C A S C L I N I Q U E Rémission complète prolongée d’un carcinome de la verge Long term complete remission of penile carcinoma K. Chouahnia, G. des Guetz, P. Saintigny, J.F. Morère, J.L. Breau* Mots-clés : Carcinome de la verge - Chimiothérapie - Rémission. Keywords: Penile carcinoma - Chemotherapy - Remission. e cancer de la verge est fréquent dans les pays où le niveau socio-économique est bas, étant donné les mauvaises conditions d’hygiène (1). L’association avec le papillomavirus humain type 16 et 18 a été largement documentée (2). Par ailleurs, le phimosis a été incriminé dans 25 à 75 % des cas ( 3 ). L’incidence, aux États-Unis et en Europe, est de 1/100 000 par an (2). Le carcinome épidermoïde est de loin le type histologique le plus fréquemment retrouvé : il représente 97 % des cas (4). Initialement, le carcinome de la verge se localise dans le gland dans 48 % des cas, dans le prépuce dans 25 % des cas, et dans le gland et le prépuce dans 9 % des cas (5). Les ganglions lymphatiques inguinaux représentent le premier relais métastatique ( 2 ). Le pronostic des cancers de la verge reste dépendant de la chirurgie, qui est le traitement de référence, avec un taux de contrôle local de 94 %, et un taux de rechute locale de 10 % (6, 7). Ces résultats sont, en règle générale, obtenus au prix d’une intervention mutilante. La chimiothérapie donne par ailleurs des taux de réponse entre 10 et 30 %. Elle est souvent réservée aux formes métastatiques ( 1 ). Nous rapportons ci-dessous le cas d’un patient présentant une tumeur de la verge de stade III pour laquelle une rémission complète pendant dix ans est obtenue par une polychimiothérapie. Monsieur G. D, né en 1947 et sans antécédents médicaux particuliers, est pris en charge en mai 1992 dans le service d’oncologie médicale du CHU d’Avicenne pour une lésion ulcérovégétante du gland mesurant 2 cm de diamètre, associée à des adénopathies inguinales gauches. La biopsie confirme l’existence d’un carcinome épidermoïde bien différencié infiltrant de grade I. Le bilan d’extension est négatif, et la tumeur est classée cT2N2M0. Le patient ayant émis une opposition à tout traitement chirurgical, une polychimiothérapie lui est proposée, comportant cisplatine 15 mg/m2 de J1 à J5, bléomycine 3 mg/m2 de J1 à J5, 5 fluoro-uracile L 600 mg/m2 de J2 à J5, vepeside 50 mg/m2 de J2 à J5, hydroxycarbamide 1500 mg de J1 à J3. Après 5 cycles, une réponse complète objective est obtenue sur la lésion de la verge et sur les adénopathies inguinales gauches, sans toxicité majeure notable. Cette rémission conduit malheureusement le patient à arrêter volontairement la poursuite thérapeutique, et tout contact médical est rompu jusqu’en février 2003. Une reprise évolutive est alors constatée au niveau du site initial du gland et au niveau du creux inguinal gauche, sans autres localisations métastatiques par ailleurs. Plusieurs lignes de chimiothérapies lui sont administrées (carboplatine, Gemzar® , Taxotere ®, oxaliplatine). Une réponse partielle est obtenue, avant un nouveau refus thérapeutique. Finalement, le pati ent est en poussée évolutive majeure aux niveaux local et régional et reçoit une irradiation. DISCUSSION * Service d’oncologie médicale, hôpital Avicenne, 93009 Bobigny Cedex. L’amputation partielle ou totale de la verge est le traitement le plus souvent proposé aux patients ayant des tumeurs de stades II et plus (4). Pour les tumeurs T1 et T2, l’amputation partielle avec 2 cm de marge de sécurité est le traitement standard. Par ailleurs cette marge de résection peut être réduite à 1 cm si la tumeur primitive est de grade I ou de grade II (8). Néanmoins, les répercussions psychologiques d’un tel traitement sont majeures (4), et l’effet négatif sur la qualité de vie des patients jeunes peut être un obstacle à une prise en charge carcinologique optimale. C’est ce qui a été observé chez ce patient qui était âgé de 45 ans lors du premier diagnostic. Le carcinome épidermoïde de la verge est relativement chimiosensible. La chimiothérapie adjuvante prolonge la survie des patients ayant eu un curage ganglionnaire radical ( 5 ). Néanmoins, la morbidité de ce curage n’est pas négligeable. La bléomycine, le méthotrexate, et le cisplatine sont les agents cytotoxiques qui ont montré une activité modeste en