Frank-Lothar Kroll, Barbara Zehnpfennig (Hg.), Ideologie und

Francia-Recensio 2016/1
19.–20. Jahrhundert – Époque contemporaine
Frank-Lothar Kroll, Barbara Zehnpfennig (Hg.), Ideologie und Verbrechen.
Kommunismus und Nationalsozialismus im Vergleich, Paderborn (Wilhelm Fink
Verlag) 2014, 306 S., ISBN 978-3-7705-5639-7, EUR 39,00.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
David Gallo, Paris
Quels liens exacts les crimes de masse perpétrés par les totalitarismes qui ont marqué le XXe siècle –
le national-socialisme d’une part, les régimes communistes d’autre part – entretiennent-ils avec les
idéologies dont ces régimes se sont prévalus? Et peut-on comparer les rapports qu’entretenaient
idéologie et praxis politique au sein des deux systèmes?
Ces questions suscitent depuis longtemps la controverse, tant au sein de la communauté scientifique
que dans l’opinion publique. Elles prennent un relief particulier dans le paysage de la recherche
actuelle, où l’analyse des idéologies, que tendait à négliger une historiographie longtemps préoccupée
avant tout de reconstituer le fonctionnement et la pratique politique des régimes, semble connaître
une forme de renouveau – c’est notamment le cas depuis une décennie dans le champ de l’histoire du
nazisme. Le volume collectif publié aujourd’hui sous la direction de Frank-Lothar Kroll, professeur
d’histoire contemporaine à la Technische Universität Chemnitz et Barbara Zehnpfennig, titulaire de la
chaire de théorie politique et d’histoire des idées à l’université de Passau, et qui est issu de l’édition
2010 du colloque annuel organisé par la Deutsche Gesellschaft zur Erforschung des Politischen
Denkens (Société allemande pour l’étude de la pensée politique), survient donc à un moment
approprié pour interroger à nouveau les rapports entre idéologie et crime.
L’ouvrage, qui fait appel à des contributeurs issus d’un horizon pluridisciplinaire – historiens, juristes,
philosophes, politistes ou sociologues – est structuré en trois grandes parties. La première est
consacrée à une anatomie de la »pensée idéologique« (p. 11), à travers trois contributions
complémentaires. Rolf Zimmermann (Constance) met en évidence comment national-socialisme et
bolchevisme se sont chacun accompagnés de la création d’une normativité morale spécifique, en
rupture avec l’universalisme et la pensée des droits de l’homme, qui a contribué à légitimer leurs
crimes. Hendrik Hansen (Budapest) tente, quant à lui, de démontrer le caractère idéologique et
totalitaire de la pensée de Marx et le lien indissoluble qui lierait celle-ci à la pratique criminelle du
pouvoir au sein des régimes communistes. Enfin, s’appuyant sur une dissection de la pensée
hitlérienne, Barbara Zehnpfennig (Passau) avance l’idée que l’idéologie national-socialiste présente
un caractère bien plus systémique qu’on ne l’a longtemps cru, et analyse le parallélisme structurel qui
existe selon elle entre idéologie nazie et communiste, toutes deux se présentant comme des doctrines
séculaires du salut, prétendant guérir l’humanité d’un état de décadence, l’opération de guérison
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justifiant l’emploi de la violence contre les responsables de la chute.
La deuxième partie du volume rassemble quatre contributions qui ambitionnent de jeter un regard plus
rapproché sur les liens entre »idéologie et crime« (p. 91). Lothar Fritze (Dresde) analyse les stratégies
discursives de légitimation de la violence chez Marx puis chez les chefs bolcheviques, afin d’établir
comment l’idéologie révolutionnaire a fourni l’outillage moral permettant de justifier une pratique
politique ne reculant devant aucun moyen. Frank-Lothar Kroll (Chemnitz) brosse un panorama de la
genèse et du développement de l’antisémitisme nazi, qui le conduit à souligner l’importance, selon lui
centrale de l’idéologie parmi le faisceau de facteurs qui ont conduit au passage à l’acte génocidaire.
C’est à une conclusion analogue que parvient Wolfgang Bialas (Dresde), dont la contribution se
penche sur la construction d’une normativité nazie et d’une »éthique de la race« (p. 144), qui rendait
aux yeux de ses tenants le meurtre de masse à la fois envisageable, nécessaire et légitime. Eckhard
Jesse et Sebastian Liebold (Chemnitz) concluent enfin ce second temps de l’ouvrage en revenant sur
l’importance que les théories du totalitarisme, et tout particulièrement la notion d’ »idéocratie« (p. 175)
– permettant de saisir l’articulation entre idéologie et pratique criminelle du pouvoir – continuent selon
eux d’avoir pour la compréhension du national-socialisme et des régimes communistes.
