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c’est la première fois qu’elle présente un problème ! ». En
rencontrant et traitant ces patientes, j’ai compris, plus tard et
différemment, l’intensité et le sens de ce « rien ». Ce rien qui, chez la
patiente, prend aussi le sens d’un immense vide ressenti et constitue
essentiellement ce que l’anorexique tente de combler avec sa
conduite restrictive.
• La parution du livre Le Pavillon des Enfants Fous de Valérie Valère
en 1978. Ce livre, je l’ai perçu comme une énorme gifle au milieu de
soins où l’auteur fut traité. Ce livre nous invitait à une révision de ce
que nous faisions.
• Une conférence donnée à New York en 1984 par David Garner,
auteur prolifique et incontournable sur le sujet de l’anorexie mentale
dans les années 80, et au cours de laquelle il mettait en garde les
différents intervenants sur les dangers des effets iatrogéniques de
nos diverses interventions. Comment parfois il peut être plus facile de
nuire que d’aider. Un appel à la prudence dans les gestes que l’on
s’apprête à poser auprès de ces jeunes filles.
• Geneviève Brisac, en 1994, avec son roman Petite nous a offert une
description de l’anorexie à l’adolescence d’une grande brillance et
sensibilité qui, à mon avis, nous a fait mieux comprendre le sens
profond de cette maladie lorsqu’elle se manifeste à cet âge.
• Et la fidélité remarquable de ces patientes à respecter leur rendez-
vous en clinique vient confirmer l’importance de bâtir notre plan de
soins autour du lien thérapeutique à établir avec elles et de miser sur
le temps, puisque, sur ce point, elles sont « généreuses ».
• L’entrée dans l’anorexie mentale se produit souvent après que
l’adolescente eut été victime de mots qui l’ont blessée. J’ai été très
touché par l’histoire d’une jeune femme dans la trentaine, médecin et
anorexique. qui s’était suicidée. La mère que je rencontrais lors d’un
événement mondain, peu après le suicide de sa fille, m’a
complètement stupéfait par son explication de l’anorexie et du suicide
de sa fille. Cette mère était convaincue qu’au plan psychique sa fille
est morte, de fait, plusieurs années avant son suicide, soit
précisément le jour où elle et sa fille adolescente sont entrées dans le
bureau du pédiatre pour une visite de routine et en voyant la jeune
fille celui-ci se tourne vers la mère et lui dit : « mais elle est bien
grosse ta fille ! ». À partir de cette remarque inattendue et vécue
comme une violence par l’adolescente, celle-ci n’a plus voulu que
maigrir, m’a dit la mère, et l’anorexie est apparue pour ne plus
jamais la quitter !
• J’ai été bouleversé d’apprendre, il y a deux ans le décès subit,
probablement suite à une hypokaliémie, d’une jeune fille de 19 ans
que j’avais momentanément suivi avant son transfert en milieu
adulte. Cette jeune fille, tout au long de sa maladie, a été confrontée
aux rappels incessants des membres de son entourage sur les coûts
engendrés par son anorexie. Cette jeune fille personnifiait
parfaitement la difficulté que nous éprouvons tous professionnels et
parents à traiter cette maladie. Le suivi électrolytique : un défi, une
impasse, une impossibilité ? Oui, il y en a qui décèdent d’un trouble
de la conduite alimentaire, heureusement très peu.