Les cahiers des rps risques Psycho Sociaux Prévenir ensemble Les risques d’atteinte psychologique au travail Editorial Management et régulation du travail • Prévenir les RPS par le management du travail, P. Conjard, • Ouvrir des espaces de discussion pour manager le travail, P. Conjard, • La notion de régulation : un élément déterminant dans la compréhension des risques psychosociaux, F. Martini Dossier Colloque • Retour sur le Colloque Prévention des RPS. Comment faire ? Retour d’expérience et Bonnes pratiques, 17 juin 2014 - Parc CHANOT, S. Mocaer - La politique de prévention au sein de la Fondation Patronage Saint-Pierre-Actes, S. Tavernier, - La prévention des risques psychosociaux au sein de la Fondation PSP-Actes du point de vue des élus CHSCT, C. Mazzoni, - Dialogue social territorial et prévention : les Matinales RPS, C. Revest, - Où en est-on de la loi de juillet 2011 réformant l’organisation de la médecine du travail en PACA ?, N. Grolleau, - Comment garantir la mise en oeuvre d’un plan d’action de prévention des RPS suite à un diagnostic ? Comment pérenniser une culture de prévention des RPS après l’intervention d’un consultant ?, T. Holz, C. Peytavin, - La Qualité de Vie au Travail : une voie pour innover, J. Pelletier. Pratiques • Le collectif PACA-CORSE des psychologues en SST (CPCP-SST) Mutualiser pour mieux accompagner, P. Bodin, M. Chevassu, C. Cypowyj, E. Rabillard-Delaurat, F. Mattei, J.P. Matz, L.Soulie, D. Teste • Risques pour la santé : à qui demander la suspension du PSE ?, carnet juridique www.cfdt.fr . Conditions de travail • Les effets pervers de la pression organisationnelle, M. Correia • Des placardisés dans un état de droit : s'opposer à l'ostracisme, S. Roubaud • Reprise de l’intensification du travail chez les salariés, Dares Analyses, www.travail-emploi.gouv.fr. Publications Revue • Recueil des articles traitant des méthodes d’évaluation depuis le 1 er fps/rps Revue biannuelle N°24 Décembre 2014 numéro des Cahiers des Sommaire Les cahiers des rps Le Vérone ZI Jeanne d’Arc 27 bd Charles Moretti 13014 Marseille Tél. : 04 91 62 74 09 Fax : 04 91 62 72 45 Email : [email protected] Décembre 2014 4 Editorial Management et régulation du travail Publication biannuelle Directeur de la publication Franck Martini 6 10 14 COMITE EDITORIAL Muriel Gautier Marc Souville Sandrine Mocaer CORRECTIONS Valérie Aiguesparses • Prévenir les RPS par le management du travail • Ouvrir des espaces de discussion pour manager le travail • La notion de régulation : un élément déterminant dans la compréhension des risques psychosociaux Dossier Colloque 19 • Retour sur le Colloque Prévention des RPS. Comment faire ? Retour d’expérience et Bonnes pratiques, 17 juin 2014 - Parc CHANOT n n MAQUETTE Hania Djebbar / 06 76 01 00 42 n EDITEUR CATEIS www.cateis.fr EURL au capital de 24 000 euros n n Siège social : Le Vérone ZI Jeanne d’Arc 27 bd Charles Moretti 13014 Marseille n FINANCEUR DIRECCTE PACA 23/25, rue Borde 13285 Marseille Cedex 08 04 86 67 33 96 IMPRIMEUR SPI - Septèmes Dépôt légal : février 2005 ISSN : 1772-7642 La politique de prévention au sein de la Fondation Patronage Saint-Pierre-Actes La prévention des risques psychosociaux au sein de la Fondation PSP-Actes du point de vue des élus CHSCT Dialogue social territorial et prévention : les Matinales RPS Où en est-on de la loi de juillet 2011 réformant l’organisation de la médecine du travail en PACA ? Comment garantir la mise en œuvre d’un plan d’action de prévention des RPS suite à un diagnostic ? Comment pérenniser une culture de prévention des RPS après l’intervention d’un consultant ? La Qualité de Vie au Travail : une voie pour innover Pratiques RCS Marseille B 419 867 551 Agréé expert CHSCT Habilité IPRP N°24 34 35 • Le collectif PACA-CORSE des psychologues en SST (CPCP-SST) Mutualiser pour mieux accompagner • Risques pour la santé : à qui demander la suspension du PSE ? Conditions de travail 37 41 46 • Les effets pervers de la pression organisationnelle • Des placardisés dans un état de droit : s'opposer à l'ostracisme • Reprise de l’intensification du travail chez les salariés 48 Publications 50 Revue • Recueil des articles traitant des méthodes d’évaluation depuis le 1er numéro des Cahiers des fps/rps www.sante.securite-paca.org édito Ce nouveau numéro de la revue est construit autour de quatre grandes rubriques. Dans l’ordre, et sans priorité, le compte-rendu du colloque sur la prévention des RPS, co-organisé par la Direccte PACA, la Carsat Sud-Est, la MSA et Act Méditerranée, un dossier consacré aux questions de la régulation du travail, une rubrique « Pratiques » qui met au centre des éléments d’actualité et enfin une rubrique « Conditions de travail » qui fait le lien entre cette thématique et les risques psychosociaux. Le colloque régional « Prévention des RPS - Comment faire ? Retours d’expérience et bonnes pratiques » qui s’est tenu à Marseille en juin 2014 visait d’abord à dégager des pistes communes de bonnes pratiques. Il marquait de ce fait une avancée par rapport aux colloques précédents, puisque la perspective était moins de sensibiliser que de commencer une réelle capitalisation à partir des démarches existantes. Articulé autour de témoignages d’entreprises et d’apports d’acteurs institutionnels, il a mis en avant différentes catégories de bonnes pratiques : pérenniser la démarche, illustrer la culture de prévention, développer la régulation sociale. On mesure l’évolution de la réflexion également aux attentes du public. Une large place est donnée dans ce dossier aux retours et attendus exprimés par les participants. Cette initiative a également mis en relief la continuité de l’action publique dans la prévention des risques psychosociaux. Sur des échelles de temps court (dix ans) on s’aperçoit d’une réelle montée en compétence de nombreux acteurs et d’une avancée dans le niveau de questionnement des entreprises et des préventeurs. Il est manifeste que la dynamique régionale n’est pas un facteur neutre pour expliquer cet état de fait. Puisque l’on évoque les évolutions à l’œuvre du côté des préventeurs il convient de mentionner le texte du collectif PACA-CORSE des psychologues en Services de Santé au Travail (CPCP-SST) – « Mutualiser pour mieux accompagner ». Au niveau national, se sont organisés des échanges interservices entre psychologues exerçant en SST, regroupés aujourd’hui au sein de l’association « Reliance et Travail ». « Sur la région PACA et la Corse, en 2010, l’initiative a été reproduite par les services interentreprises avec comme objet la mutualisation des pratiques et le soutien interprofessionnel au sein d’un réseau : « collectif PACA-Corse des psychologues SST ». Ce réseau a pu bénéficier de l’appui de leurs directions respectives ». Là aussi on peut mesurer le chemin parcouru. Il y a dix ans il n’existait pas en PACA de psychologues au sein des SST. La diversité des thématiques d’échange au sein de ce collectif reflète la variété de cette activité en SST (prévention des Risques Psychosociaux (RPS), des conduites addictives en milieu de travail, promotion de la Qualité de Vie au Travail (QVT), accompagnement aux changements, analyse des comportements à risques, prévention de la désinsertion professionnelle, cellule d’urgence et de crise…). Ce sont ce type de lieux qui vont aider à faire émerger la professionnalité des préventeurs de demain. Le dossier relatif à la régulation doit nous permettre de réfléchir à une notion qui reste innovante et en tout cas peu familière de beaucoup d’acteurs. Elle représente pourtant un tournant et il s’agit d’en tirer les conséquences. On a souvent procédé à un inventaire des facteurs d’exposition aux risques psychosociaux (intensification du travail, changements…). Cette phase était essentielle et on ne pouvait en faire l’économie. Néanmoins elle laisse dans l’ombre deux questions. La première est qu’elle ne saisit pas les 4 Les cahiers des rps éditorial dynamiques à l’œuvre au sein des situations de travail, la seconde qu’elle ne permet pas d’approcher de manière satisfaisante l’équilibre entre les contraintes et les ressources dont dispose l’opérateur pour faire face à l’exposition. Sur ces deux points l’approche de la régulation, qu’elle soit abordée sous l’angle du management du travail ou sous celui de la régulation des situations de travail permet d’incontestables progrès. Elle a aussi le mérite de mettre à jour de manière pratique et concrète le rôle de l’activité managériale et de dégager un mode d’analyse qui ne fait pas des managers les éternels bouc émissaires des risques psychosociaux. Dans son texte « Prévenir les RPS par le management du travail » Patrick Conjard, chargé de mission à l’ANACT, pointe bien ce problème : « Que ce soit au regard de questions liées à l’amélioration de la performance, à des changements d’organisation du travail ou à la prévention des risques professionnels, les pratiques de management sont à la fois pointées comme une source de dysfonctionnement et comme un levier d’action ». Il poursuit en faisant le lien entre la question du management et de l’activité, longtemps tenues dans des champs cloisonnés : « Pour nous, manager le travail, c’est prendre en compte le travail, ses conditions de réalisation, les besoins de reconnaissance et de régulation dans les processus et pratiques de management afin d’améliorer la performance collective et la Qualité de Vie au Travail ». De fait, et il faudrait plus de place que cet éditorial pour en faire la démonstration, sans une régulation managériale efficace (et dont il faut définir les conditions) toute organisation dérive vers une exposition forte aux risques psychosociaux. On ne pourra que difficilement se passer de cette notion dès que l’on voudra par ailleurs analyser toute situation de travail du point de vue des risques psychosociaux. Il faudra dès lors que les préventeurs se l’approprient et en fassent un objet d’échange et de discussions. Tout cela dans un contexte où les conditions de travail ne semblent pas s’améliorer, en particulier du point de vue de l’évolution des organisations et des rythmes de travail. Dans le dernier numéro de DARES Analyses (N° 49, juillet 2014) il est noté : « Entre 2005 et 2013, pour les salariés de France métropolitaine, les changements organisationnels ont repris et les contraintes de rythme de travail se sont accrues, après la relative stabilisation enregistrée entre 1998 et 2005. Cette intensification a été plus marquée dans la fonction publique que dans le secteur privé. L’usage de l’informatique dans le travail poursuit sa progression à un rythme rapide. D’ailleurs, le contrôle ou suivi informatisé du travail est la contrainte de rythme qui s’est le plus diffusée ». Cette perception de la réalité du travail aujourd’hui est à mettre en contrepoint avec ce que nous dit Mario Correia dans sa 5 N°24 - Décembre 2014 contribution : « Les effets pervers de la pression organisationnelle ». Son approche, très documentée, décrit la nature et la forme des réorganisations qui ont eu cours ces dernières années. « (…) entre 2002 et 2007, plus de 5 000 cas de restructuration ont eu lieu en Europe, ce qui représente une perte annoncée d’un peu plus de 2,9 millions d’emplois (CE, 2009) ». Le recul est important pour prendre correctement la mesure des choses. Et pour l’auteur elles ont des effets massifs sur le travail lui-même : « Or, ces évolutions ont des effets relativement concordants : les activités professionnelles comme la manière de les assurer sont de moins en moins prévisibles. L’incertitude devient une norme organisationnelle que les salariés sont obligés d’intégrer et de gérer pour parvenir à réaliser le travail demandé ». Cela induit, à son tour, des conséquences sur ceux qui travaillent, en tout cas sur leurs modalités de gestion des contraintes organisationnelles. Les postures de retrait, de mise à distance du travail, de mécanisation de l'engagement sont dévastatrices pour l'organisation car elles transforment l'acteur en réceptacle passif des contraintes organisationnelles. Or dans toute organisation, le respect strict des procédures, c’est-à-dire l'absence de contournement des règles, ne peut que conduire à la paralysie ou au déclin de celle-ci. Par une forme de retournement la pression organisationnelle arrive à produire certes de la souffrance, mais de manière plus large du retrait, ce qui est exactement l’inverse du but recherché. Ce constat ne peut que nous conforter à l’idée que les activités qui font lien entre le travail et l’organisation, c’està-dire les activités de régulation managériales, sont le fondement à la fois de la performance et de la Qualité de Vie au Travail ! Pour conclure pointons que lorsque la régulation ne fonctionne plus, les dérives peuvent être de divers ordres. C’est au fond ce que nous rappelle Sara Roubaud dans son texte « Des placardisés dans un état de droit : s’opposer à l’ostracisme ». La placardisation qui est à la fois « une éviction du travail et le maintien dans l'emploi » selon la définition de Dominique Lhuillier n’est pas un phénomène marginal. Il existe de manière forte dans de nombreuses collectivités, administrations et grandes entreprises. Se pencher sur cette réalité c’est aussi tenter de comprendre les mécanismes qui aboutissent à la rupture et au conflit. C’est (presque) déjà une autre thématique. Nous souhaitons que ces lectures soient pour vous enrichissantes, un appui à votre réflexion et à vos pratiques. C’est là toute la mission des Cahiers ! ;: Franck Martini Directeur de publication Management du travail Prévenir les RPS par le management du travail Les cahiers des rps Que ce soit au regard de questions liées à l’amélioration de la performance, à des changements d’organisation du travail ou à la prévention des risques professionnels, les pratiques de management sont à la fois pointées comme une source de dysfonctionnement et comme un levier d’action. L’attention grandissante portée à la prévention des risques psychosociaux n’a fait que renforcer cette tendance. Le management apparaît, ainsi, éloigné du travail et facteur de contraintes plus que de soutien. On reproche aux managers des pratiques managériales inadaptées (pression, stress, contrôle) tout en regrettant son absence. l’importance du travail de régulation opéré par les managers. Dans un contexte incertain, il s’agit de reconnaître et de faciliter leur travail d’organisation du travail (De Terssac, 2013) et de les aider à « préparer le travail d’une façon qui favorise sa réalisation, dans les situations réelles » (Daniellou, 2002). En insérant la fonction managériale dans son environnement global, cette approche vise, de façon cohérente, à faire évoluer l’ensemble des processus de management, de gestion des ressources humaines et de dialogue social. Au-delà de l’évolution des compétences managériales et d’un appel à plus de bienveillance des managers, c’est un changement profond des modes de fonctionnement de l’entreprise que nous défendons ici. Si l’appropriation de ce nouveau cadre de réflexion par les acteurs de l’entreprise emprunte des voies diverses, l’analyse de l’activité managériale et la conduite d’expérimentations dans le cadre d’une démarche concertée sont, comme l’illustre l’étude de cas présentée ci-dessous, des points de passage nécessaires pour espérer de réelles transformations. Plus globalement, les salariés dénoncent des modes d’organisation et de gestion qui ont conduit à multiplier les objectifs de performances (productivité, qualité, réactivité, flexibilité) et à accroître les contraintes et les contradictions sur la scène du travail. Ce sentiment de mal-être lié aux évolutions croisées entre le travail et le management n’est pas sans effet sur la santé des salariés et la performance des entreprises. Ces dernières sont confrontées à des problèmes d’absentéisme ou de désengagement de leur personnel avec, au final, des dysfonctionnements qui affectent la performance et engendrent des coûts. Dans ce contexte, une contestation de fond du management contemporain et de ses dérives émerge et les entreprises sont invitées à agir. Si la plupart sont conscientes des liens entre le management et les conditions de travail, les actions engagées sont encore rares, limitées et peu efficaces. La crainte d’ouvrir une boîte de Pandore, d’aborder des sujets sensibles et de ne pas disposer des marges de manœuvre suffisantes pour agir sur l’ensemble du système limite, sans aucun doute, l’ambition des entreprises. Cette frilosité s’explique, aussi par la difficulté à appréhender ce sujet et à ouvrir, au sein des entreprises, des discussions sur les tensions et paradoxes inhérents à l’activité de travail. Les situations de mal-être sont souvent perçues comme des fragilités individuelles, des difficultés d’adaptation, les conséquences d’une défaillance du management de proximité et non pas, comme les signes d’une crise plus générale du travail et de ses modes d’organisation et de mobilisation. L’absence de modèle alternatif, visant à réconcilier, en profondeur, le travail et le management ne facilite pas l’émergence de nouvelles pratiques. Faute de repères communs sur le travail et d’échanges sur les besoins de soutien et de régulation à satisfaire, les acteurs de l’entreprise peinent ainsi à ouvrir de nouvelles voies pour manager autrement. Des initiatives pour amorcer un changement de paradigme Afin de répondre à des demandes de ses Caisses Régionales le traitement de la thématique des conditions de travail a été initié par cette fédération nationale d’employeur d’un groupe bancaire. Cette instance, qui joue le rôle de chambre professionnelle, est une instance de réflexion, d’expression et de représentation des caisses, c’est à son niveau que les accords groupe se négocient. Dans un contexte marqué par le signalement de troubles psychosociaux avec des attentes plus ou moins fortes des partenaires sociaux des caisses régionales, Direction et représentants du personnel ont souhaité sérier les problèmes et objectiver la situation en matière de conditions de travail. Cette approche se distingue des approches classiques en matière de stress ou de santé au travail, elle traduit la volonté de traiter les véritables causes plutôt que les « symptômes » en menant des analyses profondes de l’organisation sur le terrain et en écoutant les salariés. Par ailleurs, un accord préalablement signé en novembre 2007 abordait des problématiques relatives à la conduite de projet, la prévention du stress et du harcèlement, la préparation au changement permanent (formation, mobilité, lisibilité des métiers) et la gestion des incivilités. L’objectif des partenaires sociaux au démarrage du projet est d’aboutir à un nouvel accord centré sur l’organisation du travail avec l’ambition de proposer des solutions répondant au triptyque, « relation et service client, bonne marche de l’entreprise et bien-être au travail ». Le cadre méthodologique de l’intervention proposée par les intervenants de l’Anact, sollicités pour accompagner l’engagement de ce projet, s’inscrit dans cette perspective d’objectivation des conditions de réalisation du travail et de mise en débat dans des espaces d’échange paritaire d’éléments à la fois quantitatifs (8400 questionnaires) et qualitatifs (investigations de terrains et groupes de travail managers). L’objectif est d’alimenter le dialogue social à partir de l’analyse des conditions de réalisation du travail et d’impulser de nouvelles pratiques tant sur le plan du dialogue social au niveau national que de l’organisation du travail au sein des caisses régionales. Il ne s’agit pas ici de restituer l’ensemble des dimensions, effets et résultats de cette démarche. Nous ne reprenons donc que les matériaux susceptibles d’illustrer et d’apporter des éléments de réponse à notre réflexion sur l’élaboration d’un modèle alternatif de management. Vers quels modèles, quelles pratiques de management devonsnous aller pour garantir une meilleure performance sociale et économique des organisations ? Comment réconcilier le travail et le management et accompagner les entreprises vers le développement de processus de régulation collectif pertinents ? A partir de travaux de capitalisation conduits au sein du réseau de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), plusieurs pistes ont pu être avancées pour organiser autrement les relations entre le travail et le management. En complément d’une approche macro, militant pour une refonte du modèle économique et d’une approche micro, misant sur une évolution des compétences managériales, nous proposons une voie alternative que nous désignons comme le modèle du management du travail (Conjard, 2014). Fondé sur le principe d’un management en soutien à la réalisation de l’activité, ce modèle remet en avant 6 Les cahiers des rps Management du travail Enfin, l’analyse du travail de management réalisée à la fois lors des investigations de terrains et à l’occasion des groupes d’analyse de pratique des managers nous permet de disposer d’éléments de compréhension complémentaires et d’éviter l’écueil de la stigmatisation sur les comportements managériaux. Des grilles d’analyse spécifiques ont été mobilisées pour identifier les différentes composantes de leur activité, les déséquilibres éventuels entre le temps consacré à certaines tâches et leurs valeurs ajoutées sur la performance et la santé, les interactions auxquelles ils sont soumis, leur charge de travail, etc. (voir exemple ci-dessous). Ce détour par le travail des managers a permis de sortir des représentations, de mettre en évidence ce qu’ils font réellement (« le travail réel »), ce qu’ils ne peuvent pas faire (« le travail empêché »), rendre visible les régulations et arrangements opérés au quotidien (« le travail d’organisation du travail ») et identifier les enjeux d’une meilleure prise en compte du travail dans leur activité. La mise en perspective de l’activité des Directeurs d’agences avec les résultats de l’enquête quantitative et qualitative sur les conditions de travail auprès de l’ensemble des partie prenantes (Direction, élus, managers) a, dans ce cas, favorisé l’engagement d’une réflexion sur des actions dépassant la seule formation managériale. De l’analyse des 8 400 questionnaires, nous retenons que la planification de l’activité apparaît comme un axe d’amélioration, pour plus de 49% des répondants. La charge de travail est aussi un point d’attention, plus de 56% des répondants déclarent ne pas avoir suffisamment de temps pour terminer leur travail et plus de 62% des répondants ne pas pouvoir réaliser un travail en qualité et en délais. Les déterminants de cette augmentation de la charge seraient liés à la charge administrative et réglementaire, au versioning du système d’information, aux incidences du déploiement des politiques commerciales (objectifs, organisation des campagnes), à une augmentation des exigences du client et à une rationalisation des ressources au siège. Parmi les éléments modérateurs pour mieux vivre la charge qui sont mentionnés on peut citer dans l’ordre, la coopération dans l’équipe, l’ambiance de travail, le management direct (rôle de temporisation pour la pression commerciale) et l’assistance ou le soutien du siège (expertise et réactivité). En ce qui concerne les objectifs individuels, 19,6% des répondants déclarent que le suivi de leur activité par leur hiérarchie est réalisé quotidiennement, 42,6% hebdomadairement, 26,6% mensuellement et 11,2% annuellement. Enfin, la reconnaissance constitue également un point d’insatisfaction : 32,5% des répondants déclarent ne pas être reconnus par leur hiérarchie. N°24 - Décembre 2014 7 Les cahiers des rps Grille n°1 - Analyse de l’activité des Directeurs d’agences (DA) Des investigations de terrain ont permis d’approfondir et de caractériser les points mis en exergue par cette enquête d’opinion. Les diagnostics ont ainsi confirmé les enjeux d’organisation de l’activité et les enjeux de régulation et de soutien managérial. Lors de la restitution de ces matériaux auprès du comité de pilotage paritaire, nous avons mis en avant différents points illustrés par quelques verbatim : • L’incidence de la standardisation des process sur la prise d’initiative et la relation client : « On devient des exécutants, on est interchangeable », « C’est la machine qui décide à notre place », « Ils veulent que l’on ait tous les mêmes normes de travail alors que la vraie efficacité c’est de s’adapter au client ». • Les dérives liées à un management individualisé par objectif : « C’est pas réaliste », « Cela nous met en concurrence, empêche les coopérations », « On est obligé de tricher », « A quoi cela sert de contrôler quotidiennement la réalisation de nos objectifs, c’est une pression pour rien ». • La prégnance des outils informatiques qui conduit à un déplacement de la centralité du travail : « Aujourd’hui, il s’agit davantage d’être maître du système (être capable de retrouver documents et informations dans le système d’information) que de maîtriser les produits bancaires ou de connaître le client personnellement ». • L’évolution de la fonction de Directeur d’agence vers des activités de gestion et de contrôle : « Le métier de manager devient de plus en plus un métier de contrôle, de reporting », « On n’est plus un référent technique pour l’équipe », « Nos marges de manœuvre sont réduites, nous avons de moins en moins d’autonomie ». • Des attentes et besoins exprimés vis à vis des managers : « Plus d’écoute, de soutien et d’attention en cas de difficultés », « Il faut communiquer, nous expliquer les raisons des changements en cours », « Ce qui est déterminant pour nos conditions de travail, c’est l’ambiance de travail, les coopérations et tout cela dépend en grande partie du manager, de sa façon d’animer l’équipe ». Management du travail Enfin, entre les deux, une large majorité de caisses régionales hésitent, s’interrogent et engagent, avec prudence, des plans d’action plus ou moins ambitieux. Cette catégorisation, très empirique, révèle, ainsi, parfois en creux, les principes à mettre en œuvre et conditions à réunir pour repenser le management. L’évolution des pratiques managériales passe, pour les expériences les plus abouties, par une approche simultanée de trois registres d’actions complémentaires : le rôle et l’activité managériale, l’organisation du travail, la gouvernance et le dialogue social. Les enseignements issus de ce projet viennent étayer nos travaux de capitalisation sur les modalités alternatives à envisager en matière de management et les conditions favorables pour envisager un véritable changement de paradigme et aller vers des pratiques de management du travail. Les cahiers des rps Nos investigations nous ont, aussi, conduit à repérer et à analyser des « bonnes pratiques » en matière d’organisation et de management. A titre d’exemple, une caisse régionale a pris le parti de sortir du pilotage par des objectifs quantitatifs et du principe de rémunération variable individuelle. Pour son Directeur commercial « Ces méthodes sont dépassées car nos clients ont évolué, la concurrence a évolué et nos collaborateurs ont d’autres attentes, au niveau du management on est donc plus attentif au contenu qu’aux résultats ». Au niveau des pratiques de management cela se traduit par une attention plus grande aux difficultés rencontrées par les collaborateurs au quotidien, la mise en place de réunion métier chaque semaine ou de séances de coaching assurées par la Direction. Dans une autre caisse régionale, il s’agit moins d’abandonner le management par les objectifs que d’être attentif au processus d’élaboration et de déclinaison de ces objectifs. Des espaces de négociation au niveau des Directeurs de secteur (n+2) et des Directeurs d’agences (n+1) permettent d’adapter les objectifs fixés par la Direction commerciale aux forces et faiblesses de chaque agence. Pour le DRH de cette structure, « Cela a contribué à redonner du pouvoir aux managers de proximité, à sortir d’une logique de concurrence pour aller vers une logique de solidarité entre caisses ». L’analyse de ces pratiques, souvent qualifiées « d’expérimentations » confirme nos hypothèses de départ sur la nécessité d’ouvrir des espaces de traduction et de prendre en compte le travail et le point de vue de ceux qui le réalisent. Des pratiques, qui favorisent, pour l’ensemble des acteurs concernés, de bons résultats économiques et de bonnes conditions de travail. Sur le registre du travail d’organisation du travail opéré par certains Directeurs d’agence, quelques pratiques ont été relevées. Le modèle du management du travail Pour nous, manager le travail, c’est prendre en compte le travail, ses conditions de réalisation, les besoins de reconnaissance et de régulation dans les processus et pratiques de management afin d’améliorer la performance collective et la Qualité de Vie au Travail. Il s’agit de faciliter la réalisation d’un « travail soutenable » ayant du sens pour ceux qui le réalisent (Gollac, Guyot, Volkoff, 2008)1. Ce modèle s’applique à traiter à la fois la dimension stratégique et opérationnelle du management et s’attache à mieux les articuler via, notamment, l’existence d’espaces de discussion sur le travail2. Il interpelle, plus globalement, les modalités organisationnelles et les modes de gouvernance en redonnant du pouvoir d’agir aux individus. Manager le travail, c'est ouvrir au débat de nouvelles dimensions du travail pour favoriser la codécision dans la détermination du contenu et de l'organisation du travail. Il s’agit de promouvoir une organisation du travail conçue comme un environnement dynamique favorable au développement des personnes et à la performance collective. C’est, de fait, l’ensemble des relations entre les différents acteurs de l’entreprise, y compris celles relevant du dialogue social, qu’il s’agit de revisiter. L’enjeu central pour notre approche, du point de vue du rôle et des missions du management, consiste à positionner celui-ci comme un levier efficace d’amélioration de la performance en permettant au travail d’être un opérateur actif d’engagement dans l’action. D’emblée, cette perspective commande impérativement de reconnaître à sa juste valeur les dimensions constitutives du travail. Manager le travail, c’est alors favoriser l’intégration effective du travail dans les modes d’organisation et le fonctionnement des entreprises. Ce n’est plus en faire un objet du management – qui est organisé, contrôlé, voire sanctionné – mais un sujet capable d’autonomie et jouissant d’une reconnaissance effective pour la contribution qu’il apporte à l’action commune. A partir de l’ensemble de ces matériaux, les enjeux d’évolution des pratiques managériales ont été instruits par le comité de pilotage. Au final, sept thématiques ont été retenues dans l’accord signé par les partenaires sociaux. Celles-ci doivent être « déclinées et prolongées par des plans d’action concrets, discutés avec les instances représentatives du personnel » (en principe les CHSCT). Si les intentions de repositionnement du management sur des activités de soutien et d’organisation du travail, d’ouverture d’espaces de négociation et de discussion sur les objectifs de performance sont bien présentes, la déclinaison de ces préconisations via l’engagement de plans d’action concrets au niveau des différentes caisses régionales n’est pas garantie. Trois grands cas de figures apparaissent. Quelques caisses, déjà engagées dans des pratiques alternatives et convaincues du bienfondé de ces préconisations, s’inscrivent naturellement dans une logique d’appropriation de l’accord. Renforcées et soutenues par la démarche de la fédération, elles engagent à leur niveau des transformations en profondeur dans la continuité de la dynamique nationale. A l’autre extrémité, on trouve des caisses régionales réticentes à s’aventurer sur des voies alternatives en matière de management. Ces dernières se caractérisent par l’absence de pratiques de concertation, un management très centralisé et plus globalement une moindre attention aux questions relatives aux conditions de travail. 