Discernement, lucidité, conscience et insight en psychopathologie et en pratique expertale M.L. Bourgeois, M. Bénézech, B. Antoniol, Th. Haustgen To cite this version: M.L. Bourgeois, M. Bénézech, B. Antoniol, Th. Haustgen. Discernement, lucidité, conscience et insight en psychopathologie et en pratique expertale. Annales Médico-Psychologiques, Revue Psychiatrique, Elsevier Masson, 2011, 169 (7), pp.433. . HAL Id: hal-00789294 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00789294 Submitted on 18 Feb 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. 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The manuscript will undergo copyediting, typesetting, and review of the resulting proof before it is published in its final form. Please note that during the production process errors may be discovered which could affect the content, and all legal disclaimers that apply to the journal pertain. Communication Discernement, lucidité, conscience et insight en psychopathologie et en pratique expertale ip t Discernment, lucidity, consciousness, awareness and insight in psychopathology and in expert’s report a cr M. L. Bourgeois a, M. Bénézech b, B. Antoniol c, Th. Haustgen d IPSO (Université Bordeaux Segalen), hôpital Charles Perrens, b 226, rue Judaïque, 33000 Bordeaux, France Pôle Psychiatrie 3,4,7, hôpital Charles Perrens, an c us 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux Cedex, France 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux Cedex, France CMP Montreuil, 77, rue Victor Hugo, 93100 Montreuil, France M d Auteur correspondant : M. L. Bourgeois, IPSO (Université Bordeaux Segalen), hôpital Charles Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux Cedex, France Résumé te d Adresse email : [email protected] Ac ce p Insight est un mot polysémique de la langue anglaise, utilisé depuis longtemps en psychanalyse et désormais en clinique psychiatrique. Les échelles de la psychopathologie quantitative explorent les divers aspects de la conscience que peut avoir un patient de son trouble mental. Préoccupation majeure des légistes depuis des millénaires et des aliénistes depuis l’origine de la psychiatrie moderne (déresponsabilisation des « insensés »), de nombreuses publications portant sur ce thème ont animé les réunions de la Société MédicoPsychologique depuis fort longtemps (en particulier la réunion de mars 2002 entièrement consacrée à ce thème). La nouveauté consiste dans les essais de quantification des divers aspects dimensionnels de l’insight. L’insight peut être défini opératoirement comme étant ce qui est mesuré par les différents items des échelles d’insight (en toute rigueur, on ne devrait parler que de l’insight tel qu’il est mesuré par telle ou telle échelle). Les Français, suivant en cela les demandes d’expertises judiciaires, utilisent jusqu’à maintenant les termes plus généraux de discernement (article 122-1 du code pénal), lucidité, conscience. Ces échelles 1 Page 1 of 14 sont utiles pour le suivi clinique, l’observance, la psychopédagogie, la remédiation cognitive, les différents traitements pharmacologiques et psychothérapiques. ip t Mots clés : Conscience ; Discernement ; Expertise psychiatrique ; Insight ; Lucidité Abstract Insight is a polysemic word coming from the English language. It has been used for a cr long time by psychoanalysts and from now on in clinical psychiatry. The insight rating scales explore diverse aspects of the awareness of having a mental disorder and the need to be us treated. For many decades, meetings and publications on this topic can be found in the Annales Médico-Psychologiques (cf. the meeting of March 2002). The new trends try to an fragment and quantify the diverse dimensions of consciousness, awareness and insight. To be rigorous insight should be defined by the items, the score, and types of such or such rating scale. French psychiatric experts are required by legal regulations to assess the discernment M (“discernement”) of indicted persons (offence and crime) (article 122-1 of Code penal). Otherwise insight rating scales are useful for diagnosis, follow up, and to improve