Francia-Recensio 2016/3
19. 21. Jahrhundert Époque contemporaine‒ ‒
Albrecht Riethmüller, Michael Custodis (Hg.), Die Reichsmusikkammer. Kunst
im Bann der Nazi-Diktatur, Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2015, 252 S., ISBN 978-
3-412-22394-6, EUR 29,99.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Élise Petit, Marne-la-Vallée
Cet ouvrage fait suite au colloque »Die Reichsmusikkammer. Im Zeichen der Begrenzung von Kunst«,
organisé en septembre 2013 à la Freie Universität de Berlin par Michael Custodis et Albrecht
Riethmüller. L’ambition de ces deux musicologues était d’offrir une étude détaillée, sinon exhaustive,
de la fameuse Chambre de musique du Reich ou RMK (Reichsmusikkammer), à laquelle peu
d’ouvrages avaient jusqu’à présent été consacrés, en se basant sur des sources méconnues ou
inexplorées. Les questionnements posés dans l’introduction sont multiples: comment la RMK se
situait-elle en regard des années Weimar? Comment ses membres étaient-ils centralisés, voire
»catégorisés«? Dans quelle mesure la RMK put-elle servir la propagande dans le cadre de la politique
extérieure du Troisième Reich? Rappelant d’emblée les luttes intestines entre acteurs culturels de la
RMK et le ministère de la Propagande dirigé par Joseph Goebbels, l’ouvrage entend également
expliquer certaines querelles esthétiques à la lumière d’enjeux de pouvoir politiques, parfois même
personnels. Bien que souhaitant se démarquer de la bibliographie existant sur le sujet, et trop souvent
consacrée à un acteur unique, l’ouvrage regroupe cependant majoritairement des articles consacrés à
une personnalité en particulier: le président Richard Strauss; Paul Graener – successeur de Wilhelm
Furtwängler à la vice-présidence en 1935; Werner Egk, représentant des compositeurs au sein de la
RMK; Heinz Drewes, bras droit de Goebbels au ministère de la Propagande; Paul Hindemith,
compositeur au destin malheureux sous le Troisième Reich. On regrettera ici qu’aucune contribution
n’ait été consacrée à Furtwängler.
L’article de Gerhard Splitt sur Richard Strauss se base sur les travaux de l’auteur et sur une
intéressante bibliographie mêlant études critiques et sources originales. Il apporte un éclairage, sinon
nouveau, du moins nécessaire sur le destin et les compromissions du compositeur avec le régime.
Preuves à l’appui, il rappelle également le prestige dont jouira toujours Strauss après son éviction de
la RMK en 1934, suite à sa prise de position en faveur de son librettiste Stefan Zweig. Après ce
portrait sans concession, Oliver Rathkolb met en lumière la »mise au pas« (Gleichschaltung) de la
RMK elle-même et son inféodation rapide au ministère de Goebbels. Très inspiré des travaux de Fred
Prieberg, l’article tente d’offrir des perspectives nouvelles en abordant, mais trop brièvement, un sujet
encore méconnu: celui de la place des femmes au sein de la RMK.
La contribution de Sophie Fetthauer sur l’enseignement »non-autorisé« de la musique sous le
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Troisième Reich est passionnante. Se basant sur un corpus restreint d’ordonnances promulguées
sous le IIIe Reich, Fetthauer montre concrètement comment l’exclusion, principalement des musiciens
juifs, s’est exercée, allant jusqu’à une forme de criminalisation avec des conséquences souvent
dramatiques, dans un climat de peur permanente et de dénonciations.
Andreas Domann livre un portrait édifiant de Paul Graener, vice-président de la RMK et dirigeant de
sa section des compositeurs de 1935 à 1941. Membre de la »Ligue de combat pour la culture
allemande« (Kampfbund für deutsche Kultur) d’Alfred Rosenberg dès 1930, Graener figure parmi les
personnalités culturelles sur lesquelles le régime peut compter. Malgré cela, Graener peinera à
imposer sa propre vision culturelle et sera davantage un »homme de main« de Goebbels. Son
sectarisme tout autant que sa cupidité mèneront à son remplacement par le compositeur Werner Egk.
