Discernement, lucidité, conscience et insight en psychopathologie et

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Discernement, lucidité, conscience et insight en
psychopathologie et en pratique expertale
M.L. Bourgeois, M. Bénézech, B. Antoniol, Th. Haustgen
To cite this version:
M.L. Bourgeois, M. Bénézech, B. Antoniol, Th. Haustgen. Discernement, lucidité, conscience
et insight en psychopathologie et en pratique expertale. Annales Médico-Psychologiques, Revue
Psychiatrique, Elsevier Masson, 2011, 169 (7), pp.433. .
HAL Id: hal-00789294
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Accepted Manuscript
Title: Discernement, lucidité, conscience et insight en
psychopathologie et en pratique expertale
Authors: M.L. Bourgeois, M. Bénézech, B. Antoniol, Th.
Haustgen
PII:
DOI:
Reference:
S0003-4487(11)00169-7
doi:10.1016/j.amp.2011.06.010
AMEPSY 1351
To appear in:
Annales Médico-Psychologiques
Please cite this article as: Bourgeois ML, Bénézech M, Antoniol B, Haustgen Th,
Discernement, lucidité, conscience et insight en psychopathologie et en pratique
expertale, Annales medio-psychologiques (2010), doi:10.1016/j.amp.2011.06.010
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Communication
Discernement, lucidité, conscience et insight en psychopathologie
et en pratique expertale
ip
t
Discernment, lucidity, consciousness, awareness and insight in psychopathology
and in expert’s report
a
cr
M. L. Bourgeois a, M. Bénézech b, B. Antoniol c, Th. Haustgen d
IPSO (Université Bordeaux Segalen), hôpital Charles Perrens,
b
226, rue Judaïque, 33000 Bordeaux, France
Pôle Psychiatrie 3,4,7, hôpital Charles Perrens,
an
c
us
121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux Cedex, France
121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux Cedex, France
CMP Montreuil, 77, rue Victor Hugo, 93100 Montreuil, France
M
d
Auteur correspondant : M. L. Bourgeois, IPSO (Université Bordeaux Segalen), hôpital
Charles Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux Cedex, France
Résumé
te
d
Adresse email : [email protected]
Ac
ce
p
Insight est un mot polysémique de la langue anglaise, utilisé depuis longtemps en
psychanalyse et désormais en clinique psychiatrique. Les échelles de la psychopathologie
quantitative explorent les divers aspects de la conscience que peut avoir un patient de son
trouble mental. Préoccupation majeure des légistes depuis des millénaires et des aliénistes
depuis l’origine de la psychiatrie moderne (déresponsabilisation des « insensés »), de
nombreuses publications portant sur ce thème ont animé les réunions de la Société MédicoPsychologique depuis fort longtemps (en particulier la réunion de mars 2002 entièrement
consacrée à ce thème). La nouveauté consiste dans les essais de quantification des divers
aspects dimensionnels de l’insight. L’insight peut être défini opératoirement comme étant ce
qui est mesuré par les différents items des échelles d’insight (en toute rigueur, on ne devrait
parler que de l’insight tel qu’il est mesuré par telle ou telle échelle). Les Français, suivant en
cela les demandes d’expertises judiciaires, utilisent jusqu’à maintenant les termes plus
généraux de discernement (article 122-1 du code pénal), lucidité, conscience. Ces échelles
1
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sont utiles pour le suivi clinique, l’observance, la psychopédagogie, la remédiation cognitive,
les différents traitements pharmacologiques et psychothérapiques.
ip
t
Mots clés : Conscience ; Discernement ; Expertise psychiatrique ; Insight ; Lucidité
Abstract
Insight is a polysemic word coming from the English language. It has been used for a
cr
long time by psychoanalysts and from now on in clinical psychiatry. The insight rating scales
explore diverse aspects of the awareness of having a mental disorder and the need to be
us
treated. For many decades, meetings and publications on this topic can be found in the
Annales Médico-Psychologiques (cf. the meeting of March 2002). The new trends try to
an
fragment and quantify the diverse dimensions of consciousness, awareness and insight. To be
rigorous insight should be defined by the items, the score, and types of such or such rating
scale. French psychiatric experts are required by legal regulations to assess the discernment
M
(“discernement”) of indicted persons (offence and crime) (article 122-1 of Code penal).
