IHK-Infos 03/2013 Seite 37
6.8.
Le bonheur des entrepreneurs allemands
L’Allemagne interpelle: moteur économique de l'Europe, elle génère le plus grand excédent
commercial au monde. Mais d'où vient la compétitivité de nos voisins allemands? Nos entreprises
peuvent-elles gliger ce marché à l'exportation? Réponses avec Marc De Vestele, Attaché
économique et commercial pour l'Agence wallonne à l'exportation et aux investissements étrangers
à Munich. Il a écrit le guide «Comment exporter en Allemagne».
DYNAMISME: On explique parfois la compétitivité allemande par un dialogue social
différencié, la «Tarifautonomie». Vous confirmez que c'est un élément-clé?
MARC DE VESTELE : Sous le nazisme et pendant le régime communiste est-allemand, régnait
l'interdiction de s'associer en dehors des structures du parti L'autonomie tarifaire, c'est -à-dire le
droit en vertu duquel les partenaires sociaux déterminent aujourd'hui eux-mêmes, sans ingérence
de l'État, les conditions salariales, a été inscrite au titre de fondement démocratique dans la Loi
fondamentale allemande au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le nombre
élevé (on parle ici de 73.000 accords-cadres) indique un système différencié qui répond aux besoins
sectoriels des entreprises et qui reconnaît en me temps la concertation sociale, Par ailleurs, les
entreprises conservent le droit de ne pas participer à la concertation salariale collective, Ainsi, près
de 10.000 entreprises ont adopté leurs propres accords tarifaires internes Le «Friedenspflicht»
engage les syndicats à renoncer aux actions de grève pendant la durée d'application de l'accord
tarifaire, Par conséquent, il y a très peu de grèves sauvages en Allemagne Le principe de
«Tarifeinheit» stipule qu'un seul accord vaut par entreprise. Il empêche la surenchère entre
syndicats au sein d'une même entreprise, En 2010, la «Tarifeinheit» a été affaiblie par une décision
du tribunal du travail. L'actuel gouvernement cherche un nouveau consensus en la matière.
A L'image de ce qui réussit très bien en communauté germanophone, la compétitivité
s'explique-t-elle également par un système de formation en alternance généralisé, la
«Duale Ausbildung» ?
La formation professionnelle se déroule à deux endroits en Allemagne: dans une entreprise et sur
les bancs de l'école, d'où son appellation «duale» , Ce système est appliqué aussi bien aux métiers
techniques, comme la construction mécanique, qu'au secteur tertiaire, tel que les assurances,
Concrètement: un élève, dans le cadre d'une formation de trois ans, travaille trois à quatre jours
par semaine dans une entreprise et rejoint l'école le reste du temps, Afin de renforcer ce système,
les employeurs et les pouvoirs organisateurs ont signé un pacte garantissant 570.140 stages en
2011. Grâce au système de la «duale Ausbildung», l'Allemagne présente le plus faible taux de
chômage parmi les jeunes en Europe, En août 2012, le chômage des jeunes en Allemagne atteignait
d'ailleurs 8,1 %, contre 17,70% en Belgique.
La sous-traitance occupe aussi une place centrale dans le fonctionnement de l'économie
allemande ...
En 2011, quinze des trente entreprises cotées à l'indice DAX ont réalisé les bénéficies les plus
importants de leur histoire, Parmi elles: BMW, Linde, SAP et BASF Entre 1970 et 2010, la part de
la production industrielle allemande sous-traitée à des tiers a augmen de 70% pour s'établir
à 10%, Ce chiffre élevé met en évidence les rapports extrêmement complexes au sein de l'industrie
allemande et les modèles de gestion incroyablement raffinés de la sous-traitance. Les
réorganisations ont amélioré les marges bénéficiaires des entreprises, offrant des moyens pour de
nouveaux investissements.
Des investissements en recherche et développement, ce qui renforce la compétitivité ...
Une visite du «Deutsches Museum» à Munich montre clairement comment ce «musée» consacré à
la technologie allemande décrit en fait l'évolution de l'économie allemande. On y admire le premier
moteur de Carl Benz qui allait plus tard donner naissance à l'entreprise Mercedes-Benz. Le nombre
de brevets peut servir comme baromètre de l'innovation.