La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n° 4 - juillet-août 2004 189 C A S C L I N monothérapie, avec des taux de réponse respectivement de 21 %, de 38 à 61 % et de 15 à 61 % (9). En revanche, l’association de ces trois molécules donne des taux de réponse entre 32 et 72 % (10, 11). Dans la série de phase II rapportée par Gabriel et al. ( 1 0 ), 40 patients présentant un carcinome épidermoïde de la verge localement avancé ou métastatique étaient traités par une association comportant cisplatine, bléomycine et méthotréxate. Le taux de réponse était de 32,5 %, avec 12,5 % de réponses complètes et 20 % de réponses partielles. Néanmoins, la toxicité de ce traitement était importante. Pour l’association de 5-FU et de cisplatine, les taux de réponse varient entre 25 et 100 % selon les études (11, 12). Dans la série rétrospective de Gotsadze ( 1 3 ) , 2 2 3 patients sont répartis en trois bras (155 patients traités par une radiothérapie, 33 patients par une chimiothérapie et 35 patients par une radiochimiothérapie), puis stratifiés selon l’âge, la taille et le grade histologique de la lésion primitive. Le taux de contrôle local était de 60,5 %, sans différence statistiquement significative entre les trois bras. Néanmoins, pour les patients âgés de plus de 60 ans, avec une tumeur de taille inférieure à 4 cm et de grade I ou II, la survie à 5 ans était de 88 %, 71 % et 68 % respectivement pour les T1, T2 et T3. Les facteurs de mauvais pronostic dans le carcinome de la verge sont représentés par la taille de la tumeur primitive, le grade histologique et la métastase ganglionnaire inguinale ( 2 ). La présence d’emboles tumoraux lymphatiques et vasculaires de la tumeur primitive est corrélée à la présence de métastases ganglionnaires ( 1 4 ). Par ailleurs, si 3 0 à 64 % des patients présentent des ganglions inguinaux palpables au moment du diagnostic, ces ganglions ne sont métastatiques que dans 15 à 45 % des cas ( 1 4 ). Pour les tumeurs de grade I, les métastases ganglionnaires ne sont retrouvées que dans 4 à 17 % des cas ( 1 5 - 3 ). Le taux de survie à 5 ans, selon que les patients sont N- ou N+, sont respectivement de 66 %, et de 27 %( 1 6 ). Néanmoins, l’atteinte ganglionnaire pourrait également être d’origine inflammatoire, car, après 4 à 5 semaines d’antibiothérapie, une régression complète est observée dans 40 à 50 % des cas ( 2 ). C’est dire l’intérêt des biopsies ganglionnaires initiales pour une meilleure classification pronostique. 190 I Q U E CONCLUSION La place des nouvelles molécules dans le traitement du carcinome de la verge reste à définir (9). Celles-ci n’ont pas produit de résultats spectaculaires en deuxième intention dans notre observation. La détermination de la place du traitement médical nécessite la poursuite de la recherche clinique rendue difficile par la nature et l’incidence de l’affection. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Simon JM, Gerbaulet A, Mazeron JJ. Tumeurs de la verge. In: Morère JF (ed.) Thérapeutique du cancer. Springer 2002;637-53. 2. Mobilio G, Ficarra V. Genital treatment of penile carcinoma. Curr Opin Urol 2001;11:299-304. 3. Horenblas S, Van Tinteren H, Delemerre JFM et al. Squamous cell carcinoma of the penis III. Treatment of regional lymph nodes. J Urol 1993;149: 493. S. Positron emission tomography detection of metastatic penile squamous cell carcinoma. J Urol 2001;165:1633-34. 5. Nabil K et al. Muti-institutional long-term experience with conservative surgery for invasive penile carcinoma. J Urol 2003;169:500-2. 6. Miao-Fen Chen et al. Contemporary management of penile cancer including surgery and adjuvant radiotherapy: an experience in Taïwan. World Journal of urology. Springer. 7. Clifford Chao KS, Perez CA. Penis and male urethra. In: Perze CA, Brady LW (eds). Principle and practice radiation oncology. 3rd ed. Philadelphia : Lippincott, pp 1717x2013;173. 8. Agrawal A, Pai D, Ananthakrishnan N et al. The histological extent of the local spread of carcinoma of the penis and its therapeutic implications. Br J Urol Int 2000; 85:299-301. 9. Culkin DJ, Beer TM. Advanced penile carcinoma. J Urol 2003;170:359-65. 10. Gabriel P, Haas GP, Blumenstein BA, Gagliano RG, Russell CA, Rivkin SE, Culkin DJ et al. 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