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plutôt qu’à celui d’oubli. Les auteurs
tordraient facilement le cou au premier,
au profit du second, comme c’est
actuellement la tendance aux États-
Unis, ce qui nécessiterait certainement
un débat approfondi sur la définition et
la nature dudit refoulement, considéré
par eux dans une acception peut-être
trop restrictive. La question qu’ils sou-
lèvent n’en est pas moins particulière-
ment intéressante du point de vue de
l’analyse des pratiques cliniques. Il n’y
a pas d’oubli sans mémoire et la syn-
thèse qu’ils fournissent des développe-
ments récents concernant la psycholo-
gie de la mémoire est plutôt réussie : la
mémoire est d’abord un processus de
reconstruction susceptible d’être
influencé par de nombreux facteurs. Il
existe plusieurs types de mémoire ; ils
ne les citent pas tous mais détaillent,
entre autres, la mémoire autobiogra-
phique (particulièrement peu fiable car
elle s’enrichit avec l’âge de construc-
tions sociales et de réinterprétations
actives des expériences dont on se sou-
vient, alors que l’on oublie des pans
entiers de son histoire), les souvenirs de
traumas (souvent remémorés de maniè-
re vivante bien que parfois très inexac-
te. Le problème que l’on rencontre à la
suite de la plupart des traumas n’est pas
l’oubli, mais l’incapacité à oublier.
L’amnésie psychogène des événements
traumatiques est rare.) et la suggestibi-
lité de la mémoire, ceux qui connais-
sent les recherches menées en ce
domaine savent à quel point elles sont
convaincantes (cf. la bibliographie de
l’article) : la confiance d’une personne
dans sa mémoire n’est pas corrélée avec
l’exactitude de celle-ci...
Vient ensuite le catalogue explicatif et
critique des techniques thérapeutiques
utilisées dans le but de retrouver les
souvenirs perdus ou refoulés de VSPE
et qui seraient selon certains praticiens
à l’origine de nombreux troubles psy-
chopathologiques.
• Les inventaires de symptômes préten-
dument liés aux VSPE, suivis d’entre-
tiens prolongés ou répétés, sont souvent
utilisés, alors qu’il n’existe pas de syn-
drome pathognomonique spécifique
consécutif à des violences sexuelles
mais une vulnérabilité pour les troubles
psychologiques en général.
• L’abréaction induite pharmacologi-
quement ou l’entretien médiatisé phar-
macologiquement provoquent souvent
l’émergence d’un matériel riche mais
fantaisiste, bien que l’abréaction indui-
te en une séance unique, avec une seule
injection, ait donné des résultats
lorsque la réalité d’un trauma était
connue.
• L’hypnose ne constitue pas un moyen
fiable pour éclaircir le passé (la loi
américaine ne la reconnaît d’ailleurs
plus pour les témoignages). Le rôle
dominant de l’hypnotiseur et la “passi-
vité” de l’hypnotisé créent une situation
de dépendance et d’influence.
• La régression vers l’enfance, les
“flash-backs”, les souvenirs corporels
n’ont pas pu faire la preuve que le sujet
régressait véritablement vers l’âge ciblé
et donnent souvent lieu à un matériel
fantasque et non crédible.
• L’interprétation des rêves n’a pas
démontré que ces derniers sont la “voie
royale” vers la vérité historique des per-
sonnes, et les interprétations reflètent
habituellement la formation et les
convictions personnelles du thérapeute.
• Le travail des images ou des sensa-
tions, “l’art-thérapie”, les imageries et
fantasmatisations dirigées constituent
des suggestions pures. Les croyances
des thérapeutes déterminent la manière
dont les productions des patients sont
configurées. Elles fournissent cepen-
dant dans d’autres cadres thérapeu-
tiques, moins ciblés, de solides assises
techniques à l’élaboration projective et
fantasmatique.
• Les groupes de victimes sont des
groupes de soutien, qui aident à restau-
rer l’estime de soi et à réduire la honte
et l’isolement. Le fait de mélanger des
personnes qui ont effectivement subi
des violences sexuelles avec des per-
sonnes dont les thérapeutes supputent
qu’elles en ont subi, crée un effet de
contagion et de suggestion.
Les techniques dites d’étayage de la
mémoire sont puissantes non pas tant
pour retrouver la mémoire que par le
danger qu’elles représentent du fait de
leur effet de persuasion. De nombreux
souvenirs qu’elles “retrouvent” font
référence à des faits survenus durant la
période d’amnésie infantile et ne sont
donc pas plausibles. L’acception du
concept de refoulement, en usage chez
les thérapeutes de la mémoire, est loin
de sa compréhension psychanalytique
traditionnelle, et aucune recherche
expérimentale n’a, à ce jour, apporté
d’élément à son appui : on n’en sait pas
plus aujourd’hui qu’il y a cent ans. Au
quotidien, il arrive que l’on se souvien-
ne d’événements que l’on avait oubliés
pendant longtemps ; cela ne signifie
pas pour autant qu’ils ont été refoulés.
Des études ont montré que des per-
sonnes ayant “retrouvé” des souvenirs
de VSPE allaient ensuite plus mal
qu’auparavant du fait d’une perte de
contrôle sur leur destin. Il n’existe pas
de moyen autre que la recherche d’une
preuve externe pour déterminer la réalité
ou la fiction d’un souvenir retrouvé.
Recommandations
Tout professionnel, travaillant avec des
patients qui font état de souvenirs de
VSPE, doit consulter un expert et béné-
ficier d’une supervision régulière par
des pairs.
• La première responsabilité du théra-
peute est le mieux-être du patient.
L’attention aux besoins et intérêts des
membres de la famille est requise, dans
le cadre des contraintes imposées par la
confidentialité.
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