Cette contribution révèle en filigrane le fonctionnement »polycratique« du régime national-socialiste,
où le pouvoir est partagé par de multiples interlocuteurs, au premier plan desquels Joseph Goebbels.
La personnalité et le parcours de Werner Egk sont au centre de la contribution de Friedrich Geiger,
qui livre un éclairage supplémentaire et indispensable sur les luttes au sein de la RMK. Alors que
Goebbels se lasse des prises de position conservatrices de Richard Strauss et de Paul Graener, Egk
saura faire figure de modéré, ce qui lui vaudra sa nomination à la tête de la section des compositeurs
de la RMK en 1941. Il y militera pour la création contemporaine et contre l’amateurisme ambiant.
Geiger aborde également les déboires d’Egk dans son entreprise de »dénazification« après la guerre.
Martin Thrun brosse, quant à lui, un portrait détaillé de Heinz Drewes, dirigeant de la section musique
au sein du ministère de la Propagande de 1937 à 1944. Cette section, aujourd’hui méconnue, a été
créée par Goebbels pour concurrencer la RMK. Son dirigeant, Heinz Drewes, décrit comme un
»fanatique«, exercera en définitive le contrôle véritable sur la création artistique sous le Troisième
Reich. Une fois encore, il est passionnant de constater le fonctionnement pluricéphale du régime en
matière de culture. Thrun fournit en outre des annexes très enrichissantes concernant les
collaborateurs de cette section. La toute-puissance de Goebbels sur la vie musicale est perceptible
dans la création elle-même.
Jürgen May nous en livre un exemple parlant avec un Lied de Richard Strauss aujourd’hui inconnu,
»Das Bächlein«, dédié à Goebbels et composé en 1933 en remerciement pour sa nomination à la
RMK. L’analyse musicale de May montre les influences schubertiennes et l’omniprésence de la figure
tutélaire de Goethe. En retraçant le parcours des créations du Lied de 1933 à 1942, May apporte un
éclairage tout à fait captivant sur les relations entre Strauss et Goebbels et complète en cela la
contribution de Gerhard Splitt. Susanne Schaal-Gotthardt s’intéresse pour sa part à un poème inédit
de Paul Hindemith, intitulé »Die Geflügelzucht« (»L’élevage de volailles«). Écrit en 1935 et envoyé à
son éditeur Willy Strecker, ce poème acerbe est inspiré par les personnages de la RMK. En nous
livrant ce poème – reproduit intégralement en annexe –, Schaal-Gotthardt montre la clairvoyance du
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compositeur quant au rôle de chacun au sein de la RMK, notamment l’arrogance et l’impuissance de
Strauss. Elle retrace par la même occasion les déboires de Hindemith avec le régime, des premiers
mois prometteurs à son exil en 1938.
La contribution d’Oliver Bordin porte sur l’engagement des chefs d’orchestre pendant la guerre. Se
basant sur un texte émanant du service de sécurité du Reich (RSHA), Bordin montre dans quelle
mesure certains chefs, particulièrement Herbert von Karajan, Eugen Jochum ou Hans
Knappertsbusch, ont contribué à l’effort de guerre en dirigeant dans les pays occupés. Si elle
n’apporte aucun élément nouveau sur une compromission déjà connue et étudiée, cette contribution
met, elle aussi, en valeur les conflits entre instances culturelles.
Michael Custodis clôt cet ouvrage avec une contribution consacrée à une personnalité totalement
oubliée, Fritz Stein, directeur de la section »Chorale et Volksmusik« au sein de la RMK. L’étude du
dossier de dénazification par Custodis montre comment certains acteurs culturels d’envergure ont pu
se dédouaner après la guerre, au nom du côté intrinsèquement »apolitique« de la musique.
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