Prévenir les RPS par le management du travail
Management du travail
Les cahiers des rps
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Que ce soit au regard de questions liées à l’amélioration de la
performance, à des changements d’organisation du travail ou à la
prévention des risques professionnels, les pratiques de management
sont à la fois pointées comme une source de dysfonctionnement et
comme un levier d’action. L’attention grandissante portée à la
prévention des risques psychosociaux n’a fait que renforcer cette
tendance. Le management apparaît, ainsi, éloigné du travail et facteur
de contraintes plus que de soutien. On reproche aux managers des
pratiques managériales inadaptées (pression, stress, contrôle) tout en
regrettant son absence.
Plus globalement, les salariés dénoncent des modes d’organisation et
de gestion qui ont conduit à multiplier les objectifs de performances
(productivité, qualité, réactivité, flexibilité) et à accroître les
contraintes et les contradictions sur la scène du travail. Ce sentiment
de mal-être lié aux évolutions croisées entre le travail et le management
n’est pas sans effet sur la santé des salariés et la performance des
entreprises. Ces dernières sont confrontées à des problèmes
d’absentéisme ou de désengagement de leur personnel avec, au final,
des dysfonctionnements qui affectent la performance et engendrent
des coûts. Dans ce contexte, une contestation de fond du
management contemporain et de ses dérives émerge et les entreprises
sont invitées à agir. Si la plupart sont conscientes des liens entre le
management et les conditions de travail, les actions engagées sont
encore rares, limitées et peu efficaces. La crainte d’ouvrir une boîte de
Pandore, d’aborder des sujets sensibles et de ne pas disposer des
marges de manœuvre suffisantes pour agir sur l’ensemble du système
limite, sans aucun doute, l’ambition des entreprises. Cette frilosité
s’explique, aussi par la difficulté à appréhender ce sujet et à ouvrir, au
sein des entreprises, des discussions sur les tensions et paradoxes
inhérents à l’activité de travail. Les situations de mal-être sont souvent
perçues comme des fragilités individuelles, des difficultés
d’adaptation, les conséquences d’une défaillance du management de
proximité et non pas, comme les signes d’une crise plus générale du
travail et de ses modes d’organisation et de mobilisation. L’absence de
modèle alternatif, visant à réconcilier, en profondeur, le travail et le
management ne facilite pas l’émergence de nouvelles pratiques. Faute
de repères communs sur le travail et d’échanges sur les besoins de
soutien et de régulation à satisfaire, les acteurs de l’entreprise peinent
ainsi à ouvrir de nouvelles voies pour manager autrement.
Vers quels modèles, quelles pratiques de management devons-
nous aller pour garantir une meilleure performance sociale et
économique des organisations ? Comment réconcilier le travail et
le management et accompagner les entreprises vers le
développement de processus de régulation collectif pertinents ?
A partir de travaux de capitalisation conduits au sein du réseau de
l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail
(ANACT), plusieurs pistes ont pu être avancées pour organiser
autrement les relations entre le travail et le management. En
complément d’une approche macro, militant pour une refonte du
modèle économique et d’une approche micro, misant sur une
évolution des compétences managériales, nous proposons une voie
alternative que nous désignons comme le modèle du management du
travail (Conjard, 2014). Fondé sur le principe d’un management en
soutien à la réalisation de l’activité, ce modèle remet en avant
l’importance du travail de régulation opéré par les managers. Dans un
contexte incertain, il s’agit de reconnaître et de faciliter leur travail
d’organisation du travail (De Terssac, 2013) et de les aider à « préparer
le travail d’une façon qui favorise sa réalisation, dans les situations
réelles » (Daniellou, 2002). En insérant la fonction managériale dans
son environnement global, cette approche vise, de façon cohérente, à
faire évoluer l’ensemble des processus de management, de gestion des
ressources humaines et de dialogue social. Au-delà de l’évolution des
compétences managériales et d’un appel à plus de bienveillance des
managers, c’est un changement profond des modes de fonctionnement
de l’entreprise que nous défendons ici. Si l’appropriation de ce nouveau
cadre de réflexion par les acteurs de l’entreprise emprunte des voies
diverses, l’analyse de l’activité managériale et la conduite
d’expérimentations dans le cadre d’une démarche concertée sont,
comme l’illustre l’étude de cas présentée ci-dessous, des points de
passage nécessaires pour espérer de réelles transformations.
Des initiatives pour amorcer un changement de paradigme
Afin de répondre à des demandes de ses Caisses Régionales le
traitement de la thématique des conditions de travail a été initié par
cette fédération nationale d’employeur d’un groupe bancaire. Cette
instance, qui joue le rôle de chambre professionnelle, est une instance
de réflexion, d’expression et de représentation des caisses, c’est à son
niveau que les accords groupe se négocient. Dans un contexte
marqué par le signalement de troubles psychosociaux avec des
attentes plus ou moins fortes des partenaires sociaux des caisses
régionales, Direction et représentants du personnel ont souhaité
sérier les problèmes et objectiver la situation en matière de conditions
de travail. Cette approche se distingue des approches classiques en
matière de stress ou de santé au travail, elle traduit la volonté de
traiter les véritables causes plutôt que les « symptômes » en menant
des analyses profondes de l’organisation sur le terrain et en écoutant
les salariés. Par ailleurs, un accord préalablement signé en novembre
2007 abordait des problématiques relatives à la conduite de projet, la
prévention du stress et du harcèlement, la préparation au
changement permanent (formation, mobilité, lisibilité des métiers) et
la gestion des incivilités.
L’objectif des partenaires sociaux au démarrage du projet est d’aboutir
à un nouvel accord centré sur l’organisation du travail avec l’ambition
de proposer des solutions répondant au triptyque, « relation et service
client, bonne marche de l’entreprise et bien-être au travail ».
Le cadre méthodologique de l’intervention proposée par les
intervenants de l’Anact, sollicités pour accompagner l’engagement de
ce projet, s’inscrit dans cette perspective d’objectivation des conditions
de réalisation du travail et de mise en débat dans des espaces d’échange
paritaire d’éléments à la fois quantitatifs (8400 questionnaires) et
qualitatifs (investigations de terrains et groupes de travail managers).
L’objectif est d’alimenter le dialogue social à partir de l’analyse des
conditions de réalisation du travail et d’impulser de nouvelles
pratiques tant sur le plan du dialogue social au niveau national que de
l’organisation du travail au sein des caisses régionales. Il ne s’agit pas
ici de restituer l’ensemble des dimensions, effets et résultats de cette
démarche. Nous ne reprenons donc que les matériaux susceptibles
d’illustrer et d’apporter des éléments de réponse à notre réflexion sur
l’élaboration d’un modèle alternatif de management.
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