1 Selon les auteurs, un système de travail soutenable répond aux critères suivants : - « Biocompatible », c’est-à-dire adapté aux propriétés fonctionnelles de l’organisme humain et à leur évolution au fil de l’existence ; - « Ergo-compatible », donc propice à l’élaboration de stratégies de travail efficientes ; - « Socio-compatible », donc favorable à l’épanouissement dans les sphères familiale et sociale, à la maîtrise d’un projet de vie. 2 Sur les « espaces de discussion », nous renvoyons le lecteur à notre article consacré spécifiquement à cette question publié dans ce numéro des Cahiers des rps 8 Les cahiers des rps Management du travail large des managers. Le changement de paradigme visé et les principes et valeurs véhiculés par le modèle requiert une approche globale et intégrée. Enfin, le développement d’un management du travail sera d’autant plus abouti et pérenne s’il s’insère dans le cadre d’un dialogue social rénové. Il s’agit de faire correspondre étroitement les modes de management et le dialogue social de l’entreprise, de les appréhender comme des processus complémentaires et non pas comme des processus parallèles et concurrents. L’enjeu consiste à inventer de nouvelles modalités de fonctionnement, de nouveaux espaces de discussions entre les partenaires sociaux afin que le dialogue social porte sur le travail et qu’il soit un véritable levier de performance. Dans ce cadre d’action, le manager reconnaît le travail, le prépare, l’organise, le met en discussion, l’interprète et le régule en interaction avec les autres acteurs de l’organisation. En fonction de ses marges de manœuvre, sa posture et sa compréhension du travail, il facilite ou entrave les dynamiques d’engagement et de coopération nécessaires à la réalisation du travail de son équipe. Cela correspond à la régulation managériale, entendue ici comme « la capacité de l’organisation, portée en particulier par les fonctions de manager, de réguler l’activité de l’opérateur (et des opérateurs entre eux) et de permettre le maintien d’un cadre de travail apte à favoriser la réalisation du travail dans des conditions satisfaisantes du point de vue de la production et n’excédant pas les ressources des opérateurs » (Martini, 2014)3 Soit, l’ensemble des arrangements, ajustements et régulation opérés au plus près de l’activité dans le cadre de la relation managériale. Si le manager de proximité est un acteur clef de notre modèle, il n’est pas l’unique vecteur de soutien à la réalisation de l’activité de travail. Certains modes d’organisation et systèmes de management contribuent plus que d’autres à soutenir et à conforter le manager de proximité dans son rôle de traduction. Le contexte organisationnel reste, en effet, le principal déterminant de la qualité des relations sociales au travail, et, en conséquence, de la performance collective. Plusieurs principes organisationnels, convergents avec un management du travail, peuvent être avancés. Ils font échos, pour un certain nombre d’entre eux, aux modèles des organisations « apprenantes » (Senge, 1990) ou au concept « d’environnement capacitant » (Falzon, 2005). Des modèles qui ont en commun de favoriser la réflexivité, les coopérations et l’autonomie dans le travail. Il s’agit de miser sur une « autonomie sécurisée et managée » favorisant la régulation conjointe et le travail local de reconfiguration organisationnelle. Au vu des pratiques actuelles et de l’ambition du modèle, ce changement de paradigme ne va pas de soi. Les partenaires sociaux, les managers, comme les équipes, ont besoin de faire l’apprentissage de nouveaux modes de fonctionnement, d’expérimenter de nouvelles façons de faire. Bi b l i o g r a p h i e • Conjard P., (2014), Le management du travail, Collection ouvrage de référence, Anact, (à paraître) L’intégration durable des principes d’un management du travail à tous les niveaux de l’organisation réclame, comme en témoigne la démarche exposée précédemment et les conditions favorables à l’appropriation du projet de cette fédération bancaire, un engagement politique fort et une cohérence des pratiques managériales. A défaut, la persistance de pratiques gestionnaires ou managériales en contradiction avec les ambitions affichées, des incohérences d’approche selon les services et/ou les managers limitent fortement le déploiement d’un management du travail et condamnent, à plus ou moins long terme, toutes initiatives dans ce sens. Le projet de refonte managériale doit ainsi être considéré comme une composante à part entière du projet de performance globale de l’entreprise. Sans cela, il risque de n’être qu’un vœu pieux ou une injonction supplémentaire faite aux managers de proximité. • Daniellou F., (2002), « Le travail de prescription », Conférence inaugurale, 37ième congrès de la SELF, Aix-en-Provence • De Terssac G., (2003). « Travail d’organisation et travail de régulation » in De Terssac G., (Dir.), La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud. Débats et prolongements, Editions La Découverte, p. 121-134 • Falzon P. (2005), « Ergonomics, knowledge development and the design of enabling environments », Conférence, Humanizing Work and Work Environments, Guwahati, India • Gollac M., Guyot S., Volkoff S., (2008), A propos du travail soutenable, les apports du séminaire interdisciplinaire, « emploi soutenable, carrières individuelles et protections sociales », CEE, juin 2008 Cet ancrage stratégique passe aussi par un lien direct entre l’évolution des pratiques managériales et la qualité du travail au quotidien. L’approche « classique » consistant à conduire en parallèle une multitude de projets (industriels, commerciaux, organisationnels, RH, management, QSE, etc.), faiblement connectés les uns aux autres et insuffisamment ancrés sur le travail, est à proscrire. Le management du travail ne peut pas être considéré comme un projet supplémentaire noyé au milieu d’autres, comme l’ajout d’un volet « condition de travail » au spectre d’activité déjà N°24 - Décembre 2014 Patrick Conjard Chargé de mission, Anact • Senge P., (1990), The Fifth Discipline : The Art and Practice of the Learning Organization, New York, Doubleday Currency. 3 Martini F., « La notion de régulation : un élément déterminant dans la compréhension des risques psychosociaux », contribution au séminaire interne du cabinet CATEIS, 7 avril 2014. 9 Les cahiers des rps ;: Management du travail Les cahiers des rps Ouvrir des espaces de discussion pour manager le travail notre cadre de réflexion, comme « le medium à travers lequel se réalise l’ensemble des arrangements, compromis et bricolages que supposent l’incomplétude de la prescription et le caractère irréductiblement erratique de l’activité concrète » (Detchessahar, 2013, p.59). C’est un cadre organisationnel privilégié pour opérer un travail de régulation et « instituer de la controverse sur le travail bien fait» (Clot, 2010). De manière rétrospective, la discussion sur un événement indésirable ou un dysfonctionnement mais aussi sur des réussites ou façons de surmonter des difficultés est, ainsi, l’occasion de revenir sur ce qui s’est passé, de décrire les faits, de confronter des points de vue, d’analyser, de tirer des enseignements de ces situations de travail passées. De manière anticipatrice, la mise en place d’une démarche de changement participative, fondée sur l’échange entre les différents acteurs, parties prenantes du travail, permet aussi de prendre en compte l’expression d’avis sur une situation à venir (le futur probable) et de s’appuyer sur la situation présente pour mieux préfigurer sa transformation. Le futur peut être très rapproché, par exemple, lors du passage de relais entre deux équipes. Les paroles sur le travail qui sont alors échangées, tous les jours, même si elles apparaissent anodines peuvent dénouer des problèmes importants et prévenir des risques pour la qualité de la production, du service au client ou du soin au patient. Dans cette optique, la discussion sur le travail n’est pas une fin en soi mais un moyen pour trouver, avec les principaux intéressés, des réponses à des problèmes concrets. C’est bien l’activité discursive qui améliore l’efficacité organisationnelle et contribue à ce que chacun reprenne la main sur son travail. En les autorisant à dire leur travail et ce faisant à penser celui-ci, les salariés revisitent individuellement et collectivement sa finalité. En s’appuyant sur ces espaces de discussion, le manager est en prise avec le travail réel et peut remplir sa fonction de management du travail. Avec l’Accord National du 19 juin 2013 et l’émergence du concept de « Qualité de Vie au Travail » ou bien encore les ambitions affichées dans l’agenda social 2013-2014 dans la fonction publique, l’instauration d’espaces de discussion sur le travail réapparaît, plus de 30 ans après les lois Auroux et le droit d’expression des salariés1, comme une réponse aux enjeux de performance sociale et économique des entreprises. Pour les organisations syndicales signataires de l’accord, ces espaces peuvent prendre « la forme de groupes de travail entre salariés d’une entité homogène de production ou de réalisation d’un service » et être animés par « un référent métier » ou « un facilitateur ». Dans les entreprises, l’institutionnalisation d’espaces spécifiquement dédiés à la discussion sur le travail reste pourtant encore limitée. Si des lieux d’expression sur le travail sont ouverts dans le cadre de démarches de prévention des RPS, ils ne restent souvent en place que le temps de la mise en œuvre d’un diagnostic ou d’un plan d’action spécifique. Lorsqu’ils existent, ils peinent à dépasser le seul registre de la plainte et les attentes ou propositions formulées dans ces espaces ne sont pas toujours prises en compte. Au-delà des limites de leur impact, l’ouverture de ces espaces de discussion soulève des questions d’ingénierie difficiles à résoudre et reste délicat : qui les anime ? Comment ? Qui y participe ? Quels liens par rapport aux espaces existants dédiés d’une part au management (manager – collaborateurs) et d’autre part au dialogue social (IRP – Direction) ? Plutôt que de se mobiliser sur l’ouverture de nouveaux espaces de discussion sur le travail, les entreprises ont, sans doute, besoin de revoir le fonctionnement de leurs espaces de dialogue et de régulation existants, de repenser globalement leurs modes de management et processus de décision. Les différentes pratiques de management qui appellent en principe à la discussion (suivi d’activité, entretiens individuels, réunion d’équipe, comité de direction,…) prennent pas ou peu en compte le travail, d’où de nombreuses désillusions et un sentiment d’inutilité. Cette invitation à mettre la discussion sur le travail au cœur de l’activité managériale pour prévenir les risques psychosociaux et développer la performance économique et sociale de l’entreprise s’inscrit dans une réflexion plus globale sur la mise à place de modalités de management alternatives. En écho au modèle du management du travail2, développé par l’Anact, notre communication vise essentiellement à expliciter, à partir d’expérimentations conduites dans une structure publique, l’intérêt et les conditions pour institutionnaliser des espaces de discussion sur le travail dans l’organisation. En pratique, deux grands niveaux d’espaces de régulation collective sont à envisager pour ce « management par la discussion ». Un premier niveau, qualifié de « conversation opérationnelle », est animé par l’encadrement de proximité. Il vise à mettre en discussion au sein de l’équipe, l’activité de travail, ses contraintes mais aussi ses ressources, en lien avec les attentes des différents acteurs et les orientations stratégiques de l’entreprise. A partir de ces échanges, le manager et son équipe vont pouvoir trouver localement un certain nombre de réponses aux tensions, problèmes ou événements à gérer. Ce qui ne pourra être résolu ou élaboré au niveau de l’équipe, sera alors remonté par l’encadrement et discuté avec la Direction et/ou ceux dont dépend la mise en place des arrangements ou solutions envisagés. Développer des espaces de discussion sur le travail Ce second niveau, qualifié de « conversation stratégique », pourra, dans le cadre de cette nouvelle discussion, prendre des décisions au regard du travail réel. Cette conversation stratégique, mobilisée au service d’enjeux de régulation et d’apports de solutions aux problèmes de terrain (de l’opérationnel vers le stratégique) ou de répartition des objectifs (du stratégique vers l’opérationnel), peut, De nombreux dérèglements du travail d’organisation observés sur le terrain renvoient à des dysfonctionnements des dynamiques communicationnelles, à l’absence de marges de manœuvre locales et à des processus de décision très centralisés. Si l’on souhaite que le travail, dans toutes ses composantes, soit pris en compte dans les orientations stratégiques et les choix de l’entreprise, il est nécessaire que le niveau de prise de décision soit plus proche du terrain. Cette ambition passe, en lien avec les différentes préconisations sur les espaces de discussion, par la « mise en débat » du travail à différents niveaux de l’organisation. L’espace de discussion apparaît, dans 1 Loi du 4 août 1982 qui précise que « les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. Cette expression a pour objet de définir les actions à mettre en œuvre pour améliorer leurs conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production dans l’unité de travail à laquelle ils appartiennent et dans l’entreprise (…). ». 2 Pour une présentation détaillée de cette approche, nous renvoyons le lecteur à notre article consacré spécifiquement au management du travail publié dans ce numéro des Cahiers des rps 10 Les cahiers des rps Management du travail Evidemment, ce processus ne dispense pas l’entreprise de répondre à ses obligations légales en matière d’information et de consultation des instances représentatives du personnel (CE, CHSCT). Ces dernières ont même tout intérêt, en complément de leur rôle d’alerte et de leur mobilisation sur le registre de la négociation, à être partie prenante de cette dynamique. L’application du principe de subsidiarité passe donc par une refonte de l’ensemble du système de gouvernance de l’entreprise. Un système qui laisserait plus de place au débat sur le travail avec la pratique d’un « régime démocratique et participatif qui permettrait la construction d’un rapport politique collectif au travail » (Ferreras, 2007, p.214). selon les caractéristiques de l’organisation, se situer au niveau d’un comité de direction, d’instances intermédiaires ou encore d’un conseil d’administration. En fonction de l’objet de la discussion, les acteurs de terrain n’ont pas toujours les moyens et marges de manœuvre nécessaire pour agir. Dans ce cas, l’efficacité du processus discursif est étroitement liée à l’articulation et à la circulation de l’information entre le niveau opérationnel et le niveau stratégique. Le manager de proximité se trouve donc au cœur d’une activité de traduction qui conjugue les résultats de la « conversation opérationnelle » et de la « conversation stratégique ». Plus globalement, ce management de la discussion nécessite la mise en place de règles de fonctionnement précises et partagées. Il s’agit notamment de déterminer, en fonction des spécificités de l’activité et des contraintes organisationnelles, la durée et la fréquence, les modalités d’animation qui facilitent l’expression sur le travail, ce qu’il est nécessaire ou pas de faire remonter comme information, les modalités d’échange entre les différents niveaux, le processus de validation des décisions, le suivi des actions engagées et les liens éventuels avec le CE ou le CHSCT. Une voie prometteuse pour prévenir les RPS : l’exemple d’une administration publique Appliquer le principe de subsidiarité La mise en œuvre de cette ingénierie de la discussion dépend, en grande partie, de la latitude décisionnelle octroyée aux managers et aux équipes de terrain. Il faut que ces acteurs soient autorisés à parler du travail, à remettre en question les règles formelles fixées par l’organisation, et de façon, plus générale à interagir à la fois sur la stratégie et le fonctionnement quotidien de l’entreprise. Une stratégie qui, dans ce schéma directeur, s’élabore de façon plus itérative à tous niveaux de l’organisation en remettant le collectif de travail au coeur des prises de décision. Cette approche s’apparente au « principe de subsidiarité » (Crozier, 1989) qui vise à privilégier le niveau inférieur d'un pouvoir de décision aussi longtemps que le niveau supérieur ne peut pas agir de manière plus efficace. Il appartient à l’équipe, et au manager en particulier, d’apprécier ce qui nécessite d’être instruit au niveau supérieur. Dans ce cadre managérial, « l’autorité ne doit s’exercer que pour pallier les insuffisances d’une autorité plus petite » (Delsol, 2010, p. 6). La subsidiarité représente un moyen pour reconnaître au travail « un droit de décision », qui permet au management de se recentrer sur le « management des ressources » de l’entreprise (Chevrier, PellissierTanon, 1999). Ce principe vient à contre-courant d’une conception rationnelle du processus de décision largement dominante dans les organisations en resituant la décision comme une activité managériale située (Journé, Raulet-Croset, 2012). Dans cet idéal, la décision s’appuie sur un processus collectif de discussion sur le travail et ne relève pas d’une vision unilatérale du travail, souvent déformée. Elle est fondée sur une logique de négociation entre différents acteurs (le manager et son équipe) à la recherche de compromis acceptables. Parallèlement, la Direction et les organisations syndicales ont signé un accord sur la prévention des risques psychosociaux. Cet accord fixe des objectifs précis, associés à des indicateurs de résultats, dans les domaines de l'organisation du travail, du management, de la communication, de l'accompagnement des mobilités et du soutien aux agents. L'accord préconise également de développer une organisation apprenante. L'hypothèse retenue par les signataires est que ce type d’organisation constitue une modalité majeure de réduction et de prévention du stress professionnel, à plus forte raison dans une période - souvent déstabilisante - de repositionnement des missions. Plus que l’application idéologique du principe de subsidiarité, il convient sans doute de mettre en place des modes d’organisation qui s’en inspirent afin de rapprocher le pouvoir de décision de celui de la réalisation et de redonner de la valeur au travail. Une organisation perçue, dans ce cadre d’action, comme « un espace à réguler » et non comme « un espace à régler par le haut » (Detchessahar, 2013). N°24 - Décembre 2014 Selon l’étude de Valeyre, en 2005, sur les formes d’organisation du travail en Europe, l’organisation apprenante se caractérise par « une autonomie dans le travail », « un contenu cognitif du travail » (apprentissage de choses nouvelles, résolution de problèmes imprévus, complexité du travail), « l’autocontrôle de la qualité du travail », « un travail en équipe autonome », « de faibles contraintes de rythme de travail », « une faible répétitivité et monotonie ». Cette étude met en évidence que ce type d’organisation offre une meilleure qualité de travail comparativement aux autres organisations du travail. 3 11 Les cahiers des rps Confronté au regroupement de plusieurs directions ou services déconcentrés, et donc à une réorganisation importante et rapide imposée par son administration centrale, cette entité a souhaité engager une réflexion sur son organisation et ses pratiques de management. L’objectif est de garantir un service de qualité aux entreprises du territoire tout en préservant la santé des agents dans ce contexte de changement. Inspirée par le modèle de l’organisation apprenante3 (Conjard, Devin, 2004) et convaincue de la nécessité d’ouvrir des espaces de discussion sur le travail, la Direction a formalisé dans le cadre d’un projet de service élaboré collectivement, ses perspectives d’évolutions organisationnelles et managériales. Il s’agit de : • limiter le nombre d’échelons hiérarchiques ; • favoriser, autant que possible, le fonctionnement en binôme des responsables (de pôle, de service) avec leur adjoint, dans le cadre d’un partage des savoirs et des savoir-faire ; • encourager, à chaque niveau, les coopérations entre les équipes de travail ; • concevoir un système d’information au service de l’organisation apprenante ; • s’appuyer sur un dialogue social de qualité avec la volonté d’associer étroitement les représentants des salariés au projet. Management du travail mode de communication descendant. Le comité de direction, qui représente ici le niveau de la « conversation stratégique », a choisi les unités de travail volontaires pour les expérimentations sur la base de critères précis (représentatives des métiers et population de la structure, dysfonctionnements organisationnels et/ou initiatives managériales en lien avec les axes de travail retenus). Les cahiers des rps Dans ce contexte, il nous est demandé d’apporter une aide à la mise en place du projet, en particulier pour réaliser « les adaptations nécessaires d’une organisation apprenante dans un cadre territorial dispersé ». Un défi de taille dans une organisation complexe et hiérarchisée. C'est pourquoi l’objectif initial vise avant tout à réguler les tensions organisationnelles et managériales en mettant en place des dispositifs évolutifs afin de redonner des marges de manœuvre aux agents et aux équipes de travail. Ouvrir des espaces qui permettent de débattre et de gérer les tensions entre ce qui est demandé (le travail prescrit) et ce qu’il est possible de faire (le travail réel), accompagner l’encadrement dans le renforcement d'une posture d’appui et de ressource, sont des options d’organisation qui s'inscrivent dans cette optique d’efficacité et de bien-être au travail. Plutôt que d’envisager dans la même temporalité le déploiement de l’ensemble de ces principes et pratiques d’organisation retenus sur l’ensemble des services, il est apparu préférable d'engager, dans un premier temps, un travail d'accompagnement de quatre unités de travail intéressées par cette approche (logique d’expérimentation). Premiers enseignements et pistes de réflexion Compte tenu de l’état d’avancement des expérimentations et des modalités de suivi - évaluation qui ont été mises en place, les éléments d’évaluation, rapportés ici sont essentiellement liés aux retours qui nous ont été faits par les responsables de service concernés. Idéalement, il aurait fallu réaliser de nouvelles investigations de terrain afin de rencontrer ces collectifs de travail, d’observer et d’analyser les changements opérés. Le renseignement de grilles de suivi – évaluations, une réunion avec les responsables des unités de travail concernées et des contacts téléphoniques réguliers ont toutefois permis d’apprécier les premiers effets produits par l’engagement de ces actions tant du point de vue de l’efficacité organisationnelle que des conditions de travail des agents. Plus qu’une appréciation service par service, l’évaluation se voulait transversale conformément aux principes posés dans le cadre de ces expérimentations. Pour chacune de ces unités de travail, des investigations ont été préalablement réalisées dans une optique de diagnostic. Localement, une dizaine d’entretiens individuels et collectifs ont été conduits avec les agents afin d’appréhender leurs missions, d’identifier les exigences et ressources inhérentes à leurs activités et d’explorer plus spécifiquement quelques leviers d’action potentiels ou déjà effectifs relatifs au développement d’une organisation apprenante4. La restitution de ces éléments auprès de l’ensemble du collectif de travail a permis l’identification d’axes de travail spécifiques. Des axes de travail qui, après validation par le comité de pilotage, ont donné lieu à des expérimentations pilotées par l’encadrement local avec un appui méthodologique de notre part. 18 expérimentations s’inscrivant dans une perspective de développement de modalités organisationnelles et de pratiques managériales répondant aux caractéristiques d’une organisation apprenante posées initialement ont ainsi été engagées entre avril et novembre 2012. Elles renvoient ainsi très largement, à des objectifs : • d’évolution des pratiques de management vers plus de soutien et de régulation, • d’ouverture d’espaces de discussion sur le travail, • d’amélioration des systèmes d’information. Au-delà d’acquis relatifs aux évolutions des pratiques managériales qui tendent à aller vers des démarches plus participatives, l’installation de temps d’échanges de pratiques et globalement une meilleure circulation de l’information, les responsables de services mettent surtout en avant l’intérêt d’engager des expérimentations. Les orientations et le cadre du projet leurs ont donné l’opportunité d’instruire et d’avancer sur des préoccupations latentes, pas toujours partagées. Le diagnostic réalisé au sein de leurs équipes et l’engagement d’une dynamique collective, soutenue par la Direction et accompagnée par les consultants de l’Anact a aussi contribué à prendre des initiatives et à faire l’apprentissage des espaces de discussion. A titre d’exemple, les réunions de service d’une des unités de travail ont été recentrées sur l’analyse de situations-problèmes identifiées et instruites en amont par certains agents. Ordre du jour et comptes-rendus sont devenus systématiques. Certaines réunions ont donné lieu à des prises de décisions immédiates de l’encadrement ou ont provoqué l’ouverture de groupes de travail spécifiques. Ces temps d’échanges sont ainsi jugés « moins descendants », « plus en lien avec les préoccupations de l’équipe » et « favorisant le partage de savoir-faire d‘expérience ». Ce travail de capitalisation a débouché sur l’identification d’un certains nombre de préconisations générales pour le développement d’une organisation apprenante sur l’ensemble de la Direction régionale et spécifiques sur l’animation des espaces de discussion. Sur le registre de l’expérimentation des espaces de discussion, l’option retenue, pour trois des quatre terrains d’investigation, a été d’avancer avec l’encadrement de proximité sur l’ingénierie des réunions d’équipe. Il s’est agi notamment, de s'accorder sur les modalités et l'outillage de ces réunions à (ré)-orienter sur le travail. Dans le cadre de notre suivi, nous nous sommes en particulier attachés à ce que ces temps d’échanges soient opérationnels en définissant notamment les circuits hiérarchiques de validation ou d'enrichissement des propositions susceptibles d’émerger. Ces réunions d’équipe représentent potentiellement le premier niveau pertinent des espaces de discussion pour établir une « conversation opérationnelle » autour du travail. Les premiers éléments récoltés nous indiquaient que le format, les modes d’animation et la durée de ces temps formels ne permettaient pas toujours d’aborder les problèmes concrets de l’activité et l’on restait essentiellement sur un Sur le plan des espaces de discussion nous retenons : • La réalisation d’un état des lieux sur les espaces de discussion existants, et plus largement sur l’organisation du travail et les pratiques de management au niveau des services investigués. Pour l’ensemble de ces terrains d’expérimentation, 35 entretiens ont été réalisés entre avril et mai 2012. 4 12 Les cahiers des rps Management du travail de libertés ne s’improvise pas. Enfin, le fait que l’on se situe dans une administration publique renforce ainsi l’influence des facteurs externes sur les prises de décision du comité de direction. Un pouvoir de décision qui reste, par ailleurs très centralisé et lié aux orientations des politiques publiques, des décisions aujourd’hui fortement guidées par la RGPP. Dans la fonction publique, la culture dominante reste l’application de décisions prises par le Ministère de tutelle, sans nécessairement avoir la possibilité ou même s’autoriser à la discuter. On comprend mieux alors, les difficultés rencontrées dans la phase de déploiement de ce projet en particulier (Conjard, Devin, 2013). Si cette expérience met en évidence les difficultés et conditions de déploiement d’un projet de cette envergure, elle nous conforte aussi dans la nécessité d’ouvrir des espaces de discussion sur le travail pour prévenir les risques psychosociaux et installer durablement de nouvelles pratiques de management. L’analyse de ces espaces permet d’apprécier dans quelles mesures ils favorisent ou non un management du travail. Sur ce point, nous avons pu identifier différents dispositifs de communication, de coordination et de concertation répondant chacun à des caractéristiques bien spécifiques (le comité de direction, les réunions de service, des groupes de travail, des journées de formation internes, externes…). Cet état des lieux a permis localement d’envisager la création de nouveaux espaces de discussion et/ou d’engager un travail d’optimisation d’espaces existants (l’exemple des réunions de service évoqué rapidement ci-dessus). • En amont du déploiement, l’installation d’une conversation stratégique. Après une phase d’apprentissage, il semble que les réunions hebdomadaires du comité de direction permettent, non sans difficultés, de remplir cette fonction de conversation stratégique évoquée précédemment. Les apports progressifs issus des terrains investigués que nous avons fait ont été instruits par le comité de direction. Les orientations prises localement ont été validées et de nombreux échanges ont porté sur les ressources ou le soutien à apporter pour assurer le déploiement de bonnes pratiques sur l’ensemble des services. Toutefois la multitude de problèmes à résoudre, d'injonctions et de priorités, parfois contradictoires à gérer pour le comité de direction et son histoire récente ont limité le rôle de cette instance et in fine le déploiement du projet sur l’ensemble de la structure5. ;: Bi b l i o g r a p h i e • L’attention à apporter au manager de proximité et à son accompagnement pour faciliter les changements envisagés. Cela passe notamment par un travail au niveau de l’ensemble de la ligne hiérarchique. Si le suivi d’expérimentation permet de travailler de façon privilégiée avec certains d’entre eux, ces expériences doivent être partagées et débattues avec l’ensemble de l’encadrement intermédiaire dans le cadre de séminaires spécifiques. Parallèlement un programme de formation ambitieux a été engagé en direction de l’encadrement (animation d’équipe, conduite du changement, gestion du stress…). On l’aura compris, le déploiement de ce travail collectif ne va pas de soi. Les dynamiques restent localisées et la généralisation du projet, dans l’ensemble des services, se heurte à la résistance de nombreux acteurs. Attachés à leur pouvoir ou inquiets par les exigences requises, certains managers refusent ce type d’évolution. Certains, du côté des organisations syndicales et du personnel sont également réticents. Une telle évolution suppose de nombreux changements dans les façons de faire. Des « zones d’inconfort » peuvent apparaître, surtout lors du déploiement du projet. De plus, la remise en cause du prescrit et du monopole managérial de définition de celui-ci, implique la multiplication de « pratiques de bricolage » qui peuvent insécuriser certains salariés. En tout état de cause, investir de nouveaux espaces 5 Les membres de ce comité de direction viennent des différentes administrations qui préexistaient à la création de cette Direction régionale. Des administrations qui n’étaient pas sur le même champ d’activité, dans la même culture de métier. Cette hétérogénéité n’a pas facilité les coopérations et l’engagement dans un projet qui visait justement à favoriser l’unité et la cohérence de l’ensemble de l’organisation. Au sein de cette instance, ils ont dû faire l’apprentissage d’un mode de fonctionnement plus participatif, articuler des enjeux spécifiques à leur service à des enjeux collectifs qui concernent l’ensemble de la structure. 