Med Buccale Chir Buccale 2010;16:53-56 R.A. Rakotoarison et al.
Fig. 1. Carcinome épidermoïde du bord droit de la langue.
Fig. 1. Squamous cell carcinoma on the right margin of the tongue.
bord droit de la langue. Il s’agit d’une femme tabagique
(11 paquets-année de cigarettes).
La douleur linguale, peu gênante, est apparue avec la mise
en place d’une prothèse dentaire amovible en décembre 2005 ;
elle siégeait en regard d’un crochet sur la première molaire
mandibulaire droite. Cette gêne disparaissait avec la dépose
de la prothèse.
En novembre 2007, la douleur, à type de piqûre, était de-
venue permanente malgré la prise d’antalgique. La suppres-
sion du crochet a été décidée par le praticien, mais cela n’a
eu aucun effet favorable.
Lors de la première consultation, la patiente présentait
une petite ulcération aphtoïde sur le bord droit de la langue,
d’environ 5 millimètres de diamètre (Fig. 1). On notait une
atrophie de la muqueuse périphérique et une induration en
profondeur. La lésion ne dépassait pas la ligne médiane et
il n’y avait pas de trismus ni de diminution de la mobi-
lité linguale. Les aires ganglionnaires submandibulaires, sous-
mentales et cervicales étaient libres.
L’anamnèse et le tableau clinique ont conduit à réaliser
une biopsie. L’examen anatomopathologique a montré qu’il
s’agissait d’un carcinome épidermoïde bien différencié et in-
filtrant (Fig. 2).
À l’issue du bilan d’extension (échographies cervicale et
abdomino-pelvienne, tomodensitométrie cervico-faciale et ra-
diographie pulmonaire), la tumeur a été classée T1N0M0. Une
intervention chirurgicale a été réalisée. Elle consistait en une
trachéotomie première, un évidement cellulo-ganglionnaire
cervical bilatéral, un évidement sous-mandibulaire homolaté-
ral et enfin l’exérèse de la tumeur.
Aprèslacicatrisation,lapatienteaétéadresséeen
consultation dans le service d’oncologie en vue d’une éven-
tuelle prise en charge complémentaire, malgré la classification
TNM.
Discussion
Les carcinomes épidermoïdes représentent plus de 90 %
des cancers de la cavité buccale. L’âge varie selon les auteurs,
mais ils s’observent le plus souvent autour de la soixantaine
avec une prédominance pour le sexe masculin. Cependant, on
constate depuis quelques années un rajeunissement de la po-
pulation atteinte et une augmentation de la fréquence d’ap-
parition de cette pathologie chez les femmes [3–5].
Le siège endo-buccal du carcinome épidermoïde varie se-
lon les auteurs. Les uns parlent d’une prédilection pour la
langue tandis que, pour d’autres, la localisation linguale ar-
rive en seconde position après le plancher buccal, avant la
gencive [4–6]. Il semble que cette prédilection dépende de
l’agent causal : avec le tabagisme, les sites les plus affec-
tés sont par ordre décroissant le plancher buccal, la langue
et la gencive [7]. Sur la langue, la zone la plus touchée par
les carcinomes épidermoïdes est la partie marginale ; la partie
mobile étant affectée dans deux tiers des cas et la base dans
un tiers des cas [7,8].
En carcinologie des voies aéro-digestives supérieures, il
existe des facteurs de risque confirmés, le principal étant
l’éthylo-tabagisme chronique [9]. Le tabac à lui seul est bien
connu par son effet carcinogène et l’alcool est le deuxième
facteur bien que son mécanisme d’action soit encore mal
connu ; l’intoxication conjointe augmente considérablement
le risque [10]. Néanmoins, des carcinomes épidermoïdes de
la langue peuvent être observés en dehors d’une intoxication
éthylo-tabagique chronique : cela concerne surtout des jeunes
femmes [11].
En France, on observe globalement une diminution de l’in-
cidence des cancers des voies aéro-digestives supérieures en
raison de la réduction globale de la consommation de tabac
et d’alcool. Toutefois, l’exposition croissante des femmes au
tabac explique l’augmentation de l’incidence alors qu’elle di-
minue chez les hommes [1–3].
Une étude déjà ancienne, à partir de deux cas cliniques,
évoque la possibilité d’une relation entre une ulcération chro-
nique et un carcinome épidermoïde buccal [12]. Pour une
prothèse amovible, l’intrados des crochets doit épouser fidèle-
ment la surface des dents supports [13], sans venir au contact
des tissus mous. Dans deux études plus récentes, le dévelop-
pement d’un carcinome épidermoïde au contact d’obturations
ou de restaurations prothétiques, et donc de l’extrados pro-
thétique, a été rapporté, mais la différence par rapport à des
témoins n’était pas réellement significative [2,14].
Récemment, on a parlé d’irritation chronique provoquée
par une dent très délabrée ou une prothèse dentaire amovible
mal adaptée dont le crochet était agressif. Cette irritation mé-
canique peut être à l’origine d’une lésion qui, en fonction du
terrain (âge, intoxication éthylo-tabagique), peut se transfor-
mer à long terme [15]. La patiente avait un microtraumatisme
chronique sur le bord de la langue provoqué par le crochet de
la prothèse amovible qu’elle portait depuis presque deux ans.
Ainsi, tout patient à risque doit faire l’objet d’une attention
particulière en cas d’irritation chronique quel que soit l’agent
causal.
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