Otherwise insight rating scales are useful for diagnosis, follow up, and to improve therapeutic
d
alliance and compliance.
Ac
ce
p
te
Keywords: Awareness; Consciousness; Discernment; Insight; Lucidity; Psychiatric report
« Insight signifie vision interne, intériorisée des choses et, au-delà de la surface,
discernement… »
(R.H. Etchegoyen)
« Old wine in new bottle »
L’intérêt pour la conscience du trouble, le discernement, la lucidité, ne faiblit pas.
Depuis de nombreuses décennies, les publications à la Société Médico-Psychologique et dans
les Annales Médico-Psychologiques ont abordé ce sujet. Il y a une douzaine d’années,
Amador était venu présenter ses travaux à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, avec son échelle
SUMD centrée sur unawareness (la non-conscience du trouble mental). Toute une séance de
la SMP en mars 2002 fut consacrée à ce thème (cf. Ann Med Psychol 2002;8:575–601). La
2
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relative nouveauté est d’ordre linguistique (elle mériterait une analyse critique relevant de la
philosophie analytique, Austin, Searle). On utilise désormais un mot pour nous exotique et
plus technique, et surtout plus approprié pour les publications internationales soumises à la
tyrannie de l’impact factor et de l’ISI : il s’agit de l’insight, donné généralement pour
ip
t
équivalent de « conscience du trouble » (awareness of disease) ; bien que Markova [19]
insiste pour que soient distingués clairement insight et awareness. Il a surtout le mérite de
correspondre à l’intitulé des différentes échelles de la psychopathologie quantitative [6–11]. Il
du
XIX
e
cr
s’agit en réalité d’un retour aux sources de la psychiatrie moderne et aux premiers aliénistes
siècle. L’altération de la conscience et la perte de la raison, sinon de la liberté [14],
us
étant pratiquement synonymes d’aliénation et de psychose (ce concept flou et nettement plus
tardif, qui n’en finit pas de disparaître des nomenclatures). Ce n’est pas, comme l’affirment
an
David ou Fulford en 1934, avec Aubrey Lewis que tout commence, mais bien un siècle et
demi auparavant avec les auteurs français, qui évidemment n’utilisaient pas le mot insight luimême…
M
Il y a deux domaines où la notion de discernement et de lucidité est fondamentale :
1) la psychopathologie et la clinique psychiatrique, comme élément central du trouble
mental ;
d
2) en matière d’expertise psychiatrique, puisqu’on demande aux psychiatres quel était
te
le « degré de discernement » lors de la commission d’une infraction (crime ou délit).
Ac
ce
p
Dans le code pénal napoléonien de 1810, l’article 64 déresponsabilisait la personne (ni
crime, ni délit) en cas de « démence », d’aliénation, sans autre précision ni autre définition.
C’est en 1990 avec l’article 122-1 du code pénal actuel qu’apparaît le terme de discernement
puisqu’il est demandé à l’expert de préciser si au moment de l’infraction, le discernement
avait pu être aboli ou altéré (mission impossible ?). Cela sans que ne soient donnés aucune
définition ni critère, aucun modus operandis…
Depuis les origines du Droit1 concernant l’irresponsabilité des criminels selon leur état
de folie, ou d’absence de volonté, et cela depuis l’Antiquité la plus reculée (Bible, Premier
1
En particulier, dans le droit canonique médiéval, l’intention et la volonté libres sont les conditions de la
responsabilité. Celui atteint de « fureur » est excusable pénalement parce qu’il lui manque la « facultas
deliberandi ». L’ignorance du crime par absence de raison empêche la sanction, car le fou ne sait pas ce qu’il
fait. Le droit anglais ancien reprend des concepts identiques d’intention criminelle et de maîtrise de la volonté, la
perte de l’usage de la raison rendant irresponsable l’aliéné. À partir de 1843, les Règles de Mc Naghten précisent
que le criminel malade mental est responsable s’il sait qu’il enfreint la loi. Pour être irresponsable, il faut qu’il ne
puisse pas différencier le bien du mal, qu’il ignore qu’il accomplit un « acte nuisible et répréhensible » [1,4].