La troisième et dernière partie de l’ouvrage se penche pour finir plus spécifiquement sur la
comparaison entre national-socialisme et communisme, et sur l’analyse des interactions entre les
deux systèmes. Friedrich Pohlmann (Fribourg-en-Brisgau) cherche dans une première contribution à
mettre en évidence les »similarités formelles« (p. 208) entre les deux idéologies totalitaires et les liens
génétiques entre les deux systèmes qui se sont nourris de leur hostilité mutuelle. La réflexion quitte
ensuite un temps le terrain de l’analyse des idées avec la contribution de Bogdan Musial (Varsovie),
qui se penche sur les liens politiques et économiques entre le »Troisième Reich« et l’URSS, et tout
particulièrement sur les années du pacte germano-soviétique. Les homologies structurelles
supposées entre les deux idéologies sont à nouveau au centre de la réflexion dans la contribution de
Manuel Becker (Bonn), qui compare les images de l’ennemi forgées par le pouvoir national-socialiste
et par le régime communiste de RDA, et souligne l’importance de ces représentations –
authentiquement crues et pas seulement instruments d’une pratique cynique du pouvoir – comme
»idéal guidant l’action« (p. 244) politique. Michael Stolleis (Francfort/Main) propose, quant à lui, une
esquisse de l’histoire du droit en RDA, soulignant l’attention que la recherche contemporaine devrait
porter à celle-ci ainsi qu’à son pendant pour l’Allemagne national-socialiste, afin de comprendre la
politisation et l’idéologisation du système juridique. Le volume se conclut par un texte de Jochen
Staadt (Berlin), qui livre une critique historique acerbe du discours antifasciste officiel de la défunte
RDA, montrant comment celui-ci a pu servir de paravent et d’alibi dissimulant l’intégration au sein du
régime de personnels, voire d’éléments idéologiques, marqués de l’empreinte du national-socialisme.
Ces différentes contributions ont, dans l’ensemble, pour principal mérite de proposer un
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renouvellement des problématiques de l’histoire des idées. On retiendra cependant tout
particulièrement les différents textes qui traitent de l’idéologie national-socialiste dans la mesure où,
contrairement à la pensée de Marx et de ses épigones, celle-ci n’a pas longtemps pas fait l’objet
d’études suffisamment attentives de la part de chercheurs qui sous-estimaient son caractère de
système de valeurs cohérent, quoique criminel et radicalement contraire à la modernité démocratique
– les réflexions de Rolf Zimmermann et de Wolfgang Bialas sur la normativité nazie sont à ce titre
remarquablement éclairantes. L’on sait également gré à nombre des contributeurs d’avoir
véritablement tenté l’exercice d’analyser les interactions entre les deux systèmes politiques étudiés et
de les comparer, en tentant de formuler des hypothèses d’une portée générale – tâche qui est loin
d’être aisée compte-tenu de la spécialisation et de la segmentation disciplinaire de la recherche. Si
cette démarche ne se voit pas partout accorder la même attention, l’écueil principal auquel se heurtent
nombre de volumes collectifs aux ambitions comparatistes, qui s’avèrent n’être que la juxtaposition
d’études de cas séparées, est néanmoins le plus souvent évité, ce qui ne peut que renforcer l’intérêt
scientifique du présent recueil.
Cependant, l’ouvrage n’est pas sans présenter quelques défauts importants. Le choix des
thématiques abordées apparaît ainsi critiquable. De fait, les deux dernières contributions – si elles
présentent, en elles-mêmes, un intérêt certain – n’apportent guère d’éclairages sur la problématique
du rapport entre idéologie et crimes, pourtant au cœur du volume. Il paraît a contrario regrettable que
d’autres pistes explorées par la recherche et qui auraient pu s’avérer fructueuses pour la réflexion sur
ce thème – ainsi par exemple la question de l’endoctrinement idéologique de la grande masse des
exécutants des régimes totalitaires et des bourreaux en charge de la mise en œuvre de leurs crimes
(fonctionnaires, policiers, soldats)1 – n’aient pas été exploitées.