therapeutic d alliance and compliance. Ac ce p te Keywords: Awareness; Consciousness; Discernment; Insight; Lucidity; Psychiatric report « Insight signifie vision interne, intériorisée des choses et, au-delà de la surface, discernement… » (R.H. Etchegoyen) « Old wine in new bottle » L’intérêt pour la conscience du trouble, le discernement, la lucidité, ne faiblit pas. Depuis de nombreuses décennies, les publications à la Société Médico-Psychologique et dans les Annales Médico-Psychologiques ont abordé ce sujet. Il y a une douzaine d’années, Amador était venu présenter ses travaux à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, avec son échelle SUMD centrée sur unawareness (la non-conscience du trouble mental). Toute une séance de la SMP en mars 2002 fut consacrée à ce thème (cf. Ann Med Psychol 2002;8:575–601). La 2 Page 2 of 14 relative nouveauté est d’ordre linguistique (elle mériterait une analyse critique relevant de la philosophie analytique, Austin, Searle). On utilise désormais un mot pour nous exotique et plus technique, et surtout plus approprié pour les publications internationales soumises à la tyrannie de l’impact factor et de l’ISI : il s’agit de l’insight, donné généralement pour ip t équivalent de « conscience du trouble » (awareness of disease) ; bien que Markova [19] insiste pour que soient distingués clairement insight et awareness. Il a surtout le mérite de correspondre à l’intitulé des différentes échelles de la psychopathologie quantitative [6–11]. Il du XIX e cr s’agit en réalité d’un retour aux sources de la psychiatrie moderne et aux premiers aliénistes siècle. L’altération de la conscience et la perte de la raison, sinon de la liberté [14], us étant pratiquement synonymes d’aliénation et de psychose (ce concept flou et nettement plus tardif, qui n’en finit pas de disparaître des nomenclatures). Ce n’est pas, comme l’affirment an David ou Fulford en 1934, avec Aubrey Lewis que tout commence, mais bien un siècle et demi auparavant avec les auteurs français, qui évidemment n’utilisaient pas le mot insight luimême… M Il y a deux domaines où la notion de discernement et de lucidité est fondamentale : 1) la psychopathologie et la clinique psychiatrique, comme élément central du trouble mental ; d 2) en matière d’expertise psychiatrique, puisqu’on demande aux psychiatres quel était te le « degré de discernement » lors de la commission d’une infraction (crime ou délit). Ac ce p Dans le code pénal napoléonien de 1810, l’article 64 déresponsabilisait la personne (ni crime, ni délit) en cas de « démence », d’aliénation, sans autre précision ni autre définition. C’est en 1990 avec l’article 122-1 du code pénal actuel qu’apparaît le terme de discernement puisqu’il est demandé à l’expert de préciser si au moment de l’infraction, le discernement avait pu être aboli ou altéré (mission impossible ?). Cela sans que ne soient donnés aucune définition ni critère, aucun modus operandis… Depuis les origines du Droit1 concernant l’irresponsabilité des criminels selon leur état de folie, ou d’absence de volonté, et cela depuis l’Antiquité la plus reculée (Bible, Premier 1 En particulier, dans le droit canonique médiéval, l’intention et la volonté libres sont les conditions de la responsabilité. Celui atteint de « fureur » est excusable pénalement parce qu’il lui manque la « facultas deliberandi ». L’ignorance du crime par absence de raison empêche la sanction, car le fou ne sait pas ce qu’il fait. Le droit anglais ancien reprend des concepts identiques d’intention criminelle et de maîtrise de la volonté, la perte de l’usage de la raison rendant irresponsable l’aliéné. À partir de 1843, les Règles de Mc Naghten précisent que le criminel malade mental est responsable s’il sait qu’il enfreint la loi. Pour être irresponsable, il faut qu’il ne puisse pas différencier le bien du mal, qu’il ignore qu’il accomplit un « acte nuisible et répréhensible » [1,4]. 