Présentation clinique des patients porteurs d`une maladie à virus

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The New England Journal of Medicine
ARTICLE ORIGINAL
Présentation clinique des patients porteurs d’une maladie à virus Ebola
à Conakry (Guinée)
Elhadj Ibrahima Bah, M.D., Marie-Claire Lamah, M.D., Tom Fletcher, M.R.C.P.,
Shevin T. Jacob, M.D., M.P.H., David M. Brett-Major, M.D., M.P.H.,
Amadou Alpha Sall, Ph.D., Nahoko Shindo, M.D., Ph.D., William A. Fischer II, M.D.,
Francois Lamontagne, M.D., Sow Mamadou Saliou, M.D.,
Daniel G. Bausch, M.D., M.P.H.&T.M., Barry Moumié, M.D., Tim Jagatic, M.D.,
Armand Sprecher, M.D., James V. Lawler, M.D., M.P.H., Thierry Mayet, M.D.,
Frederique A. Jacquerioz, M.D., María F. Méndez Baggi, M.D.,
Constanza Vallenas, M.D., Christophe Clement, M.D., Simon Mardel, M.D.,
Ousmane Faye, Ph.D., Oumar Faye, Ph.D., Baré Soropogui, Pharm.D.,
Nfaly Magassouba, D.V.M., Ph.D., Lamine Koivogui, Pharm.D., Ph.D.,
Ruxandra Pinto, Ph.D., and Robert A. Fowler, M.D.C.M.
RESUME
Généralités
En mars 2014, l’Organisation mondiale de la Santé a notifié une flambée de virus Ebola souche Zaïre
dans une zone éloignée de Guinée. La flambée s’est ensuite propagée à la capitale, Conakry, et à des
pays voisins, pour devenir ensuite la plus vaste épidémie de maladie à virus Ebola enregistrée à ce
jour.
Méthodes
Du 25 mars au 26 avril 2014, nous avons réalisé une étude portant sur tous les patients présentant
une maladie à virus Ebola confirmée à Conakry. La mortalité était le critère de jugement principal.
Les critères secondaires comprenaient les caractéristiques du patient, les complications, les
traitements et les comparaisons entre survivants et personnes décédées.
Résultats
Sur 80 patients présentant des symptômes, 37 étaient porteurs d’une maladie à virus Ebola
confirmée en laboratoire. Parmi les cas confirmés, l’âge médian était de 38 ans (intervalle
interquartile : 28-46), 24 patients (65 %) étaient des hommes et 14 (38 %) étaient des agents de
santé ; parmi ces derniers, une transmission nosocomiale était intervenue dans 12 cas (32 %). Les
patients porteurs d’une maladie à virus Ebola confirmée s’étaient présentés à l’hôpital dans un délai
médian de 5 jours (intervalle interquartile :3-7) après l’apparition des symptômes, le plus souvent
avec de la fièvre (chez 84 % des patients ; température moyenne : 38,6°C), une fatigue intense
(65 %), de la diarrhée (62 %) et une tachycardie (fréquence cardiaque moyenne >93 battements par
minute). Parmi ces patients, 28 (76 %) ont été traités par administration de liquides par voie
intraveineuse et 37 (100 %) avec des antibiotiques. Seize patients (43 %) sont morts, avec un temps
écoulé médian entre l’apparition des symptômes et le décès de 8 jours (intervalle interquartile :
7-11). Par rapport aux patients de moins de 40 ans, ceux âgés de 40 ans ou plus présentaient un
risque relatif de décès de 3,49 (intervalle de confiance à 95 % : 1,42-8,59 ; p=0,007).
2
Conclusions
Les patients atteints d’une maladie à virus Ebola présentaient des signes de déshydratation associés
à des vomissements et à une diarrhée sévère. Malgré les tentatives de réplétion volumique, la
thérapie antimicrobienne et les services de laboratoire limités, le taux de mortalité était de 43 %.
Le virus Ebola est l’un des 3 membres de la famille des Filoviridae et comprend 5 espèces distinctes.
L’infection par le virus Ebola (ZEBOV) Zaïre a entraîné des taux de létalité historiquement élevés
jusqu’à 90 %.1 Les flambées avaient habituellement leur origine dans l’introduction de ce virus chez
les hommes à partir d’un réservoir animal sauvage, suivi d’une transmission interhumaine, souvent
alimentée par l’amplification nosocomiale dans des contextes de faibles ressources. Mise à part une
infection unique par le virus Ebola Tai Forest, l’Afrique de l’Ouest n’avait jamais vécu d’épidémie de
maladie à virus Ebola.2,3
La République de Guinée, sur la côte ouest de l’Afrique, est peuplée d’environ 11 millions
d’habitants, avec une espérance de vie à la naissance de 58 ans et un revenu national brut annuel de
970 $ internationaux et des dépenses en santé de 67 $ internationaux par habitant et par an.4
Conakry, la capitale et aussi la plus grande ville, avec une population d’environ 2 millions
d’habitants, est desservie par un certain nombre de grands hôpitaux, y compris lhôpital Donka (le
principal centre médical public et affilié à l’université), l’pital Ignace Deen et l’hôpital de l’Amit
sino-guinéenne, sans compter un certain nombre de cliniques privées.