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En 2011, les entreprises belges ont déposé, auprès de l'Office européen des brevets, 2 brevets par
milliard d'euros de produit intérieur brut belge Avec cinq brevets par milliard d'euros de produit
intérieur brut, l'Allemagne faisait deux fois mieux. Ce n'est pas le fruit du hasard: les grands
groupes industriels allemands collaborent pour leurs projets de recherche et de développement.
L'entreprise BMW développe, par exemple, un moteur hybride à hydrogène en collaboration
avec Linde, le géant du gaz industriel qui a aussi son quartier général à Munich. Et puis, le pouvoir
politique stimule certaines orientations de la recherche. Le gouvernement fédéral allemand
a par exemple libéré 3,5 milliards d'euros de subsides pour la sixième tranche de projets
de recherche dans le domaine de l'énergie. Le gouvernement a multiplié les efforts de recherche
dans le domaine énergétique après avoir décidé la sortie nucléaire de l’Allemagne à l'horizon
2022. La sixième tranche de projets de recherche dans le domaine de l'énergie est ouverte à
toute entreprise qui produit en Allemagne, particulièrement les PME. Il faut que le projet
soit réalisé en Allemagne. Le subside est versé à l'entreprise allemande.
Vous l'aurez compris: les entreprises belges peuvent profiter de ces initiatives en nouant des
coopérations avec des entreprises allemandes ou en créant une entreprise en Allemagne.
Une autre explication n'est-elle pas à chercher aussi du côté de la masse critique du
marché allemand et par des effets d'échelle?
Avec 82 millions d'habitants et 3,5 millions d'entreprises, l'Allemagne possède un grand marché
intérieur, unilingue et pourvu d'excellents services logistiques. En Allemagne, 5.245 entreprises
employaient plus de 500 personnes en 2008. Leur chiffre d'affaires cumulé représentait 38% du
chiffre d'affaires total des 3,5 millions d'assujettis à la TVA. En Belgique, 488 entreprises
employaient plus de 500 personnes en 2008. Il convient de se demander pourquoi, toutes
proportions gardées, les entreprises belges ne se développent pas à la même échelle que leurs
confrères allemands. Il est donc essentiel que les entreprises belges considèrent l'Europe comme
leur marché domestique.
Le rayonnement de l'Allemagne a certainement une influence: on assiste à
l'internationalisation de son économie dans un contexte géopolitique favorable et avec le
soutien de l'Etat fédéral...
L'Etat fédéral allemand mène une diplomatie économique active qui réagit aux évolutions
géopolitiques Ainsi, l'Allemagne est le pays qui a conclu le plus grand nombre d'accords
d'investissement bilatéraux. Ces accords protègent les investissements des entreprises allemandes
à l'étranger.
L'Allemagne est aujourd'hui le deuxième plus grand investisseur à l'étranger, après les Etats-Unis
d'Amérique. L'entreprise familiale Bosch, qui a célébré son 125e anniversaire en 2011 et qui est l'un
des plus grands sous-traitants du secteur automobile, a racheté, au courant des dernières années,
des dizaines de sociétés étrangères. Ces reprises ont contribuées à la croissance du chiffre d'affaires
de Bosch de 24% en 2010 pour le porter à plus de 50 milliards d'euros. Si la Chine est devenue le
deuxième plus grand fournisseur de l'Allemagne, une partie de ce commerce international se
déroule au sein de groupes allemands. La diplomatie économique de l'Allemagne se confirme
aujourd'hui, notamment via des stratégies garantissant les matières premières pour l'industrie et en
collaboration avec l’industrie allemande qui construit, en Grèce et en Afrique, des projets
visionnaires pour l'approvisionnement en énergie renouvelable.
La compétitivité allemande n'est-elle pas le résultat du choix clair d'une orientation
industrielle?