3 Page 3 of 14 livre de Samuel ; Droit grec ancien, etc.), il s’agissait d’évaluer si le sujet était punissable. Si l’on s’en tient aux origines de la Psychiatrie moderne (Pinel, 1800), il était question de la conscience et du contrôle des comportements. Le remarquable travail de T. Haustgen [17] examinant les « registres manuscrits » de Charenton et de la Salpêtrière au XIXe siècle, montre ip t que la conscience du trouble est très tôt, pour les aliénistes, une caractéristique sémiologique importante, fréquemment évaluée, et qui peut se rencontrer partiellement préservée dans des formes morbides sévères (Royer-Collard, 1815). Cette question a longuement été développée cr par Hamanaka [16] et reprise par Bourgeois, Haustgen, Géraud, Jaïs dans les Annales MédicoPsychologiques en 2000 [6]. us La terminologie a varié au cours du temps. Le mot insight n’était pas employé mais plutôt : conscience morale ou du comportement, lucidité, discernement, jugement, raison, etc. an Le mot insight est trompeur car il est polysémique, il ne se limite pas à la conscience du trouble, à la libre volonté, au contrôle des actes, à la métacognition, à la théorie de l’esprit… Mais il désigne au sens large l’intelligence, la lucidité, l’intuition, la connaissance de l’autre, M de ses intentions. On peut avoir des « insights » concernant non seulement sa propre psyché, ou son comportement, ses propres intuitions, celles de l’autre. On peut aussi avoir l’intuition, c’est-à-dire la compréhension plus ou moins précise ou brutale d’une réalité extérieure. d L’intériorité supposée par le « in » concerne aussi bien l’intérieur psychique et corporel du te sujet que l’intériorité d’objets et de personnes extérieures. Il s’agit de pénétration à l’intérieur (Berrios proposait inwit) et d’accession à une signification globale profonde et dépassant la Ac ce p simple appréhension intellectuelle. Berrios et Markova ont longuement critiqué ce concept. Le mot insight a surtout été utilisé par les psychanalystes anglo-saxons, puis repris par leurs collègues francophones. Les psychothérapies d’inspiration freudienne sont souvent qualifiées de « psychothérapies d’insight » (cf. infra). Quant on a une compréhension, souvent soudaine et globale, du monde extérieur, on parle d’insight, pouvant aller jusqu’à l’« intuition des essences » (phénoménologie ?). Un « insight » peut aussi être « proposé » à un patient, un éclaircissement, une interprétation. On reste là dans les métaphores visuelles de la pensée analogique (« je vois, je perçois, I See… »). 1. Le discernement2 2 Le mot discernement existe en anglais mais est exceptionnellement utilisé. 4 Page 4 of 14 Pour le Dictionnaire des notions philosophiques [5], le discernement est la capacité de distinguer à juste titre entre des faits ou des idées. « Le discernement est le bon sens et l’intelligence qui apprécie les choses, qui en démêle les rapports. Il faut avoir beaucoup de discernement pour avoir du jugement, mais le discernement se rapporte plus à la théorie et le ip t jugement à la pratique » (Condillac). Différent et plus intellectuel que « conscience morale et conscience réflexive ». Il s’agit de faire la part des choses, distinguer, discriminer. Il signifie exactement bien cerner et séparer. cr Un livre déjà ancien de René Major [18] porte ce titre. Malheureusement, ce livre quelque peu jargonneux ne donne aucune définition, ni même aucune élaboration sur ce us concept. Le mot lui-même n’est cité que deux ou trois fois dans l’ouvrage (p. 122, p. 148). L’essentiel de l’ouvrage est une réponse à Jean-Pierre Changeux et à son livre célèbre an L’homme neuronal (1983), étayée par les Saintes Écritures de Freud, Lacan et quelques autres. Il s’agit d’insérer l’inconscient entre le « physique » et le « mental » (le conscient ?), et de donner à la notion de pulsion sa place essentielle dans le psychisme… M Les psychiatres sont requis par la Justice pour préciser dans les expertises si le sujet ayant commis une infraction, un crime ou un délit avait au moment du passage à l’acte une altération ou une abolition de son discernement. Bien entendu, il n’est donné aucune te majeure. d définition ni aucune méthode d’évaluation de ce qui est supposé être une fonction psychique À la suite de l’envahissement progressif de la littérature internationale, le concept