Tenir l’évanouissement.
Entre maîtrise intégrale et abandon anéantissant :
Jean Genet et Antonin Artaud
par
Véronique Lane
Thèse de doctorat effectuée en cotutelle
au
Département des littératures de langue française
Faculté des arts et des sciences
Université de Montréal
et
École doctorale « Langue, littérature, image »
Université Paris Diderot (Paris 7)
Thèse présentée à la Faculté des études supérieures
de l’Université de Montréal
en vue de l’obtention du grade de Philosophiæ Doctor (Ph.D.)
en Littératures de langue française
et à
l’Université Paris Diderot (Paris 7)
en vue de l’obtention du grade de Docteur (Ph.D.)
en Histoire et sémiologie du texte et de l’image
Novembre, 2011
©Véronique Lane, 2011
ii
Identification du jury
Université de Montréal
Faculté des études supérieures
et
Université Paris Diderot (Paris 7)
Cette thèse intitulée
Tenir l’évanouissement.
Entre maîtrise intégrale et abandon anéantissant :
Jean Genet et Antonin Artaud
Présentée et soutenue
à l’Université Paris Diderot par :
Véronique Lane
a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes :
Présidente-rapporteure : Catherine Mavrikakis (Université de Montréal)
Président-rapporteur : François Villa (Université Paris Diderot)
Directrice de recherche : Ginette Michaud (Université de Montréal)
Directrice de recherche : Évelyne Grossman (Université Paris Diderot)
Examinatrice externe : Mairéad Hanrahan (University College London)
iii
SOMMAIRE
Antonin Artaud et Jean Genet ont respectivement connu l’enfermement
asilaire et carcéral. Ils conçoivent tous les deux l’écriture comme le théâtre,
sur le même plan que la vie, et partagent en outre la même conviction que la litrature,
comme toute forme d’art, peut quelque chose pour nous. Malgré leurs nombreux points
de contact biographiques, poétiques et éthiques, leurs œuvres n’ont jamais fait l’objet
d’un rapprochement exclusif, une étonnante lacune que l’introduction substantielle
de cette étude se donne pour tâche d’éclairer. En fait, si les œuvres d’Artaud
et de Genet sont souvent comparées, c’est invariablement de façon limitée : brièvement,
par le biais d’un tiers auteur et au plan du théâtre. Or toute leur écriture est théâtrale :
c’est la prémisse sur laquelle se base ce travail qui constitue, donc, la première étude
comparative approfondie de leurs œuvres.
Dans un premier temps, nous étudions la conception du théâtre d’Artaud
et de Genet dans la perspective de la tragédie qu’ils privilégient, parce qu’ils estiment
primordiale la reprise vivante de l’œuvre par chacun de nous. En fait, nous nous
intéressons à Genet et Artaud aussi bien en tant qu’écrivains que lecteurs, en analysant
la manière singulière dont ils puisent l’un et l’autre de grandes figures dans les textes
de la mythologie, de la littérature et de l’histoire pour les faire intervenir,
indifféremment de leur provenance, dans leur propre texte. Pour démontrer ce travail
de « reconfiguration » tout à la fois biographique, esthétique et éthique chez Artaud
et Genet, nous analysons leur traitement de la figure tragique par excellence
d’Antigone, dans Antigone chez les Français et Journal du voleur.
Dans un second temps, nous examinons comment Artaud et Genet s’en prennent
à la dialectique du jugement qui préside à la lecture univoque qu’ils récusent :
d’une part, par la conjuration, dans les textes qu’ils rédigent en 1948 pour une même
série radiophonique, Pour en finir avec le jugement de dieu et L’Enfant criminel
(tous deux censurés) et, d’autre part, par la révélation, en pratiquant ce que
nous appelons une écriture de l’évanouissement qui n’a rien de sublime,
qui ne conserve en fait de la relève hégélienne que la structure du coup de théâtre,
à savoir l’interruption qu’elle introduit dans la délibération de la conscience.
Nous analysons alors les commentaires de dessins d’Artaud et les nombreuses scènes
d’évanouissement dans l’œuvre de Genet.
Dans un dernier temps, nous suggérons d’approcher de manière éthique les
troublants termes de « cruauté » et de « trahison » qu’Artaud et Genet nous ont légués.
Plus que des notions, celles-ci, avançons-nous, sont des méthodes visant l’acquisition
d’un nouveau mode de lecture. Par l’entremise de ces concepts anti-conceptuels, Artaud
et Genet nous invitent en fait à vivre comme ils écrivent et lisent : à voire la réalité.
Pour le démontrer, nous proposons une micro-lecture du Théâtre et son double
d’Artaud au regard de La Sentence de Genet, texte dont la publication toute récente
vient confirmer la pertinence du rapprochement que nous établissons dans cette étude.
Mots clés : Littérature et théâtre du XXe siècle – littérature comparée – Antonin Artaud
– Jean Genet – tragédie – évanouissement – dialectique – mort – défaillance – maîtrise
iv
ABSTRACT
Antonin Artaud and Jean Genet experienced confinement in an asylum and
a prison respectively. They both also conceived of writing as theatre, on the same level
of tragedy as life, and shared the same conviction that literature, like all forms of art,
has the power to do something for us. Despite their many points of contact in terms
of biography, poetics, and ethics, their works have never been the object of an exclusive
comparative study, a surprising omission that the substantial introduction of this study
sets out to elucidate. In fact, if the works of Artaud and Genet are often compared, it is
inevitably in a limited fashion: briefly, via a third author, and in terms of the theatre.