13 Les cahiers des rps • Chevrier S., Pellissier-Tanon A., (1999), « La subsidiarité, une forme d’autonomie alternative à la décentralisation ? », Actes du 10ième congrès de l’AGRH, tome 1, pp.325-334 • Clot Y., (2010), Le travail à cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux, Editions La Découverte. • Conjard P., (2014), Le management du travail, collection ouvrage de référence, Anact, (à paraître) • Conjard P., Devin B., (2004), Formation – organisation, une démarche pour construire une organisation apprenante, Anact, Etudes et documents. • Conjard P., Devin B., (2013), « Résistance du réel et attitude compréhensive », in Revue Education permanente, n°196, pp. 159-174. • Crozier M., (1989), L’entreprise à l’écoute, Paris, Inter-édition. • Delsol C., (2010), L’état subsidiaire, Paris, PUF. • Detchessahar M., (2013), « Faire face aux risques psychosociaux », in Revue Négociation, n°19, p. 7-80. • De Terssac G., (2003) « Travail d’organisation et travail de régulation », La Théorie de la Régulation Sociale de Jean-Daniel Reynaud : Débats et prolongements, Paris, La Découverte, p 121134 • Ferreras I., (2007), Critique politique du Travail. Travailler à l'heure de la société des services, Paris, Les presses de sciences Po. • Hubault F., (2009). « Le travail de management », in Du Tertre C., Hubault F. et al. « Le travail », in Economie et Management, n°130, p. 36-41. • Journé B., Raulet-Croset N., (2012), « La décision comme activité managériale située. Une approche pragmatiste », in Revue Française de Gestion, vol 38, n° 225, pp. 109-128. • Le passage par des expérimentations à partir d’un cadre de référence. Ce point de passage permet un meilleur ancrage du projet aux réalités de terrain et à ses particularités organisationnelles. Il s’agit de construire avec les équipes concernées des solutions adaptées aux contraintes rencontrées, d’optimiser des initiatives organisationnelles et managériales – notamment les espaces de discussion – en phase avec le modèle de l’organisation apprenante. N°24 - Décembre 2014 Patrick Conjard Chargé de mission, Anact Management du travail La notion de régulation : un élément déterminant dans la compréhension des risques psychosociaux Bien entendu la réalité peut mêler les deux dynamiques, et l’on aurait du mal à observer cliniquement une séparation étanche des deux processus. Quoiqu’il en soit nous pouvons dire de l’activité qu’elle ne fait pas que tendre à résoudre une tâche, mais vise à ramener une stase entre l’opérateur et la situation. Si l’activité échoue à cela dans la durée c’est bien un équilibre psychologique qui est rompu (les mécanismes psychosociaux visent justement à pallier cette rupture, ils sont une tentative de résoudre sur le plan de l’économie subjective ce qui ne l’a pas été sur le plan du travail). Ce texte a pour objet de définir rapidement les contours de la régulation managériale et d’en poser les fonctions dans la gestion du lien entre opérateur et situation de travail. Cette réflexion s’inscrit ainsi dans la perspective de mieux comprendre les mécanismes relatifs à l’exposition aux risques psychosociaux, les déterminants du lien entre opérateur et travail, et l’articulation entre situation de travail et organisation. Elle s’appuiera sur une perception des situations de travail du point de vue de l’activité de l’opérateur, c’est-à-dire en l’occurrence comme constituant un ensemble de problèmes à résoudre. Nous pourrions d’ailleurs, à partir de cette position liminaire, envisager plus globalement le travail comme étant essentiellement une entreprise de résolution contextualisée de problématiques. Mais là n’est pas notre propos. Nous entendons par situation de travail le contexte, entendu dans l’ensemble de ses dimensions, de travail de l’opérateur, contexte situé dans le temps et dans l’espace. La perspective qui fait envisager les situations de travail comme une combinaison de tâches à résoudre amène à les appréhender parallèlement (toujours du point de vue de l’activité) comme un ensemble de contraintes et de ressources à disposition de l’opérateur (en réalité à disposition potentiellement). D’une certaine façon l’un découle de l’autre. Sans vouloir détailler cela, les ressources peuvent se trouver dans le collectif, dans le matériel… Pour le dire autrement des éléments constitutifs de la situation de travail s’opposent ou rendent plus difficiles la résolution des tâches, tandis que d’autres favorisent cette résolution. Bien entendu il n’est pas possible de distinguer définitivement des facteurs de contraintes et des facteurs de ressources car, selon les circonstances, ils peuvent être l’un ou l’autre (parfois ils seront l’un ou l’autre en fonction de l‘opérateur qui occupe la situation de travail). Pour autant les ressources potentielles n’adviennent comme ressources concrètes que si l’opérateur sait les appréhender comme telles. Cela renvoie, mais c’est un autre sujet, au rôle majeur des compétences et de la posture dans la possibilité de maintenir un équilibre entre contraintes et ressources. Cela mériterait également des développements importants. Les cahiers des rps Les situations de travail Si la situation de travail s’offre au sujet comme une somme de résolution de problèmes, il faut l’entendre sur deux plans : d’une part la réalisation de la tâche qui va mobiliser ressources et compétences dans le cadre de stratégies d’action, d’autre part la mise en place de stratégies visant à maintenir un équilibre psychologique sinon stable, du moins permettant de rester en santé. Il faut bien prendre la mesure de ce point : on ne peut distinguer ce qui relève de l’activité, disons externe, tournée vers l’action sur l’environnement, de l’activité intrapsychique. Nous ne parlons pas ici de ce qui relève de l’activité cognitive mais bien de l’activité psychique. Ceci nous amène à mettre en lumière l’ensemble des mécanismes psychosociaux à l’œuvre dans le rapport au travail, mécanismes particulièrement visibles dans des situations où la santé au travail est mise en danger. Ces mécanismes visent avant tout à préserver la cohérence d’un sujet (par exemple phénomène de déni, formes diverses de victimisation…) traversé par des contradictions internes qu’il ne peut résoudre ou assumer. Ils ne sont pas simplement des mécanismes psychologiques défensifs car ils répondent aussi à un désir de « mettre en forme » l’environnement. Il nous faut souligner le fait que l’on ne peut réduire les stratégies d’adaptation et les mécanismes psychosociaux à des mécanismes de défense. Cette dernière notion, très utile en psychologie clinique, ne recouvre pas l’ensemble des fonctions que nous attribuons aux stratégies d’adaptation et mécanismes psychosociaux. Ces derniers portent une mise aux normes subjectives de l’environnement (ce qui pour G. Canguilhem est un des fondements de la santé), une intention informulée le plus souvent de transformation de la situation que l’on ne peut ramener à quelque chose de « défensif ». Au contraire pourrait-on dire, ils visent à affirmer l’être de l’opérateur (on est bien sur le fond dans un registre existentiel) ce qui ne s’appréhende que par sa capacité à transformer sa situation de travail. Si l’on en reste à ce niveau (la situation comme somme de problèmes à résoudre) il apparaît manifeste que l’on ne peut totalement séparer la situation de son contexte social et organisationnel. Cela revêt pour le projet d’apprécier le caractère exposant d’une situation de travail aux risques psychosociaux, un aspect tout à fait déterminant. Il arrive nécessairement au travail que les contraintes débordent les ressources, ne serait-ce que de manière partielle ou temporaire (que ce soit une augmentation de la charge de travail ou encore par le fait que se pose de manière aiguë une question éthique, ou par l’apparition d’un incident que l’on ne sait résoudre, ou encore dans une infinité de circonstances). Il est inévitable que dans la durée les contraintes débordent les ressources, soit de manière ponctuelle, soit de manière régulière. Ceci est une pièce centrale de notre raisonnement : l’activité de l’opérateur ne peut maintenir seule une stase dans les rapports opérateur / situation de travail. L’apparition d’un déséquilibre ponctuel, récurrent ou chronique, est inévitable. On ne prendra à l’appui de cette affirmation qu’un seul argument : le sujet change en permanence (il vieillit inexorablement, c’en est déjà une illustration) mais le travail aussi. Les ergonomes savent cela mieux que quiconque. S’en tenir à ne considérer que l’opérateur et sa situation de travail est impossible, ou plutôt cela n’a pas de sens. Dans l’absolu, le travail finit toujours par déborder l’opérateur, à un moment la tâche est insoluble ou indépassable. Ils sont à comprendre comme une tentative d’ajustement d’un sujet « reformulant » les paramètres de l’environnement. Lorsque la situation favorise la santé et ne rompt pas l’équilibre des rapports, il en résulte développement subjectif et production d’expérience (là aussi les deux vont de pair, il conviendrait d’expliciter ce point). 14 Les cahiers des rps Management du travail s’appuyer uniquement sur les dimensions constitutives du travail réel. Délibérer sur une décision, apprécier une prise de risque, juger de l’application d’une règle de métier, faire jouer une solidarité dans la gestion de la charge de travail sont, dans le meilleur des cas, des fonctions du collectif qui constituent une forme de régulation. Mais cette dernière ne s’inscrit aucunement dans les attributs propres de la régulation managériale telle que nous l’avons définie. D’ailleurs si la régulation par le collectif était suffisante pour maintenir l’équilibre entre opérateur et situation de travail, cela signifierait que les fonctions d’encadrement ne seraient pas vraiment nécessaires, tout du moins du point de vue opérationnel. Or on peut constater, par une forme de démonstration ad absurdum, que ce n’est pas le cas. La place de la régulation Dans ce cas le sujet va user dans un premier temps de ses ressources propres (le burn out est la conséquence de l’épuisement de ces ressources propres), éventuellement mobiliser ou s’appuyer sur les ressources du collectif. Mais cela ne suffira pas. Il va devoir, vaille que vaille, faire appel à la régulation managériale. Celle-ci, tout en n’appartenant pas à la situation de travail à proprement parler, la traverse de part en part. Elle nous est apparue si importante dans notre expérience de l’intervention que l’on ne saurait décrire les rapports entre les opérateurs et le travail, ou encore les rapports au sein d’un collectif sans interroger finement les modes de régulation. Nous pensons aujourd’hui qu’elle joue un rôle crucial dans la dynamique des échanges entre l’opérateur et le travail, et de manière indirecte dans la possibilité laissée à l’opérateur de maintenir un équilibre psychologique au travail, par la qualité maintenue du rapport au travail, et de poursuivre sa dynamique de construction subjective. Pour résumer, la régulation est le moyen ou la condition nécessaire pour maintenir l’équilibre entre contraintes et ressources de la situation, ou envisagée de manière plus large, pour maintenir l’équilibre entre le travail et l’opérateur. Qu’entendons-nous par régulation managériale ? C’est la capacité de l’organisation, portée en particulier par les fonctions de manager, de réguler l’activité de l’opérateur (et des opérateurs entre eux) et de permettre le maintien d’un cadre de travail apte à favoriser la réalisation du travail dans des conditions satisfaisantes du point de vue de la production et n’excédant pas les ressources des opérateurs. Si l’un de ces deux points n’est pas respecté, la situation de travail ne peut perdurer. Cette définition fait de la régulation à la fois une activité et un rapport (en soi, elle n’est pas un objet puisqu’elle implique, pour advenir, une interaction). Elle nécessite donc des règles et un échange, ainsi qu’un acteur pour créer et rendre possible cet échange. Ceci s’appuie, comme nous l’avons vu, sur l’hypothèse que toute situation de travail ne constitue pas un système stable. Au contraire elle réclame, pour s’inscrire dans le temps, des interventions externes au complexe travail / opérateur. Dans le cas contraire on assiste, soit à une dégradation de la qualité de la production, soit à une dégradation de sa viabilité économique, soit à des difficultés sociales, relationnelles ou psychopathologiques. Lorsqu’on envisage ainsi la régulation, on s’aperçoit qu’elle est le point de liaison, si l’on peut dire, des enjeux du travail (au sens de travail réel) porté par l’opérateur et des enjeux de gestion et de production portés par l’organisation. On saisit bien, dès lors, qu’un dysfonctionnement à ce niveau aura des conséquences significatives à la fois sur les opérateurs, sur le travail et sur la production. Les trois dimensions de la régulation Comment se traduit concrètement la régulation ? Comme son nom l’indique, elle est d’abord la garantie de la mise en œuvre d’un certain nombre de règles (d’où la vigilance à voir pour ne pas la confondre avec la prescription). De ce point de vue la régulation est d’abord l’activité qui fait vivre la règle. Inutile d’argumenter que dans la réalité parfois on tend à faire appliquer strictement la règle ou la prescription et non à la faire vivre : cela revient à dire que justement il n’y a pas de régulation. Faire vivre la règle n’est pas strictement synonyme d’application aveugle ni non plus une forme d’oubli de la règle au profit d’une gestion totalement soumise aux variations des circonstances. La régulation est la garantie de la validité de la règle dans une prise en compte contextualisée. On voit que cela ne peut être circonscrit à des modes de fonctionnement, un savoir-faire est requis. Il y a bien un art de la régulation, qui renvoie probablement à une forme d’engagement de soi dans la relation même si les modalités organisationnelles sont une condition nécessaire pour qu’elle puisse se déployer. La règle est ainsi un moyen essentiel pour maintenir le cadre de la situation de travail, cadre susceptible de créer les conditions, non seulement de la production, mais aussi de la santé : le cadre est protecteur (mais il n’est pas que cela, c’est un appui permettant au sujet de produire une expérience). On en trouvera les meilleurs exemples, non pas dans le domaine de la résolution des problèmes liés à la tâche, mais dans la régulation des relations ; l’absence de règle vivante est la meilleure voie pour arriver à des difficultés psychosociales et interindividuelles. On pourrait citer à foison des exemples de problématiques lourdes du point de vue des troubles psychosociaux où c’est l’absence de règles et de cadre qui a été le problème originel. Là aussi le terme de règle est déterminant. Si on ne régule pas les conflits ils persistent et perdurent et ne disparaissent pas par Nous devons distinguer la régulation managériale, dont nous parlons, de la régulation par le collectif, mise souvent en avant par les ergonomes notamment. La régulation par le collectif reste dans le champ unique du travail, tandis que la régulation managériale doit prendre en compte bien d’autres paramètres. Ceux-ci ne s’inscrivent pas dans le champ de rationalité des opérateurs (ou leur restent parfois inconnus : on peut citer des process transverses, un agencement organisationnel, l’appréciation des contraintes externes, etc.). La régulation, pour s’exercer, ne peut par définition N°24 - Décembre 2014 15 Les cahiers des rps Il faut également distinguer la régulation de l’activité de prescription. Nous le précisons car spontanément tout un ensemble d’analystes du travail ne voient, dans l’action managériale, qu’une fonction de rappel du prescrit (sous une forme ou sous une autre). Ces analystes opèrent un découpage assez baroque ; le travail réel ce sont les opérateurs, le travail prescrit ce sont les managers. Cette identification sommaire fonctionne comme une grille de lecture a priori et ne rend pas compte, bien entendu, de la complexité de la réalité. Réguler ce n’est pas prescrire, tout du moins ce n’est pas essentiellement prescrire, c’est ce que nous allons essayer d’illustrer. Management du travail enchantement. Le destin du conflit non résolu est bien souvent, à échéances variables, la crise. ou clore un débat, elle ne saurait recouvrir l’ensemble des formes d’appui aux pratiques. Dans la régulation managériale est incluse l’action visant à permettre à l’opérateur de résoudre lui-même un certain nombre de questions portées par le travail. En effet, il ne s’agit pas que d’arbitrer, il est nécessaire, et plus souvent encore, de donner les éléments permettant à l’opérateur de dépasser lui-même un obstacle ou un questionnement. Les cahiers des rps Il est très intéressant de constater que les lieux où se développent les conflictualités interindividuelles les plus fortes, où les problématiques de harcèlement sont les plus aiguës sont ceux où la règle est absente (par exemple une entreprise qui a grandi trop vite) ou ceux où l’on ne peut plus la mettre en place (situations perverses) ou ceux où l’on refuse de le faire par pusillanimité ou idéologie. Cela vaut aussi d’ailleurs sur des questions de conflits de règles qui restent non résolus. La règle a également une valeur ou une réalité technique. Entendue au sens large, elle n’est pas circonscrite aux dimensions sociales ou relationnelles. Elle capitalise à sa façon un savoir ou un savoir-faire. L’appui de la règle est dès lors un appui au faire. La régulation se présente de ce fait comme un étayage, une ressource technique portée par l’organisation par et grâce à des acteurs qui sont garants d’un mode de travail et du respect d’un certain nombre de comportements. La régulation garantit le cadre, fait vivre la règle, pose des arbitrages et étaye les pratiques. Ce sont les quatre caractéristiques essentielles qui permettent d’en dessiner les contours. Elle passe par une fonction d’autorité qui « tient » l’organisation et lui permet de faire vivre et travailler ensemble des salariés dans une pérennité sociale et économique. Elle est constitutive du fonctionnement de toute organisation productive. Une organisation dans laquelle le travail n’est pas régulé (ce qui n’est pas synonyme de non-organisé) voit apparaître frictions, blocages, incompréhensions et pratiques clandestines. Autant dire que de la régulation dépendent également efficacité et santé : elle permet la production tout en protégeant le salarié (ou en permettant, si l’on veut que le salarié produise, les conditions de sa santé). A considérer les choses ainsi elles paraissent évidentes. Mais les activités de régulation sont éparses, diverses, et on ne sait les voir spontanément, on voit surtout ces questions à travers le prisme du concept de management, prisme qui semble être un des plus mauvais qui soient pour distinguer le rôle exact de la régulation. Un autre niveau de la régulation relève du choix et de l’arbitrage. Il est des occurrences, nombreuses et parfois quotidiennes, où la situation de travail réclame de l’opérateur un choix qui ne relève ni de ses compétences, ni de sa fonction, ni de son niveau de responsabilité ou qui induit des prises de risque qu’il ne peut assumer seul. Il est bien entendu peu évident de dégager ce qui d’un côté relèverait d’un choix par l’opérateur, d’un choix par la délibération avec le collectif ou les pairs et le choix par la hiérarchie. C’est bien là la source de toute une série de malentendus et de problématiques complexes. Il n’est jamais aisé de délimiter très précisément les responsabilités, car on ne sait prévoir toutes les occurrences, et l’expression spontanée des opérateurs lorsque des difficultés de cet ordre apparaissent n’est pas la réalité courante. Dans la plupart des cas, un malaise s’installe sans que l’on ait, carte sur table, l’ensemble des éléments permettant de comprendre exactement ce qui est en train de se nouer. La régulation invisible ? La véritable question que l’on peut se poser est pourquoi n’a-t-on pas pris conscience plus tôt du rôle essentiel de la régulation dans la dynamique des organisations et dans l’économie générale des rapports du sujet au travail ? Une des réponses tient dans le découpage méthodique dans lequel on s’obstine bien souvent : les champs du travail, de l’organisation, du management conservent des références, des approches et des perspectives souvent étanches. Ils relèvent également de cultures et de formations éloignées. De ce fait, ce qui est « entre » ou à la jonction, court le risque de passer inaperçu. Une remarque absolument similaire peut être faite pour les entrées disciplinaires. A trop segmenter on perd de vue que le tout n’est pas la somme des parties. II faut reconnaître à l’ANACT d’avoir mis en avant assez tôt, dans son modèle d’analyse des risques psychosociaux, la notion de régulation (Prévenir les risques psychosociaux – Outils et méthodes pour réguler le travail, Douillet P., ANACT, 2014). Mais cela sans aller jusqu’au bout de ses propres raisonnements et sans aller jusqu’à une véritable conceptualisation de la notion. Il arrive également qu’au sein d’une équipe, d’un collectif ou d’un service, des logiques de métiers s’affrontent, ou encore plus simplement des points de vue, des formes d’interprétation, des appréciations à la fois de la situation et de ce qu’il convient de faire. Cela peut déboucher assez naturellement sur un rapport de force, et d’autant plus quand personne n’est légitime pour imposer sa perception et que la délibération n’a rien résolu. Il est facile d’appréhender le fait que l’arbitrage est un élément constamment requis dans la gestion des situations de travail. Laisser des opérateurs produire seuls des arbitrages entre eux ou à un certain niveau de l’activité revient très souvent à laisser libre cours à une forme de loi de la jungle. La nature ayant horreur du vide si l’organisation (au sens d’institution légitime) déserte le terrain et refuse ou évite d’employer sa fonction d’autorité (et ce faisant refuse ses responsabilités) alors toutes sortes de pratiques relationnelles et laborieuses vont apparaître. Il est une autre raison tout à fait intéressante à souligner car elle relève de la manière actuelle d’analyser le travail. Tout un ensemble de théories dans le domaine de l’analyse du travail et des risques psychosociaux produisent implicitement ou explicitement une vision négative de l’action de l’organisation et de la hiérarchie. Pour la psychodynamique l’opérateur travaille « malgré » l’organisation (le mot est de C. Dejours). Pour la clinique du travail, portée par Y. Clot, la souffrance naît du travail « empêché ». L’opérateur y est saisi comme celui qui crée la richesse (parce qu’il rend possible une Lorsque la Loi est absente la violence et la transgression peuvent apparaître très vite. Il y a enfin un dernier aspect dans la régulation qu’il convient de souligner. Si la notion d’arbitrage vient trancher 16 Les cahiers des rps Management du travail production que ne saurait pas réaliser le respect strict de la production, s’adaptant aux variations de la situation et usant de son intelligence et habileté, il est seul à pouvoir gérer l’écart entre travail prescrit et travail réel.) et le travail comme le lieu par excellence de l’intelligence productive. Tout un pan de l’ergonomie française se situe dans cette mouvance. Tant et si bien que quasiment l’ensemble des acteurs se réclamant de l’analyse du travail souscrivent à ce schéma un peu, beaucoup ou passionnément. les facteurs organisationnels (toujours envisagés de manière statique) et les tenants du prisme individuel est dépassée. Le concept est sûrement impropre mais une forme d’interactionnisme raisonné semble la meilleure voie pour avancer dans la compréhension des phénomènes psychosociaux. Il n’existe guère d’exposition statique des risques psychosociaux, elle est probablement dynamique, c’est ce que permet de comprendre la notion de régulation. Cette vision n’est pas fausse, elle est partielle. Elle s’appuie sur une vision de l’opérateur résolvant les problématiques du travail en s’appuyant sur le collectif, le métier et ses ressources. Il gère et dépasse l’écart entre le prescrit et le réel, fondées comme deux dimensions intangibles de la réalité. A force de vouloir rendre le travail réel « visible », ou bien en étant totalement centré sur l’opérateur, ou encore tout au projet de dénoncer les malfaisances du travail, on en oublie qu’on est dans un univers où ce qui prime est souvent l’économie relationnelle fine et complexe des questions productives, des questions liées à la résolution des problématiques inhérentes au travail. Dans cette vision des choses, le travailleur est en quelque sorte le « héros » du travail, en tout cas le personnage héroïsé de la dramatique du travail, avant d’en être la « victime » quand la souffrance apparaît, souffrance dont la cause est forcément l’organisation et son aveuglement au réel. La dramatique est alors tragédie. On n’est pas au théâtre mais on est, sans avoir l’air d’y toucher et sous couvert de mise à jour du réel, de plain-pied dans l’idéologie. A force d’être partielle, l’approche devient ignorante. L’ombre de la régulation La régulation est, bien entendu, ce qui permet à l’opérateur de se maintenir au travail lorsqu’apparaissent des contraintes indépassables et ingérables pour lui. D’ailleurs, quand la régulation est défaillante ou absente, on assiste à des pratiques clandestines, à des problématiques conflictuelles, à des retraits du travail, à des accidents du travail… Ce lien, complexe à gérer, voire à assumer, est au cœur de la performance sociale et économique si l’on veut bien avoir une appréciation micro des réalités productives et économiques. Or, la régulation vient relativiser tout cela. Elle ouvre un espace de friction entre travail et organisation, permettant de les penser ensemble, dans une approche économique et/ou systémique. Elle glisse un acteur supplémentaire dans la réalisation du travail, un acteur dont le rôle même est de faire lien entre organisation et travail. L’idéologie ne veut pas de cela. Elle préfère des oppositions marquées et des messages simples, même s’il faut les emballer dans des sophistications théoriques qui ne sont que des rationalisations. Cette vision donc, au-delà du simple champ théorique est problématique, et institue, sans le dire, expressément la conflictualité du travail comme indépassable, et elle minore totalement la part de la régulation dans le fait que le travail puisse se faire. Elle le fait, car pour elle, coûte que coûte, le travail doit rester à la fois central et être distingué de l’organisation. Elle arme des pratiques sociales d’expertise, d’intervention, et alimente intellectuellement un conflit travail / organisation. On pourrait, en miroir, créer une perception du fonctionnement organisationnel où le travail se fait « malgré » les opérateurs et où l’on démontrerait que c’est l’intelligence organisationnelle qui rend le travailleur apte à réaliser sa tâche. Après tout, ce n’est souvent qu’une question topographique, une question de point de vue. Ce serait tout aussi contre-productif mais guère plus partiel que ce qui nous est proposé quelquefois aujourd’hui. Il est temps de sortir d’une forme de manichéisme conceptuel même adouci par les discours. Il donne une vision erronée des choses. Pour ce qui est des risques psychosociaux, on saisit combien l’opposition, féconde et pratique à un moment donné, entre les tenants d’une approche par N°24 - Décembre 2014 17 Les cahiers des rps L’absence de régulation, avons-nous dit, est une façon pour l’organisation de ne pas assumer ses responsabilités. Cela peut avoir diverses raisons. Refus de positionner un cadre précis, volonté de masquer les questions du travail (pour imposer des exigences gestionnaires mais aussi parfois pour se débarrasser littéralement des questions issues des pratiques), crainte de libérer une parole, manque de compétence, vision totalement minorée des problématiques issues du travail… Ce ne sont pas les causalités potentielles qui manquent. Il est certain qu’il existe une forme d’idéologie gestionnaire que nous avons décrite dans un texte précédent (« « Le nouveau monde » ou le désajustement entre logique gestionnaire et réalité laborieuse », Martini F., in Ergologia, N°5, mars 2011) qui ne peut appréhender le rôle et l’importance de la régulation, ou en tout cas qui veut en entendre parler le moins possible. La conséquence est qu’elle est aujourd’hui un problème majeur dans le management des organisations. Cela met en perspective, en particulier, le rôle de l’encadrement de proximité. Dans l’ensemble des débats autour de ce type de fonctions qui a un rôle crucial dans le bon fonctionnement des organisations force est de constater que l’on a très peu intégré la dimension relative à la régulation. Il est vrai que cela sous-entend que l’encadrement de proximité ait a minima des marges de manœuvres, et qu’il ait aussi une culture technique apte à lui faire comprendre l’ensemble des déterminants des problématiques du travail. D’autres conditions existent bien entendu. Nous citerons la cohérence de la ligne managériale, c’est-àdire le partage implicite des mêmes positions à divers niveaux de la hiérarchie. Sans cela, il est très difficile d’aller vraiment dans une régulation partagée car son exercice implique, ne serait-ce que de manière implicite, l’engagement d’une forme de responsabilité qui ne peut se faire que lorsqu’on est en cohérence avec sa propre hiérarchie. Il faudrait développer cette thématique de la responsabilité. Il est certain que, sans possibilité de prise de responsabilité, la régulation sera plus difficile. En ce sens, un conformisme perpétuel ou le souci permanent de se protéger, ne peuvent créer des conditions à un fonctionnement par la régulation du travail. Management du travail Mais inversement, les opérateurs eux-mêmes, ont parfois la tentation de s’y soustraire et de faire de leurs pratiques et de leurs perceptions leurs référents ultimes. C’est bien de deux côtés que l’on évite la régulation. contre, si elle ne fonctionne pas bien, elle sera forte. De ce point de vue elle a un poids supérieur à celui d’autres facteurs (charge de travail..) dans la mesure où elle concerne l’ensemble des problématiques. Tout problème s’il ne peut être résolu, peut être régulé. S’il n’est pas régulé, il ne va pas se résoudre seul. Il agira en sourdine ou de manière spectaculaire. Conclusion Les cahiers des rps Dans l’approche du caractère exposant aux risques psychosociaux des situations de travail, il est déterminant de savoir si elles s’inscrivent ou non dans un ensemble régulé. La régulation renvoie à une caractéristique objectivable et à des activités concrètes et se prête mieux à notre propos que, par exemple, le terme de management. Celui-ci, de par son côté général, ne permet pas de savoir si le lien entre travail et organisation est réellement géré. Ensuite, beaucoup d’approches managériales reposent sur la gestion des individus, la motivation, l’animation (ce qui est très loin de nos préoccupations). Enfin, on a toujours du mal à distinguer le management et le manager. Cela est contre-productif quand on veut objectiver et sortir d’une vision individualisante. Tout un ensemble de dimensions et de paramètres peuvent être problématiques et il n’y a pas de situation de travail qui permette que soit maintenu en permanence l’équilibre entre les contraintes et les ressources, c’est-à-dire qui constitue un système autorégulé. Qu’il existe ou pas un collectif fonctionnant, rien ne change à l’affaire. Chaque occasion de déséquilibre se voit amplifiée par l’absence de régulation ; c’est l’argument central qui fait que la régulation est un facteur majeur dans la perception du système de contraintes et de ressources en situation de travail. Si l’on prend la mesure du rôle de la régulation on a une autre perception des questions du lien travail / opérateur / organisation. Il est donc essentiel dans l’approche des situations de travail comme ensemble dynamique de contraintes et