Le 21 mars 2014, il a été formellement notifié à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) une
flambée de maladie à virus Ebola en évolution rapide, centrée sur la préfecture de Guéckédou, dans
la région forestière de la Guinée du sud-est, avec un potentiel de propagation aux zones limitrophes
au Libéria et en Sierra Leone.5 Les voyageurs infectés provenant de Guéckédou ont ensuite été les
points de départ de chaînes de transmission de la maladie à virus Ebola à Conakry, plus de 600 km
plus loin, marquant le début de la plus grande flambée urbaine de maladie à virus Ebola dans le
monde et annonçant la plus grande épidémie de cette maladie jamais observée, impliquant la
Guinée, la Sierra Leone, le Libéria, le Nigéria, le Sénégal et le Mali.6 Une flambée concomitante, mais
sans lien épidémiologique, a aussi été repérée en République démocratique du Congo.6
Les soins aux patients porteurs d’une maladie à virus Ebola à Conakry ont été dispensés au départ
sur 2 sites : l’pital de l’Amitsino-guinéenne, s’occupant principalement de la flambée
nosocomiale de grande ampleur touchant le personnel soignant, et une unité de traitement Ebola
indépendante, mise en place dans le périmètre de l’hôpital par le Ministère de la santé, avec l’appui
de Médecins sans frontières et de l’OMS. Le 31 octobre 2014, le Ministère guinéen de la santé avait
notifié un total cumulé de 1667 cas cliniques de maladie à virus Ebola (y compris 1018 décès), dont
244 cas (et 98 décès) à Conakry ; au total, 13 562 cas (et 4950 décès) ont été notifiés dans
l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.7 Nous décrirons dans cet article les caractéristiques
démographiques et cliniques des patients lors de leur présentation, l’évolution clinique de la maladie
à virus Ebola et les critères de jugement pour la totalité des patients admis pour être soignés à
Conakry, sur une période d’un mois, à l’apparition de la flambée.
METHODES
Schéma de l’étude
Nous avons mené une étude observationnelle rétrospective sur tous les patients chez lesquels on
suspectait ou l’on avait confirmé la présence d’une maladie à virus Ebola à Conakry, du 25 mars au
26 avril 2014 (Fig. S1 dans l’appendice supplémentaire, disponible avec le texte complet de cet
article sur NEJM.org). Nous avons utilisé une définition de cas standard, établie par l’OMS et le
3
Ministère guinéen de la santé (Tableau S1 dans l’appendice supplémentaire). La confirmation en
laboratoire de la maladie à virus Ebola se fondait sur les résultats d’une épreuve de RT-PCR (reverse-
transcriptase-polymerase-chain-reaction) quantitative, réalisée dans un laboratoire installé l’hôpital
Donka par l’Institut Pasteur de Dakar au Sénégal. Le personnel de ce laboratoire faisait appel à la
RT-PCR avec sonde Taqman rapide pour détecter le virus Ebola, en utilisant des sondes de ce type
marquées 5-FAM et 3-TAMRA et un thermocycleur portable TD. L’ARN du virus dans les échantillons
provenant des patients était dosé selon la norme crite par Weidmann et al.,8 qui prévoit la
dilution de l’échantillon à une copie par million de copies et son analyse en 4 exemplaires pour
construire une courbe standard destinée à estimer le nombre de copies du génome. On effectuait
éventuellement par la suite une recherche des anticorps contre le virus Ebola par une épreuve
d’immuno-absorption enzymatique (ELISA), si nécessaire. Les patients étaient traités conforment
à des protocoles établis pour les fièvres hémorragiques virales par Médecins sans frontières et l’OMS
dans le guide d’urgence provisoire pour la prise en charge des cas, approuvé par le Ministère de la
santé.9,10
Collecte des données
Les formulaires de collecte des données recensent notamment des données épidémiologiques et
démographiques, les antécédents d’exposition, la profession et les déplacements récents, les
symptômes, leur date d’apparition, les signes vitaux lors de l’admission et les antécédents médicaux.