Ac ce p (flou) d’insight est venu occuper le premier plan en France, au point de faire oublier tous les travaux antérieurs. Désormais, la seule définition utilisable de l’insight correspond à l’ensemble des items des échelles d’insight proposées par les auteurs de langue anglaise : Berrios et Markova, Amador, Birchwood, David, etc. Cette approche opératoire et quantifiée nous épargne les ruminations sémantiques et philosophiques autour de ce « concept ». Ce regain d’intérêt autour de l’an 2000 dans notre pays a suscité un certain nombre de recherches. On a ainsi utilisé les échelles d’insight pour corréler les scores avec l’observance thérapeutique, le pronostic évolutif, le risque suicidaire, etc. 2. Insight et psychanalyse Le concept d’insight a été d’abord utilisé en France par les psychanalystes. Les psychothérapies psychodynamiques ont longtemps été désignées sous le terme de « psychothérapie d’insight ». Pour Fédida, l’insight correspondait à la prise de conscience des 5 Page 5 of 14 sortilèges et des défenses de l’inconscient. Rosolato proposait d’appeler « introspects » les produits de l’introspection accompagnée en cours de cure ou de psychothérapie psychanalytique R. Horacio Etchegoyen, dans son ouvrage magistral consacré aux « fondements de la ip t technique psychanalytique », paru en espagnol en 1986, en anglais en 1991 et finalement en français en 2005, consacre 33 pages à l’insight qui « constitue par définition la colonne vertébrale du processus psychanalytique », acquis à travers l’interprétation psychanalytique. cr « Tous les auteurs pensent que l’insight est le moteur principal des changements progressifs que promeut l’analyse. » Freud utilisait rarement ce mot, Einsicht3 en allemand. Ferenczi us (1921) utilisait Selbstbeobachtun, c’est-à-dire auto-observation. Etchegoyen donne pour acception du substantif insight : « vision interne, vision intériorisée des choses et, au-delà de an la surface, discernement… Capacité de saisir par l’esprit l’intérieur des choses, l’aperception subite de la solution d’un problème. Compréhension nouvelle et pénétrante. » Détail important : l’auteur argentin n’oublie pas l’insight de l’analyste (à propos d’un exemple un M peu scabreux !). La théorie de la forme (Gestaltheorie4) aurait contribué à l’introduction de l’insight en psychanalyse (mais, pour Etchegoyen, le chimpanzé de Köhler ne satisfaisait pas, en mangeant la banane qu’il avait réussi à attraper, son désir de fellation, ce qui le différencie d du patient sur le divan ! [13, p. 600]). L’insight est un « phénomène de champ ». D’autre part, te l’insight est à l’opposé de « l’expérience délirante primaire », qui est une nouvelle connexion des significations, inintelligibles pour l’observateur selon Jaspers (1913), mais pas pour Ac ce p l’analyste qui y décèle une projection, véritable théorie explicative pour le patient, que l’insight vient détruire. L’auteur critique aussi la distinction entre insight intellectuel et insight émotionnel. L’insight comportant forcément un processus cognitif, éventuellement lié à une émotion. L’insight peut être neutre, émotionnel ou dynamique. L’auteur élabore ensuite une métapsychologie de l’insight que nous n’aborderons pas ici. Curieusement, la plupart des dictionnaires de psychanalyse n’ont pas de rubrique consacrée à l’insight ni au discernement. Rien dans Laplanche et Pontalis (Vocabulaire de la Psychanalyse. Paris: PUF; 1967). Rien dans P. Kaufman (L’apport freudien ; éléments pour l’Encyclopédie de la Psychanalyse. Paris: Bordas; 1993). Rien non plus dans E. Roudinesco et 3 Heidegger, comme d’ailleurs Schleiermacher, traduit le grec Phronesis par Einsicht, vue pénétrante (in: Parménide. Paris: Gallimard; 2011. p.193). 4 Différent de la Gestalt psychologie allemande, la Gestalthérapie de Fritz Perl (1893-1970) insistait sur cette prise de conscience du corps, des émotions, des pensées, en groupe ou en thérapie individuelle. On retrouve aussi cette visée fondamentale dans diverses formes actuelles de psychothérapie : méditation transcendantale, remédiation cognitive ou psycho-éducation et ce qui fait fureur actuellement : la pleine conscience (mindfullness). 