Avec la construction d'automobiles, de machines, de moteurs électriques et avec son industrie
sidérurgique et chimique, l'Allemagne a conservé une part importante d'activités industrielles. Les
acheteurs des économies émergentes se ruent sur les biens d'investissements fabriqués en
Allemagne. Certaines entreprises sont tellement vieilles qu'elles ont survécu à deux guerres
mondiales, une dictature national-socialiste et une invasion communiste. Siemens a éfondée en
1847 par Werner von Siemens, à Berlin. L'atelier employait à l'époque dix personnes et fabriquait
des télégraphes.
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Aujourd'hui, l'entreprise compte 360.000 travailleurs et réalise, avec un conseil d'administration
formé d'une dizaine de personnes tout au plus, un chiffre d'affaires de 73,5 milliards d'euros. À
l'heure actuelle, le plus grand défi pour l'industrie allemande n'est pas l'euro, mais bien sa capacité
de gérer l'abandon de l'énergie nucléaire décidé par le gouvernement allemand.
On entend parfois les spécialistes parler de l'influence des chocs exogènes...
La réunification de l'Allemagne de l'Est et de l'Allemagne de l'Ouest a eu lieu en 1990. L'économie
occidentale a ainsi intégré un appareil de production totalement suranné. L'équivalence d'un
Deutsche Mark ouest-allemand avec un Mark est-allemand partait d'une bonne intention, mais
rendait les usines est-allemandes qui étaient moins productives, trop chères. Malgré des transferts
financiers de plus d'un billion d'euros, il en a découlé des fermetures d'usines massives et un
chômage important. Mais ce bouleversement a aussi créé de nouvelles opportunités. Au terme
d'importantes restructurations, la Bundesbahn ouest -allemande et la Reichsbahn est-allemande ont
fusionné en 1994 pour former la nouvelle Deutsche Bahn AG. Depuis lors, le volume de voyageurs a
crû de 28,8% et le transport de marchandises de 57,8%.
Il y a aussi la réforme du marché du travail: Agenda 2010 et Hartz IV ...
«Agenda 2010» est le nom donné à un ensemble de réformes menées par la coalition rouge/verte
de l'ancien Chancelier Schröder. Avec ces mesures, l'Allemagne entendait consolider sa réunification
et mettre en pratique les objectifs de la stratégie européenne de Lisbonne. Une partie de
l’ « Agenda 2010 » concerne les lois Hartz IV. Ces lois établissent entre autres une distinction entre
l'allocation de chômage l, limitée à un an, et l'allocation de chômage Il, qui est versée à partir de la
deuxième année et qui combine une allocation de chômage et une aide du «CPAS». Une autre
mesure spectaculaire de l'Agenda 2010 est le relèvement progressif de l'âge de la retraite à 67 ans.
Le taux d'activé en Allemagne atteint aujourd'hui 50% de la population allemande. Les réformes
ont également abaissé les charges salariales pour les employeurs. Germany Trade and Invest,
l'Agence fédérale allemande de promotion du commerce extérieur et des investissements, a observé
récemment que la Belgique possède les charges salariales les plus élevées de l'Union européenne.
Une autre particularité, c'est le système des impôts différenciés: composante fédérale et
communale ...
L'impôt allemand des sociétés s'articule en effet autour de deux composantes: la composante
fédérale (Körperschaftsteuer) et la composante communale (Gewerbesteuer) En 2008, l'Allemagne
a ramené la composante fédérale de 25% à 15%. La «Gewerbesteuer» est restée comme
compétence communale. Cette composante est très variable. Munich applique un coefficient
qui est deux fois plus élevé que la commune de Grünwald, qui se trouve à 15 kilomètres de Munich.
Curieusement, c'est précisément la commune la plus riche qui prélève la «Gewerbesteuer»
la plus basse. Toutefois, le système peut aussi servir à rehausser l'attractivité de communes
économiquement moins développées. Le taux effectif d'imposition des sociétés en Allemagne égale
en moyenne 28,7%.
En conclusion?
La compétitivité des entreprises allemandes est donc soutenue par des mécanismes qui sont
inhérents au modèle socio-économique allemand et qui sont ancrés dans l'histoire du pays. Ces
atouts ne sont pas passés inaperçus. Notre base de données dénombre 7.348 entreprises belges qui
ont des participations dans des entreprises allemandes. Autant d'exemples à suivre ...
DYNAMISME – Décembre 2012
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