Sont également enregistrés les symptômes journaliers, les signes vitaux, les complications, les
traitements, les résultats des analyses de laboratoire lorsqu’ils sont disponibles et les critères de
jugement. L’équipe de prise en charge clinique a recueilli des données chez les patients admis dans
des unités de traitement Ebola. Les données d’admission ont été examinées chaque jour par des
cliniciens. L’approbation et l’éventuelle dispense de consentement éclairé écrit ont été délivrées par
les comités d’examen étique pour le Gouvernement guinéen et l’OMS.
Analyse statistique
Nous avons fait appel au test de Student, au test exact de Fisher et au test de Wilcoxon (rank-sum),
selon les besoins, pour déterminer l’association entre la mortalité et les variables cliniques que sont
l’âge, le sexe, la profession, la présence ou non d’une hémorragie gastro-intestinale, le nombre de
jours entre l’apparition des symptômes et la présentation, et la charge virale à la présentation. Nous
avons utilisé des méthodes de Kaplan-Meier et des tests log-rank pour déterminer les courbes de
survie pour divers groupes de patients, en considérant l’intervalle entre l’apparition des symptômes
et le décès pour les personnes ayant survécu moins de 28 jours, et des données limitées à 28 jours
pour les survivants. Nous avons étudié les associations entre les variables susmentionnées et le
décès dans le cadre d’analyses univariées.
Nous avons mis en œuvre une analyse utilisant la régression de Poisson multivariée, avec des erreurs
types solides, pour explorer nos 3 principales hypothèses formulées d’après des éléments cliniques,
à savoir les associations entre la mortalité d’une part et un âge plus avancé, un intervalle plus long
entre l’apparition des symptômes de la présentation dans l’unité de traitement ou une charge virale
plus importante, d’autre part.11,12 Nous avons étudié la survie en fonction de l’âge en utilisant une
représentation graphique en nuages de points et des tranches d’âge de 5 ans pour déterminer les
comparaisons dichotomiques selon l’âge les plus appropriées. Nous avons fait appel aux
transformées logarithmiques des charges virales pour dresser des comparaisons primaires entre
survivants et personnes décédées et pratiquer des analyses de sensibilité en répartissant de manière
dichotomique les charges virales en 2 séries de valeurs (inférieures à la médiane de l’échantillon
contre supérieures ou égales à la médiane de l’échantillon et <100 000 copies par millilitre contre
100 000 copies par millilitre). Tous les tests statistiques étaient des tests à 2 queues, avec une
4
valeur de p<0,05, considérée comme indiquant une significativité statistique. Toutes les analyses ont
été réalisées avec le logiciel SAS, version 9.3 (SAS Institute) et avec le logiciel R, version 2.15.1.
RESULTATS
Patients étudiés
Quatre-vingt patients présentant des symptômes répondant à la définition d’un cas suspect de
maladie à virus Ebola ont été admis dans les 2 unités de traitement de Conakry. Chez 37 de ces
patients (46 %), une maladie à virus Ebola a été confirmée par RT-PCR pour 36 d’entre eux (97 %) et
par détection des anticorps IgG grâce à la méthode ELISA après un résultat négatif à la RT-PCR pour
le dernier (Tableau 1). Celui-ci manifestait des symptômes cliniques compatibles avec une maladie à
virus Ebola et avait été en contact étroit avec un autre patient chez lequel la présence de la maladie
avait été confirmée.
L’âge médian des cas confirmés était de 38 ans (plage de variation : 19-61) et 24 de ces cas (65 %)
étaient des hommes. Le mécanisme de mise en contact le plus courant était la vie dans un même
foyer, ce qui donnait des groupes de cas familiaux totalisant 23 cas (62 %). Quatorze patients (38 %)
étaient des agents de santé, ayant subi une transmission nosocomiale pour 12 des 34 malades
(35 %) La participation à des cérémonies funéraires des cas confirmés représentait un facteur de
risque supplémentaire pour 6 de ces patients (16 %).
Tableau 1. Caractéristiques, symptômes, signes vitaux, évolution clinique au cours du temps de
37 patients porteurs d’une maladie à virus Ebola confir*
Variable
Age médian (IIQ)an
Sexe masculin Nbre (%)
Agents de santé Nbre (%)
Oui
Non
Mécanisme de mise en contact connu Nbre/Nbre total (%)
Soins de santé
Foyer
Funérailles
Pathologie coexistante connue Nbre (%)
Hypertension
Virus de l’immunodéficience humaine
Diabète
Insuffisance rénale
Tuberculose
Paludisme lors de la présentationNbre (%)
Symptômes Nbre/Nbre total (%)
Fièvre
Grande fatigue
Diarrhée
Céphalées
Vomissements
Anorexie
Signes vitaux à l’admission
Température – °C
Fréquence cardiaque battements/min
Pression artérielle systolique mm Hg
Valeur
38 (28-46)
24 (65)
14 (38)
23 (62)
12/34 (35)
23/37 (62)
6/37 (16)
2 (5)
2 (5)
1 (3)
1 (3)
1 (3)
4 (11)
31/37 (84)
24/37 (65)
23/37 (62)
12/21 (57)
21/37 (57)
16/37 (43)
38,6 ±-1
93 ± 14
125 ± 25
5
Intervalle médian entre l’apparition des symptômes (IIQ)jours
et l’admission à l’pital
et le décès
5 (3-7)
8 (7-11)
* Les valeurs correspondent à des moyennes plus ou moins l’écart-type. IIQ désigne l’intervalle interquartile.
