La science n’est donc pas un objet délimité et stable dans le temps. L’histoire des sciences a
pour objet les sciences, ce qui ne recouvre pas seulement l’histoire des théories et des concepts
scientifiques mais également l’histoire des acteurs, des institutions, de l’enseignement, de la
dynamique des savoirs. Elle est également liée à l’histoire sociale, culturelle, politique, . . .
Les objets d’étude d’une recherche en histoire des mathématiques sont donc multiples. Ils
peuvent être des individus, dans le cadre d’un projet biographique ou prosopographique 4,un
théorème, un objet mathématique, des correspondances, des journaux, . . .
Au cours du XXesiècle, deux courants historiographiques se sont développés dans l’histoire
des sciences : une histoire des idées qui voit les sciences comme ensemble de théories et de
concepts - vision dite internaliste - et une histoire sociale et culturelle qui appréhende les sciences
comme des pratiques culturelles et des organisations sociales - vision dite externaliste.Depuis
les années 1980, cette dualité tend à être dépassée par de nombreux historiens qui articulent les
deux approches. L’historienne des mathématiques Catherine Goldstein, dans un article consacré
à l’histoire des nombres sur la période 1870-1914 et à la question des méthodes quantitatives
dans l’histoire des mathématiques, propose toute une série de questions auxquelles on ne peut
répondre en adoptant une approche purement internaliste ou externaliste :
« Quels sont, à une époque donnée, les réseaux et les groupes sociaux, les institutions, les
organisations dans lesquels se pratiquent les mathématiques ? Qui sont les mathématiciens ?
Dans quelles conditions vivent-ils et travaillent-ils en mathématiques ?
Pourquoi font-ils des mathématiques, pourquoi s’intéressent-ils à un domaine particulier ?
Que signifie pour eux ce domaine ?
Comment et où ont-ils été éduqués, entraînés ? Où ont-ils appris les mathématiques de base
qui leur sont nécessaires ? Quelles sont-elles ? En quoi consiste par exemple la théorie des
nombres de base à cette époque, dans ce réseau, dans cette institution ? Comment le sujet
est-il présenté, son histoire comprise, décrite, transmise ?
Où ces mathématiciens trouvent-ils les problèmes à résoudre ? Quelle est la forme et l’origine
d’un problème ? Quand un résultat est-il considéré comme important, ou au moins intéres-
sant ? Selon quels critères ?
Qu’est-ce qu’une solution à un problème ? Qu’est-ce qui est prouvé, admis, tacitement ou
non ? Qui en décide ? Quand une preuve est-elle acceptée ou rejetée ? Quand une construction
explicite est-elle considérée comme indispensable, superflue ou parasite ?
Quand, où, comment les mathématiques sont-elles écrites ? Qu’est- ce qui est écrit ? Pour
qui ? Les résultats nouveaux, par exemple, sont-ils imprimés, appliqués, enseignés ?
Qu’est-ce qui est transmis ? À qui, comment, dans quelles conditions matérielles et intellec-
tuelles ?
Qu’est-ce qui change ; qu’est-ce qui reste fixe, quand, sur quelle échelle ? » [Goldstein 1999,
p. 187]
2 Périodisation historique et chronologie générale
2.1 Sur la notion de périodisation en histoire
Toute recherche historique s’appuie sur (au moins) une périodisation. En effet :
4. Sur la question des biographies et des prosopographies, voir [Rollet et Nabonnand 2012].
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