3
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livre de Samuel ; Droit grec ancien, etc.), il s’agissait d’évaluer si le sujet était punissable. Si
l’on s’en tient aux origines de la Psychiatrie moderne (Pinel, 1800), il était question de la
conscience et du contrôle des comportements. Le remarquable travail de T. Haustgen [17]
examinant les « registres manuscrits » de Charenton et de la Salpêtrière au XIXe siècle, montre
ip
t
que la conscience du trouble est très tôt, pour les aliénistes, une caractéristique sémiologique
importante, fréquemment évaluée, et qui peut se rencontrer partiellement préservée dans des
formes morbides sévères (Royer-Collard, 1815). Cette question a longuement été développée
cr
par Hamanaka [16] et reprise par Bourgeois, Haustgen, Géraud, Jaïs dans les Annales MédicoPsychologiques en 2000 [6].
us
La terminologie a varié au cours du temps. Le mot insight n’était pas employé mais
plutôt : conscience morale ou du comportement, lucidité, discernement, jugement, raison, etc.
an
Le mot insight est trompeur car il est polysémique, il ne se limite pas à la conscience du
trouble, à la libre volonté, au contrôle des actes, à la métacognition, à la théorie de l’esprit…
Mais il désigne au sens large l’intelligence, la lucidité, l’intuition, la connaissance de l’autre,
M
de ses intentions. On peut avoir des « insights » concernant non seulement sa propre psyché,
ou son comportement, ses propres intuitions, celles de l’autre. On peut aussi avoir l’intuition,
c’est-à-dire la compréhension plus ou moins précise ou brutale d’une réalité extérieure.
d
L’intériorité supposée par le « in » concerne aussi bien l’intérieur psychique et corporel du
te
sujet que l’intériorité d’objets et de personnes extérieures. Il s’agit de pénétration à l’intérieur
(Berrios proposait inwit) et d’accession à une signification globale profonde et dépassant la
Ac
ce
p
simple appréhension intellectuelle. Berrios et Markova ont longuement critiqué ce concept.
Le mot insight a surtout été utilisé par les psychanalystes anglo-saxons, puis repris par
leurs collègues francophones. Les psychothérapies d’inspiration freudienne sont souvent
qualifiées de « psychothérapies d’insight » (cf. infra). Quant on a une compréhension, souvent
soudaine et globale, du monde extérieur, on parle d’insight, pouvant aller jusqu’à l’« intuition
des essences » (phénoménologie ?). Un « insight » peut aussi être « proposé » à un patient, un
éclaircissement, une interprétation. On reste là dans les métaphores visuelles de la pensée
analogique (« je vois, je perçois, I See… »).
1. Le discernement2
2
Le mot discernement existe en anglais mais est exceptionnellement utilisé.
4
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Pour le Dictionnaire des notions philosophiques [5], le discernement est la capacité de
distinguer à juste titre entre des faits ou des idées. « Le discernement est le bon sens et
l’intelligence qui apprécie les choses, qui en démêle les rapports. Il faut avoir beaucoup de
discernement pour avoir du jugement, mais le discernement se rapporte plus à la théorie et le
ip
t
jugement à la pratique » (Condillac). Différent et plus intellectuel que « conscience morale et
conscience réflexive ». Il s’agit de faire la part des choses, distinguer, discriminer. Il signifie
exactement bien cerner et séparer.
cr
Un livre déjà ancien de René Major [18] porte ce titre. Malheureusement, ce livre
quelque peu jargonneux ne donne aucune définition, ni même aucune élaboration sur ce
us
concept. Le mot lui-même n’est cité que deux ou trois fois dans l’ouvrage (p. 122, p. 148).