de ressources, d’appréhender qu’il est aussi et nécessairement un ensemble régulé. En ce sens il est évident que, si la régulation fonctionne bien, l’exposition réelle et non théorique aux risques psychosociaux sera faible et, par ;: Calcul du coût du stress professionnel et des risques psychosociaux Franck Martini Contribution au Séminaire interne CATEIS du 7 avril 2014 Risques psychosociaux (RPS) et Qualité de Vie au Travail (QVT) Atelier d’échanges public-privé du 17 juin 2014 L'EU-Osha a publié une synthèse d'études européennes sur le coût des risques psychosociaux. Le document, rédigé en anglais, propose un panorama des travaux européens sur le sujet, complété d'approches extra-européennes (Australie, Canada, Etats-Unis). Différents chapitres s'attachent à montrer que les risques psychosociaux pèsent financièrement sur l'entreprise, le secteur d'activité, et l'économie d'un pays. Après une forte prise de conscience des « risques psychosociaux » (RPS) et la mise en place de démarches spécifiques de prévention et de traitement de ce type de situations, les entreprises s'engagent aujourd'hui dans des approches plus globales, autour de la notion de « Qualité de Vie au Travail » (QVT). Ces démarches, qui intègrent notamment la gestion des RPS, s'inscrivent désormais dans le cadre de l'accord national interprofessionnel de 2013. Plusieurs organisations et entreprises, pionnières sur ces sujets, ont négocié avec leurs partenaires sociaux des accords-cadres sur la QVT. Il s’agit cependant d’une pratique encore peu répandue ou peu concluante qui laisse penser qu’il reste encore de grands chantiers à mener sur ces sujets. On dénote cependant dès à présent un réel intérêt, exprimé par les entreprises et les organisations, pour la question de la QVT et les moyens à mettre en oeuvre pour l’améliorer. L’atelier du 17 juin a permis d’examiner ces différentes notions (RPS et QVT) : ce à quoi elles renvoient et ce qu’elles impliquent pour les salariés, le management et la fonction RH. Mettre en place des démarches spécifiques relatives à la QVT et à la prévention des RPS apparaît indispensable pour préserver le bien-être des salariés ainsi que leur engagement et pour garantir l’attractivité d’une organisation. Cela nécessite néanmoins que soit réuni un certain nombre de conditions de réussite, notamment : une forte implication de l’encadrement, la mobilisation d’outils adaptés, une politique de communication efficace et un investissement dans la durée. Au-delà des travaux universitaires, le document propose conseils et méthodes de calculs pour évaluer le coût des RPS au niveau de l'entreprise. Les auteurs on également dédié un chapitre à l'évaluation économique des démarche de prévention. Ils citent notamment les travaux du projet européen "Matrix" qui, en suivant plusieurs entreprises de pays différents sur un an, ont pu observer que pour 1€ dépensé en prévention des RPS, 13,64€ de bénéfice économique net étaient enregistrés. Source : www.anact.fr Si vous souhaitezrecevoir les cahiers des RPS, merci d’en faire la demandeà la DIRECCTE auprès de : [email protected] Source : www.fonction-publique.gouv.fr 18 Les cahiers des rps Dossier Colloque Retour sur le Colloque Prévention des RPS Comment faire ? Retour d’expérience et Bonnes pratiques 17 juin 2014 - Parc CHANOT n Partie 1 les enseignements tirés, tant du point de vue des avancées que des échecs ainsi que le travail restant à mener. Introduction Les entreprises ayant accepté de témoigner à ce colloque ne présentaient, a priori, que peu de similitude entre elles, tant par le secteur d’activité qu’elles représentaient que par leur effectif ou le contexte. Il s’agissait : Ce colloque de 2014 intitulé « RPS - Comment faire ? Retour d’expérience et bonnes pratiques » est en fait le prolongement d’une dynamique interinstitutionnelle démarrée maintenant depuis plus de 10 ans sur ce sujet. Il vient, d’une certaine manière, clore un cycle de colloques régionaux qui ont porté sur : • de PSP-ACTES, structure associative devenue Fondation et rattachée au secteur sanitaire et social ; elle comprend de nombreux sites répartis sur le département des Alpes-Maritimes et compte environ 300 salariés. Son action prioritaire est tournée vers les enfants, les jeunes, les adultes et les familles en très grande difficulté, et touche 3 secteurs différents : n Accompagnement social et médico-social n Insertion-logement-emploi n Enfance-famille n RPS - Que met-on derrière ces mots ? Quels indicateurs mettons-nous en place ? n Comment évaluer le risque psychosocial ? n Quels plans d’actions ? n Il s’inscrit également dans la continuité d’autres actions menées régionalement, comme notamment : • celles axées sur la sensibilisation des représentants du personnel, notamment avec l’IRT (Institut Régional du Travail) ; • De Thales Alenia Space, coentreprise franco-italienne du secteur de l'industrie spatiale (67% Thales et 33% Finmeccanica) et dont le siège social est basé à Cannes. Leader mondial dans le domaine des télécommunications, de la navigation, de la météorologie, de la gestion de l'environnement, de la défense et de la sécurité, de l'observation et de la science, la structure compte 7 500 salariés en Europe, dont 4 350 salariés en France (2 350 salariés sur Toulouse et 2 000 salariés sur Cannes essentiellement constitués d’ingénieurs et de cadres (75%)). • celles orientées sur l’échange des savoirs, des savoir-faire et de l’expérimentation entre les acteurs du milieu du travail, le monde universitaire et les institutionnels par la programmation de rencontres régulières (séminaire du LEST) ; • celles destinées à accompagner les entreprises dans leurs démarches de prévention soit individuellement (en offrant la possibilité aux entreprises qui le souhaiteraient de recourir à un consultant attestant de compétences sur le champ des RPS et s’engageant à respecter un référentiel) soit collectivement (par la mise en place d’actions de branches) ; Alors même que chacune des démarches présentées apportaient des éclairages singuliers découlant de situations de travail différentes (liées aux éléments de contextes de la structure), il est apparu important lors de ce colloque de s’interroger sur l’existence ou non de déterminants communs (sorte d’incontournables) ayant contribués à la réussite des actions mises en place sur la prévention des RPS. •…/… Partie 2 Il s’agissait, durant et à l’issue de ce colloque, de tirer des premiers éléments de bilan et d’enseignements à partir : Retour sur la perception du colloque par les participants (exploitation des questionnaires d’évaluation) • de l’éclairage de plusieurs institutionnels (DIRECCTE, CARSAT, INRS, ANACT) Eléments généraux de satisfaction recueillis • de réalités de terrain souvent complexes et sur lesquelles 3 entreprises avaient accepté de témoigner ; pour chaque entreprise, Représentants de la Direction et Secrétaires de CHSCT se sont exprimés sur : n les raisons, le contexte, l’histoire qui avaient conduit la Direction et les Représentants du personnel à initier une telle démarche au sein de la structure n les moyens développés et mobilisés, la méthodologie de travail retenue… N°24 - Décembre 2014 Sur les 520 personnes inscrites initialement au colloque, 360 personnes ont participé au colloque parmi lesquelles 25 représentants des institutions (DIRECCTE / CARSAT-SE / MSA / ARACT-ANACT / INRS). Sur les 335 personnes présentes et représentant le monde de l’entreprise (incluant 66 nouveaux participants inscrits sur place), 149 personnes ont retourné un questionnaire de satisfaction (soit 19 Les cahiers des rps • De la Brincks, entreprise à l’origine orientée vers le transport de fonds, le traitement de valeurs et la gestion des automates bancaires en France et depuis 1985 vers la sureté aéroportuaire ; cette structure, dont le siège social se trouve à Paris, compte 5 800 salariés en France, dont 850 salariés rattachés à la Direction Régionale Sud-Est de la filiale transport de fonds et répartis sur 17 agences • celles développées dans le cadre d’un dialogue social territorial, au sein de certains départements, comme : les matinales ou les petits déjeuners dans les départements du 06 et du 83, les colloques départementaux, l’animation de comités départementaux sur les RPS dans les départements du 06, 83 et 84 ; Dossier Colloque n 44,5% de réponses) ce qui a conduit à la synthèse qualitative et quantitative suivante. n Nous nous sommes, dans un premier temps, intéressés au profil (c'est-à-dire à la fonction occupée au sein de la structure) des participants présents à la rencontre que nous avons rapproché de celui des répondants aux questionnaires. Globalement nous avons pu constater que le profil des « répondants aux questionnaires » était en adéquation avec la répartition socioprofessionnelle des présents et se répartissait comme indiqué sur le graphique suivant : l’animation (90%) l’organisation de la manifestation (durée : 91%, logistique, accueil : 94%) Certains semblent légèrement moins satisfaits de la qualité des échanges avec la salle (85% de satisfaits voire très satisfaits) et des documents remis (65% de satisfaits voire très satisfaits). Eléments d’analyse sur les démarches RPS mises en place dans les structures 64% de personnes ayant retourné leur questionnaire expriment le fait d’avoir rencontré des difficultés pour construire une démarche de prévention sur les RPS dans leur entreprise. Les cahiers des rps Aussi, afin d’apprécier ces démarches de prévention mises en œuvre dans les différentes structures, plusieurs questions en termes de Bonnes pratiques et de Retour d’expérience étaient posées aux participants. Elles abordaient les aspects suivants : n freins et clés de réussite n modalités de mise en œuvre n moyens mobilisés D’un point de vue approche multisectorielle, les 5 principaux freins ressortant de l’analyse des 149 questionnaires retournés sont : n les difficultés d’aborder l’organisation du travail n l’insuffisance de formation des personnels n la question des relations hiérarchiques n la qualité du climat social n le manque de réunions collectives Nous avons également souhaité connaître les secteurs d’activités des personnes ayant répondu aux questionnaires, de manière à pouvoir en dégager, si besoin, des spécificités d’analyse par secteurs. S’agissant de la taille des principales structures représentées, nous notons, tous secteurs confondus (sur la base de 62 répondants): Entre 1 et 20 salariés De 21 à 49 salariés De 50 à 250 salariés % exprimé au regard de l’ensemble des répondants 11% 6% 82% Il est à noter que même si cette question offrait la possibilité de plusieurs réponses (choix multiple), plus d’1 personne sur 2 (voire 1 personne sur 3) classe ces 5 principales raisons comme des freins possibles à la mise en place d’une démarche de prévention. Enfin 93% des répondants se disent être globalement satisfaits voire très satisfaits du colloque, tant sur : n son contenu (91%) n les interventions (95%) 20 Les cahiers des rps Dossier Colloque Ces premières tendances ont été affinées, pour les 3 principaux secteurs représentés (Santé-Sanitaire et Social ; Services et Assurances ; Industries). Du fait du trop petit nombre de questionnaires retournés pour le secteur du commerce (13 questionnaires, soit 9% des questionnaires rendus), il n’a pas été possible d’extraire des tendances sur ce secteur. A noter que les premiers freins à la mise en place d'une démarche RPS, pour chacun des 3 secteurs sont identiques : • les difficultés d’aborder l’organisation du travail • l’insuffisance de formation des personnels Toutefois, il conviendrait d'approfondir certaines spécificités de secteurs : • S’agissant du secteur de la Santé, Sanitaire et Social, les relations hiérarchiques ne semblent pas constituer un frein majeur à la mise en place d’une démarche de prévention (frein arrivant en dernière position contrairement aux 2 autres secteurs) alors que le manque de temps d’échanges et de réunions collectives est pointé comme une difficulté première (frein arrivant en 3ème position) • S’agissant du secteur des Service et des Assurances, c’est la qualité du climat social qui arrive en 3ème position des freins possibles à la démarche, avant les relations hiérarchiques. Compte tenu des différents freins soulevés par les personnes interrogées sur la construction d’une démarche de prévention, il paraissait important que la question suivante du questionnaire porte sur les acteurs de l’entreprise qu’ils avaient identifiés eux-mêmes comme personnes ressources en matière de RPS. Là encore, nous avons souhaité affiner ces premières tendances par une approche plus sectorielle afin d’en apprécier les différences et similitudes : N°24 - Décembre 2014 21 Les cahiers des rps Les 4 acteurs principaux, cités par au moins 50% des répondants au questionnaire, et identifiés comme des ressources à mobiliser pour la mise en place d’une démarche de prévention, sont, tous secteurs confondus : • Les membres désignés du CHSCT (79% des répondants) • Les Directions (77% des répondants) • Les médecins du travail (66% des répondants) • Les Directions des Ressources Humaines (65% des répondants) Dossier Colloque Les cahiers des rps A présent, intéressons-nous à la manière dont les entreprises ayant répondu au questionnaire formalisent la démarche de prévention des RPS (tout comme précédemment plusieurs réponses étaient possibles). Hormis pour le secteur de l’industrie pour lequel des accords signés ont permis, dans certaines entreprises, de travailler et de formaliser la démarche de prévention RPS, l’ensemble des acteurs (tous secteurs confondus) semble s’accorder sur le fait que le DUER mais aussi les comptes-rendus de réunions demeurent les principaux moyens communément utilisés pour retranscrire la démarche. Eléments de perspectives et de suites Du point de vue des participants, dans chaque secteur et dans les structures en disposant, le CHSCT apparaît comme l’acteur incontournable à mobiliser pour parvenir à construire une démarche de prévention ; cela semble souligner le rôle important accordé au CHSCT à la fois comme moteur, dans les dynamiques de prévention à impulser, et facilitateur de par sa connaissance des réalités de terrain et ses rapports à la Direction. Pour les secteurs en étant dotés, notons aussi la place prégnante donnée aux Délégués du personnel (par exemple, 93% de répondants du secteur de l’industrie les citent comme des acteurs ressources), à la différence des organisations syndicales qui n’apparaissent pas comme des acteurs à mobiliser en première intention. Afin de tenter de mesurer l’impact de cette rencontre sur les pratiques des acteurs à leur retour dans l’entreprise, ou tout du moins les pistes possibles de suites, une dernière question portait sur la nature des actions possibles susceptibles d’être menées dans les structures, par chacun des acteurs. Sur les 149 personnes, ayant retourné un questionnaire de satisfaction, indépendamment du secteur d’activité et de la fonction occupée, à la question : « Quelles nouvelles actions en matière de prévention pensez-vous initier ? », les réponses ont été les suivantes : La Direction (ainsi que les services de Ressources Humaines, pour les secteurs en disposant) apparaissent bien comme des acteurs incontournables, ne serait-ce que pour s’assurer de la volonté et de l’engagement à agir. Le fait que le responsable sécurité ne soit identifié que par 37% des répondants comme un acteur à mobiliser, peut s’expliquer du fait que cette fonction ne soit pas mise en place systématiquement dans toutes les structures de tous les secteurs. S’agissant du médecin du travail, il semble bien avoir été identifié comme une personne ressource pour l’accompagnement de la démarche, du moins pour 2 secteurs (la santé, le sanitaire et social et l’industrie) ; cette tendance, avec la mise en place progressive de la pluridisciplinarité au sein des services de santé au travail, devrait perdurer dans les années prochaines. Par contre, s’agissant du secteur des Services et des Assurances, il semble que le médecin du travail ne soit identifié que bien après la mobilisation d’autres acteurs comme : les IRP (CHSCT/DP), Direction et RH et les autres salariés. 22 Les cahiers des rps Dossier Colloque Il est intéressant de constater que les nouvelles actions, proposées par les participants seront davantage axées sur l’amélioration des démarches en cours ou projetées que sur l’initiation de nouvelles démarches : • 4 Bonnes Pratiques illustrant la culture de prévention n Les moyens alloués à la prévention et l’existence d’une fonction santé-sécurité n L’approche pluri-acteurs n La mise en place d’instance de pilotage et de travail n Le développement d’une dynamique globale au sein de l’entreprise incluant la prévention • 54% des répondants disent vouloir mieux communiquer autour de leur démarche de prévention • 47% des répondants disent vouloir mieux associer les salariés à la démarche. • 4 Bonnes Pratiques contribuant à pérenniser la démarche Lorsque cette même question est cette fois analysée par typologie d’acteurs (selon la fonction occupée par la personne dans la structure mais indépendamment du secteur), on note certaines des différences dans la typologie des actions projetées. n La désignation de personnes ressources légitimes Le choix d’outils adaptés pour : actualiser l’évaluation des RPS et suivre le plan d’actions n La sensibilisation, la formation des différents acteurs de l’entreprise n Le travail sur les RPS plutôt a priori qu’a posteriori n • la volonté forte, exprimée par leur Direction, de travailler sur la question des RPS et qui s’est traduite par la mise en place d’actions concrètes : n le dégagement de moyens humains et financiers, consacrés à la démarche n l’existence et le partage de lignes directrices à la fois fortes (ex : cadre ou champ d’intervention, projet de service ou d’établissement, …) et souples (de façon à pouvoir tenir compte de la diversité des réalités de terrain, à autoriser l’expérimentation et l’adaptation plutôt que d’imposer l’uniformité et la transposition) n le travail permanent avec les élus du personnel et le CHSCT (réalisation d’un diagnostic partagé, définition des modalités de travail et de suites, choix partagé de la démarche à mettre en place, co-construction entre acteurs concernés des actions de prévention à mettre en place en associant et impliquant l’encadrement (à tous les niveaux), définition des modalités de participation des salariés, …) Partie 3 Eléments de synthèse / bilan issus du colloque « Prévention des RPS » Au travers des expériences retracées par chacune des entreprises participant au colloque (PSP-ACTES, BRINCKS et THALES), audelà des particularismes de chacune d’entre elles (implantation en région mais siège social non nécessairement en PACA, taille et effectif très variables, problématiques soulevées diverses, …), il est apparu nécessaire aux institutionnels d’essayer de dégager des pistes communes en terme de Bonnes Pratiques ; en effet, il s’est dégagé, des différentes présentations, des formes « d’incontournables », qui, d’une certaine manière, pouvaient contribuer à la réussite d’une démarche de prévention en matière de RPS : il ne s’agit en aucun cas de vouloir calquer à l’identique les actions concrètes mises en place par chacune de ces entités (car fonction de l’histoire, du contexte, des problématiques soulevées, des acteurs en place, …) ; il s’agit plutôt de regrouper, ces formes d’« incontournables » ou de « déterminants » selon 3 grands axes : • la volonté de la Direction de pérenniser dans le temps les bénéfices de l’instauration d’une telle démarche, et qui peut se mesurer par : n la mise en place d’une instance de suivi et/ou de pilotage (même si d’une structure à l’autre, les contours de ces instances, leurs modalités de fonctionnement ou d’animation peuvent différer) n l’intégration ou l’élargissement de la thématique des RPS à de nouveaux sujets ou thèmes traités au sein de la structure ; l’idée est ici de s’appuyer sur la dynamique existante, sur le retour des expériences passées par exemple : sur les méthodes de travail ayant porté leur fruit, sur l’importance du travail en pluridisciplinarité, sur la montée en compétence de l’ensemble des acteurs, …Ainsi, au travers du témoignage d’une des entreprises, • 4 Bonnes Pratiques relevant de la régulation sociale n Le niveau d’implication de la Direction La qualité de la communication, de l’écoute et de l’information transmise par la Direction aux salariés et leurs représentants n L’état des rapports sociaux n La place donnée à l’analyse de l’activité réelle de travail n N°24 - Décembre 2014 23 Les cahiers des rps Pour illustrer ces bonnes pratiques, il suffit de se remémorer les démarches de prévention retracées par les entreprises participant au colloque. Toutes, ont insisté, sur des points qui leur paraissaient essentiels et qui, selon elles, ont facilité la mise en oeuvre de la démarche au sein de leur structure : Dossier Colloque il est apparu que le fait d’aborder la question des RPS avec les représentants du personnel, en amont d’un nouveau projet (projet lié au changement, projet de réorganisation et/ou de service ou projet de réaménagement des espaces de travail) permettait d’anticiper d’éventuelles difficultés et plus largement d’aborder les effets du projet en tenant compte des impacts possibles sur les conditions de travail, la santé et la sécurité des salariés. mettre à jour de gros dysfonctionnements trop complexes à gérer. Ni les salariés, ni l’encadrement n’avaient une idée très précise de ce dont il s’agissait. Tout le monde connaissait la notion nouvelle d’obligation de prévention sans vraiment savoir comment s’y prendre… De même, la négociation d’accords sur des sujets aussi variés que l’égalité Homme/Femme, le maintien des séniors dans les structures, l’accueil des jeunes, la mise en place de la Qualité de Vie au Travail (QVT) sont également de nouveaux angles possibles d’approches des questions de santé au sein des entreprises … Phase 1 Un premier questionnaire passé auprès de 100 personnes de 2 secteurs d’activité. La restitution aux salariés de la synthèse a permis : • une représentation du problème, • de lever une alerte sur un service. n Avec le recul, plusieurs phases ont pu être identifiées : Mais il ne concernait pas assez de salariés. Aussi la décision a été prise d’approfondir les choses de manière différente ; enfin, le souhait de maintenir une qualité dans l’échange, la communication et le dialogue social entre Direction et Représentants du personnel. Phase 2 Un prédiagnostic a été posé par un consultant extérieur sur les 2 services avec des entretiens individuels, des entretiens collectifs et une visite des sites de travail. Ce prédiagnostic n’a pas été accepté, étant trop peu nuancé (généralités, plaintes diffuses plus sur la nature du travail que sur les conditions de travail), et faisant apparaître un certain parti pris. Il ne permettait pas de continuer la démarche. Il dépeignait une situation dramatique avec le point de vue de certains mais pas de l’ensemble. Il laissait la porte ouverte à une grande interprétation. Il n’avait pas été « co-construit » avec l’ensemble des salariés, l’encadrement et les représentants du personnel. Les cahiers des rps Illustration par le témoignage d’une des structures participant au colloque La politique de prévention au sein de la Fondation Patronage Saint-Pierre-Actes Pour appréhender au mieux le contexte de l’élaboration du plan de prévention des Risques Psychosociaux au sein de notre institution, il est nécessaire au préalable d’en présenter le contexte en quelques lignes. La Fondation PSP-Actes, comptant 270 salariés environ, pour la majorité travailleurs sociaux, est une fondation niçoise intervenant dans 3 grands secteurs d’activité : • une action axée sur l’insertion par le logement et l’emploi, • une direction intervenant sur l’enfance et la famille, • une activité relevant de l’accompagnement social et médicosocial. Phase 3 Reprise du prédiagnostic avec le comité de pilotage et début d’un véritable travail en commun sur le plan de la prévention. Ce travail concerté a mis en exergue l’existence de problématiques différentes selon les services. Phase 4 Reprise en main de chaque problème soulevé en lien avec les RPS dans chaque Direction de pôle. Des mesures concrètes ont été imaginées par l’ensemble des salariés des services. Tous les acteurs sont unanimes : les problèmes existants sont surtout liés à l’organisation du travail. En 2012 la Fondation a dû mettre en œuvre un PSE suite à des suppressions et baisses significatives des financements des tutelles. Le fonctionnement de cette « entreprise sociale » est en perpétuel mouvement. Il lui faut s’adapter aux différents changements imposés, ce qui nécessite une réelle dynamique de management et une professionnalisation de ses pratiques et Gestion des Ressources Humaines. Plusieurs solutions très concrètes sont trouvées comme par exemple : • ouvrir les réunions collectives de type réunions de service à l’ensemble des personnels : depuis, les secrétaires participent aux réunions de travail ; • organiser des réunions informelles avec les cadres intermédiaires pour préparer les réunions de services ; • planifier les congés dans des délais « raisonnables » ; • mettre à jour régulièrement le Document Unique en désignant et responsabilisant des salariés référents par service. Concernant le travail accompli sur la prévention des RPS, c’est dès décembre 2009, que la médecine du travail, l’AMETRA propose de réaliser une étude sur 2 pôles. Un comité de pilotage est constitué et un questionnaire est proposé à la majorité des salariés. En 2010, une formation de 2 jours est suivie par les membres de la Direction et par les élus du personnel, membres du CHSCT, souhaitant ardemment que ce projet, innovant à l’époque pour le secteur d’activité de la Fondation, voit le jour. Phase 5 Mise en oeuvre d’actions transversales afin d’obtenir d’autres résultats en parallèle des actions concrètes : la plus significative est le Il est honnête d’avouer qu’avant de commencer cette démarche, il y avait une crainte de la Direction au sujet des RPS, avec la peur de 24 Les cahiers des rps Dossier Colloque travail de prévention effectué sur les situations de violence. Ainsi, la Fondation a décidé de faire intervenir un formateur externe dont l’intervention a permis aussi d’aboutir à la rédaction d’un guide pratique de protection du personnel contre les situations de violence. Phase 6 Depuis l’élaboration de ce premier plan de prévention, plusieurs objectifs sont poursuivis par les partenaires sociaux : • Reproduire cette démarche tout en l’adaptant à un autre secteur de la Fondation, le secteur Enfance-Familles. A ce jour, un diagnostic a pu être établi par un intervenant extérieur et a déjà fait l’objet d’une restitution auprès de l’ensemble des personnels. Ceux-ci ont été consultés par le comité de pilotage qui aujourd’hui recense les diverses propositions émanant des travailleurs eux-mêmes ; • Relancer en permanence l’encadrement (directeurs et chefs de service) pour que la dynamique de prévention des RPS ait vraiment lieu dans les services et que l’organisation du travail s’améliore. La base, pour les convaincre, c’est l’obligation de prévention. Enfin, l’ensemble des acteurs qui ont vécu cette expérimentation estiment que son apport est multiple : • Elle a donné un sens à la prévention des RPS ; • Elle a prouvé l’importance de la résolution des problèmes exprimés par les salariés pour une meilleure Qualité de Vie au Travail ; • Elle a démontré qu’une telle démarche doit être en perpétuelle évolution : ainsi, il est obligatoire de pérenniser la dynamique, la relancer, suivre les plans d’actions… ;: N°24 - Décembre 2014 Même si l’on peut dire, qu’au sein de la Fondation PSP-Actes, le dialogue social est correct, la mise en place du plan de prévention a représenté un énorme travail. Il a fallu prioriser les actions de prévention qui nous semblaient, à nous élus CHSCT, les plus judicieuses à traiter pour le bien-être des salariés. Par exemple : autour de l’absentéisme, la mise en place d’actions concrètes en cas d’absence d’un collègue doit prendre en compte de multiples questions : comment gérer le travail de ce dernier ? Comment le repartir ? Comment ne pas surcharger les salariés présents ? Et puis à son retour, si son arrêt dépasse 3 semaines, comment l’informer de ce qui s’est passé pendant son absence, sans le stigmatiser ? Comment faciliter au mieux son retour ? Dans l’ensemble, le comité de pilotage s’est finalement accordé sur les thèmes à aborder. Malheureusement, une fois ce plan d’actions rédigé, nous n’avons pas pu en faire le suivi. Manque de temps, autres priorités … Les élus CHSCT ont souhaité élargir cette première démarche, qui ne concernait que deux secteurs de la Fondation, à un troisième. Ils ont dû insister longtemps afin de faire accepter à la Direction et plus particulièrement au Conseil d’Administration l’idée qu’il ne fallait pas s’arrêter à deux secteurs. L’aspect financier revenait sans cesse au cœur des débats. Pourtant, nous n’avons plus besoin de prouver que dans de bonnes conditions de travail, des salariés heureux sont plus efficaces et efficients dans leur tache au quotidien. La nécessité d’élargir à tous les salariés nous semblait indispensable au moins d’un point de vue de l’équité. Il a fallu attendre deux ans pour voir un consultant mettre en place un diagnostic RPS sur le 3ème secteur. A ce jour, nous sommes à la rédaction du deuxième plan de prévention. L’avantage de cette deuxième démarche, est que nous savons de quoi l’on parle. Nous pouvons mettre des mots sur des RPS repérés sans tabou. Les actions à mettre en place sont plus faciles à repérer et le premier plan d’action nous sert de support. De ce fait, nous allons pouvoir l’améliorer, le mettre à jour et l’adapter à des situations nouvelles pour, au final, n’en avoir qu’un seul. Même si nous repérons certaines spécificités d’un secteur à l’autre, comme le travail en internat, nous souhaitons qu’il n’y en ait qu’un seul. Cela nous permettra de faire une évaluation régulière. Rappeler sans cesse que nous devons veiller à l’équilibre entre les contraintes liées à l’organisation et les ressources des salariés est notre priorité afin d’éviter et prévenir les RPS. Après le PSE, les baisses de financement amènent, dans notre entreprise, des restructurations importantes. Le secteur sanitaire, santé-social et médico-social sont malmenés et vont obliger les salariés à s’adapter à de nouvelles formes d’organisation du travail. Les salariés de la Fondation Actes font partie des populations exposées. Les élus resteront vigilants. Tout le travail réalisé au fil de ces dernières années va être un atout pour mieux appréhender des situations à risques, mais surtout maintenir une politique de prévention primaire. ;: Stéphanie Tavernier DRH de la Fondation PSP-Actes 25 Caroline Mazzoni Elue CHSCT CFDT, Fondation PSP-Actes Les cahiers des rps Au regard de ce qui précède et en analysant la démarche après 4 années de mise en œuvre, le constat, partagé à la fois par les dirigeants de la Fondation et les représentants du personnel est le suivant : • Une démarche de prévention des RPS est longue, elle n’est jamais finalisée, de nouveaux thèmes à traiter apparaissant au fil du temps et des évolutions internes et externes à l’institution ; • Les actions à mettre en place doivent être co-construites et basées sur des constats objectifs (rapports d’incidents, taux d’absentéisme…) ; • L’organisation d’un suivi régulier des actions correctives est nécessaire ; • Il faut passer par une phase d’expérimentation avant de valider chaque action ; • La diminution des RPS doit très souvent s’accompagner d’aménagements de postes ; • Une centralisation des démarches n’est pas compatible avec une prévention des RPS efficace ; • La place du management est centrale. La prévention des risques psychosociaux su sein de la Fondation PSP-Actes du point de vue des élus CHSCT Dossier Colloque Partie 4 la DIRECCTE, les