Yet all their writing is theatrical: it is the premise on which this, the first full-length
comparative study of their works, is based.
Firstly, I study Artaud and Genet’s conception of theatre from the perspective
of the tragic which they both privilege, because above all they value the reanimation
of their work performed by the reader. In fact, I engage with Genet and Artaud
as both writers and readers, analysing the singular way in which each takes
great figures from mythology, literature, and history, in order to introduce them,
irrespective of their provenance, into their own works. To demonstrate this work
of « reconfiguration » in Artaud and Genet, which is at once biographical, aesthetic,
and ethical, I analyse their treatment of Antigone, in Antigone chez les Français
and Journal du voleur.
Secondly, I examine how Artaud and Genet defy the dialectic of judgement
ruling the univocal reading which they oppose. In part, I focus on their defiance
in the texts that they composed in 1948 for the same radio broadcast, Pour en finir avec
le jugement de dieu and L’Enfant criminel (both of which were censored). And in part
I focus on the defiance they practice by way of a revelation that I call a writing
of fainting—which has nothing of the sublime in it, which in fact only retains
the structure of the interruption from the Hegelian Aufhebung, that is to say
the coup de theatre that it introduces in the deliberation of consciousness.
I further analyse the commentaries of Artaud on his drawings and numerous scenes
of fainting in Genet’s works.
Thirdly, I put forward an ethical way of approaching the troubling terms
« cruelty » and « treason » that Artaud and Genet have bequeathed us. More than
being notions, I propose, these are methods aiming towards a new mode of reading.
By the intervention of these anti-conceptual concepts Artaud and Genet invite us to live
in the same way they write and read, that is to say in the same way they see
the multiplicities of reality. As an exemplification, I advance a close reading
of Artaud’s Théâtre et son double in relation to Genet’s La Sentence
a text whose recent publication confirms the pertinence of the comparative approach
taken in this study.
Key Words: 20th century literature and theatre – comparative literature – Antonin
Artaud – Jean Genet – tragedy – fainting – dialectics – death – surrender – mastery
v
REMERCIEMENTS
Je tiens d’abord à remercier très chaleureusement mes directrices de recherche :
Ginette Michaud qui, depuis mes études de maîtrise, a énormément contribué
à l’élaboration de ma réflexion, notamment en me transmettant sa passion pour
la pensée de Jacques Derrida, et qui n’a jamais manqué de m’appuyer au fil des ans,
et Évelyne Grossman, qui m’a accueillie à Paris avec une affabilité inespérée,
qui, par son enseignement et toutes les paroles échangées, a vivement suscité
mon intérêt pour la théorie en littérature, et qui m’a soutenue de manière indéfectible.
Sans leur rigueur intellectuelle, sans leur confiance et leur lecture attentive,
rien n’aurait été possible.
Je remercie par ailleurs le Conseil de recherches en sciences humaines
du Canada, le Fonds québécois de la recherche en sciences humaines et le Ministère
des relations internationales du gouvernement français pour leur soutien financier,
qui m’a permis d’entamer et de terminer mes recherches.
Plusieurs personnes ont en outre participé à ce que ce travail voie le jour,
à qui va toute ma reconnaissance :
Albert Dichy, pour son appui et ses excellentes suggestions, pour son humour
indestructible et la joie toujours renouvelée de partager « le même Genet ».
Serge Malausséna, neveu d’Artaud, pour avoir eu la gentillesse de me
rencontrer et n’avoir compté ni son temps ni sa générosité.
Catherine Mavrikakis, pour la force de sa vision, et pour m’avoir fait découvrir
puis respecter, pour m’avoir fait aimer Artaud.
Michel Pierssens qui, le premier, m’a demandé « pourquoi Genet et Artaud ? »,
pour ses très précieux conseils et pour m’avoir toujours encouragée au voyage.
Jeff Rider, pour avoir vu en moi un professeur et une personne de confiance,
pour m’avoir permis d’enseigner dans la plus grande liberpour le Vassar-Wesleyan
Program in Paris, de même que Catherine Ostrow, Mark Humphries, Javier Guerrero,
Maurizio Vito, Christine Lalande et Robert Conn, pour m’avoir immédiatement
accordé leur amitié à Wesleyan University aux États-Unis.
Oliver Harris, Josée Beaudoin, Constance Harrison-Julien, Patrice Brunelle,
Marie Frankland, Art et Teri Fell, Ève Messier et Jonathan Guilbault pour leur soutien
technique et moral : pour leur inestimable présence dans la distance.
Arnaud Maïsetti, Mahigan Lepage, Nicolas Carrier, Delphine Leroux,
Lorraine Duménil, Thomas Newman, Sarah-Anaïs Crevier Goulet, Melina Balcázar,
Patrice Bougon, Hadrien Laroche, Karine Drolet, Sarah Clément et Geir Uvsløkk,
pour des discussions souvent enflammées venues renouveler ma pensée.
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