L’essentiel de l’ouvrage est une réponse à Jean-Pierre Changeux et à son livre célèbre
an
L’homme neuronal (1983), étayée par les Saintes Écritures de Freud, Lacan et quelques
autres. Il s’agit d’insérer l’inconscient entre le « physique » et le « mental » (le conscient ?), et
de donner à la notion de pulsion sa place essentielle dans le psychisme…
M
Les psychiatres sont requis par la Justice pour préciser dans les expertises si le sujet
ayant commis une infraction, un crime ou un délit avait au moment du passage à l’acte une
altération ou une abolition de son discernement. Bien entendu, il n’est donné aucune
te
majeure.
d
définition ni aucune méthode d’évaluation de ce qui est supposé être une fonction psychique
À la suite de l’envahissement progressif de la littérature internationale, le concept
Ac
ce
p
(flou) d’insight est venu occuper le premier plan en France, au point de faire oublier tous les
travaux antérieurs. Désormais, la seule définition utilisable de l’insight correspond à
l’ensemble des items des échelles d’insight proposées par les auteurs de langue anglaise :
Berrios et Markova, Amador, Birchwood, David, etc. Cette approche opératoire et quantifiée
nous épargne les ruminations sémantiques et philosophiques autour de ce « concept ». Ce
regain d’intérêt autour de l’an 2000 dans notre pays a suscité un certain nombre de
recherches. On a ainsi utilisé les échelles d’insight pour corréler les scores avec l’observance
thérapeutique, le pronostic évolutif, le risque suicidaire, etc.
2. Insight et psychanalyse
Le concept d’insight a été d’abord utilisé en France par les psychanalystes. Les
psychothérapies psychodynamiques ont longtemps été désignées sous le terme de
« psychothérapie d’insight ». Pour Fédida, l’insight correspondait à la prise de conscience des
5
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sortilèges et des défenses de l’inconscient. Rosolato proposait d’appeler « introspects » les
produits de l’introspection accompagnée en cours de cure ou de psychothérapie
psychanalytique
R. Horacio Etchegoyen, dans son ouvrage magistral consacré aux « fondements de la
ip
t
technique psychanalytique », paru en espagnol en 1986, en anglais en 1991 et finalement en
français en 2005, consacre 33 pages à l’insight qui « constitue par définition la colonne
vertébrale du processus psychanalytique », acquis à travers l’interprétation psychanalytique.
cr
« Tous les auteurs pensent que l’insight est le moteur principal des changements progressifs
que promeut l’analyse. » Freud utilisait rarement ce mot, Einsicht3 en allemand. Ferenczi
us
(1921) utilisait Selbstbeobachtun, c’est-à-dire auto-observation. Etchegoyen donne pour
acception du substantif insight : « vision interne, vision intériorisée des choses et, au-delà de
an
la surface, discernement… Capacité de saisir par l’esprit l’intérieur des choses, l’aperception
subite de la solution d’un problème. Compréhension nouvelle et pénétrante. » Détail
important : l’auteur argentin n’oublie pas l’insight de l’analyste (à propos d’un exemple un
M
peu scabreux !). La théorie de la forme (Gestaltheorie4) aurait contribué à l’introduction de
l’insight en psychanalyse (mais, pour Etchegoyen, le chimpanzé de Köhler ne satisfaisait pas,
en mangeant la banane qu’il avait réussi à attraper, son désir de fellation, ce qui le différencie
d
du patient sur le divan ! [13, p. 600]). L’insight est un « phénomène de champ ». D’autre part,
te
l’insight est à l’opposé de « l’expérience délirante primaire », qui est une nouvelle connexion
des significations, inintelligibles pour l’observateur selon Jaspers (1913), mais pas pour
Ac
ce
p
l’analyste qui y décèle une projection, véritable théorie explicative pour le patient, que
l’insight vient détruire. L’auteur critique aussi la distinction entre insight intellectuel et insight
émotionnel. L’insight comportant forcément un processus cognitif, éventuellement lié à une
émotion. L’insight peut être neutre, émotionnel ou dynamique. L’auteur élabore ensuite une
métapsychologie de l’insight que nous n’aborderons pas ici.
Curieusement, la plupart des dictionnaires de psychanalyse n’ont pas de rubrique
consacrée à l’insight ni au discernement. Rien dans Laplanche et Pontalis (Vocabulaire de la
Psychanalyse. Paris: PUF; 1967). Rien dans P. Kaufman (L’apport freudien ; éléments pour
l’Encyclopédie de la Psychanalyse. Paris: Bordas; 1993). Rien non plus dans E. Roudinesco et
3
Heidegger, comme d’ailleurs Schleiermacher, traduit le grec Phronesis par Einsicht, vue pénétrante (in:
Parménide. Paris: Gallimard; 2011. p.193).