partenaires sociaux, les organismes de prévention ainsi que les universitaires parties prenantes de ces politiques, un temps commun d’évaluation sera proposé en décembre 2014 : Eléments de perspectives Pour clore ces éléments de bilan et de synthèse, il est important pour les institutionnels, dans la perspective du prochain Plan Régional Santé Travail (PRST) prévu d’être reconduit sur 20152019, de réfléchir, aux axes possibles de suites et de perspectives sur le thème des RPS ; 2 Grands Axes de Travail pour les années futures, semblent se dégager : • Le maintien des dynamiques départementales déjà existantes • La poursuite d’actions régionales en direction des entreprises • Des bilans seront menés sur certaines typologies d’actions terminées ou toujours en cours, de façon à en évaluer les impacts et donc in fine leur reconduction (ou non) au sein du PRST. • Une synthèse de l’analyse des questionnaires déployés par le Laboratoire Universitaire d’Economie et de Sociologie du travail (LEST), devrait également permettre à l’ensemble des acteurs mobilisés de disposer d’éléments en termes de perspectives. Ce questionnaire avait été lancé, suite au séminaire aujourd’hui achevé (financé par la DIRECCTE et animé par le LEST), qui portait sur des thèmes transversaux touchant aux RPS et qui avait conduit à la mobilisation d’acteurs de tout horizon et profil. Ces 2 axes seront, le moment venu, retravaillés de manière à tenir compte des éléments issus d’un processus d’évaluation des actions menées sur les RPS en région depuis plusieurs années. Souhaité par Les cahiers des rps Le LEST réalise un film sur les « Risques PsychoSociaux » Ce film est un documentaire pédagogique, conçu, autour des recherches en cours sur le thème des Risques PsychoSociaux (RPS) au LEST (UMR 7317.CNRS/Aix-Marseille Université), par Paul Bouffartigue avec l’appui de l’équipe santé et travail du LEST, et réalisé par Jean-Christophe Besset. Destiné autant aux professionnels et acteurs de la santé au travail qu’à un public de non spécialistes, ce documentaire de 60 minutes se veut une introduction à la fois pédagogique et vivante à la thématique des « RPS ». Dans une première partie est reconstituée l’histoire de l’émergence des enjeux de santé mentale au travail dans l’espace public au cours des 20 dernières années. Du « stress » aux « RPS » en passant par la « souffrance » et le « harcèlement », les mots qui désignent les maux du travail ont une grande importance. Ils sont en effet associés à des disciplines scientifiques et à des orientations pratiques bien distinctes en matière de prévention des atteintes à la santé. Ce sont ces orientations pratiques et les acteurs qui les portent qui sont au cœur des seconde et troisième parties. Les questions du travail et de son organisation sont privilégiées en tant que cibles d’une prévention qui vise principalement les sources des « RPS », vus non pas comme ensemble de « facteurs de risques » présents dans l’environnement du travailleur, mais comme symptômes de difficultés générées au sein-même de l’organisation du travail et de l’activité professionnelle. Ce documentaire est nourri d’interventions de nombreux spécialistes et témoins, et agrémenté de plusieurs séquences extraites de films et de pièce de théâtre. L’idée en a germé suite au succès du cycle de séminaires publics de recherche consacré à ce thème, organisé de 2012 à 2014 par les LEST dans le cadre du Pôle Régional Travail (Voir le blog http://rps.hypotheses.org/) 26 Avec des analyses, commentaires, points de vue de : Patrick AitAissa, syndicaliste ; Paul Bouffartigue, Sociologue ; Philippe Bouvier, Syndicaliste ; Yves Clot, Psychologue ; Mario Correia, Sociologue ; Armand Creus, Syndicaliste ; Sébastien Dathaux, Datha Network ; Philippe Davezies, Psychologue ; Christophe Dejours, Psychologue ; François Daniellou, Ergonome ; Henri Forest, Syndicaliste ; Muriel Gautier, Direccte-Paca ; AnneMarie Gautier, Consultante ; Gérard Guieu, CHSCT CEA Cadarache ; Olivier Journois, Directeur de magasin ; MarieFrance Hirigoyen ; Pr Henri Laborit, Médecin ; Henri Lachmann, Schneider Electric ; Christian Larose, Syndicaliste ; Pascal Marichalar, Sociologue ; Gérard Magalon, Médecin du travail ; Pierre Moorkens, Institut de neurocognitivisme ; Julien Pelletier, Anact ; Jean-François Perraud, Ergonome ; Jean-René Pendariès, Sociologue ; Laurent Pina, Inspecteur du travail ; Stephane Richard, DG France-Télécom ; Stephane Riot, Syndicaliste ; Christian Revest, Consultant ; Isabelle Schockaert, Juriste ; Franck Sillam, Epidémiologue ; Gilbert de Terssac, Sociologue ; Alain Viau, Epidémiologue. Plusieurs projections du film sont déjà prévues : • Lundi 15 Décembre 2014 : lors de la journée d’étude et d’échange autour des RPS organisée par la DIRECCTE, avec le concours du Comité Régional sur la prévention des RPS • Lundi 12 Janvier 2015 à partir de 10h00 : une présentation au LEST suivie d’une intervention réalisée par l’équipe Santé/Travail du LEST. Cette séance est ouverte à tous les membres du LEST • Début 2015 (date à définir) : présentation du film au sein du Pôle Régional Travail. • 28 et 29 mai 2015 : lors du Colloque RT 18 « Relations professionnelles » co-organisé par l’Association Française de Sociologie et le Lest à Aix-en-Provence Source : http://www.lest.cnrs.fr/spip.php?article708 Les cahiers des rps Dossier Colloque Poursuite des dynamiques départementales initiées au niveau des comités départementaux RPS. De quoi s’agit-il ? Poursuite d’actions à destination des entreprises. De quoi s’agit-il ? Ces comités départementaux, composés de représentants des institutions à l’échelon départemental (DIRECCTE/CARSAT/ARACT/MSA) ainsi que de partenaires sociaux et représentants de services de santé au travail, mènent des actions concrètes permettant à l’ensemble des participants à ces comités de monter en compétence et d’échanger sur ces thématiques. Ils permettent également la coconstruction d’actions en direction des entreprises, du type : 5 types d’actions sont ont été proposées lors du colloque par les institutionnels : • Maintien des actuels dispositifs d’accompagnement sur le sujet des RPS (type FACT, fond d’aide destiné aux entreprises pour les aider sur l’amélioration des conditions de travail ou autres …) mis à disposition des entreprises, par le biais des branches professionnelles et le développement d’actions collectives, • Colloques ou matinales sur le sujet des RPS (comme dans le Var ou les Alpes-Maritimes (Cf. Encadré 1 ci-après)… ; • Offre de développement, en fonction de besoins identifiés, d’outils pratiques à destination des acteurs de l’entreprise (type guide CHSCT, revue Les Cahiers des RPS, …) • Sensibilisations ou formations ; ces actions sont parfois orientées vers les cadres d’entreprise comme cela a été mis le cas, en 2013-2014 dans le Vaucluse, parfois destinés aux salariés, comme celles montées directement avec les structures collectant les contributions financières des entreprises (OPCA), dans le cadre du financement de la formation professionnelle continue des salariés des entreprises ; • Offre d’actions de sensibilisations et de formation à destination de ces mêmes acteurs de l’entreprise : 1. sensibilisations proposées dans le cadre de l’IRT à destination des représentants du personnel (CHSCT/DP) sur les questions des RPS 2. formations de la CARSAT 3. formations universitaires et OPCA • Proposition d’accompagnement, sur le thème des RPS, par les équipes pluridisciplinaires de certains Services de Santé au Travail, d’entreprises adhérentes (ou de certains secteurs d’activité) dans le cadre de leurs projets de service (Cf. Encadré 2 ci-après) • Elaboration d’un cadre local de négociation comme la signature d’un accord interprofessionnel sur la prévention des RPS dans le Var Encadré 1 • Poursuite du référencement et de l’animation d’un réseau de consultants (I3R « Intervenants respectant le référentiel régional sur la prévention des RPS en PACA »). Créé en 2009 pour répondre aux besoins des entreprises sur l’accompagnement de la démarche de prévention des RPS, il s’agit de consultants de droit privé qui s’engagent à respecter un référentiel méthodologique et déontologique (co-construit avec les institutionnels) dans leur cadre de leurs interventions en entreprises. L’encadré 3 ci-après est le fruit d’un travail de réflexion mené cette année par certains de ces consultants et qui vient enrichir le débat et le sujet des Bonnes Pratiques. Le Dialogue social territorial et prévention : les Matinales RPS L’Unité Territoriale de la DIRECCTE des Alpes-Maritimes est forte d’une pratique ancienne de dialogue social, notamment avec le dispositif TOSCA réunissant les représentants des employeurs et des unions départementales. C’est dans ce cadre qu’un groupe de travail s’est spécialisé dés 2006 sur la prévention du stress au travail. Fin 2009, ce groupe a décidé d’axer ses travaux sur des actions à destination d’un public plus large. Plusieurs voies d’action ont été adoptées, dont une information des acteurs de la prévention en entreprise : les Matinales RPS. Ce sont des temps d’échanges centrés sur un thème précis du champ de la prévention des RPS (inaptitudes en lien avec les RPS, expertise CHSCT,… par exemple). Leur organisation est le fruit du dialogue social territorial, qui s’incarne dans 3 composantes : • La décision par consensus : les thèmes sont adoptés par consensus à l’issue d’un débat sur plusieurs réunions. Selon les partenaires, les thèmes réfèrent à des problématiques connues dans une entreprise où ils interviennent, à un axe de travail de leur organisation, à un événement départemental, à une synergie avec une action de prévention autre,… Aujourd’hui les entreprises, « Direction et Représentants du personnel », disposent d’outils, de méthodes, de supports, de réseaux identifiés et développés tant au niveau national, régional que départemental, accessibles depuis notamment les sites internet. Il s’agit à présent, de dynamiser le déploiement de l’ensemble de ces ressources ; pour y parvenir, les institutionnels proposent en région de maintenir leur niveau d’accompagnement afin de poursuivre le travail déjà engagé sur ce sujet depuis plusieurs années, tout en maintenant la concertation avec les branches professionnelles, les partenaires sociaux ainsi que les services de santé au travail. • Le partage des connaissances : les temps de dialogue sont aussi des moments de développement de connaissances sur le thème, au moyen des explicitations que chacun développe pour promouvoir l’adoption d’un thème. Une culture se construit ainsi sur les RPS, sur la situation des entreprises départementales, sur les actions menées par les différentes organisations, sur les connaissances produites dans l’environnement,… • L’engagement dans l’organisation des matinales : cette autre synergie commune est relative à la phase opérationnelle des matinales. Chacun s’efforce d’apporter des témoignages d’entreprise, des cas pratiques de préventeur, des personnes ressources issues de leur organisation (par exemple : intervenant confédéral, personne de l’INRS, de l’ANACT, …). ;: N°24 - Décembre 2014 Christian Revest Animateur du Comité RPS 06 27 Les cahiers des rps • Outils d’information et de communication à destination des entreprises. Dossier Colloque Encadré 2 Tous les services interprofessionnels de santé au travail ont souhaité s’inscrire dans deux actions communes transversales : • l’une visant à améliorer le diagnostic des besoins en santé de la région PACA, • l’autre à une meilleure prise en compte du suivi en santé au travail des travailleurs intérimaires par la mise en place d’un fichier partagé. A ces deux actions communes se rajoutent les actions spécifiques retenues par chaque SSTI à raison de une à deux actions par service. Où en est-on de la loi de juillet 2011 réformant l'organisation de la médecine du travail en PACA ? La mission exclusive confiée aux SST consiste à « Eviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail » selon quatre orientations : n la conduite d’action de santé au travail, n le conseil des employeurs, des travailleurs et de leurs représentants, n la surveillance de l’état de santé des travailleurs, n leur contribution à la traçabilité des expositions. 10 CPOM sont d'ores et déjà conclus ou sur le point de l’être Sur les 15 Services de Santé au Travail Interentreprises que compte la région PACA, 6 ont d’ores et déjà signé leur CPOM, quatre devraient pouvoir le faire d’ici le 1er trimestre 2015. Les 19 actions spécifiques retenues par ces 10 SSTI se répartissent sur 7 thématiques : 1. La Prévention de la Désinsertion Professionnelle et le Maintien dans l’Emploi (7 services) 2. La Prévention des RPS (3 services) 3. La Prévention des TMS (6 services) 4. La Prévention du Risque Chimique (3 services) 5. La Prévention dans le BTP (1 service) 6. La Prévention du BRUIT (2 services) 7. L’Accompagnement des TPE – Actions de Prévention (1 service) Les dispositions introduites visent à renforcer la prévention primaire c'est-à-dire l’élimination ou la réduction des risques professionnels avant l’apparition d’éventuelles conséquences néfastes sur la santé, à développer une approche pluridisciplinaire réunissant des compétences médicales, techniques et organisationnelle animée et coordonnée par le médecin du travail et ainsi répondre aux besoins spécifiques des entreprises en matière de prévention. Les cahiers des rps Trois ans après, la question se pose de savoir où en sont les services de santé au travail dans la mise en œuvre de cette réforme Le défi était d’importance. Pour accompagner l’appropriation de ces nouvelles exigences réglementaires par les services de santé au travail. La DIRECCTE PACA a impulsé une réflexion et mis en place une instance originale et unique, le Comité de Suivi et d’accompagnement de la réforme (COSAR) réunissant l’ensemble des acteurs concernés (institutionnels, professionnels et partenaires sociaux). L’impact de cette réforme sur les entreprises et notamment les TPE/PME a également été pris en compte et une plaquette d’information réalisée en partenariat avec l’ensemble des acteurs concernés pour les aider à en mesurer les enjeux. Concernant plus spécifiquement les RPS et les TMS, les SSTI se sont engagés dans des actions ciblées sur certains secteurs : • Prévention des TMS, des RPS et de la Désinsertion Professionnelle dans les EHPAD (AISMT 04) • TMS dans les EHPAD (AIST 83) • TMS dans les EHPAD (Santé au Travail Durance Lubéron 84) • Prévention des TMS et des CMR dans le SECTEUR COSMÉTIQUE (dont ESAT et AP) (AISMT 04) • RPS & Pénibilité - SECTEUR AIDE À DOMICILE (GEST 05) • RPS dans les TPE & PME (- 50) (AISMT 13) • Prévenir le risque TMS (EXPERTIS) • Prévention des TMS dans les TPE DE MAÇONNERIE (- 20 salariés) (ASTBTP 13) L’ensemble de ces actions fera l’objet d’un suivi annuel par la CARSAT et la DIRECCTE sur la base des indicateurs et objectifs fixés dans chaque fiche action par les SSTI. Une plateforme PRESANSE (site : www.presanse.org) a été créée permettant l’échange d’outils et d’informations entre l’ensemble des SSTI de PACA-CORSE. Ce travail partenarial a permis l’élaboration d’un cadre régional complété de fiches actions pour les Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens (CPOM) devant être conclus entre les SSTI, la CARSAT et la DIRECCTE. ;: 28 Nicole Grolleau Inspectrice du travail, Pôle Travail à la DIRECCTE PACA Les cahiers des rps Dossier Colloque Encadré 3 Comment garantir la mise en œuvre d’un plan d’action de prévention des RPS suite à un diagnostic ? Comment pérenniser une culture de prévention des RPS après l’intervention d’un consultant ? Cet article s’appuie sur les résultats d’un groupe de travail réunissant 4 consultants membres du réseau i3R PACA (intervenants s’engageant à respecter le référentiel régional de prévention des RPS) : Anne Caroline Kuder (Fraissinet & Associés), Corinne Bernard (Cojeme), Théo Holtz (Apave), Carole Peytavin (Phosphore) Forts de nos expériences d’accompagnement d’organisations de tous types dans des démarches de prévention des RPS, nous établissons un constat partagé : dans certains cas, malgré de fortes attentes, la bonne volonté et la mobilisation des acteurs, la démarche de diagnostic ne se concrétise pas par la mise en œuvre d’actions de prévention visibles sur le terrain et se délite une fois le consultant parti. Ceci génère d’autant plus de déceptions et de frustrations que les attentes de départ étaient élevées. Cela peut également contribuer à démobiliser les salariés et discréditer la capacité de la Direction et des représentants du personnel à véritablement s’engager sur un plan d’amélioration des conditions de travail. Certaines organisations, au contraire, parviennent à instaurer une démarche qui perdure dans le temps. L’entreprise a d’ailleurs tout avantage à profiter de l’intervention du consultant pour initier et ancrer une véritable culture de prévention des RPS au sein de l’organisation, avec une intégration à long terme dans les pratiques. Sur la base de nos retours d’expériences, nous proposons de partager ce que nous considérons comme des conditions de réussite et dégager quelques « bonnes pratiques » qui permettraient de favoriser la mise en œuvre du plan d’action et la pérennisation de la démarche de prévention des RPS au sein de l’organisation. Bonne pratique n°1 : mobiliser au plus tôt les membres du comité de pilotage projet La tentation de s’en remettre entièrement aux mains d’un expert externe pendant la phase d’évaluation peut, selon notre expérience, générer des comportements passifs et attentistes des membres du comité de pilotage. Ceci rend le changement de posture parfois difficile après la restitution du diagnostic où on leur demande alors de se mobiliser et de travailler de manière concertée pour construire un plan d’action suite aux résultats (qui parfois ne font que mettre en lumière ou objectiver des facteurs de risque déjà connus en interne). Ce constat se révèle d’autant plus vrai que la phase de diagnostic est longue. Afin d’éviter ce phénomène, nous avons pu identifier certaines bonnes pratiques visant à mobiliser les membres du comité de pilotage dès le début de la démarche : • Communiquer en interne sur la composition du comité de pilotage, N°24 - Décembre 2014 29 Bonne pratique n°2 : le pilotage du suivi de la démarche par une ou plusieurs instances institutionnelles légitimes Une fois le consultant parti, il est important qu’une ou plusieurs instances institutionnelles en lien avec le CHSCT soient mises en place afin de suivre les plans d’action et leurs effets, assurer une veille active à partir d’un tableau de bord d’indicateurs et traiter les signalements. Le CHSCT, de par sa mission et ses prérogatives, peut d’ailleurs être l’instance toute désignée pour assurer cette fonction. Cependant, compte tenu de l’étendue des tâches et de la complexité des sujets, certaines entreprises mettent en place une instance à part, opérant en lien étroit avec le CHSCT. Ce groupe multidisciplinaire et paritaire est le prolongement complet ou partiel du comité de pilotage mis en place pour l’évaluation initiale. Il peut intégrer des représentants de la Direction, des représentants des employés (membres des IRP, représentants des organisations syndicales), des représentants des différents métiers, sites géographiques et niveaux hiérarchiques, et selon la structure de l’entreprise des acteurs médico-sociaux (médecin du travail, infirmier(ère), psychologue du personnel, assistant(e) social(e)). Ce comité a pour vocation de capter et d’analyser les évolutions touchant le personnel et vise à faire des propositions d’intervention en prévention primaire. Il est également relais d’information et de communication auprès des salariés et de la Direction (actions mises en place, effets, etc.). Par ailleurs, dans le cadre du dispositif d’alerte et de traitement des plaintes ou signalements, des cellules d’écoute et/ou de traitement des cas de souffrance au travail ont pu être mises en place. Elles sont souvent constituées de manière ad hoc en fonction de la situation afin de porter un diagnostic pluridisciplinaire et paritaire sur le cas du ou des salariés et d’explorer un ensemble de solutions : médecin du travail, psychologue du personnel, assistant social, responsable RH, représentant du personnel, membre de l’encadrement. Ce dispositif peut d’ailleurs concourir à alimenter le plan d’action de prévention par la suite (revenir dans la boucle de la prévention primaire). Bonne pratique n°3 : instaurer un référent Qualité de Vie et Santé au Travail (QVST) dans l’entreprise Pour faire fonctionner les instances citées ci-avant, il est nécessaire de disposer de personnes ressources en capacité de les animer, d’en assurer le suivi entre deux réunions et d’être repérées comme interlocuteurs légitimes et de confiance par les salariés, la Direction et les IRP. Les cahiers des rps Dans certains cas, l’absence d’engagement sincère de la Direction dans une véritable volonté d’amélioration de la Qualité de Vie au Travail (QVT) peut à elle seule expliquer l’avortement prématuré de la démarche après la restitution du diagnostic. Ceci s’accompagne parfois aussi d’un manque de « ressources » mises à disposition à travers une mobilisation et une disponibilité insuffisantes des acteurs du projet. Contrairement à la phase d’évaluation, le passage à l’action peut soulever de fortes résistances au changement car il remet en question fondamentalement l’homéostasie du système. son rôle (notamment en matière d’information et de décision), ainsi que le rôle attendu de chacun de ses membres en tant qu’acteurs ressources vers lesquels se tourner • Les mettre en situation « active » dès le démarrage du projet : les impliquer dans la coanimation de groupes de travail sur des thématiques déjà identifiées, les mobiliser dans la communication et la sensibilisation des collaborateurs, travailler à l’élaboration d’un dispositif de traitement des cas individuels et des signalements, etc. • Travailler en continu sur la qualité du dialogue social et clarifier les interfaces avec le CE et le CHSCT, intervenant sur le champ des conditions de travail, de l’égalité professionnelle… • Instaurer ou conforter au plus tôt une culture de la mesure en matière de santé au travail en partageant des indicateurs de veille (santé, fonctionnement) ainsi que des indicateurs visant à mesurer l’efficacité des plans d’action. Les cahiers des rps Dossier Colloque Ils peuvent être selon les organisations, le référent Risques professionnels, le préventeur en santé au travail, le référent éthique ou RSE, le responsable qualité, le psychologue interne, le coach interne ou encore les personnes dites « de confiance ». Ils doivent pouvoir s’appuyer sur un cadre éthique et méthodologique, clair et partagé. Il est important que le consultant pilote de la démarche soit dans une logique de transfert des compétences en évaluation et en prévention vers ces référents, et ce tout au long du projet. Enfin, un accompagnement ponctuel par le consultant peut également être maintenu à une fréquence à définir ou en fonction des besoins, afin de bénéficier d’un regard extérieur et critique sur la mise en place des plans d’action et des différents dispositifs de prévention, sur l’analyse des indicateurs. management de l’entreprise s’avère également être un formidable levier de prévention. Dans ce sens, on peut également les amener les managers à se prémunir de pratiques « pathogènes » (conscientes ou non) en favorisant la justice organisationnelle, en tant que facteur de la prévention. Bonne pratique n°4 : une intégration des plans d’action dans la politique globale de l’entreprise Bonne pratique n°6 : profiter de chaque changement pour reparler de la prévention des RPS Même si le suivi est organisé au sein du CHSCT et tracé dans le DUER, la pérennité des actions d’amélioration touchant l’organisation du travail ou le fonctionnement managérial passe par leur parfaite intégration dans la politique globale et le management des activités de l’entreprise, au même titre que la stratégie commerciale ou industrielle. Il est intéressant également pour un pilotage pérenne de concevoir la gestion de la santé au travail comme un processus à part entière d’un système de management certifié, d’un programme RSE, révisable ainsi à périodicité définie. Intégrer une culture de la prévention en matière de changement permet également de susciter des occasions de mener des analyses d’impacts et de réfléchir sur la manière de prévenir les risques psychosociaux engendrés par des changements insuffisamment préparés et accompagnés. On peut également fournir aux managers des outils leur permettant de réactualiser l’évaluation des risques et de garantir le suivi des plans d’action dans une logique d’amélioration continue. Par exemple, des baromètres de climat social diffusés à fréquence régulière, analysés et commentés de manière participative, ou des questionnaires d’évaluation des plans d’action sont des moyens de favoriser en équipe le dialogue sur les situations de travail, et cela au plus près du terrain. Les managers peuvent être formés et outillés pour conduire ces analyses avec le support d’un groupe ad hoc. Des groupes miroirs peuvent réunir des salariés en charge de faire remonter toutes questions et alertes en lien avec le changement. Un plan d’accompagnement des managers peut être constitué par un dispositif de groupes d’échange de pratiques. L’ANI Qualité de Vie au Travail étendu en avril 2014, met d’ailleurs en relief cette association entre Qualité de Vie au Travail et performance, « (…) De ce fait, la question du travail fait partie intégrante des objectifs stratégiques de l’entreprise et doit être prise en compte dans son fonctionnement quotidien afin, notamment, d’anticiper les conséquences des mutations économiques. ». Bonne pratique n°7 : « tous acteurs de la QVT (Qualité de Vie au Travail) » Si la prévention des RPS relève de la responsabilité de l’employeur, si dans les comités de pilotage des représentants des salariés sont associés, elle doit d’une certaine manière devenir « l’affaire de tous ». Pour que tous les salariés soient acteurs de cette prévention, des actions de sensibilisation peuvent être proposées telles que des journées thématiques sur le bien-être et la QVT, des animations de type Théâtreforum, ou encore l’intégration dans le plan de formation de modules visant à aider au repérage de situations à risque. Communiquer publiquement les engagements pris et portés par la Direction aux salariés constitue un moyen de favoriser la réalité de leurs mises en œuvre. Communiquer ensuite régulièrement lors des réunions de l’ensemble des salariés sur les plans d’action et les résultats obtenus témoigne également de l’engagement de la Direction dans la durée et contribue à ancrer la QVT comme partie intégrante des processus de gestion. Et pour rappel d’une bonne pratique propre à tout projet d’amélioration, le plan d’action doit répondre aux critères suivants : • Rigueur : avec notamment l’utilisation de méthodes et outils de conduite de projet • Réalisme : tenir compte des contraintes, des moyens et des délais, afin de garantir l’atteinte des résultats • Participation : sollicitation de groupes de travail composés et animés par des salariés volontaires dans l’élaboration des plans d’action • Déclinaison sur des actions à court (principe des « petits pas »), moyen et long terme • Déclinaison sur les 3 leviers de prévention primaire, secondaire et tertiaire • Etablissement d’indicateurs et de modalités permettant d’évaluer l’atteinte des résultats • Intégration dans un cycle d’amélioration continue Bonne pratique n°5 : doter les managers de compétences et d’outils leur permettant de jouer leur rôle de préventeur des RPS Mobiliser l’ensemble du corps managérial de l’entreprise est également un levier fort pour la pérennisation d’une culture de prévention des RPS et plus largement de promotion de la QVST. Conjuguer la recherche de performance nécessaire à la pérennité et au développement de l’entreprise, tout en préservant la santé de ses collaborateurs fait en effet partie des prérogatives de la fonction managériale. Au démarrage, permettre à tous les managers de disposer d’un référentiel commun est indispensable : langage commun sur les facteurs de risques, les types de prévention, les acteurs et leurs rôles, etc. On peut également sensibiliser les managers à leurs propres rôles et responsabilités en la matière, mais aussi les former à détecter, écouter, traiter des cas de situations individuelles se présentant dans l’équipe, et orienter le cas échéant. Plus largement, la professionnalisation des pratiques managériales et le développement de la culture de ;: 30 Théo Holtz, Apave Carole Peytavin, Phosphore Membres du Réseau I3R, groupe de suivi des plans d’action Les cahiers des rps Dossier Colloque Partie 5 émotionnel (contact avec des publics en détresse, incivilités). Poursuite de la réflexion autour de la Qualité de Vie au Travail autour de la dimension globale« santé au travail » La Qualité de Vie au Travail : une voie pour innover Transformations, innovations organisationnelles et intensification du travail : un lien complexe et non univoque. Les défis qui se posent actuellement aux acteurs de l’entreprise sont sur trois registres : • Dans un contexte d’imprévisibilité au plan économique, comment s’inscrire durablement sur des marchés instables et porteurs d’exigences de plus en plus fortes ? • Dans une situation où l’innovation sur tous les registres (produit, process, organisation, dialogue social) apparaît comme la principale voie de « sortie par le haut » de la crise, comment maîtriser les risques économiques et sociaux du changement « incessant » ? Chacun de ces registres obéit à des temporalités et des règles distinctes. L’articulation des trajectoires marchande, organisationnelle et professionnelle apparaît ainsi comme une difficulté majeure et constitue une des sources principales des maux liés à l’engagement dans l’entreprise et le travail. Selon la dernière enquête Conditions de travail de la Dares, entre 2005 et 2013, l’intensification du travail a repris. A tous le moins, les changements organisationnels sont plus fréquents que pour la période précédente : plus de 20% des salariés ont vécu un changement d’organisation durant les 12 derniers mois ; 17% ont vécu un changement de poste ou de fonction ; 14% un changement de Direction ; autant ont vécu un déménagement ou une restructuration. Cette refonte des organisations et des processus de production se fait via la création et la recomposition des chaînes de valeur, la modernisation technologique (ERP, GED, intranet…), les transformations organisationnelles (flux tendu, ISO, Lean…), la transformation des structures (réduction de la hiérarchie, organisations matricielles, fusions entre back et front office, centres de services partagés…), et l’innovation gestionnaire et managériale (reporting, pilotage par les objectifs, approche client…). Les effets de ces transformations ne sont pas neutres : les contraintes de rythme de travail se sont accrues et l’usage de l’informatique dans le travail poursuit sa progression à un rythme rapide, avec un contrôle accru puisque le suivi informatisé du travail est la contrainte de rythme qui s’est le plus diffusée. De même, les marges de manœuvre tendent à se réduire pour toutes les catégories socioprofessionnelles, sauf pour les ouvriers non qualifiés. Et les tensions sont plus fréquentes avec les collègues ou les clients et usagers. Enfin, les salariés sont plus nombreux à vivre au travail des situations exigeantes sur le plan N°24 - Décembre 2014 31 Il apparaît ainsi que la relation entre innovations organisationnelles et intensification du travail est complexe et pas nécessairement univoque. En particulier si l’on fait entrer des facteurs comme la participation des salariés et la qualité du dialogue social dans cette relation comme nous y invite une étude : les entreprises qui se caractérisent à la fois par une forte prégnance des innovations organisationnelles