† Certains patients avaient subi plus d’une exposition.
Les caractéristiques cliniques à la présentation était non spécifiques et comprenaient de la fièvre
chez 31 patients (84 % ; température moyenne : 38,6°C), une grande fatigue chez 24 patients (65 %),
des symptômes gastro-intestinaux [pour 23 patients de la diarrhée (62 %) et pour 21 des
vomissements (57 %)], des céphalées chez 12 des 21 patients évalués (57 %) et de lanorexie chez
16 patients (43 %) (Tableau 1). Lors de l’admission, les patients présentaient une tachycardie
modérée (valeur moyenne ±SD, 93 ± 14 battements/min), avec une pression systolique moyenne de
125 ± 25 mm Hg. Des crises de hoquet se sont produites chez 28 % des patients pendant la période
d’hospitalisation. En moyenne, le temps écoulé entre l’apparition des symptômes et la présentation
était de 5 jours (intervalle interquartile : 3-7). Une solution de réhydratation orale a été administrée
à 36 patients (97 %) et 28 patients (76 %) ont reçu en plus une réanimation liquidienne par voie
intraveineuse (Tableau 2). Un volume médian de 1 litre de cristalloïdes IV a été administré pendant
les premières 24 heures suivant l’admission. Des antibiotiques ont été administrés de manière
empirique à 37 patients (100 %) manifestant des symptômes gastro-intestinaux et un traitement
combiné à base d’artémisinine a été délivré à 7 patients (19 %), dont 4 présentaient une infection à
Plasmodium falciparum confirmée par un test diagnostique rapide. Un patient (3 %) a bénéficié
d’une oxygénothérapie d’appoint pour traiter une hypoxémie.
Tableau 2. Traitements reçus par 37 patients hospitalis pour une maladie à virus Ebola
Traitement
Solution de réhydratation orale Nbre (%)
Solutés intraveineux Nbre (%)
Volume médian de soluté de cristalloïdes administré dans les
premières 24 heures (IIQ) litres
Traitement antibiotiqueNbre (%)
Aucun
Ciprofloxacine
Ceftriaxone
Cefixime
Amoxicilline acide clavulanique
Traitement antipaludique Nbre (%)
Oxygénothérapie d’appoint Nbre (%)
Valeur
36 (97)
28 (76)
1 (1-1)
37 (100)
20 (54)
13 (35)
5 (14)
1 (3)
7 (19)
1 (3)
Pendant les 3 premières semaines de la flambée, aucun test clinique systématique en laboratoire
clinique n’était disponible. Pendant approximativement une semaine, nous avons fait appel à un
système de diagnostic au point de soins i-STAT utilisant des cartouches CHEM8+ et CG4+ (Abott
Point of Care) pour pratiquer des tests diagnostiques chez 3 patients présentant des symptômes
cliniques au centre de traitement. Chez 1 patient, nous avons relevé un dysfonctionnement prérénal
sévère [taux de créatinine : 13,9 mg/dl (1229 µmol/l) ; azote d’urée dans le sang >140 mg/dl
(>50,0 mmol/l), s’accompagnant d’une acidose métabolique (pH : 7,21 et lactates : 7,4 mmol/l)], ces
chiffres s’améliorant avec l’administration d’environ 5 litres de soluté de cristalloïdes IV par jour
pendant 3 jours [taux de créatinine : 2,4 mg/dl (212 µmol/l) ; azote d’urée dans le sang : 40 mg/dl
(14,3 mmol/l) ; pH : 7,46 et lactates : 1,1 mmol/l]. Des résultats similaires ont été enregistrés chez un
deuxième patient [taux de créatinine : 4,9 mg/dl (433 µmol/l) ; azote d’urée dans le sang : 73 mg par
décilitre (26,1 mmol/l), résultats probablement dus à une diarrhée intense (potassium : 2,4 mmol/l
et bicarbonate : 15 mmol/l), qui s’est également résolue après l’administration d’approximativement
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