6 Page 6 of 14 Plon (Dictionnaire de la Psychanalyse. Paris: Albin Michel; 2006). De même dans le Dictionnaire des Concepts sous la direction de Y. Pelicier et Ph. Brenot (les origines de la psychiatrie, l’Esprit du Temps, 1997). Rien non plus dans le Vocabulaire technique et philosophique d’André Lalande. (Paris: PUF; 1962, 1968). En revanche, tous les dictionnaires ip t de psychanalyse ont des rubriques sur Conscience et Inconscient. Néanmoins, on trouve dans le Dictionnaire international de la psychanalyse [22] la définition suivante : « On appelle insight le processus par lequel le sujet se saisit d’un aspect cr de sa propre dynamique psychique jusque-là méconnu de lui… » Il s’agit de « regard intérieur », pourrait être traduit en français par « introspection », mais qui est trop marqué us dans son emploi dans les psychologies de la conscience ; évité par les auteurs de langue française qui préfèrent parler d’insight… Il s’agit d’un moment très particulier observable au an cours de la cure analytique, où le patient prend conscience de sa propre conflictualité, d’un mouvement pulsionnel, d’un aspect de ses défenses jusqu’alors refoulées ou déniées, et dont le surgissement s’accompagne de surprises et du sentiment d’une découverte. Il y a deux M variétés : sentiment de découverte soudaine, d’illumination (« expérience, ah ah ! ») ; mouvement plus lent et progressif où le sujet et en général l’analyste éprouvent un sentiment d’évidence. Il s’agit d’autre chose qu’une simple compréhension intellectuelle, il est même d fréquent qu’à une telle compréhension nourrie de références culturelles et de concepts te généraux et abstraits mais très défensivement élaborés, succède un insight où le sujet remet en jeu son histoire personnelle et sa propre dynamique, ainsi lorsque après des propos défensifs Ac ce p sur l’œdipe, il revit et remétabolise son propre drame œdipien… La charge économique et dynamique d’un tel mouvement et les affects qui les accompagnent sont plus importants que sa dimension de compréhension intellectuelle. Une telle découverte signe le passage du préconscient au conscient, l’analyste vigilant le prévoit dans une position d’attente où il sent cependant que l’interprétation serait prématurée tant que n’est pas arrivé le moment de l’éclosion d’un tel mouvement psychique. L’évaluation des capacités d’insight du sujet est particulièrement importante lors du ou des premiers entretiens en vue d’une cure analytique, mais aussi lorsqu’il s’agit d’apprécier la possibilité pour quelqu’un de devenir lui-même analyste… En 2002 (Ann Méd Psychol 160-140 p. 450), Misès (conforté par Garrabé et Gorceix), toujours très critique en matière de psychopathologie quantitative, définissait l’insight comme « le partage émotionnel avec reconnaissance de l’altérité – de la subjectivité du malade – par le clinicien ou le soignant… », ce qui nous laisse dans un flou artistique. 7 Page 7 of 14 3. Les échelles d’insight En 1999, nous avons fait l’inventaire d’un certain nombre d’échelles, en particulier la version abrégée de la SUMD [3], l’échelle de A.S. David [2], celle de Markova et Berrios d’évaluation et les corrélations avec les scores selon les échelles. ip t (1995), Bourgeois (2000). Ces derniers avaient proposé un tableau reprenant les instruments Dans les publications, le mot insight équivaut à conscience de souffrir d’un trouble cr mental, synonyme de awareness (la SUMD est une échelle de unawareness). Il s’agit toujours de l’insight du patient, jamais de l’insight de l’observateur, qui est pourtant au moins aussi us important. La construction des échelles révèle l’insight de ceux qui les ont construites. On rappellera ici le « diagnostic par pénétration » (E. Minkowski) et le « praecox gefülh » an (Rumke) qui peuvent être trompeurs et utilement redressés précisément par les échelles. (cf. Bourgeois [5]. Insight est un mot très polysémique5 ayant suscité les commentaires critiques de M Berrios et Markova. Il peut désigner l’intuition, la compréhension soudaine, la remise en perspective, la révélation du type « Euréka ». Pour le clinicien, il ne peut être défini opératoirement que par l’ensemble des items des échelles d’insight. Ces échelles sont trop d longues pour la pratique clinique courante. Elles servent pour les études empiriques, les te recherches scientifiques obéissant au puritanisme méthodologique. Ces échelles sont impersonnelles, comparatives et quantificatrices. Elles sont le plus souvent administrées par Ac ce p des juniors, des chercheurs, des psychologues, et d’autres travailleurs de la santé mentale. Elles sont très rarement administrées par les cliniciens seniors responsables. Elles sont rarement administrées par l’investigateur principal ou le premier signataire des articles. La psychiatrie des échelles d’évaluation s’intègre dans l’approche catégorielle et dimensionnelle, psychiatrie quantificatrice qui demande une présentation critique des instruments d’évaluation, leurs limites et leurs modes d’utilisation. Pour Heidegger, c’est « une pensée qui ne connaît que la forme du calcul ». Si toute conscience est conscience de quelque chose, aussi bien tout insight est insight de quelque chose. Par exemple, l’échelle ABPS (Awareness of Being a Patient Scale de Hayashi et al, 25 items) centrée sur le « Sick Role ». On a procédé à une « fragmentation de l’insight » (ici une déconstruction !) avec au moins trois ou six registres dimensionnels, trois pour David (1990) : conscience de souffrir 5 C’est désormais une marque de véhicule automobile ! 8 Page 8 of 14 d’un trouble mental ; aptitude à reconnaître et nommer certains événements mentaux comme étant des hallucinations et des idées délirantes ; accepter la nécessité d’un traitement. Quant à Sackeim (1998), il définissait six niveaux d’exigences décroissantes. Le Suisse L. Michel [20,21] proposait de distinguer : anosognosie ; non-reconnaissance de la maladie ; perplexité ; ip t sentiment d’être malade ; conscience partielle de la maladie ; conscience pleine et entière en accord avec l’observateur. On peut distinguer un insight « explicite » verbalisé par le patient et un insight cr « implicite » dont témoignent son comportement et sa bonne observance thérapeutique. En réalité, chaque item définit un des aspects de l’insight. Ainsi modularisé, il y aurait us derrière chaque fragment d’insight un insight global, comme pour l’intelligence il existe un facteur G type Spearman, ou bien encore, comme derrière les cognitions définies par Beck, il an existe une cognition préconsciente. Ces échelles sont souvent trop longues. Utiles pour la recherche empirique et les publications, elles sont impraticables dans la clinique courante. Il faudrait alors une très M courte évaluation, comme par exemple l’item 12 de la PANSS ou les huit items de l’échelle Q8. te d 4. Insight clinique et insight cognitif (A. Beck) Beck et Worman (Amador et David, 2004) distinguent « insight clinique » Ac ce p (présence ou absence de conscience de souffrir d’un trouble mental nécessitant un traitement), et «insight cognitif » qui serait une évaluation plus globale des croyances erronées et des erreurs d’interprétation. L’altération de l’insight est centrale dans le développement du phénomène psychotique : hallucinations et idées délirantes. Le maintien de ces phénomènes tient à leur intensité qui déborde le processus normal du « reality testing » (épreuve de réalité, notion et fonction du réel). Les modèles cognitifs centrés sur les croyances erronées offrent des solutions thérapeutiques. Beck distingue aussi « insight intellectuel » (acceptation formelle d’une explication rationnelle des symptômes), et « insight cognitif » qui semble préconscient, avec un système sousjacent de croyance, non forcément congruent avec l’insight intellectuel. C’est sur cet insight cognitif que reposerait la conviction d’être mentalement malade ou non. C’est l’exploration en profondeur des caractéristiques et du contenu des expériences psychotiques qui révèle les croyances fortement enracinées. Certains patients non psychotiques, au cours de la dépression ou des épisodes de panique, peuvent aussi faire 9 Page 9 of 14 de fausses interprétations, mais ils peuvent