SOMMAIRE
Antonin Artaud et Jean Genet ont respectivement connu l’enfermement
asilaire et carcéral. Ils conçoivent tous les deux l’écriture comme le théâtre,
sur le même plan que la vie, et partagent en outre la même conviction que la littérature,
comme toute forme d’art, peut quelque chose pour nous. Malgré leurs nombreux points
de contact biographiques, poétiques et éthiques, leurs œuvres n’ont jamais fait l’objet
d’un rapprochement exclusif, une étonnante lacune que l’introduction substantielle
de cette étude se donne pour tâche d’éclairer. En fait, si les œuvres d’Artaud
et de Genet sont souvent comparées, c’est invariablement de façon limitée : brièvement,
par le biais d’un tiers auteur et au plan du théâtre. Or toute leur écriture est théâtrale :
c’est la prémisse sur laquelle se base ce travail qui constitue, donc, la première étude
comparative approfondie de leurs œuvres.
Dans un premier temps, nous étudions la conception du théâtre d’Artaud
et de Genet dans la perspective de la tragédie qu’ils privilégient, parce qu’ils estiment
primordiale la reprise vivante de l’œuvre par chacun de nous. En fait, nous nous
intéressons à Genet et Artaud aussi bien en tant qu’écrivains que lecteurs, en analysant
la manière singulière dont ils puisent l’un et l’autre de grandes figures dans les textes
de la mythologie, de la littérature et de l’histoire pour les faire intervenir,
indifféremment de leur provenance, dans leur propre texte. Pour démontrer ce travail
de « reconfiguration » tout à la fois biographique, esthétique et éthique chez Artaud
et Genet, nous analysons leur traitement de la figure tragique par excellence
d’Antigone, dans Antigone chez les Français et Journal du voleur.
Dans un second temps, nous examinons comment Artaud et Genet s’en prennent
à la dialectique du jugement qui préside à la lecture univoque qu’ils récusent :
d’une part, par la conjuration, dans les textes qu’ils rédigent en 1948 pour une même
série radiophonique, Pour en finir avec le jugement de dieu et L’Enfant criminel
(tous deux censurés) et, d’autre part, par la révélation, en pratiquant ce que
nous appelons une écriture de l’évanouissement – qui n’a rien de sublime,
qui ne conserve en fait de la relève hégélienne que la structure du coup de théâtre,
à savoir l’interruption qu’elle introduit dans la délibération de la conscience.
Nous analysons alors les commentaires de dessins d’Artaud et les nombreuses scènes
d’évanouissement dans l’œuvre de Genet.
Dans un dernier temps, nous suggérons d’approcher de manière éthique les
troublants termes de « cruauté » et de « trahison » qu’Artaud et Genet nous ont légués.
Plus que des notions, celles-ci, avançons-nous, sont des méthodes visant l’acquisition
d’un nouveau mode de lecture. Par l’entremise de ces concepts anti-conceptuels, Artaud
et Genet nous invitent en fait à vivre comme ils écrivent et lisent : à voire la réalité.
Pour le démontrer, nous proposons une micro-lecture du Théâtre et son double
d’Artaud au regard de La Sentence de Genet, texte dont la publication toute récente
vient confirmer la pertinence du rapprochement que nous établissons dans cette étude.
Mots clés : Littérature et théâtre du XXe siècle – littérature comparée – Antonin Artaud
– Jean Genet – tragédie – évanouissement – dialectique – mort – défaillance – maîtrise