4
Différent de la Gestalt psychologie allemande, la Gestalthérapie de Fritz Perl (1893-1970) insistait sur cette
prise de conscience du corps, des émotions, des pensées, en groupe ou en thérapie individuelle. On retrouve aussi
cette visée fondamentale dans diverses formes actuelles de psychothérapie : méditation transcendantale,
remédiation cognitive ou psycho-éducation et ce qui fait fureur actuellement : la pleine conscience
(mindfullness).
6
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Plon (Dictionnaire de la Psychanalyse. Paris: Albin Michel; 2006). De même dans le
Dictionnaire des Concepts sous la direction de Y. Pelicier et Ph. Brenot (les origines de la
psychiatrie, l’Esprit du Temps, 1997). Rien non plus dans le Vocabulaire technique et
philosophique d’André Lalande. (Paris: PUF; 1962, 1968). En revanche, tous les dictionnaires
ip
t
de psychanalyse ont des rubriques sur Conscience et Inconscient.
Néanmoins, on trouve dans le Dictionnaire international de la psychanalyse [22] la
définition suivante : « On appelle insight le processus par lequel le sujet se saisit d’un aspect
cr
de sa propre dynamique psychique jusque-là méconnu de lui… » Il s’agit de « regard
intérieur », pourrait être traduit en français par « introspection », mais qui est trop marqué
us
dans son emploi dans les psychologies de la conscience ; évité par les auteurs de langue
française qui préfèrent parler d’insight… Il s’agit d’un moment très particulier observable au
an
cours de la cure analytique, où le patient prend conscience de sa propre conflictualité, d’un
mouvement pulsionnel, d’un aspect de ses défenses jusqu’alors refoulées ou déniées, et dont
le surgissement s’accompagne de surprises et du sentiment d’une découverte. Il y a deux
M
variétés : sentiment de découverte soudaine, d’illumination (« expérience, ah ah ! ») ;
mouvement plus lent et progressif où le sujet et en général l’analyste éprouvent un sentiment
d’évidence. Il s’agit d’autre chose qu’une simple compréhension intellectuelle, il est même
d
fréquent qu’à une telle compréhension nourrie de références culturelles et de concepts
te
généraux et abstraits mais très défensivement élaborés, succède un insight où le sujet remet en
jeu son histoire personnelle et sa propre dynamique, ainsi lorsque après des propos défensifs
Ac
ce
p
sur l’œdipe, il revit et remétabolise son propre drame œdipien… La charge économique et
dynamique d’un tel mouvement et les affects qui les accompagnent sont plus importants que
sa dimension de compréhension intellectuelle.
Une telle découverte signe le passage du préconscient au conscient, l’analyste vigilant
le prévoit dans une position d’attente où il sent cependant que l’interprétation serait
prématurée tant que n’est pas arrivé le moment de l’éclosion d’un tel mouvement psychique.
L’évaluation des capacités d’insight du sujet est particulièrement importante lors du ou des
premiers entretiens en vue d’une cure analytique, mais aussi lorsqu’il s’agit d’apprécier la
possibilité pour quelqu’un de devenir lui-même analyste…
En 2002 (Ann Méd Psychol 160-140 p. 450), Misès (conforté par Garrabé et Gorceix),
toujours très critique en matière de psychopathologie quantitative, définissait l’insight comme
« le partage émotionnel avec reconnaissance de l’altérité – de la subjectivité du malade – par
le clinicien ou le soignant… », ce qui nous laisse dans un flou artistique.
7
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3. Les échelles d’insight
En 1999, nous avons fait l’inventaire d’un certain nombre d’échelles, en particulier la
version abrégée de la SUMD [3], l’échelle de A.S. David [2], celle de Markova et Berrios
d’évaluation et les corrélations avec les scores selon les échelles.
ip
t
(1995), Bourgeois (2000). Ces derniers avaient proposé un tableau reprenant les instruments
Dans les publications, le mot insight équivaut à conscience de souffrir d’un trouble
cr
mental, synonyme de awareness (la SUMD est une échelle de unawareness). Il s’agit toujours
de l’insight du patient, jamais de l’insight de l’observateur, qui est pourtant au moins aussi
us
important. La construction des échelles révèle l’insight de ceux qui les ont construites. On
rappellera ici le « diagnostic par pénétration » (E. Minkowski) et le « praecox gefülh »
an
(Rumke) qui peuvent être trompeurs et utilement redressés précisément par les échelles. (cf.