et par la participation sont celles qui enregistrent les meilleures performances économiques et sociales avec une diminution des problèmes de santé. La productivité et la qualité y sont supérieures, mais aussi la qualification et l’autonomie. Si l’intensification du travail s’est accrue dans toutes les usines enquêtées, ce qui fait la différence en termes de conditions de travail, c’est que cette intensification s’accompagne d’un accroissement de la qualification et de l’autonomie dans les usines les plus innovatrices, notamment en matière de participation des travailleurs. Et, l’on sait que l’autonomie et la qualification viennent atténuer l’impact de l’intensification du travail sur la santé au travail. C’est dire qu’il n’y a pas ici de déterminisme : selon les conditions, le changement organisationnel peut être porteur d’une meilleure qualité du travail et gage de pérennité pour l’entreprise. Mais si l’intensification d’aujourd’hui annonce les problèmes de santé de demain il importe d’agir dès que possible. Pas en calquant a posteriori, sur un mode correctif, un énième plan de prévention visant à réduire les effets indésirables constatés. Pas en estampillant « Qualité de Vie au Travail (QVT) » une démarche appliquée à une organisation non conçue pour l’accueillir. Mais en pensant et surtout en conduisant la transformation dans une démarche articulant simultanément exigences de l’activité projetée et possibilité des salariés de trouver leur place dans la conception et la mise en œuvre du projet. Là réside l’innovation. Un cadre pour l’action Les fréquentes réorganisations et restructurations, portées par les dispositifs de rationalisation flexible, exigent non seulement de s’entendre sur le contenu du travail et les formes de prescription à mettre en place, mais aussi sur la question du pilotage du changement et de l’anticipation de ses effets multiples, au risque sinon de sur-mobiliser le registre psychopathologique et les réponses individualisées face aux enjeux de conditions de travail. Les cahiers des rps • Alors que la réactivité et la flexibilité sont les maîtres mots, comment construire des projets professionnels porteurs de sens et dans lesquels les salariés puissent se projeter dans l’avenir ? Mais les effets de ces innovations ne sont pas systématiquement négatifs : par exemple, les salariés signalent des possibilités de coopération plus importantes avec leurs collègues ou leur hiérarchie, ce qui est susceptible d’atténuer les effets de l’intensification. De même, les travaux de chercheurs indiquent que les entreprises qui innovent le plus, c’est-à-dire celles qui adoptent, abandonnent, recyclent leur équipement technicoorganisationnel à un rythme plus rapide que les autres ou de manière plus intense, sont aussi celles qui sont les plus pérennes. Ce sont aussi ces entreprises plus pérennes qui décentralisent le plus vers les opérateurs et qui réduisent la ligne hiérarchique plus fortement que les autres entreprises. Ce qui laisse penser que l’innovation porteuse d’autonomie et/ou de responsabilisation est propice à l’apprentissage organisationnel. Dossier Colloque Prenant acte de la complexité des situations de travail dans les entreprises, les négociateurs de l’accord national interprofessionnel (ANI), relatif à la Qualité de Vie au Travail, mettent l’accent sur l’approche « systémique » et concertée des problèmes. De même que, prenant acte des incertitudes (sur l’emploi, le carnet de commande de l’entreprise, l’évolution technologique…) caractérisant ces situations, ces acteurs valorisent « les expérimentations » locales. l’ANI QVT (formation des managers, action collective, diagnostic préalable, conception d’indicateurs, espaces de discussion sur le travail, etc.) : il est donc nécessaire d’outiller les acteurs et les projets pour qu’ils soient à même de porter l’innovation socio-organisationnelle. La démarche QVT apparaît d’ailleurs aujourd’hui relativement bien équipée avec un ANI sur le sujet, une loi et des repères méthodologiques sur lesquels peuvent s’appuyer les acteurs des entreprises, des branches et des territoires. Elle se présente donc comme une approche sécurisée sans être fondamentalement d’essence juridique et procédurale : au plan de la santé c’est un vecteur de prévention primaire ; au plan du dialogue social c’est une voie de simplification ; au plan de l’organisation du travail c’est l’innovation qui peut être au rendez-vous. Les cahiers des rps Dans le même sens, la loi du 5 mars 2014 autorise les expérimentations et fait le choix d’une transposition législative contribuant à renforcer la qualité des négociations dans l’entreprise - en consacrant l’article 13 de l’ANI. Ce dernier invite en effet au regroupement des négociations obligatoires participant de la Qualité de Vie au Travail. Il y a en effet tout lieu de penser que c’est en accompagnant les projets de transformation dans un esprit et un cadre conformes à celui proposé par l’ANI, c’est-à-dire en décloisonnant les catégories de travailleurs érigées en publics prioritaires par les politiques publiques, que les entreprises permettront simultanément un égal bénéfice de leurs transformations aux femmes, aux jeunes, aux séniors, etc. Elles répondront, ce faisant, à leurs propres enjeux (attractivité, fidélisation, moindre absentéisme et turn over, soutenabilité du travail, etc.), tout en satisfaisant leurs obligations réglementaires. Et au total c’est une démarche d’efficacité économique et sociale… ce qui ouvre un chemin qui vaut pour le long cours… ;: L’accent fort mis sur l’expérimentation plurielle, plutôt que sur une norme réglementaire ou sur une application mécanique d’un accord ou d’une loi, constitue un pari sur les capacités d’apprentissage et de concertation des acteurs de terrains. L’expérimentation locale, dans des contextes toujours plus ou moins singuliers, peut être source d’innovation. On comprend mieux ici la place importante accordée aux « méthodes » dans ;: 32 Julien Pelletier Responsable veille, prospective et international à l'Anact Sandrine MOCAER Ingénieur de prévention, Pôle Travail à la DIRECCTE PACA Les cahiers des rps Les cahiers des rps N°24 - Décembre 2014 33 Pratiques Le collectif PACA-CORSE des psychologues en SST (CPCP-SST) - Mutualiser pour mieux accompagner Les cahiers des rps Pour comprendre les raisons qui ont motivé la création du collectif de psychologues de Services de Santé au Travail (SST) en région PACA et CORSE, il est nécessaire de prendre en compte les évolutions du contexte législatif et organisationnel des services de « médecine du travail ». Depuis 1946, la médecine du travail a connu de nombreux bouleversements qui ont transformé son approche et sa mission. C’est en 2002, dans la loi de modernisation sociale, que les Services de médecine du travail deviennent des Services de Santé au Travail pluridisciplinaires, avec pour mission première « d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. Ils sont les conseillers des employeurs, des salariés et de leurs représentants. »1 La dynamique du collectif est rendue possible par ses caractéristiques (taille, proximité, champ de compétence) mais surtout par l’encouragement des différentes directions des SST, soucieuses de garantir l’efficacité des pratiques professionnelles et le lien entre leurs différents services (lien concrétisé notamment par la création du portail PRESANCE4). Champs d’intervention L’activité du psychologue en SST étant diversifiée, les thématiques d’échange reflètent cette variété : prévention des Risques Psychosociaux (RPS), des conduites addictives en milieu de travail, promotion de la Qualité de Vie au Travail (QVT), accompagnement aux changements, analyse des comportements à risques, prévention de la désinsertion professionnelle, cellule d’urgence et de crise… Pour accomplir ces différentes missions, les SST intègrent des professionnels spécialistes de différents domaines tels que l’ingénierie, l’ergonomie, la sociologie, la toxicologie et la psychologie, qui apportent une approche complémentaire à celle du médecin du travail qui les coordonnent. Le psychologue intervient donc à la demande du médecin du travail et avec l’accord de l’employeur, des représentants du personnel et des salariés. Les psychologues en SST sont des professionnels dont le titre est reconnu et protégé par la loi de 19852. Leur pratique prend appui sur le Code de déontologie des psychologues3 dans le respect de la réglementation du Code du travail et des missions du service. Plus précisément, leur activité a pour objectif de prévenir l’altération de la santé mentale au travail par des approches collectives (actions en milieu de travail) et/ou individuelles (entretiens). Outre la réactualisation régulière des connaissances théoriques et méthodologiques, les réunions permettent un partage des pratiques et des méthodes de travail sur les interventions collectives (outils d’évaluation et d’accompagnement, présentation d’interventions et retours d’expérience…) et sur les actions individuelles (organisation des consultations, saisie des comptes-rendus, coordination avec le médecin du travail, processus d’orientation…) ; des échanges sur les modalités et les limites des interventions ; la création d’outils au sein du collectif en sous-groupes de travail ; une veille documentaire ; l’identification de ressources et des partenaires ; des réflexions sur les formations, ou encore sur l’évolution de l’activité. Cette mutualisation permet ainsi aux professionnels une interrogation sur les évolutions du cadre d’intervention du psychologue en SST : réglementations, ajustement aux demandes des médecins du travail, coordination au sein de l’équipe pluridisciplinaire et aux besoins des entreprises. De même, les échanges peuvent se faire autour de l’organisation et des moyens dédiés à l’activité : logiciels métiers, évaluation du travail, CPOM (Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens), projet de service. Naissance du collectif Au niveau national, se sont organisés des échanges interservices entre psychologues exerçant en SST, aujourd’hui organisés en association « Reliance et Travail ». Sur la région PACA et la Corse, en 2010, l’initiative a été reproduite par les services interentreprises avec comme objet la mutualisation des pratiques et le soutien interprofessionnels au sein d’un réseau : « collectif PACA-Corse des psychologues SST ». Ce réseau a pu bénéficier de l’appui de leurs directions respectives. Ainsi, la grande richesse de ce groupe réside dans la confrontation des divers points de vue. Il recense aujourd’hui 10 psychologues représentant 8 services de santé au travail du territoire : le GIMS, l’AISMT13 et STP dans les Bouches-du-Rhône, l’AIST 84 dans le Vaucluse, l’AIST83 dans le Var, le GEST05 dans les Hautes-Alpes, le CMTI06 dans les AlpesMaritimes et enfin SST2A en Corse-du-Sud. Au-delà des bénéfices internes, le collectif est animé par la volonté d’améliorer la qualité des prestations proposées aux adhérents. Comité rédactionnel : Pauline Bodin, Magali Chevassu, AISMT13 Cathya Cypowyj, Elise Rabillard-Griffoni, GIMS Corinne Dabezies, AIST83 Sandra Delaurat, GEST 05 Florence Mattei, SST2A Jean-Philippe Matz, AIST84 Louise Soulie, CMTI Dorothée Teste, STP Le collectif a posé des règles de fonctionnement : participation active aux travaux, engagement par rapport au groupe et à ses objectifs, respect de la confidentialité et anonymat des données utilisées. Il se réunit environ 4 fois par an et de manière itinérante (en rotation sur les différents services) afin d’échanger sur les pratiques professionnelles, les méthodologies, l’actualité du domaine de compétence et capitaliser les savoir-faire. Par conséquent, les objectifs du groupe sont de : Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 « Un professionnel qui a des compétences techniques ou organisationnelles. Il participe à la préservation de la santé et de la sécurité des salariés et à l’amélioration des conditions de travail dans un objectif exclusif de prévention ». 2 Loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social. Chapitre V : mesures relatives à la profession de psychologue. 3 Code de déontologie des psychologues France - Révision du Code de déontologie des psychologues de mars 1996. Actualisation 2012 4 http://www.presanse.org/Prévention Santé Sud-Est 1 • Construire un cadre commun de travail : connaissances, outils, méthodologies • Penser l’identité professionnelle et la place des psychologues en SST. 34 Les cahiers des rps Pratiques Risques pour la santé : à qui demander la suspension du PSE ? Le juge judiciaire est-il encore compétent pour suspendre une réorganisation en raison du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat ? Le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a décliné sa compétence, décidant par là-même que seul le juge administratif pouvait être saisi, dans le cadre du contentieux de l’homologation (TGI Nanterre, ordonnance de référé du 10.09.14, n°14.02021). On voit mal, dès lors, comment un autre juge pourrait être concomitamment investi du pouvoir de dire le contraire, en suspendant une réorganisation, sur un autre motif. Est-ce à dire pour autant que tout moyen de faire respecter l’obligation de sécurité de résultat lors d’une restructuration est annihilé ? Comment veiller au respect de l’obligation de prévention en matière de santé lors d’un PSE ? Une vieille question sur un air nouveau : santé et suspension de la réorganisation Deux voies restent ouvertes : la procédure d’injonction et l’action prud’homale pour les salariés. Les réorganisations dans les entreprises ne génèrent pas seulement des licenciements, mais aussi bien souvent des changements dans les conditions de travail de ceux qui ont « la chance » de rester. Changements qui peuvent être facteurs de stress. C’est pourquoi, depuis quelques années, les juges judiciaires ont parfois décidé de suspendre des réorganisations pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat, qui incombe à l’employeur en vertu de l’article L. 4121-1 du Code du travail. Ainsi en a-t-il été dans la célèbre affaire Snecma en 20081. Et ainsi en était-il, selon les syndicats demandeurs, dans cette affaire les opposant au groupe Airbus. Les syndicats demandaient la suspension du projet de réorganisation car l’employeur n’aurait pas respecté son obligation de prévention des risques pour les salariés restant dans l’entreprise, après la réorganisation. Toutefois, certains employeurs sont réticents à communiquer les informations pertinentes nécessaires. C’est pourquoi, dans ce cas, la loi a prévu une procédure d’injonction. Les CHSCT peuvent ainsi alerter la Direccte en cours de procédure d’informationconsultation des réticences de l’employeur et demander qu’il lui soit enjoint de produire les documents. La Direccte doit se prononcer sur leur demande dans les cinq jours (article R. 4616-10 du Code du travail). Or, selon eux, la loi sécurisation de l’emploi ne confie à la Direccte (à travers l’homologation) que le contrôle des mesures du PSE et du respect de la procédure d’information-consultation des instances représentatives du personnel, mais pas celle du respect par l’employeur de son obligation de prévention en matière de santé. Tandis que pour l’employeur, le législateur a confié au seul juge administratif la compétence pour suspendre un PSE (article L. 1235-7-1 du Code du travail)2. Si la Direccte n’a pas tenu compte de ces demandes et homologué le document, les représentants des salariés pourront alors contester sa décision sur ce motif devant les juridictions administratives… Au final, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a décidé qu’il n’était pas compétent. Selon ces juges, dans le cadre d’un licenciement collectif pour motif économique donnant lieu à l’élaboration d’un PSE, la question du respect par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat en matière de santé relève du contentieux de l’homologation (ou de la validation en cas d’accord collectif ). Aussi, ne peut-elle en aucun cas être posée au juge judiciaire, dont la compétence sur ces questions a été écartée par la loi de sécurisation de l’emploi, au profit du juge administratif. Une action prud’homale des salariés affectés par les nouveaux risques Enfin, tout salarié victime, à quelque titre que ce soit, du nonrespect par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat consécutivement à une réorganisation conserve son droit de saisir le juge prud’homal, qu’il soit, ou non, licencié. Source : http://www.cfdt.fr/portail/le-carnet-juridique/fil-dactualites/risques-pour-la-sante-aqui-demander-la-suspensiondu-pse-srv2_225322 Pour la CFDT, cette décision renvoyant à la compétence unique du juge administratif est tout à fait cohérente. En effet, la loi a bien confié aux seules Direccte (conformément à l’intention des signataires de l’ANI éponyme) le pouvoir d’autoriser l’employeur à poursuivre la procédure de licenciements collectifs ou bien de l’en empêcher : c’est bien là l’intérêt de la procédure d’homologation/ validation, que de donner un pouvoir d’intervention à l’administration avant que les licenciements ne soient effectivement prononcés, sous le contrôle du juge administratif. N°24 - Décembre 2014 1 2 3 35 Cass. soc.05.03.08, n° 06-45888 Sur les arguments respectifs des parties, Cf. Semaine sociale Lamy, 22 septembre 2014, n°1644 Ci-après CHSCT Les cahiers des rps La procédure d’injonction prévue par la loi sécurisation de l’emploi Lors de la procédure d’information-consultation, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail3 (CHSCT) - et l’instance de coordination, le cas échéant - doit pouvoir faire entendre son avis sur les conséquences en matière de conditions de travail induites par la réorganisation. A cette fin, les instances représentatives du personnel doivent être en mesure d’apporter une expertise et un avis éclairé, grâce aux informations fournies par l’employeur. Celui-ci doit identifier les risques induits en matière de santé et les remèdes qu’il propose d’y apporter. Ces éléments sont normalement présentés au CHSCT. OSHwiki est en ligne Une nouvelle plateforme sur Internet pour connecter la communauté de la sécurité et de la santé au travail OSHwiki est la première plateforme sur Internet qui permet aux utilisateurs de créer du contenu, de collaborer et de partager des connaissances dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail (SST) dans toutes les langues. Il s'agit d'une nouvelle manière de créer des réseaux en ligne avec la communauté SST, dans le but d'aider les organisations gouvernementales, sectorielles et d'employés à garantir la sécurité et la santé sur les lieux de travail. L'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) lance aujourd'hui OSHwiki lors du XXème Congrès mondial sur la sécurité et la santé au travail 2014 à Francfort en Allemagne. Le Dr Christa Sedlatschek, Directrice de l'EU-OSHA, appelle les professionnels de la SST à participer à OSHwiki et à alimenter les connaissances en matière de SST déjà disponibles sur la plateforme. Les cahiers des rps À l'occasion du lancement d'OSHwiki, le Dr Sedlatschek a déclaré : « Cette plateforme constitue une étape importante en faveur de l'amélioration de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail en Europe. Elle apporte une valeur ajoutée aux personnes concernées tant au niveau professionnel que personnel. OSHwiki permet aux experts de partager leur travail sur une plateforme pratique et facile à utiliser, ils peuvent être reconnus par la communauté mondiale de la SST pour leur expertise et bénéficier d'une révision par les pairs de leur travail par un public plus large. ». OSHwiki constitue une source fiable d'informations sur la SST, où des auteurs accrédités peuvent créer et modifier du contenu rapidement en toute simplicité. Les contributeurs incluent de nombreuses organisations œuvrant dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail, ainsi que d'éminents instituts de recherche. Avec près de 300 articles déjà mis en ligne par des experts de la SST, les thèmes abordés sur la plateforme couvrent des domaines tels que la gestion et l'organisation de la SST, les substances dangereuses, l'ergonomie, les problèmes psychosociaux et les groupes à risque. En tant que guichet unique pour le contenu en matière de SST, OSHwiki a pour objectif de devenir la ressource de référence en matière de santé et de sécurité au travail pour la communauté de la SST, mais aussi pour un public plus large. Travail. Des traumatismes à l’espérance « Ce qui manque à l’ouvrier, c’est la science de son malheur » expliquait Fernand Pelloutier à la fin du XIXème siècle. Alors que s’ouvre le XXIème siècle, la condition ouvrière demeure marquée par une souffrance si profonde qu’elle s’inscrit dans l’inconscient des travailleurs : l’organisation actuelle du travail ainsi que son intensification sous la pression d’un système économique spéculatif sont à la source de maux difficilement supportables pour les salariés. Découvrez le contenu et la communauté d'OSHwiki en visitant la plateforme à l'adresse http://oshwiki.eu et suivez son évolution sur Twitter @EU_OSHA. Source : https://osha.europa.eu/fr/press/press-releases/oshwiki-goes-live-a-newweb-platform-toconnect-the-occupational-safety-and-health-community Face aux nombreux dangers d’un individualisme devenu forcené, les travailleurs doivent prendre la voie de l’engagement. Si le combat est difficile, le choix du silence ou de la passivité mène irrévocablement à l’abandon par le salarié de ses propres intérêts : l’homme qui demeure immobile dans une société en mouvement accéléré est un homme condamné. Le progrès social ne peut se concevoir sans l’action humaine. Chômeur, retraité ou actif, l’homme ne doit pas s’isoler. Il a pour mission de faire société. De la servitude volontaire de la Boétie à la réaction salutaire du syndicalisme, Denis Garnier présente sa vision sans concession du monde du travail. Formateur et membre de plusieurs instances nationales traitant des conditions de travail, des accidents du travail et des maladies professionnelles, Denis Garnier organise, anime et participe à de nombreuses conférences sur la souffrance au travail. Il est déjà l’auteur aux éditions Le Manuscrit, de Libérez-vous ! De L’économie contre le travail, (2011) et de L’hôpital disloqué, (2011). Une brochure pour désigner le salarié compétent en prévention des risques professionnels Chargé de prévention, salarié désigné compétent en prévention des risques, en santé-sécurité, « préventeur »… Les appellations peuvent varier mais depuis le 1er juillet 2012, tout employeur doit désigner au moins un salarié « compétent pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise » (L.4644-1 du Code du travail). Ce nouveau guide a pour objectif d’aider l’employeur à définir les missions et compétences de ce nouvel acteur en prévention des risques professionnels et à désigner la personne la plus adaptée. Guide RPS à l’usage des CHSCT Il est le résultat d’un travail entre la DIRECCTE, la Carsat, Aravis, l’OPPBTP et Parsat (services de santé au travail). Pour en obtenir un exemplaire « papier », en faire la demande par mail à [email protected] ou [email protected] Source : http://www.risques-pme.fr/actualites/brochure_salarie_competent_prev. 36 Les cahiers des rps Conditions de travail Les effets pervers de la pression organisationnelle Les effets pervers de la pression organisationnelle1 L’augmentation des contraintes organisationnelles est censée produire plus d’efficacité productive et plus de compétitivité. Ce postulat est à interroger compte tenu de ce que certains salariés décrivent de leurs conditions de travail et des effets sur l’activité lors des stages « RPS » que nous organisons à l’Institut du travail. Pour analyser la manière dont la pression peut avoir des effets négatifs, il faut, dans un premier temps, décrire la manière dont les organisations productives ont évolué pour s’adapter à un contexte économique plus difficile à partir de la fin des années 1970. Nous verrons, dans un deuxième temps, comment cette adaptation a percuté le travail proprement dit et quelles en ont été les conséquences pour les salariés. Dans un troisième temps, nous analyserons les réactions des salariés face à ces nouveaux contextes professionnels. Nous conclurons sur les effets pour l’organisation. Les organisations s’adaptent à un contexte plus difficile Quatre évolutions générales (trois concernent les organisations et une le marché du travail) nous permettront de dessiner le cadre dans lequel les salariés développent des comportements professionnels, car elles permettent de comprendre dans quelle dynamique s’inscrivent les évolutions du travail actuelles. La première évolution est la conséquence du durcissement de la concurrence économique et de la généralisation d’un modèle organisationnel dont les décideurs pensent qu’il est plus performant. A la fin des années 1970, les entreprises françaises sont confrontées à des concurrents venus du Japon et adoptent le modèle organisationnel que ces derniers ont développé dans le secteur industriel et en premier dans l'industrie automobile où l’ingénieur en chef de chez Toyota en formalise les principes (Ohno, 1988) : déclenchement de la fabrication à la commande, entreprise maigre, juste à temps… La diffusion de ce modèle centré sur la recherche d'efficacité productive va dès lors constituer le mot d'ordre des entreprises françaises. Le « ohnisme » vise à mettre l’organisation sous tension, en éliminant tous les stocks, les immobilisations, etc. Ce modèle va modifier profondément leur mode d’organisation - et contamine actuellement le fonctionnement des administrations publiques françaises. Partie prenante de ce modèle organisationnel, mais influençant aussi des entreprises qui en semblaient éloignées, la qualité est devenue une préoccupation majeure et a été progressivement intégrée aux postes de travail (Coriat, 1991), dans une logique préventive, au lieu d'être prise en charge en fin de production dans une logique réparatrice, comme c'était le cas auparavant. La deuxième évolution est la conséquence partielle de cette augmentation de la concurrence et se traduit par un mouvement continu de réorganisation des entreprises. Ce mouvement a eu surtout lieu avant 2005, et depuis cette date a plutôt ralenti. Mais, entre 2002 et 2007, plus de 5 000 cas de restructuration ont eu lieu en Europe, ce qui représente une perte annoncée d’un peu plus de 2,9 millions d’emplois (CE, 2009). Ces réorganisations visent toutes, peu ou prou, à réduire les moyens (matériels, espaces, mais surtout temps de travail) utilisés pour la production de biens ou de services au moyen de diverses procédures (le Lean par exemple). S’y ajoute la troisième évolution qui organise le transfert massif de l’activité salariée de la fabrication vers les services2. Mais tous les secteurs professionnels sont aussi touchés par le développement de la centration N°24 - Décembre 2014 1 Cet article constitue la version allégée de l’article « Les effets pervers de la pression organisationnelle» paru dans Chroniques du Travail n°3 « Qualité du Travail, Emplois de Qualité”, 2013 2 68% des salariés sont en 2005 en contact avec le public (Enquêtes 1984, 1991, 1998, 2005, Conditions de travail, MES-DARES). Les résultats de la dernière enquête réalisée en 2012 ne sont pas encore disponibles, mais rien ne permet de croire que ce pourcentage va baisser. 3 Sources : Insee, Enquêtes sur l'emploi, 2012. 4 En 2005, par exemple, 10% des salariés ont un CDI mais déclarent « craindre pour leur emploi dans l’année à venir ». Ajoutons que ce sont les salariés les plus précaires qui subissent les conditions de travail les plus difficiles : les salariés en contrats à durée limitée (CDD, saisonniers, et apprentis) sont plus souvent exposés que les salariés en emploi stable à des horaires variables (32% contre 27%), peu prévisibles ou inconnus d’un jour sur l’autre (22% contre 20%), à un travail de nuit ou un travail qui les mobilise le samedi ou le dimanche (14% contre 9% - Rouxel, 2009). 