L’on ne peut par ailleurs que déplorer le peu de nuance dont font preuve les différents contributeurs
dans l’usage du paradigme totalitaire. L’on conçoit sans difficulté que les auteurs puissent juger celui-
ci éclairant. L’on ne peut en revanche qu’être étonné qu’il soit utilisé tout au long de l’ouvrage sans
qu’aucune place ou presque ne soit faite au débat qu’il continue de susciter dans la recherche
internationale et aux réserves que nombre d’auteurs, notamment parmi les historiens, ont émis et
1 Pour ne citer que quelques-unes des principales contributions récentes à la recherche sur ce sujet dans le
champ de l’historiographie du nazisme: Jürgen Matthäus et al., Ausbildungsziel Judenmord? »Weltanschauliche
Erziehung« von SS, Polizei und Waffen-SS im Rahmen der »Endlösung«, Francfort/Main 2003; Phillip
Wegehaupt, »Wir grüssen den Hass!«. Die ideologische Schulung und Ausrichtung der NSDAP-Funktionäre im
Dritten Reich, Berlin 2012; Hans-Christian Harten, Himmlers Lehrer. Die Weltanschauliche Schulung in der SS
1933–1945, Paderborn, Munich, Vienne et al. 2014; Alexander Hoerkens, Unter Nazis? Die NS-Ideologie in den
abgehörten Gesprächen deutscher Kriegsgefangener in England 1939–1945, Berlin 2014. La question de
l’éducation politique et de la transmission de l’idéologie aux masses au sein des régimes communistes a fait
également l’objet de travaux particulièrement fructueux aux cours des dernières années – bien que ceux-ci soient
moins directement centrés sur les acteurs des politiques criminelles. Cf. entre autres: Emmanuel Droit, Vers un
homme nouveau? L’éducation socialiste en RDA, Rennes 2009; David Brandenberger, Propaganda State in
Crisis. Soviet Ideology, Indoctrination, and Terror under Stalin, 1927–1941, New Haven, Londres 2011; Alexandre
Sumpf, Bolcheviks en campagne. Paysans et éducation politique dans la Russie des années 1920, Paris 2011.
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continuent d’émettre quant à sa pertinence, son utilité et à sa valeur heuristique2 – réserves si
importantes que la réunion de nombre des plus importants spécialistes de l’histoire de l’Allemagne
nazie et de l’URSS au sein d’un volume collectif paru en 2009 s’est précisément faite sous le titre
»Beyond Totalitarianism«3, qui symbolise la volonté qui anime les auteurs de s’extraire du cadre du
totalitarisme, jugé simplificateur et contraignant, pour engager des comparaisons, abordées comme
autant de questions ouvertes. En l’absence d’une telle problématisation de la catégorie de
totalitarisme, qui semble au contraire être considérée par les différents contributeurs réunis par Kroll
et Zehnpfennig comme un acquis et une évidence, la question de la comparaison entre national-
socialisme et communisme n’est plus guère que rhétorique et ne peut que déboucher invariablement
sur des réponses mettant en avant leurs similitudes et minimisant leurs différences, au risque de
réduire sensiblement les fruits que l’on peut tirer l’exercice.
Enfin et surtout, c’est en son cœur même, dans le traitement de la question du lien entre »idéologie et
crime« que l’ouvrage dirigé par Kroll et Zehnpfennig présente une certaine fragilité que l’on peut
attribuer – tout comme sur la question du totalitarisme – à certain un manque de nuance. L’on ne peut
que s’accorder à souligner avec les auteurs l’importance de ne pas négliger la place de l’idéologie
dans le faisceau des facteurs qui peuvent expliquer les crimes de masse de l’Allemagne nazie et des
régimes communistes. L’on ne peut par contre que regretter que la quasi totalité des contributeurs
succombe à la tentation – pourtant dénoncée à juste titre dans l’introduction du volume (p.7–8) – de
développer une vision par trop téléologique et monocausale de l’histoire, qui fait des écrits
idéologiques autant de programmes dont la praxis politique découlerait directement et
nécessairement, et tend à oublier l’importance du contexte historique et la complexité des multiples
facteurs qui doivent être pris en compte pour expliquer le passage des représentations aux actions
criminelles. Cette vision excessivement réductrice condamne l’ouvrage à offrir »seulement la moitié de
la vérité«, ainsi que l’a souligné l’historien allemand Jörg Baberowski dans sa critique4.
En dépit du caractère stimulant de nombre des contributions réunies par Frank-Lothar Kroll et Barbara
Zehnpfennig, le débat sur les liens entre »idéologie et crime« attend donc toujours un traitement plus
complet et pleinement satisfaisant.
2 Cf. entre autres Jean Baudouin, Bernard Bruneteau (dir.), Le totalitarisme. Un concept et ses usages, Rennes
2014, pour un aperçu des controverses scientifiques autour du totalitarisme et plusieurs essais d’application
empirique du paradigme.
3 Sheila Fitzpatrick, Michael Geyer (dir.), Beyond Totalitarianism. Stalinism and Nazism Compared, Cambridge
2009.
4 Jörg Baberowski, Nur die Halbe Wahrheit, dans: Frankfurter Allgemeine Zeitung, 11.08.2014, article accessible
en ligne à l’adresse: http://www.faz.net/aktuell/politik/politische-buecher/frank-lothar-kroll-barbara-zehnpfennig-
herausgeber-ideologie-und-verbrechen-nur-die-halbe-wahrheit-13092312.html.
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