Bourgeois [5].
Insight est un mot très polysémique5 ayant suscité les commentaires critiques de
M
Berrios et Markova. Il peut désigner l’intuition, la compréhension soudaine, la remise en
perspective, la révélation du type « Euréka ». Pour le clinicien, il ne peut être défini
opératoirement que par l’ensemble des items des échelles d’insight. Ces échelles sont trop
d
longues pour la pratique clinique courante. Elles servent pour les études empiriques, les
te
recherches scientifiques obéissant au puritanisme méthodologique. Ces échelles sont
impersonnelles, comparatives et quantificatrices. Elles sont le plus souvent administrées par
Ac
ce
p
des juniors, des chercheurs, des psychologues, et d’autres travailleurs de la santé mentale.
Elles sont très rarement administrées par les cliniciens seniors responsables. Elles sont
rarement administrées par l’investigateur principal ou le premier signataire des articles.
La psychiatrie des échelles d’évaluation s’intègre dans l’approche catégorielle et
dimensionnelle, psychiatrie quantificatrice qui demande une présentation critique des
instruments d’évaluation, leurs limites et leurs modes d’utilisation. Pour Heidegger, c’est
« une pensée qui ne connaît que la forme du calcul ».
Si toute conscience est conscience de quelque chose, aussi bien tout insight est insight
de quelque chose. Par exemple, l’échelle ABPS (Awareness of Being a Patient Scale de
Hayashi et al, 25 items) centrée sur le « Sick Role ».
On a procédé à une « fragmentation de l’insight » (ici une déconstruction !) avec au
moins trois ou six registres dimensionnels, trois pour David (1990) : conscience de souffrir
5
C’est désormais une marque de véhicule automobile !
8
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d’un trouble mental ; aptitude à reconnaître et nommer certains événements mentaux comme
étant des hallucinations et des idées délirantes ; accepter la nécessité d’un traitement. Quant à
Sackeim (1998), il définissait six niveaux d’exigences décroissantes. Le Suisse L. Michel
[20,21] proposait de distinguer : anosognosie ; non-reconnaissance de la maladie ; perplexité ;
ip
t
sentiment d’être malade ; conscience partielle de la maladie ; conscience pleine et entière en
accord avec l’observateur.
On peut distinguer un insight « explicite » verbalisé par le patient et un insight
cr
« implicite » dont témoignent son comportement et sa bonne observance thérapeutique.
En réalité, chaque item définit un des aspects de l’insight. Ainsi modularisé, il y aurait
us
derrière chaque fragment d’insight un insight global, comme pour l’intelligence il existe un
facteur G type Spearman, ou bien encore, comme derrière les cognitions définies par Beck, il
an
existe une cognition préconsciente.
Ces échelles sont souvent trop longues. Utiles pour la recherche empirique et les
publications, elles sont impraticables dans la clinique courante. Il faudrait alors une très
M
courte évaluation, comme par exemple l’item 12 de la PANSS ou les huit items de
l’échelle Q8.
te
d
4. Insight clinique et insight cognitif (A. Beck)
Beck et Worman (Amador et David, 2004) distinguent « insight clinique »
Ac
ce
p
(présence ou absence de conscience de souffrir d’un trouble mental nécessitant un
traitement), et «insight cognitif » qui serait une évaluation plus globale des croyances
erronées et des erreurs d’interprétation. L’altération de l’insight est centrale dans le
développement du phénomène psychotique : hallucinations et idées délirantes. Le
maintien de ces phénomènes tient à leur intensité qui déborde le processus normal du
« reality testing » (épreuve de réalité, notion et fonction du réel). Les modèles cognitifs
centrés sur les croyances erronées offrent des solutions thérapeutiques. Beck distingue
aussi « insight intellectuel » (acceptation formelle d’une explication rationnelle des
symptômes), et « insight cognitif » qui semble préconscient, avec un système sousjacent de croyance, non forcément congruent avec l’insight intellectuel. C’est sur cet
insight cognitif que reposerait la conviction d’être mentalement malade ou non. C’est
l’exploration en profondeur des caractéristiques et du contenu des expériences
psychotiques qui révèle les croyances fortement enracinées. Certains patients non
psychotiques, au cours de la dépression ou des épisodes de panique, peuvent aussi faire
9
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de fausses interprétations, mais ils peuvent reconnaître que leurs conclusions sont
incorrectes. Dans les états psychotiques, il y a atteinte de l’objectivité et de la critique.