reconnaître que leurs conclusions sont incorrectes. Dans les états psychotiques, il y a atteinte de l’objectivité et de la critique. Les pensées automatiques distordent la pensée. La thérapie cognitive des idées délirantes vise ces processus dévoyés de traitement de l’information. Il convient de ip t questionner les bases de ces cognitions et de faire évaluer les preuves. Lorsqu’il reste un peu d’insight, les patients sont accessibles aux Thérapies Cognitivo-Comportementales (TCC). Les styles cognitifs sont à prendre en considération, les délirants ayant souvent cr tendance à sauter instantanément sur les conclusions. Il s’agit donc d’évaluer le style de rationalité caractérisant un patient. La Beck Cognitive Insight Scale ou BCIS (Beck et al. us 2004) a été traduite et validée en français par les équipes de Favrod et al. [15], et Tastet et al. [23]. Elle comporte deux facteurs : Self-Reflectiveness (neuf items) et Self an Certainty (six items). Il y a une relation entre la BCIS et la SUMD-A avec une validité concurrente démontrée. Il a été démontré que dans les troubles psychotiques (schizophrénie et dépression), il y a significativement plus de « réflectivité ». Les M patients délirants sautent plus facilement sur des conclusions hâtives et sont trop confiants dans leur décision. Dans la schizophrénie, l’augmentation de l’insight cognitif grâce à la TCC est associée à une diminution des symptômes positifs. Ainsi, l’insight d cognitif serait le médiateur majeur pour le changement. Les applications cliniques Ac ce p soigner. te concernent l’adhésion (adhérence) aux traitements, le patient devenant plus enclin à se 5. Conclusion Quoi qu’il en soit, il convient d’adopter une acception purement opératoire de l’insight. C’est-à-dire préciser que l’on parle d’insight type SUM-D, ITAQ, SAE, Birchwood, David, Q8, etc. La plupart des échelles ont entre elles une excellente validité convergente, mais elles présentent cependant quelques différences. Enfin, changer les mots peut changer les perspectives (insight plutôt que discernement ou conscience), surtout s’il s’agit de mots anglo-américains. La mode actuelle de l’insight est un retour aux fondamentaux de la psychiatrie, à un des aspects essentiels de la conscience malade (le dernier numéro de Schizophrenia Bulletin 10 Page 10 of 14 est précisément consacré à ce « cœur de la psychose6 ». La grande innovation réside dans la construction des instruments d’évaluation, les échelles d’insight. La pratique clinique quotidienne demanderait des échelles courtes maniables et pourtant suffisamment valides. ip t Conflit d’intérêt : à compléter par l’auteur Références cr [1] Addad M, Bénézech M. L’irresponsabilité pénale des handicapés mentaux en droit français et anglo-saxon. Paris: LITEC droit; 1978. us [2] Amador XF, David AS. Insight and psychosis. Oxford: Oxford University Press; 1998. [3] Amador XF, Strauss DH, Yale SA, et al. The Assessment of insight in psychosis. Am J an Psychiatr 1993;150:873–9. [4] Bénézech M. Données historiques anciennes sur la psychiatrie médico-légale. Paris: Ardix Médical; 2000. p.9–12. 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Ann Med Travers DD, Levoyer D, et al. Insight in schizophrenia: assessment of 31 patients with Ac ce p different scales. Encéphale 2008;34:66–72. Discussion Pr Laxenaire – Je voulais faire une remarque à propos de la communication du Pr Bourgeois et lui poser une question. La remarque concerne « l’insight chez l’observateur ». Je tenais à lui faire remarquer que la psychanalyse s’en était préoccupé il y a bien longtemps en avançant la notion de contre-transfert. Ma question porte sur la phrase : « L’insight est aboli dans la psychose. » Plutôt qu’aboli, ne faudrait-il pas dire modifié ou distordu ? Ici se pose l’analogie avec le rêve où l’insight existe mais avec un fonctionnement différent de celui de l’état de veille. Tributaire du moi, il témoigne aussi pour un autre fait ou fonction du moi, comme cela apparaît clairement au réveil. « Le rêve n’est-il pas une courte folie ? » 13 Page 13 of 14 Ac ce p te d M an us cr ip t Réponse du Rapporteur – 14 Page 14 of 14