5 L'inscription dans la loi d'une possibilité de rupture conventionnelle (Pujolar, 2011) s'inscrit dans cette même logique de fragilisation des liens salariaux. Cette mesure remporte d'ailleurs un « succès » certain 37 Les cahiers des rps sur le client et du consumérisme qui oriente en profondeur le mode de fonctionnement des entreprises en faisant du client un acteur majeur capable d’intervenir à l’intérieur des organisations. Pour donner une idée de l’ampleur de cette transformation, il suffit de constater qu'en 2003, près de trois salariés sur quatre travaillent en contact avec le public, de vive voix ou par téléphone (Bué & Sandret, 2007). Enfin dernière évolution, qui touche plus directement les salariés que leurs entreprises, l’apparition du chômage de masse et sa stabilisation modifie le rapport des salariés à leur situation professionnelle. Le chômage touche maintenant environ un dixième de la population active, et ces chiffres devraient être revus à la hausse si on y intégrait tous les sans-emploi qui ne sont pas identifiés comme chômeurs. Mais outre le chômage, les formes précaires d'emploi connaissent en France un développement impressionnant : l'intérim pèse aujourd'hui 3,2 fois plus qu'en 1982, avec 410 000 salariés, et les CDD trois fois plus avec 900 000 salariés3… et 50% des nouveaux entrants sur le marché du travail ne sont pas recrutés en CDI. Même si le CDI reste le type de contrat le plus courant, on assiste à une précarisation croissante des contrats. La perte d'emploi, qui dans les années 1970, ne se traduisait pour la plupart des salariés que par une période de latence avant de retrouver un nouvel emploi, peut avoir maintenant des conséquences dramatiques : elle a pour effet, au mieux, d'allonger la période de chômage et, au pire, de rendre impossible, notamment pour les salariés les plus âgés et les plus faiblement qualifiés, tout retour vers un emploi standard. Au total, en 2005, plus d’un quart des salariés étaient dans une situation d’emploi précaire ou instable du fait de la nature de leur contrat de travail (contrat à durée limitée, intérim) ou d’un sentiment des craintes liées à cette précarisation4. Or, ces évolutions ont des effets relativement concordants : les activités professionnelles comme la manière de les assurer sont de moins en moins prévisibles. L’incertitude devient une norme organisationnelle que les salariés sont obligés d’intégrer et de gérer pour parvenir à réaliser le travail demandé. Mais cette incertitude s’inscrit aussi dans une fragilisation du lien entre entreprises employeuses et salariés, qui se dit plus que par le passé dans le court terme5, allant à l’encontre des raisons pour lesquelles le contrat de travail est devenu la norme dominante de l’activité professionnelle : il permettait à l’employeur, comme au salarié, de s’engager réciproquement dans la durée et de diminuer durablement les coûts liés à la recherche de travail (offre et demande) pour se consacrer à des projets permis par la stabilisation de leur relation dans le long terme. L’augmentation de l’incertitude produite par la restructuration est donc problématique, et ce, particulièrement pour les salariés. Conditions de travail Ces transformations des comportements surviennent en parallèle de modifications dans les organisations particulièrement visibles lors d’opérations de réorganisation qui impactent fortement la manière dont l’activité professionnelle est conçue et doit être assurée. On citera ici trois tendances de fond : • une recherche d’augmentation de la productivité ; • une recherche de flexibilisation de l’organisation ; • une tendance à la bureaucratisation et à l’augmentation du contrôle. De manière diversifiée et plus progressive, ces modifications irriguent peu ou prou la plupart des entreprises. La focale mise sur les réorganisations permet de les rendre très visibles. proprement dit : les impératifs de la production remplacent les cadres temporels antérieurs. La flexibilisation de l’organisation On assiste en parallèle à un processus continu de reconfiguration des organisations, au point que certains auteurs affirment que la flexibilité de l’emploi et les licenciements collectifs, outre une réduction des coûts, ont aussi pour objectif d’entretenir une pression constante sur les salariés afin de les inciter à abandonner leurs « routines » (habitudes de travail, statut, appartenance à un métier, un atelier, etc. - Raveyre, 2005). La flexibilisation de l’organisation, présentée comme un impératif imposé par un environnement concurrentiel et par l’obligation de résultats financiers imposés par les actionnaires, passe ainsi par une transformation radicale de ce qui est demandé aux salariés : transformation des organisations de travail, recherche de flexibilité, de polyvalence des salariés… De surcroît, la généralisation des rapports à la clientèle et l’intervention de plus en plus fréquente des clients dans le processus de travail obligent les organisations à laisser beaucoup d'autonomie aux salariés, seule façon de répondre aux demandes diversifiées et changeantes de la clientèle. Cette autonomie, l'incertitude créée par des réorganisations continuelles et la diminution des possibilités de prévision à long terme inhérentes au raccourcissement des délais (la gestion de la dispersion) ont pour effet de reporter la pression mentale normalement prise en charge par les normes organisationnelles sur les salariés. La figure du client - image emblématique de la pression concurrentielle - sert de référence majeure à ces transformations. L’adaptation aux besoins des consommateurs (par nature spécifiques et changeants) et, ce qui va avec, l’amélioration de la qualité de la production et des services pour attirer celui-ci et le fidéliser, devient la ligne d’horizon de la gestion du personnel. Ces changements se traduisent par une multiplication des exigences pesant sur les salariés, mais aussi par une augmentation sensible de l’autonomie qui leur est accordée dans l’exercice de leurs activités pour qu’ils puissent s’adapter en continu aux demandes des clients, tout comme à la fluctuation des ressources que l’organisation met à leur disposition. Par exemple, ils disposent davantage de marges de manoeuvre : ils règlent plus souvent les incidents euxmêmes et peuvent plus facilement changer l’ordre de leurs tâches (Enquête DARES, 2007). Pour arriver à répondre de plus en plus rapidement à des demandes changeantes, comme celles que peuvent formuler des clients ou le public, il faut faire preuve d'une grande réactivité à ces demandes. Dans ce cas, les normes organisationnelles ne sont pas toujours Les cahiers des rps L’augmentation de la productivité Commençons par l’augmentation de la productivité. Les pratiques managériales actuelles, et particulièrement lors de phases de restructurations externes ou internes de l’entreprise, tendent à considérer le travail comme une charge variable, et non comme une ressource. Cela se traduit par une recherche de compression des coûts salariaux, via la réduction des effectifs (Malet & Teyssier, 1992) mais aussi par le gel des investissements et la réduction de toutes les opérations jugées « non stratégiques », en externalisant par exemple les fonctions supports et en réduisant les lignes hiérarchiques. Toutefois, l'entreprise doit aussi continuer à fournir une activité de qualité sans interruption. Il s’agit alors de « produire plus avec moins », c’est-à-dire d’assurer au minimum la même quantité de travail avec des effectifs plus restreints. La charge de travail des salariés licenciés est donc transférée sur ceux qui restent, ce qui se traduit par une intensification du travail6, qui prend plusieurs formes. D’abord, tout à fait logiquement, cela produit une augmentation de la charge de travail de chacun. Ensuite cela se traduit par une diminution et parfois une suppression de tous les temps non directement productifs : temps de pause, mais aussi temps de régulation collective, temps de transmission des informations (ces dernières opérations continuent la plupart du temps à être prises en charge par les salariés, mais ne sont pas décomptées du temps de travail). Enfin, on constate une accélération de l’activité, visible par la diminution de délais accordés pour réaliser les tâches7, mais aussi par l’accélération de la transmission d’information par les biais de nouvelles technologies (internet, téléphone portable…) qui créent des attentes de réponses immédiates, ce qui oblige les salariés à prendre à leur compte la gestion de la dispersion, selon l’expression imagée utilisée par Caroline Datchary (2011). Cette intensification touche toutes les catégories professionnelles et tous les secteurs. 6 Les chiffres cités dans cet article pour caractériser l'évolution des contraintes qui pèsent maintenant sur le travail, sont tous issus des Enquêtes Conditions de travail 1984-2005 : résultats détaillés, DARES. Ils concernent donc toutes les entreprises et pas uniquement les entreprises confrontées à des réorganisations. Ces données permettent de donner une indication générale des dynamiques en œuvre dans toutes les entreprises, mais aussi bien sûr dans celles en réorganisation. On peut aussi faire l’hypothèse raisonnable que ces dynamiques risquent d’être encore plus présentes dans les entreprises en réorganisation. 7 La proportion de salariés qui déclarent que « leur rythme de travail leur est imposé par des normes ou des délais à respecter en une heure au plus » est passé de 5% à 25% entre 1984 et 2005, et la proportion de ceux qui déclarent que « leur rythme de travail leur est imposé par une demande extérieure exigeant une réponse immédiate » est passée de 28% à 53% sur la même période (Source : Enquêtes Conditions de travail 1984-2005 : résultats détaillés, DARES). Il est à noter aussi que 12% des travailleurs indiquent n’avoir que rarement ou jamais le temps de finir leur travail (Conditions de travail selon l’activité professionnelle dans l’enquête décennale Santé 2003 de l’Insee - Institut de Veille Sanitaire, octobre 2007). En outre, les modes d’organisation tayloriens reposant sur une parcellisation des activités et un découpage des tâches à réaliser en modes opératoires courts et répétitifs sont en développement. Cette augmentation se développe même dans des secteurs où l'on ne les attendait pas (restauration, hôtellerie, centres d’appel, travail de bureau…), venant renforcer cette augmentation du rythme. La pression temporelle est donc devenue une composante majeure du travail salarié qui dépasse parfois le cadre du temps de travail 38 Les cahiers des rps Conditions de travail L’augmentation des règles et du contrôle Cette flexibilisation de l’organisation ne va pourtant pas de soi, non parce que les salariés la refusent, mais parce qu’elle s’accompagne de modes de fonctionnement qui vont à l’encontre de cette recherche. En effet, la délégation de l’autonomie n’est pas sans risque pour l’organisation. Si tout le monde fait ce qu’il croit nécessaire, comment peut-on être sûr que tous participent bien à l’orientation choisie par l’organisation ? C’est pour Mintzberg (1982) une des questions centrales que toute organisation doit prendre en compte. Pour se prémunir contre ce risque, les entreprises insistent sur deux modalités : • en premier lieu, elles formalisent et rigidifient le fonctionnement : on assiste ainsi à la mise en place d’organisations du travail insistant sur le travail prescrit, plus strictes et non transgressables. On assiste aussi à une bureaucratisation de l’ensemble des procédures ; • en second lieu, elles augmentent les procédures de contrôle, le plus souvent par une formalisation et une explicitation du travail des équipes à travers les contraintes de reporting et l’augmentation des tâches administratives (Gollac & Volkoff, 1996). Les salariés sont confrontés à des injonctions paradoxales qui les poussent au désinvestissement Les salariés sont donc beaucoup plus qu'avant soumis à une pression constante de la part de leurs entreprises. Mais ces mesures prises par les organisations, notamment dans les phases de réorganisation, adressent aussi aux salariés des exigences en partie contradictoires, des injonctions paradoxales, dont deux nous semblent centrales pour comprendre le développement des risques psychosociaux. Tout d’abord, la réduction de la « voilure » imposée par les diminutions d’effectifs et la diminution des investissements se marie assez mal avec l’augmentation de la productivité recherchée à tout prix. L’atteinte des objectifs dépend bien sûr des efforts de chacun, mais aussi des moyens mobilisés pour cela. Or, les organisations du travail actuelles ne parviennent plus à mettre au service des salariés toutes les ressources nécessaires pour réaliser leurs objectifs, particulièrement quand les directions délèguent à l’encadrement une partie des tâches ou des responsabilités que les services centraux n’exercent plus. En outre, on constate une tendance à l’augmentation constante de la productivité dans les organisations. On est sommé dans les nouveaux modèles de management d’en faire toujours plus : la réussite d’une année sert uniquement de base pour une nouvelle augmentation des objectifs. Dans certaines entreprises même, les primes liées aux performances ont pu être refusées à des salariés qui avaient « seulement » atteint les objectifs, alors que d’autres salariés avaient dépassé les objectifs qui leur avaient été fixés. Cette disjonction objectifs-moyens place les salariés en position de déséquilibre permanent en leur faisant supporter l’injonction paradoxale qui consiste à « faire toujours plus avec toujours moins ». On ne sera pas étonné qu'un pourcentage important de N°24 - Décembre 2014 La manière dont la sortie des organisations est devenue problématique comme l’impossibilité pour les salariés en poste de parvenir à modifier le fonctionnement sont développées dans l’article de Chroniques du Travail. 8 39 Les cahiers des rps salariés déclare travailler au-delà de l'horaire prévu sans qu'il n’y ait de compensation en salaire ou en repos en 2005 (24% parfois, 12% souvent et presque 7% tous les jours). La pression organisationnelle ne se traduit pas uniquement sur les objectifs, mais aussi sur la manière de les atteindre. Alors que les discours insistent sur la responsabilisation des salariés, que la complexité des tâches suppose le développement de leur autonomie, des procédures organisationnelles tentent de restreindre et contrôler leur liberté. Pour être sûres que les salariés vont faire ce qu'on attend d'eux et de la manière la plus « efficace », les entreprises créent sans cesse de nouvelles règles qui dictent la manière dont le travail doit être fait. Mais comme cela n'offre pas suffisamment de garanties, elles augmentent aussi les procédures de contrôle. Auparavant dévolues à la hiérarchie, celle-ci, compte tenu de l'écrasement des échelons intermédiaires, ne peut plus les assurer. Il est alors demandé aux salariés de s'autocontrôler (autoreporting), ces comptes rendus s'ajoutant aux tâches qu’ils n'ont pas déjà le temps de faire. Ils font alors face à une nouvelle injonction paradoxale : être de plus en plus autonomes en étant de plus en plus contraints. Pour arriver à réaliser ce qui leur est demandé, les salariés sont alors conduits à contourner les règles, voire à les ignorer. En outre, ils sont souvent obligés de gauchir les comptes-rendus qu’on leur demande sur leur activité, le plus souvent avec l’accord implicite de leur hiérarchie. Ce sont des initiatives à haut risque qui exposent les salariés à des sanctions en cas de problème. Mais si la plupart d’entre eux veulent arriver à faire leur travail, ils n’ont d’autre choix que de transgresser les règles. Ces injonctions paradoxales, qui sont maintenant bien connues sous des appellations diverses « coopération contrainte » (Courpasson, 2000) ou « autonomie contrôlée » (Coutrot, 1999), ont bien sûr des effets sur les conditions de travail des salariés : elles placent les salariés dans des situations difficilement tenables sur le moyen et long terme. Elles leur imposent une tension permanente, mais aussi les mettent dans des situations d'impuissance, ce qui affaiblit progressivement le lien de confiance implicite entre eux et l’employeur. Comme la sortie de l’organisation est très coûteuse, que la protestation n’est pas efficace et en outre expose à des sanctions8, comment font les salariés pour travailler dans des situations parfois insupportables ? On constate que de plus en plus de salariés développent des formes de retrait ou de mise à distance du travail. Nous avons signalé l'absentéisme, mais on peut aussi parler du développement de relations duales pour reprendre l’expression utilisée par François Dubet lors de sa contribution au GDR cadres en 2011. Ce dédoublement (robot au travail/individu réel en dehors : le salarié se cantonne à faire ce qu’on attend de lui sans y prêter beaucoup d’attention) constitue la réponse défensive de l’individu aux contraintes imposées par l’organisation qui sont parfois contradictoires ou qui sont perçues comme telles. Pour tenir en tant que personne, alors l’individu se dédouble : il n’engage que le strict minimum de sa personnalité dans le travail. Remarquons en passant que cette réaction est particulièrement fréquente chez les jeunes salariés et notamment ceux qui pensent détenir une qualification plus élevée que celle reconnue par l'entreprise. d'une grande efficacité et la responsabilisation des salariés permet de leur faire résoudre les difficultés dues à ces contradictions. Le salarié supporte alors une charge mentale supplémentaire, qui s'ajoute à celle qui est imposée par l'intensification du rythme de travail (Hamon-Cholet & Rougerie, 2000). Conditions de travail Enfin, signalons aussi que sur la dernière période, on a vu fleurir des formes ultimes et pathologiques de retrait que peuvent être les phénomènes de burn out ou les suicides sur les lieux du travail. Bi b l i o g r a p h i e • Beck U., (2003), La Société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Paris, Flammarion, Coll. Champs, 522p. Les cahiers des rps Conclusion : le désinvestissement des salariés a des effets négatifs sur l’efficacité organisationnelle • Bué J., Sandret N., (2007), « Contact avec le public : près d’un salarié sur quatre subit des agressions verbales », DARES, Premières Synthèses, n°15-1, avril (http://travail-emploi.gouv.fr/ IMG/pdf/2007.04-15.1.pdf ) Le retrait, le détachement des situations, le désinvestissement au travail sont contradictoires avec les exigences imposées par les nouvelles formes de production qui imposent au contraire un investissement important pour que la production soit réalisée. Par exemple, l'introduction des méthodes de « juste à temps » provoquent une intensification de la production due au raccourcissement des délais dans lesquels se réalise le travail. Cette intensification rend le processus productif très fragile et n'est possible que grâce à la réactivité des salariés pour pallier tous les problèmes rencontrés. Ajoutons que la pression temporelle dépasse parfois le strict cadre du travail pour envahir des temps extraprofessionnels. On peut ajouter aussi que depuis la fin des années 1970, l'accent a été mis sur la qualité de la production exigeant une vigilance accrue de l'ensemble des salariés qui participent à la production ou aux services vendus ou distribués par leur organisation. L’importance accordée à la qualité s’est d’abord traduite par des contrôles de qualité a posteriori, et progressivement a été prise en charge directement sur chaque poste de travail devenant ainsi l’affaire de tous. Or, la qualité ne peut se résumer au strict respect des règles organisationnelles. Enfin, citons le fait que de plus en plus de salariés sont en contact direct avec le public. Pour arriver à répondre de plus en plus rapidement à des demandes changeantes, comme celles que peuvent formuler des clients ou le public, il faut faire preuve d'une grande réactivité. Dans ce cas, les normes organisationnelles ne sont pas toujours d'une grande efficacité, et elles font place à des contraintes intériorisées par les individus. Certains auteurs décrivent ce mouvement comme une déstandardisation du travail (Beck, 2003) avec une individualisation des tâches qui impose la mobilité, l’adaptabilité, la disponibilité, en un mot la flexibilité des travailleurs. Les postures de retrait, de mise à distance du travail, de mécanisation de l'engagement sont dévastatrices pour l'organisation car elles transforment l'acteur en réceptacle passif des contraintes organisationnelles. Or dans toute organisation, le respect strict des procédures, c’est-à-dire l'absence de contournement des règles, ne peut que conduire à la paralysie ou au déclin de celle-ci. C'est seulement en reconnaissant aux salariés un réel droit à la parole que l'entreprise : • peut, d’une part, lutter contre une partie des motifs d'insatisfaction et parvenir à rétablir le lien entre le salarié et son travail ; • peut, d’autre part, adapter le fonctionnement organisationnel aux contraintes réelles du travail pour réduire les problèmes de qualité ou de fiabilité des objets ou des services qu’elle produit. ;: • Commission européenne (2009), « La restructuration en Europe en 2008 - Bilan de l’action de l’Union européenne pour anticiper et accompagner le changement de l’emploi », in Office des publications de l’Union européenne (http://ec.europa.eu/social/ main.jsp?catId=738&langId=fr&pubId=243&furtherPubs=yes) • Coriat B., (1991), Penser à l'envers, Paris, Christian Bourgois • Correia M., (2012), « Restructuration et gestion des contraintes : l’augmentation des injonctions paradoxales », in Le droit ouvrier, n°767, juin • Correia M., Maggi-Germain N., (2006), « Les licenciements de Salariés Protégés : Processus et Enjeux », DARES, Document d'études, n°108, février (http://travail-emploi.gouv.fr/ IMG/pdf/DE108_LicSalProt_030206.pdf ) • Correia M., (2007), De l'usage de la formation continue sur l'initiative individuelle des cadres, IRES-CGC, décembre • Courpasson D., (2000), L’action contrainte. Organisations libérales et domination, Paris, PUF, Coll. Sciences sociales et sociétés, 320p. • Coutrot T., (1999), Critique de l’organisation du travail, Paris, La Découverte, Coll. Repères, 129p. • Datchary C., (2011), La dispersion au travail, Toulouse, Octarès Editions, Coll. Travail & activité humaine, 192 p. • Gollac M., Volkoff S., (1996), « Citius, altius, fortius : l'intensification du travail », in Actes de la recherche en sciences sociales, n°114, septembre, pp.54-67 (Extraits : http://millenaire3-v2.com.gdlyonfront.accelance.net/contenus/ouvrages/cahier6/gollac.pdf) • Hamon-Cholet S., Rougerie C., (2000), « La charge mentale, des enjeux complexes pour les salariés », INSEE, Economie et Statistique, 9/10, 339 (http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ es339j.pdf ) • Malet L., Teyssier F., (1992), « Sureffectif et licenciements économiques », in Droit social, n°4, avril • Mintzberg H., (1982), Structure et dynamique des organisations, Paris, Les Editions d'Organisation, Coll. Références, 434p. • ohno T., (1988), « Toyota Production System: beyond large-scale production » in Productivity Press • Pujolar O., (2011), « La fragilisation du lien social », in Chroniques du Travail, n°1, décembre, pp.35 & s. • Raveyre M., (2005), « Restructurations, grands groupes et territoires, de l’utilité de la construction d’espaces de coordination localisés », in Géographie, Economie et Société, numéro spécial : « Mondialisation, restructurations et gouvernance territoriale », n°4, décembre, pp. 333-346 • Rouxel C., (2009), « Conditions de travail et précarité de l’emploi », in Premières Synthèses, DARES, n°28.2, juillet (http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2009.07-28.2.pdf ) Mario Correia Maître de conférences en sociologie du travail, Directeur de l'Institut Régional du Travail (IRT) d'Aix-en-Provence 40 Les cahiers des rps Conditions de travail Des placardisés dans un état de droit : s'opposer à l'ostracisme Cet article aborde un nouveau phénomène, appelé « placardisation ». Il s'agit d'une nouvelle violence psychologique au travail qui infeste, depuis quelques décennies, nos entreprises et nos administrations. Malgré les textes de loi condamnant la mise au placard, reconnue comme une forme de harcèlement moral au travail, les personnes victimes d'agressions dans l'exercice de leur profession représentent un salarié sur six selon l'enquête SUMER 2003. D'après l'enquête EU-OSCHA 2011, en fonction du pays, du secteur et de la méthode utilisée, la violence sur le lieu de travail affecte de 5 à 10% des travailleurs européens. La violence dans les organisations se révèle comme étant l'une des réalités associées à plusieurs problèmes de santé psychique au travail. Les effets néfastes sur la santé sont constatés : symptômes de stress. Le présent écrit tente d'apporter quelques éléments de réponse aux questions suivantes : qui sont les personnes frappées d'ostracisme, isolées socialement, rejetées par le collectif ou l'équipe de professionnels auquel ils appartiennent ? Existe-t-il un profil type du harcelé ? Hirigoyen (1999), écrit à ce propos : « les harcelés sont généralement des grandes gueules ou pour le moins des fortes personnalités... La victime, c'est en fait bien souvent celui qui résiste, notamment à ses collègues... mais aussi à son supérieur hiérarchique, ou encore à la pression de ses subordonnés. ». Quel est l’intérêt pour l'entreprise de garder un individu rendu non productif ? Comment le salarié placardisé lutte-il contre cette forme d'exclusion délibérée mise en place par l'entreprise ? Face à cette violence, quel est le rôle du soutien social ? Quelles mesures préventives existent pour contrer ce phénomène ? Dans le cas de l'isolement psychologique, le rejet ne contraint pas la personne à changer obligatoirement de lieu de travail. Elle conserve son bureau voire ses outils de travail. En revanche, ce sont ses tâches qui lui sont peu à peu supprimées ou modifiées. Elle ne reçoit plus d'information de sa hiérarchie ou de ses collègues. Elle n'est plus conviée aux réunions d'équipe ou de service, aux repas organisés entre collègues de travail qui ne s’adressent plus à elle. Le but de son agresseur est de l'isoler psychologiquement, la séparer des autres, la priver du soutien de ses collègues, voire de ne bénéficier d’aucun témoignage en cas de besoin. Nous allons voir, dans un premier temps, que nonobstant les mesures législatives visant à protéger la santé et la sécurité des salariés, le placard subsiste dans les entreprises ainsi que dans les administrations. Dans quelle intention ? Dans un second temps, nous tenterons d'identifier et de mettre en exergue d'éventuelles caractéristiques humaines communes aux personnes exclues mais également à celles qui se rendent coupables ou complices du rejet social. Enfin, après avoir exposé les effets néfastes de la stratégie de l'exclusion, nous parachèverons l'écrit par la présentation de pistes de solutions à explorer par les salariés victimes ou spectateurs d'une situation qualifiée de placardisation. De nombreuses histoires professionnelles relatant des situations de bannissement en témoignent : un journaliste interdit d'antenne et nommé chargé de mission… en attente de mission, un chef de service responsable aujourd'hui de l'optimisation d'un logiciel informatique, une secrétaire de mairie confinée dans son bureau sans ordinateur ni téléphone, un bibliothécaire renvoyé à la « gestion » d'une étagère d'archives, un CRS détaché de sa brigade et affecté au balayage de la cour du cantonnement, un préfet hors cadre dans l'attente d'une prochaine alternance politique, un aidecomptable déplacé dans le local de la photocopieuse pour « superviser son usage », etc. (Lhuilier, 2002). Le placard en entreprise L'isolement géographique et/ou psychologique Depuis quelques années, au sein de l'entreprise, le placard caractérise le lieu du bannissement. Après avoir exercé certaines responsabilités, le salarié est mis au ban, en quarantaine, notamment à la suite d’un changement de Direction. Le placard dans ce contexte s'apparente à une forme de rejet social, d'exclusion délibérée d'un individu, d'une relation interpersonnelle ou d'une relation sociale. La dimension juridique de la placardisation Un abus de pouvoir et une forme de harcèlement moral La notion de harcèlement psychologique sur son lieu d’activité est assez récente, elle a été introduite en France il y a un peu plus de dix ans par Leymann (1996) dans son ouvrage intitulé Le Mobbing (Harcèlement collectif ), la persécution au travail. Zapf (1999) amène la notion de « Bullying » qu'il définit comme étant une situation où : « une personne est harcelée, outragée, socialement exclue ou amenée à réaliser des tâches humiliantes, et si la personne concernée est dans L'isolement physique est un bannissement qui contraint le salarié à quitter son bureau et à intégrer un autre lieu suffisamment éloigné N°24 - Décembre 2014 41 Les cahiers des rps de ses collègues et de sa hiérarchie, suffisamment petit et dans certains cas, sans téléphone, sans ordinateur, comme si celui-ci n’existait pas dans l’organigramme. Le salarié se voit confier des tâches sans intérêt, dévalorisantes, sans rapport avec son échelon et son expérience. Le cas de Valérie illustre une hypothèse de placardisation. Suite à une réorganisation dans un service bancaire, Valérie conseillère clientèle depuis 18 ans, âgée de 43 ans s'est vue, en l'espace de trois mois, sans emploi et sans outil de travail : « Au début de mon isolement, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. J'étais plutôt désorientée. J'observais impuissante au retrait de mes outils de travail ; ma liste de clients a été dans un premier temps diminuée de moitié. Puis, deux mois plus tard, mon supérieur m'a changé de bureau. Je n'avais plus ma place ici, disait-il, car je devais être polyvalente, c'està-dire, poursuivre mon activité de conseillère clientèle et apporter une aide aux conseillers d‘accueil (l'aide en question ne m'a jamais été clairement définie). Mon nouveau bureau était une petite table et une chaise dans un recoin près de la porte d'entrée de l'agence bancaire. Bizarrement, cette nouvelle disposition « provisoire », comme me l'avait affirmé mon supérieur, ne prévoyait ni téléphone ni ordinateur. Aujourd'hui, ma situation a empiré, je n'ai plus de clients en charge et les conseillers d‘accueil ne sont plus en mesure de me donner une part de leurs tâches depuis l'arrivée de deux stagiaires. ». Introduction Conditions de travail Les cahiers des rps une position hiérarchique inférieure ». Si l’on considère la loi du 17 janvier 2002, le placard s’apparente bel et bien à une forme de harcèlement moral (Loi de Modernisation Sociale, n° 2002-73 du 17 janvier 2002). La « mise au placard » constitue un abus de pouvoir de la part de l’employeur. Ce dernier à l’obligation de fournir les matériels nécessaires à l'accomplissement des tâches professionnelles. L’article du Code pénal 222-33-2 définit le harcèlement moral au travail : « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». La « mise au placard » est une sanction illégale, condamnable et punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. même si le salarié est considéré comme non efficace, même s'il ne plait plus, l’entreprise ne rompt pas son contrat de travail, car elle a une obligation de bonne conduite. Cet argument peut être entendu pour les professionnels proches de la retraite, mais ne l’est sans doute pas pour les autres. Le placard comme outil de gestion peut aussi renvoyer à un constat d'échec de la Gestion des Ressources Humaines. L’affaire de L. Scoarnec, 52 ans en est une illustration. Salarié d'un établissement financier depuis vingt-huit ans, il travaille en moyenne deux heures par semaine, depuis 1997. Ce salarié déclare : « J'ai été affecté dans une Direction du marketing qui venait d'émerger suite à une réorganisation interne. Je me suis entendu dire par le responsable de cette Direction : « Je ne sais pas pourquoi vous êtes ici, je n'ai pas besoin de vous ». Depuis, je suis obligé de mendier quelques tâches à des collègues travaillant dans d'autres services. Je suis devenu un « chômeur d'entreprise ». Au fur et à mesure des nouvelles versions de l'organigramme, mon poste factice se rapproche du massicot. Il est difficile de parler de sa situation avec des collègues. On a l'impression d'être un nuisible. ». Il est vrai que le harcèlement moral suppose un acharnement, alors que la « mise au placard » semble être le résultat d’une seule décision d'affectation de la victime. En réalité, la « mise au placard » peut être le résultat de plusieurs mesures successives qui finalement aboutissent à l’isolement, et au déclassement de la victime. La personne exclue subit dans le temps les effets de ces mesures, lesquelles peuvent être accompagnées de brimades et de vexations répétées. La « mise au placard » est une agression insidieuse non extériorisée, elle blesse la personne dans sa fierté, elle la place dans une position d’infériorité. Dans la fonction publique Le phénomène d’exclusion est presque inhérent à la fonction publique où le licenciement n’existe pas, à moins que le fonctionnaire n’ait commis une faute grave. Ce type d’organisation favorise donc les mises au placard. Il n’est pas toujours aisé de prouver qu’une mutation est effectuée dans un but autre que celui de servir le service. Si le changement s’effectue dans l'intérêt du service, si les nouvelles fonctions confiées correspondent à l’échelon de l'agent concerné et sont de même nature que celles qu'il remplissait précédemment, si sa rémunération reste identique, alors on peut conclure qu’il s’agit là d’une simple mesure d'organisation interne (notons par ailleurs, que dans la fonction publique, un agent peut être affecté à tout moment à de nouvelles missions, aucun règlement n’interdit cette affectation). Inversement, si ce changement d’affectation entraîne une modification de la situation personnelle de cet agent, s’il conduit à une réduction de ses attributions, ou à une expulsion de fait, la mesure peut être sanctionnée pénalement : il y a « mise au placard ». Une atteinte au droit à la dignité La notion de dignité constitue la première partie de la Charte européenne des droits fondamentaux. « Sortir de soi, c’est s’occuper de l’autre, et de sa souffrance » affirme Lévinas (1995). C’est reconnaître complètement l’humanité de l’autre. Autrefois, la notion de dignité renvoyait à une qualité intimement liée à l’être humain, à l’idée que « quelque chose est due à l’être humain du seul fait qu’il est humain » (Ricœur, 1988). Tout homme mérite donc un respect inconditionnel, quel que soit son âge, son sexe, sa santé physique ou mentale, sa religion, sa condition sociale ou son origine ethnique, lorsqu’il est mis en question. Le rejet social comme outil managérial Malgré toutes les mesures juridiques visant à protéger les salariés contre l'ostracisme, et prévenir les situations de harcèlement au travail, ce phénomène sociétal est de plus en plus répandu dans les entreprises privées comme dans les établissements publics. Comment justifier une telle pratique alors même que toute entreprise a pour souci premier l’économie et le profit ? Quel est l’intérêt pour l’Entreprise ou l’Administration de garder un individu non productif, inactif ? Existe-t-il des caractéristiques humaines communes ?... Au niveau des placardisés ? Contrairement à des idées reçues, les victimes d'un harcèlement moral ne sont pas obligatoirement des personnes faibles ou paranoïaques. Le vrai harcelé est quelqu’un qui aime son travail, est compétent et a l’esprit d’équipe. Il ne guette pas les faux pas de ses collègues, il ne note et ne surveille pas celui avec qui il collabore : il n’a pas cette vision paranoïaque du monde. Il peut s’agir d’un homme ou d’une femme, d’un nouvel embauché ou d’un salarié plus ancien proche de la retraite, d’un cadre ou d’un employé, brillant ou incompétent. Personne