Les pensées automatiques distordent la pensée. La thérapie cognitive des idées
délirantes vise ces processus dévoyés de traitement de l’information. Il convient de
ip
t
questionner les bases de ces cognitions et de faire évaluer les preuves. Lorsqu’il reste un
peu d’insight, les patients sont accessibles aux Thérapies Cognitivo-Comportementales
(TCC). Les styles cognitifs sont à prendre en considération, les délirants ayant souvent
cr
tendance à sauter instantanément sur les conclusions. Il s’agit donc d’évaluer le style de
rationalité caractérisant un patient. La Beck Cognitive Insight Scale ou BCIS (Beck et al.
us
2004) a été traduite et validée en français par les équipes de Favrod et al. [15], et Tastet
et al. [23]. Elle comporte deux facteurs : Self-Reflectiveness (neuf items) et Self
an
Certainty (six items). Il y a une relation entre la BCIS et la SUMD-A avec une validité
concurrente démontrée. Il a été démontré que dans les troubles psychotiques
(schizophrénie et dépression), il y a significativement plus de « réflectivité ». Les
M
patients délirants sautent plus facilement sur des conclusions hâtives et sont trop
confiants dans leur décision. Dans la schizophrénie, l’augmentation de l’insight cognitif
grâce à la TCC est associée à une diminution des symptômes positifs. Ainsi, l’insight
d
cognitif serait le médiateur majeur pour le changement. Les applications cliniques
Ac
ce
p
soigner.
te
concernent l’adhésion (adhérence) aux traitements, le patient devenant plus enclin à se
5. Conclusion
Quoi qu’il en soit, il convient d’adopter une acception purement opératoire de
l’insight. C’est-à-dire préciser que l’on parle d’insight type SUM-D, ITAQ, SAE, Birchwood,
David, Q8, etc. La plupart des échelles ont entre elles une excellente validité convergente,
mais elles présentent cependant quelques différences. Enfin, changer les mots peut changer
les perspectives (insight plutôt que discernement ou conscience), surtout s’il s’agit de mots
anglo-américains.
La mode actuelle de l’insight est un retour aux fondamentaux de la psychiatrie, à un
des aspects essentiels de la conscience malade (le dernier numéro de Schizophrenia Bulletin
10
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est précisément consacré à ce « cœur de la psychose6 ». La grande innovation réside dans la
construction des instruments d’évaluation, les échelles d’insight. La pratique clinique
quotidienne demanderait des échelles courtes maniables et pourtant suffisamment valides.
ip
t
Conflit d’intérêt : à compléter par l’auteur
Références
cr
[1] Addad M, Bénézech M. L’irresponsabilité pénale des handicapés mentaux en droit
français et anglo-saxon. Paris: LITEC droit; 1978.
us
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an
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Discussion
Pr Laxenaire – Je voulais faire une remarque à propos de la communication du
Pr Bourgeois et lui poser une question. La remarque concerne « l’insight chez l’observateur ».
Je tenais à lui faire remarquer que la psychanalyse s’en était préoccupé il y a bien longtemps
en avançant la notion de contre-transfert.
Ma question porte sur la phrase : « L’insight est aboli dans la psychose. » Plutôt
qu’aboli, ne faudrait-il pas dire modifié ou distordu ? Ici se pose l’analogie avec le rêve où
l’insight existe mais avec un fonctionnement différent de celui de l’état de veille. Tributaire
du moi, il témoigne aussi pour un autre fait ou fonction du moi, comme cela apparaît
clairement au réveil. « Le rêve n’est-il pas une courte folie ? »
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Réponse du Rapporteur –
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