qui est de la douleur, l’effet du
placebo est plus intense si le placebo est administré après
l’injection d’antalgique efficace [1]. Ce phénomène est en fait
lié aux capacités des organismes pourvus d’un système ner-
veux capables d’anticiper biologiquement et comportemen-
talement des situations diverses, raison pour laquelle il a bien
été établi chez l’animal. Il s’agit d’une capacité d’adaptation
de ces organismes vivants. On le retrouve bien évidemment
dans de nombreuses situations (comme par exemple quand
l’insuline est sécrétée à l’approche d’une prise alimentaire),
y compris dans la modification de l’effet des substances phar-
macologiques. La prise d’un placebo n’est dès lors qu’une
situation particulière.
Les autres explications :
suggestion, prophétie
auto-réalisatrice et efficacité
symbolique
La notion d’expectancy est intéressante car elle est un point
commun par lequel passent d’autres mécanismes d’action
décrits pour expliquer les effets du placebo, comme le désir
ou les motivations, l’espoir, et la « suggestion » (dans le sens
que lui a donné Berheim : « l’acte par lequel une idée est
éveillée dans le cerveau et acceptée par lui » [31]) car les
attentes peuvent être non seulement suscitées par des sug-
gestions verbales mais aussi en l’absence de suggestion pro-
prement dite. Kirsch rapproche aussi la notion d’expectancy
de celle de prophétie auto-réalisatrice (self fulfilling prophe-
cies) [2] décrite en sciences sociales par Merton (1949)1se-
lon laquelle le fait de croire qu’un événement va se réaliser
fait effectivement advenir cet événement par le biais d’une
modification des comportements2. Enfin, elle permet aussi
de rendre compte de la notion d’efficacité symbolique déve-
loppée par Levi-Strauss [32]. Pour Brody [33] ou Moerman
[34], la valeur symbolique de l’acte thérapeutique précéderait
les autres mécanismes. L’objet placebo se comporte alors
comme un signifiant porteur d’une signification (la guérison).
L’efficacité de la thérapeutique est alors dépendante du
contexte et de la culture dans laquelle se situe le malade. Un
objet placebo signifiant pour une culture donnée peut tout à
fait n’avoir aucun sens pour une autre culture. On comprend
ainsi la pléthore de placebos « impurs » disponible dans la
thérapeutique occidentale dominée par la pharmacologie. En
effet, parce qu’ils contiennent des molécules pharmacologi-
ques actives et qu’ils ressemblent ainsi aux médicaments
efficaces, ces remèdes sont considérés à tort comme puis-
sants. Dans une culture basée sur d’autres thérapeutiques,
les placebos ne ressembleront pas aux placebos « médica-
menteux ». Dans cette perspective, l’objet placebo est une
sorte de « langage » qui produit ce qu’il entend réaliser.
En fait, cette valeur symbolique d’un remède n’est pas consi-
dérée comme un mécanisme explicatif à proprement parler
dans la mesure où elle n’est qu’un facteur parmi d’autres
pouvant être responsable d’une attente de soulagement ou
de guérison. De plus, même si Benedetti et al. ont montré
que l’expectancy et le conditionnement pouvaient agir par
des mécanismes différents [30], il semble que la séparation
entre les deux ne soit pas si facile à établir. En effet, un
stimulus inconditionnel induit également une attente de sou-
lagement et les deux mécanismes semblent interagir dans
la plupart des cas [29]. D’ailleurs, il est intéressant de noter
que Kissel et Barrucand abordaient en 1964 la notion d’ex-
pectation non pas dans le chapitre « suggestion » mais bien
dans le chapitre « conditionnement » [35].
Ces mécanismes modifient
les neuromédiateurs
La prise d’un placebo entraîne des réactions neurobiologi-
ques. La plupart des recherches concernent la placebo anal-
gésie et l’étude des mécanismes opioïdes ou non opioïdes.
La découverte des endorphines (opioïdes) en 1973, ces mo-
lécules sécrétées par l’organisme pour réduire la douleur, a
permis d’expliquer biologiquement la placebo analgésie. En
effet, la naloxone, un antagoniste des opioîdes, étant capable
d’inhiber la placebo analgésie, il en a été conclu que celle-ci
était médiée par des mécanismes opioïdes [36]. La littérature
est abondante sur le sujet et on sait aujourd’hui que d’autres
molécules endogènes interviennent (comme la cholecysto-
kinine antagonisée par le proglumide) [1]. De plus, selon
Amanzio et Benedetti, seule l’attente d’analgésie serait mé-
diée par les opioïdes endogènes. Le conditionnement pour-
rait être dépendant d’autres mécanismes biologiques impli-
quant bien d’autres voies neuro-hormonales [29]. Enfin, de
nombreux travaux en neurologie fonctionnelle montrent que
les placebos sont capables de stimuler des aires cérébrales
spécifiques des réponses observées. Ainsi, en 2001, de la
Fuente Fernandez et al. montraient que, chez des patients
atteints de maladie de Parkinson, le placebo était capable
d’induire une libération de dopamine dans le striatum amé-
liorant ainsi la symptomatologie fonctionnelle des patients
parkinsoniens [37]. Trois ans plus tard, en 2004, Benedetti et
al. montraient que chez des patients parkinsoniens ayant
préalablement reçu une injection d’apomorphine, l’injection
d’un placebo produisait chez certains patients (placebo-ré-
pondeurs) une réduction de la rigidité du bras ainsi qu’une
diminution des décharges neuronales sous-thalamiques [38].
Ce qui, par la même occasion, apportait une assisse
1. Dans son ouvrage Social theory and social structure traduit en français sous
le titre Éléments de théorie et de méthode sociologique. Le concept de pro-
phétie autoréalisatrice permet à Merton d’expliquer en partie la crise de 1929 :
la croyance en une catastrophe boursière induisant la vente des actions contri-
bua à amplifier la crise...
2. Voir à ce sujet : Jones RA (1977). Self-fulfilling prophecies. Social, psycho-
logical, and physiological effects of expectancies (John Wiley and Sons, Hills-
dale) et une réflexion intéressante sur ces prophéties autoréalisatrices en soins
intensifs : Wilkinson D. (2009), The self-fulfilling prophecy in intensive care
(Theoretical Medicine. 2009;30:401-10). L’auteur montre que les soignants
sont nécessairement imprégnés de jugement sur le pronostic des patients et
que cela peut influencer leur prise en charge.
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décembre 2014MÉDECINE
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