n'est à l'abri d’un rejet social dans son entreprise. Le profil type du placardisé n’existe pas, il s’agit d'une personne frappée de disgrâce, considérée contagieuse par les collègues, et qui par peur des représailles, ne parlent plus eux-mêmes à la victime. Le paradoxe de la placardisation est que la personne est frappée d’ostracisme tout en étant maintenue dans son emploi. Dans le secteur privé Depuis quelques décennies, les entreprises fonctionnent sur un mode collectif, le placard est considéré comme une manière de manager presque « altruiste ». En cas de difficultés, l’entreprise ne met pas ses employés à la porte, plutôt que de licencier les « surnuméraires », elle préfère les stocker : cela permet d'éviter le chômage. Certains Responsables des Ressources Humaines pensent que le placard a une fonction rassurante auprès des autres salariés : 42 Les cahiers des rps Conditions de travail Au niveau des collègues : silencieux complices ? Pour certains collègues, « il n’y a pas de fumée sans feu… un tel châtiment ne peut être infligé sans raison ... D’ailleurs, de quoi se plaint-il, puisse qu’il est payé à ne rien faire ». En oubliant toutefois que la victime est tenue de faire acte de présence et que cette présence obligatoire constitue une véritable torture psychologique pour cette dernière. Quelle que soit sa place dans l’organisation, son grade, sa position dans l’organigramme, le placardisé a toujours cette fâcheuse impression de n’être plus bon à rien. Il doute, remet ses capacités en question, tourne en rond. Ce placard qui semble pour certains doré n'est en définitif qu’un lieu de souffrance pour la victime. Si le profil type du placardisé n'existe pas, il existe, néanmoins, des personnes prédisposées à ce type de traitement. • Les inaptes ou les inutiles Dans l’entreprise, les personnes d’âge mûr ne sont plus considérées comme des personnes disposant d’une richesse à transmettre, elles sont plutôt perçues comme des « rétro », dépassées par les évolutions. Dans cette catégorie, figurent aussi ceux que l’on nomme, les « bras cassés » : les handicapés, les malades. Ces maladies sont souvent des maladies professionnelles ou un handicap survenu à la suite d’un accident de travail. Et enfin, les surnuméraires qui sont ceux dont le poste a été supprimé. Aujourd’hui, on assiste à un nombre considérable de fusions d’entreprises, ces fusions contribuent à multiplier la création des placards. Certaines fonctions se voient réduites de moitié, d’autres, à causes des doublons, sont soit supprimées, soit conservées dans un placard. • Les nuisibles Le placard peut résulter d’un conflit personnel entre l’employeur et le salarié. C’est le « placard mitard », le « cul-de-basse-fosse » où l’on jette les syndicalistes, les contestataires, les fortes têtes ceux qui osent bousculer l’ordre établi. « Les grandes banques en regorgent, et on y trouve souvent les mêmes pensionnaires : des jeunes issues d’un milieu modeste, entrées comme sténodactylos à 16 ans et passées cadres à 40 ans grâce aux cours du soir. A ce niveau de responsabilité, elles découvrent que les jeunes diplômés, fraîchement embauchés sont beaucoup mieux payés qu’elles. Elles commencent à râler, à demander des comptes. Et la Direction qui n’a que faire de ces « enquiquineuses » les met au trou » (Saada, 2002). Parmi les nuisibles sont classés également des salariés qui ont des convictions, qui tentent de faire reconnaître leur façon de travailler, qui critiquent les nouvelles orientations, qui refusent l’instrumentalisation, qui soulignent le décalage entre le discours tenu par la Direction et les pratiques quotidiennes des managers. Mais, le haut niveau de la hiérarchie n’est pas épargné. Ce phénomène frappe tant les dirigeants déchus des entreprises privées, qui ont dirigé des équipes et qui se sont vu remplacés par d’autres, que des hauts fonctionnaires d’Etat mis sur la touche après l’élection d’un nouveau dirigeant politique. L’étendue psychique de la relégation Le contrecoup de la relégation pour le placardisé L’isolement d’un individu est vécu comme un châtiment. L'expérience d'une telle condition peut conduire à des effets psychiques tels que le sentiment de solitude, la perte ou la faible estime de soi, le sentiment d'insécurité, l'agressivité exprimée à l'égard d'autrui ou manifestée contre des objets voire retournée contre soi (auto-agressivité), ressort inconscient de certains suicides. Pascual (2004), Responsable de la consultation « Souffrance au Travail » connaît bien les effets néfastes sur la santé d’un long passage au placard. Elle prouve, par la déclaration qui suit, que le placard démolit bel et bien mentalement et physiquement : « la non-reconnaissance du travail, la dévalorisation systématique, le persiflage des collègues entraînent chez le salarié une vraie souffrance psychique, qui se manifeste sous différentes formes : insomnies, anxiété, troubles du comportement, dépression, voire tentatives de suicide ». Le harcèlement moral peut provoquer dans un premier temps des symptômes de stress. Au bout de quelques mois, les symptômes Au niveau des harceleurs ? Dans seulement 10% des cas, c’est un subordonné qui harcèle son patron. Une fois sur deux, le harcèlement émane du supérieur hiérarchique, une fois sur quatre d’un collègue et dans 17% des cas, du chef et de collègues réunis. Les recherches qui ont été faites sur ce sujet montrent qu’il existe des éléments communs dans la façon d’agir des agresseurs. Ce sont des personnes qui cherchent à « casser » quelqu’un sans laisser de traces compromettantes. Les agresseurs entretiennent généralement d’excellentes relations de séduction avec les autres salariés pour mieux s’attaquer à l’estime de soi de leur victime afin d’augmenter leur propre valeur. Ils utilisent souvent les sous-entendus, les non-dits destinés à créer un malentendu pour ensuite l’exploiter à leur avantage. Lorsqu’ils se trouvent au cœur d’un conflit apparemment ouvert, là encore ils font planer le doute dans l’esprit des autres, le sujet réel du conflit n’est jamais évoqué. L’important pour eux est de réussir à déstabiliser la victime. N°24 - Décembre 2014 43 Les cahiers des rps La maltraitance psychologique est rendue possible grâce au silence des collègues qui deviennent alors des complices de l’agresseur, par conséquent, passibles de sanctions. « Quelle valeur attribuer au silence, à la dissimulation, source même de l’indignité, quand c’est précisément la force d’une indignation publique qui paraît en dernier recours susceptible d’influer sur des tortionnaires bien souvent soutenus dans leurs exactions par une indifférence complice ? » (Hirsch, 2006). La lecture de ce texte, nous amène à nous interroger à propos de la capacité que possède la société à banaliser des conduites injustes. Maltraitance qui se caractérise principalement par une néantisation sociale (je n’existe pas pour les autres, alors que je suis au milieu des autres, je regarde les collègues travailler mais je ne peux pas participer aux projets (Lhuilier, 2002) ; par une négation des droits ; par une culpabilisation (« je suis payé à ne rien faire ») ; par une intimidation et une disqualification. Ce questionnement place l’humain au centre de la problématique de ce que Hannah Arendt appelait la banalité du mal des « dérives quotidiennes » renfermées dans les capacités de ce qu’à l’homme de « faire à l’homme ». La banalisation du mal, passe par plusieurs chaînons intermédiaires, chacun d’eux appartenant à une élaboration humaine. Il ne s’agit pas ici d’une logique que l’on ne peut réprimer ou contenir, mais d’un enchaînement, processus qui peut être interrompu, contrôlé par des décisions humaines (Dejours, 1998). Conditions de travail peuvent se transformer en troubles psychiques manifestes. Une absence de soutien ou de reconnaissance, de la part de la hiérarchie ou des collègues, est un des facteurs aggravants des effets du harcèlement moral au travail. Le soutien social comme ressource Quel peut être le rôle des collègues face à une situation de placardisation au travail ? Face à une placardisation, le pire serait de faire l’autruche. Dans la préface de son ouvrage « Travail, usure mentale », Dejours (2006) déclare que si le harcèlement conduit aujourd'hui plus souvent que naguère à des troubles psychopathologiques graves chez les victimes, ce n'est vraisemblablement pas parce que la technique du harcèlement se serait perfectionnée (...). Ce qui a changé, semble-t-il, c'est plutôt la passivité et l'absence de solidarité de la part des collègues de la victime du harcèlement (…). Le contrecoup de la relégation pour la société Un salarié harcelé, stressé, démotivé ayant perdu toute confiance en lui, aura des difficultés à prendre des initiatives ou des décisions. La qualité de son travail s'en ressentira. Même s'il met toute son énergie à résister à la pression, à « tenir », un jour ou l'autre, il devra s'arrêter de travailler pour se soigner. L'absentéisme qui en découle ainsi que la détérioration du climat de travail ont des conséquences négatives pour l'entreprise ainsi que pour les organismes sociaux. D'après Duriez (2007), la première cause d’absentéisme est due aux maladies de courte durée : « le régime général a servi 200 millions d’euros d’indemnités journalières de maladie en 2002 et plus de 320 millions de journées ont été indemnisées en 2003, ce qui correspond à une dépense de 2,7 milliards d’euros en 1997, à 5,13 milliards en 2002 et, 6 milliards en 2004. ». Le soutien social comme ressource a un effet direct et positif sur la santé de l'individu (Cohen et Wills, 1985, Leiter, 1991). Il existe de nombreux travaux faisant le lien entre le soutien social et une meilleure santé du salarié en souffrance. Selon l'approche évolutionniste, chez l'homme comme chez beaucoup d'autres espèces sociales, il y a la nécessité d'accéder aux ressources socioaffectives de son écosystème pour préserver son intégrité biologique (Caron et Guay, 2005). Les ressources sociales et matérielles au travail sont donc un besoin primaire qui permet l'équilibre biopsycho-social de l'individu. Le soutien social crée chez la personne exclue le sentiment d'être reconnu par ses collègues de travail ce qui contribue à renforcer l'estime de soi. Le soutien devient alors une ressource : pour faire face à l'exclusion, le salarié puise dans ses ressources internes et sollicite du soutien externe. Les cahiers des rps S’opposer à l’ostracisme Agir pour en sortir Le relégué observe les signes d’une mise à l’isolement sans que celleci ne soit accompagnée d’une explication. S’agit-il d’une sanction ou d’autres choses ? Commence alors un long questionnement sur les intentions de l’organisation, sur les motifs de cette mise à l'écart. C’est l’épreuve traumatique du non-sens. Mais, pense-t-il, cette situation ne pourra pas durer, il s'agit d'un malentendu. Néanmoins, le temps passe, et la situation reste inchangée. Alors la confiance disparaît, et les relations aux autres se font de plus en plus rares. Contrer le phénomène de placardisation, c'est aussi sortir du nondit, en parler à son médecin du travail dont le rôle est de préserver la santé des salariés et de conseiller l'employeur dans le cadre la prévention des Risques Psychosociaux. En parler à un médiateur s’il en existe un. A défaut, à son syndicat, à une association de victimes. Se mobiliser dans l'action (trouver des alliés, dénoncer le harceleur, se documenter sur le sujet), se solidariser : sortir de l'isolement grâce au programme d'aide aux employés, groupes d'entraide... Il est toujours possible de vivre au placard. Certains y voient là, le moyen de préserver emploi et revenus. Tactique d'ajustement mise en place par le placardisé lorsque le départ de l'entreprise n'est pas envisageable. Il s’agit dans ce cas de se soumettre aux attentes de l’Organisation, c’est-à-dire, de ne pas faire de vagues, d’éviter les questions des collègues, de jouer la comédie en faisant semblant de croire à l’importance des tâches confiées par sa hiérarchie. Cependant, l’inverse, c’est-à-dire la révolte, est aussi une stratégie adoptée pour en sortir. La révolte suppose de sortir du déni, de reconnaître sa propre mort sociale afin de surmonter l'ostracisme. Les formes de résistance qui s'offrent au relégué sont multiples ; elles passent par l’affranchissement des épreuves imposées, par la rébellion et l’affrontement. Pour se défendre, pour reconquérir une image valorisée, retrouver l'estime de soi, le placardisé effectue un véritable travail au cours duquel il mobilise une importante quantité d’énergie. Conclusion La placardisation qui est à la fois « une éviction du travail et le maintien dans l'emploi » (Lhuilier, 2002), est condamnée par la loi et considérée, soit comme une sanction trompeuse et déguisée dont l’intention punitive n’est pas toujours extériorisée, soit comme un harcèlement moral de fait. Le placard est synonyme d’exclusion et a pour but de fragiliser, d'ébranler, de déboussoler voire pousser à la faute professionnelle et/ou au départ par démission. Dans la majorité des cas, il s'agit de personnes déclarées inaptes, nuisibles, par leur hiérarchie. Singulièrement, ces exclus sont des personnes frappées de disgrâce tout en étant maintenues à leur poste. Notons que cette maltraitance est rendue possible grâce au silence complice des collègues qui eux-mêmes ont peur d’être placardisé à leur tour. Soula (2002), médecin inspecteur du travail déclare : « le placard altère la santé mentale du salarié, entraîne une dégradation de ses conditions de travail et compromet son avenir professionnel ». La relégation porte atteinte à la personnalité, dégrade la santé créant ainsi une pathologie de la solitude et de l’isolement qui renforce la souffrance et engendre un sentiment de dépersonnalisation. Face à Dès lors qu’il décide de se dégager du placard, un certain nombre d’obstacles viennent s’opposer à lui, rendant sa sortie difficilement réalisable. Quitter l’entreprise, mais à quel prix ? Partir de l'entreprise est synonyme de fuite, l'adversaire devient alors le vainqueur. Rester, c’est entrer en résistance, option qui possède une double face : la personne reste fidèle à ses valeurs tout en s'opposant publiquement à la banalité du mal, à cette forme d'abus de pouvoir. 44 Les cahiers des rps Conditions de travail ce phénomène de plus en plus répandu, résister c’est, rester fidèle à ses valeurs, s’opposer à la « banalité du mal » et aux différentes formes d’abus de pouvoir. Le soutien social peut être une ressource permettant à la personne exclue de mieux gérer la violence psychologique qu'elle subit et ainsi réduire son impact sur sa santé. ;: Les résultats du sondage Anact-TNS Sofres « Concilier sa vie professionnelle et sa vie privée » Dans le cadre de la 11ème édition de la Semaine pour la Qualité de Vie au Travail, le Réseau Anact-Aract a réalisé avec l’institut TNS Sofres, un sondage sur la conciliation des temps. 1 026 travailleurs ont été interrogés du 9 au 16 avril 2014. Sara Roubaud Doctorante / Psychologue du travail à l'ASTE (Service de Santé au Travail de l’Essonne) Quelle importance les Français accordent-ils à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ? Comment évaluent-ils cet équilibre ? Quels bénéfices les salariés anticipent-ils ? Pour qui ? Dévoilés en introduction du colloque national de la Semaine pour la Qualité de Vie au Travail 2014, les résultats de ce sondage permettent d’établir un état des lieux de la situation et des attentes. Au-delà, ils permettent de susciter le débat et de nourrir la réflexion du réseau Anact-Aract. Concilier vie privée-vie professionnelle : un enjeu-clé de la satisfaction au travail • Caron J., & Guay S., (2005), « Soutien social et santé mentale ; concept, mesures, recherches récentes et implications pour les cliniciens », in Santé mentale au Québec, 30, n°2, p. 15-41. 76% des salariés interrogés disent arriver assez facilement à concilier vie privée et vie professionnelle, mais interrogés dans le détail, ils y arrivent plus difficilement : • 55% des parents estiment qu’ils ne peuvent pas s’occuper de leurs enfants comme ils le souhaiteraient ; • 49% des salariés éprouvent des difficultés à passer suffisamment de temps avec leur conjoint ; • 57% ont du mal à accomplir des formalités administratives. Lorsqu’ils y arrivent, c’est grâce à des arrangements individuels avec le management de proximité. • Cohen S., & Wills T.A., (1985), « Stress, social support, and the buffering hypothesis », in Psychological Bulleting, 98, p.310-357. • Dejours C., (2000), Travail, usure mentale : Essai de psychopathologie du travail, Paris, Bayard, 270 p.17 51 % des salariés qui s’expriment reconnaissant que leur supérieur hiérarchique fait des efforts. Il y a peu de prise en charge collective par l’entreprise. • Dejours C., (1998), Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale, Seuil, p. 24 38 % estiment que la direction de l’entreprise s’est emparée du sujet. Or, les salariés pensent que si cette prise en charge existait en faveur d’aménagement du temps de travail et d’organisation du travail, les salariés et l’entreprise seraient gagnants. • Duriez A., (2007), Alerte à la souffrance, le mal-être au travail, Balland Près des trois quarts des salariés en sont convaincus, un bon équilibre profite aussi bien aux salariés qu’aux entreprises (71% des salariés le pensent). • Hirigoyen M-F., (1999), Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, Syros, p. 192 Les bénéfices envisagés sont doubles et concernent salariés comme entreprises • Hirsch E., (2006), L’éthique au coeur des soins, Un itinéraire philosophique, Espace éthique, Vuibert, p.80 Pour les salariés Une meilleure santé avec un stress diminué (53%, 1er rang des bénéfices pour les salariés), ce qui contribue à baisser le taux d’absentéisme (46%, 1er rang des bénéfices pour les entreprises). • Lhuilier D., (2002), Les Placardisés, des exclus dans l’entreprise, Paris, Seuil, p. 7 Pour les entreprises Une efficacité renforcée, ce qui assure pour l’entreprise un gain en productivité et en qualité et, pour le salarié, la satisfaction de réaliser son travail vite et bien (respectivement 40% et 37%, 2ème rang des bénéfices pour les salariés et les entreprises). • Levinas E., (1995), Altérité et transcendance, Fata Morgana, Montpellier, Essais • Leymann H., (1996), Mobbing. La persécution au travail, Seuil, p. 231 Assouplir l’organisation du travail, la clé pour un meilleur équilibre vie professionnelle-vie privée • Pascual M., Aguerre J-C., Clancy S., Michel A., (2004), « Salarié en détresse : Quelles réponses ? », in Travail et Emploi, n° 97, p.77 Les pistes préférées des salariés français pour une meilleure conciliation vie privée-vie professionnelle portent sur les aménagements des horaires et des modalités de travail. • Ricoeur P., De Raymond J-F., (1988), « Pour l’être humain du seul fait qu’il est humain », Les enjeux des droits de l’homme, Paris, Larousse, p.236 Pour les salariés, le mot d’ordre est l’aménagement du temps et des modalités de travail. Ils estiment que cela les aide ou les aiderait de pouvoir quitter leur lieu de travail en cas d’impératif (74%), de voir leur charge de travail ou leur rythme aménagé en cas de souci personnel (69%) ou encore de bénéficier d’horaires personnalisés (65%). La prise en compte de l’ensemble des équipes dans l’organisation des horaires de travail est également avancée par 58% des salariés. • Saada R., (2002, 24 juin), « Travail : le Harcèlement moral : voyage chez les placardisés », in L’Express • Soula M-C., (2002), « Approche pluridisciplinaire du harcèlement moral », Document pour la Médecine du Travail – Etudes et Enquêtes, n° 90, 2ème semestre N°24 - Décembre 2014 Source : http://www.anact.fr/web/actualite/essentiel?p_thingIdToShow=38243638 45 Les cahiers des rps Bi b l i o g r a p h i e Conditions de travail Les cahiers des rps Reprise de l'intensification du travail chez les salariés Lire l'intégralité de l'étude sur http://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/Hors_collection/dares-analyses049.pdf 46 Les cahiers des rps Conditions de travail Les cahiers des rps N°24 - Décembre 2014 47 Publications Liste non exhaustive n Accords • Aide à domicile/ • Une nouvelle plateforme sur Internet pour connecter la communauté de la sécurité et de la santé au travail : OSHwiki, https://osha.europa.eu/fr/press/press-releases/oshwiki-goes-livea-new-web-platform-toconnect-the-occupational-safety-andhealth-community agrément des accords sur les risques psychosociaux et sur les garanties frais de santé : Deux avenants à la convention collective de branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD) sont agréés par un arrêté publié jeudi 6 novembre au Journal officiel : l'avenant n°13/2013 du 25 juin 2013 relatif à la prévention des risques psychosociaux, d'une part, et l'avenant n°16/2013 du 7 avril 2014 relatif aux garanties frais de santé, d'autre part, www.ash.tm.fr • Guide SECAFI : Agir contre les troubles musculo-squelettiques, juin 2014, www.secafi.com • Guide préV'Up Prévenir l'usure professionnelle, ARAVIS, octobre 2014, http://www.aravis.aract.fr/?document=guide-prevupprevenir-lusure-professionnelle n Rapports / Etudes • « Conditions de travail. n Revue Reprise de l’intensification du travail chez les salariés », DARES Analyses, n°049, juillet 2014, www.travail-emploi.gouv • La conciliation des temps, une question à plusieurs dimensions, Travail & Changement, N°55, mai-juin 2014 • Travail • Présentéisme • Bilan • La Revue des conditions de travail, ANACT, 1er numéro, octobre • Mécanismes organisationnels de formation des violences au travail. n Ouvrages Les cahiers des rps indépendant : santé et conditions de travail, actes du colloque du 18 septembre 2013 à Paris, Rapport de recherche du Centre d’Etudes de l’Emploi (CEE) : une autre face de l’épuisement professionnel, Travail & changement, N°354, mars-avril 2014 2013 de la DGAFP (Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique) : Bonnes pratiques GRH, www.fonction-publique.gouv 2014, http://www.anact.fr/web/publications/revue-conditionstravail Proposition d’un modèle-cadre pour comprendre et intervenir, Note scientifique et technique de l’INRS (NS320), février 2014, www.inrs.fr • Garnier D., (2014), Les « Pacific’acteurs ». Voyage conflictuel à Saint-Pierre-et-Miquelon Violences au travail, Les éditions Chapitre.com • Les résultats du sondage Anact-TNS Sofres « Concilier sa vie professionnelle et sa vie privée », juin 2014, www.anact.fr • Garnier D., (2014), Travail. Des traumatismes à l’espérance, Essai, • Observatoire national des conditions de travail du Crédit Agricole : Coll. Le Manuscrit un nouvel espace d’innovations sociales, www.anact.fr • Montreuil E., (2014), Prévenir les risques psychosociaux. Des outils n Guides / outils • Le Guide TPE-PME : vos salariés sont-ils exposés à des facteurs de pour agir sur la pénibilité et préserver la santé au travail, Ed. Dunod, 2ème édition n Articles pénibilité ?, réalisé par les Services de Santé au Travail et les organismes de prévention de Basse-Normandie, www.carsatnormandie.fr • « Le travail peut-il devenir supportable ? », entretien avec Y. Clot et M. Gollac, www.anact.fr • Guide Harcèlement moral : le guide des bonne pratiques de la SMACL (Mutuelle d’assurances s’adressant notamment au secteur des collectivités territoriales), www.smacl.fr • « Prévention des RPS : indicateurs à disposition des employeurs publics », M.T. Giorgio, www.atousante.com, • La CARSAT Aquitaine a publié 2 nouveaux guides : • « Grande distribution, dans l’enfer des « drives » », www.cfdt.fr - La souffrance au travail – Guide pratique Salariés et représentants du personnel, février 2014 - La souffrance au travail – Guide pratique Employeurs, février 2014 http://entreprises.carsat-aquitaine.fr/331-actualite/1140-risquespsychosociaux-en-entreprise-2-nouveauxguides.html • « CHSCT : le renouvellement possible avant l’expiration des mandats, service juridique CFDT, www.cfdt.fr n Divers • Un nouvel acteur dans l’entreprise : le salarié compétent en santésécurité au travail, mai 2014, http://www.risquespme.fr/actualites/brochure_salarie_competent_prev. • Film sur les « Risques PsychoSociaux » réalisé par le LEST, http://www.lest.cnrs.fr/spip.php?article708 48 Les cahiers des rps Publications Les articles traitant des méthodes d’évaluation depuis le 1er numéro des Cahiers des rps / fps n Les Cahiers des fps, n°1, février 2005 n Les Cahiers des fps, n°10, août 2008 • « Que faire dans une entreprise sur risque de stress ? », A.M. • « Les facteurs psychosociaux au travail. Une évaluation par le • Gautier, consultante, Cabinet DDC, Aix-en-Provence « Evaluation des risques et facteurs psychosociaux dans une association d’aide à domicile, Dr M. Peyron, Médecin du travail au GIMS Marseille, P. Gillardo, Consultanyte, Cabinet DDC, Aix-en-Provence questionnaire Karasek dans l’enquête SUMER 2003. Dares, premières synthèses, n°28.1 » N. Guignon, Dares, I. Niedhammer, Inserm, N. Sandret, MIRTMO, DRTEFP Ilede-France n Les Cahiers des rps, n°14, décembre 2009 n Les Cahiers des fps, n°2, septembre 2005 •« • « Risques psychosociaux – Stress, mal-être, souffrance… Guide • • pour une démarche de prévention pluridisciplinaire. Un enjeu collectif de la santé et de la Qualité de Vie au Travail », C. Brun, Chargée de mission Aract Aquitaine « Le WOCCQ : une méthode de diagnostic du stress professionnel. Présentation de l’outil et mise à disposition des utilisateurs de terrain », I. Hansez, auteur du WOCCQ, S. Peters, coordinatrice projet WOCCQ, Université de Liège • Guide pour une démarche stratégique de prévention des problèmes de santé psychologique au travail », Les Cahiers des rps « La démarche ELVIE. Une démarche structurée de prévention et de réduction des risques psychosociaux », J.M. Faucheux, Chargé de mission Aract Martinique, D. Laport, Directrice Aract Martinique et Déléguée régionale Anact « Un modèle d’analyse du risque psychosocial dans le secteur sanitaire et social », A.M. Gautier, Ergonome, Sociologue, DDC, F. Martini, Psychosociologue, CATEIS n Les Cahiers des fps, n°5, décembre 2006 n Les Cahiers des rps, n°16, décembre 2010 • « Une étude sur le stress dans le secteur de la métallurgie », Dr B. •« • n Les Cahiers des rps, n°17, juin 2011 • « Action collective dans le secteur médico-social : conditions de réussite, points de vigilance et enjeux », L. Courtin, Conseillère technique Droit social/ RH URIOPS Languedoc Roussillon n Les Cahiers des fps, n°6, mars 2007 n Les Cahiers des rps, n°19, juin 2012 • Etude-action sur l’intervention des médecins du travail au sein des TPE dans le cadre de la prévention des facteurs psychosociaux », E. Montreuil, Sociologue du travail •« Du syndrome au modèle France Télécom. La structuration d’une démarche globale de prévention primaire autour de l’activité de travail », C. Carmignani, Responsable Organisation du travail et Prévention des risques psychosociaux, France Télécom-Orange n Les Cahiers des fps, n°7, août 2007 •« Les facteurs psychosociaux, l’évaluation des risques, la fiche d’entreprise et le service de santé au travail », Dr Magallon, Service interentreprises des Hautes-Alpes n Les Cahiers des rps, n°20, novembre 2012 n Les Cahiers des fps, n°8, décembre 2007 • • • • « Présentation de l’outil INRS « Faire le point », l’intégration des RPS au Document Unique d’Evaluation des Risques professionnels », Les Cahiers des rps « Réaliser une cartographie des risques psychosociaux », E. Montreuil, Sociologue du travail « Evaluation du vécu du travail des salariés – GEST 05 », Les Cahiers des fps Nature des actions à mettre en oeuvre », Présentation EDFDPIH, Groupe de confiance n Les Cahiers des rps, n°22, décembre 2013 •« Retour d’expérience d’une approche de diagnostic, puis de prévention des contraintes psychologiques et organisationnelles et musculo-squelettiques en unité de soins (ORSOSA) », A. Askri et J. Pavillet, Psychologues du travail, CHU de Grenoble, V. Josselin, Ergonome, CHU de Grenoble, S. Caroly, Enseignant-Chercheur, Maître de conférences en ergonomie, université de Grenoble, R. De Gaudemaris, Professeur de médecine et santé au travail, CHU de Grenoble n Les Cahiers des fps, n°9, avril 2008 •« • • Une intervention dans un théâtre : aborder les risques psychosociaux à partir d’une approche clinique de l’activité », C. Briec, Ergonome doctorante en psychologie du travail clinique de l’activité, CRTD CNAM, Paris, Y. Clot, Chaire de psychologie du travail, CNAM, Paris, Directeur du CRTD « Dépister les risques psychosociaux : présentation d’un guide d’indicateurs édité par l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) », V. Langevin, INRS « Les RPS : comment faire ? », A.M. Gautier, Cabinet DDC, membre régional des facteurs psychosociaux N°24 - Décembre 2014 Le dispositif SOLUPSY », P. Lemaire, Service Prévention Hygiène et Sécurité, Union Patronale du Var Une lecture du Guide « Prévention des risques psychosociaux : et si vous faisiez appel à un consultant ? », Les Cahiers des rps n Les Cahiers des rps, n°23, juin 2014 • « Méthode d’analyse et d’évaluation des risques psychosociaux • 49 basée sur le « retour d’expérience » », Dr H. Hadj-Mabrouk, Chercheur à IFSTTAR, B. Harguem, Assistante en Sciences de gestion, université de Kairouan, Tunisie « Evaluer les impacts humains du changement. Cas d’entreprise », Aract Ile-de-France Les cahiers des rps • Lanusse-Cazalé, en collaboration avec le Dr Y.Note et les médecins du service interentreprises de Santé au Travail Expertis « Critères actuellement retenus dans la recherche pour établir un diagnostic de harcèlement moral au travail », C. Bonafons, Conseiller en entreprise sur les problèmes de harcèlement moral, L. Jehel, Médecin psychiatre, Hôpital Teunon, Paris, A. CorolierBequet, Avocat spécialisé en droit des affaires, Quimper Revue Appel à contribution Si vous désirez soumettre un article au Comité de rédaction de la revue Les Cahiers des Risques Psychosociaux, vous pouvez l’adresser directement par mail à [email protected]. Consignes aux auteurs : 1 Indiquer sur la première page : n Les cahiers des rps • La date de proposition de l’article • Le titre du texte • 3 à 5 mots clés (maximum) en français, identifiant le contenu de l’article • Les nom et prénom (en entier) des auteurs, leurs coordonnées complètes (structure d’appartenance, adresse postale et électronique, etc.), ainsi que leur fonction au poste 2 Citations et références bibliographiques : n utiliser les normes de l’American Psychological Association 3 Numéroter et intituler les tableaux et figures n (mettre une légende si nécessaire) 4 Le texte doit faire 4 à 6 pages, n en police Times new roman, taille de police 12, interligne simple. Il doit être fourni au format Word Règles de bonnes pratiques concernant l’utilisation de contenus : L’utilisation des contenus est soumise au respect des lois sur le droit d’auteur, en particulier relativement aux règles de citation, aux mentions d’auteur et de copyright. Pour ce qui concerne les citations et emprunts directs (d’un mot ou expression, d’une phrase ou d’un passage plus complet), ceux-ci doivent être explicitement identifiés par l’utilisation de guillemets au début et à la fin du passage utilisé. L’auteur, l’année et la page concernée doivent être cités immédiatement après entre parenthèses et l’intégralité de la référence mentionnées dans la bibliographie figurant en fin d’article. Au-delà d’une certaine taille de l’emprunt ou de la citation, d’autres règles peuvent s’appliquer et il peut s’avérer nécessaire de demander une autorisation écrite de reproduction à l’auteur et/ou l’éditeur. Par exemple, l’American Psychologial Association considère qu’au-delà de 500 mots, il ne s’agit plus d’une citation et que la demande d’autorisation écrite de reproduction est nécessaire. Les sources de provenance des tableaux, graphiques, schémas ou questionnaires utilisés doivent être clairement mentionnées dans leur titre (auteur(s), année, page(s)) et intégralement référencées dans la bibliographie en fin d’article. 50 Les cahiers des rps Les cahiers des rps