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l’extérieur, ne portait pas de protection contre les rayons
ultraviolets et évoquait l’existence d’une lésion conjonctivale
nodulaire, indolore, superficielle, ancienne, apparue sur le
site du CEC et négligée depuis longtemps. Ces lésions
précancéreuses non kératinisées (néoplasies intra-épithéliales)
sont le siège de dysplasies épithéliales dont le degré le plus
élevé est le carcinome in situ [1]. On le distingue de la kératose
actinique, lésion autonome et kératinisée, dont la signification
est tout aussi sévère. Le carcinome micro-invasif est une
lésion précancéreuse en voie de transformation vers le
carcinome invasif vrai. Une irritation sévère de nature chimique,
comme une brûlure à la chaux observée chez le deuxième
patient et d’autres irritations de nature infectieuse comme le
trachome, et l’infection par le Human Papilloma Virus (HPV)
16 ou 18, seraient également des facteurs de risque [3].
Le CEC concerne le plus souvent des personnes âgées de plus
de 55 ans, sans prédominance d’un sexe. Notre premier patient
était âgé de 72 ans. Quand le CEC survient à des âges plus
précoces, une brûlure oculaire sévère ou surtout une infection
par le VIH doit être recherchée. Au Kenya, sur 409 patients
infectés par le VIH, la prévalence du CEC était de 7,8%, et
la moyenne d’âge des patients était de 38,3 ans [4]. Dans les
zones d'épidémie de SIDA, on observe une augmentation
constante de l'incidence du CEC : 10 cas recensés en 1994,
40 en 1997 en Tanzanie [5, 6, 7].
Le CEC prend l’aspect d’une tumeur végétante ou
bourgeonnante parfois ulcérée, dont chaque lobule comporte
un axe vasculaire [8]. Il survient souvent sur une zone
préalablement irritée de façon chronique (kératose actinique
et carcinome in situ). L’histologie seule permet le diagnostic
avec certitude. Les CEC sont constitués de cellules épithéliales
atypiques organisées en travées ou isolées et situées au sein
de cellules dyskératosiques concentriques. Les anomalies
nucléaires consistent en de gros noyaux hyperchromatiques
et de gros nucléoles. Le stroma est le siège d'une importante
réaction inflammatoire. Les capillaires sont dilatés, tortueux,
nombreux et doublés d'une multitude de fins néovaisseaux
formant un réseau de boucles et de ramifications. L’extension
du CEC se fait avant tout localement par continuité d'abord
en surface, puis en profondeur. Les métastases lymphatiques
(prétragiennes et sous-angulomaxillaires) et générales (cœur,
poumon, cerveau) sont rares et concernent essentiellement
les tumeurs très évoluées.
L’exérèse de la tumeur doit être complète. En présence d’un
envahissement orbitaire, l’exentération s'impose ainsi qu’un
curage ganglionnaire, une parotidectomie et une radiothérapie.
En effet, le taux de récurrence des CEC est élevé, surtout au
cours de la première année suivant l’exérèse chirurgicale [9].
Dépourvue d'effets secondaires importants, la cryothérapie
du lit scléral, du limbe et/ou de la conjonctive marginale réduit
de façon significative le taux de récidive [10]. La mytomycine
C a été préconisée par certains en cas de récidives ou sur des
tumeurs de grande taille [9]. La radiothérapie de contact
préopératoire faciliterait la régression tumorale et rendrait
l’exérèse plus aisée [11]. De bons résultats ont également été
obtenus par Barbazetto et al. [12]. En utilisant la photothérapie
dynamique, plus respectueuse des tissus environnants.
CONCLUSION
Devant toute tumeur conjonctivale suspecte de part son aspect,
sa symptomatologie douloureuse, ou encore sa croissance
brutale, il faut procéder à une exérèse chirurgicale soigneuse.
L'étude anatomopathologique de la pièce est la seule à garantir
le diagnostic de certitude. Il reste à sensibiliser la population
aux facteurs de risque et à l'importance de la protection contre
les rayons ultraviolets.
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