À quoi servent les édulcorants ?

publicité
Mise
au
point
À quoi servent les édulcorants ?
Which are the use of intense sweeteners?
Jean-Michel Lecerf*
»»Les édulcorants intenses permettent d’alléger la teneur en
Intense sweeteners facilitate the reduction of food
carbohydrate content, although they maintain a sweet taste.
glucides des aliments, car ils n’apportent pas de calories, tout
en ayant un goût proche du sucré.
»»En théorie, ils apportent une réponse à la consommation
Theorically they are a response to the increasing sweet-foods
and drinks consumption.
»»Les études montrent que leur consommation n’engendre qu’une
Studies show that their consumption induces only a partial
compensation which is lower than the energy deficit they
create.
»»Ils n’entretiennent pas l’appétit pour le goût sucré et, au contraire,
They do not sustain the attirance for sweet taste, but inversely
they allow a better adhesion to the regimen in case of weightloss program.
compensation partielle, inférieure au déficit énergétique qu’ils
entraînent.
permettent une meilleure adhésion à la diététique en cas de
tentative de contrôle du poids.
»»La plupart des études montrent qu’ils ne stimulent pas l’insulino­
sécrétion. In vivo, ils ne stimulent pas la sécrétion de GLP1.
»»Ils peuvent donc être utiles dans la gestion du poids. Ils ne sont
cependant pas indispensables.
Highlights
P o i nt s f o rt s
croissante d’aliments et de boissons sucrés.
Mots-clés : Édulcorants – Aspartame – Sucralose – Stévia – Glucides –
Insuline – Poids – Obésité – Goût.
L
* Service de nutrition,
institut Pasteur de Lille.
262
es édulcorants sont nés d’une bonne idée : réduire
l’apport énergétique glucidique. Deux familles
de produits existent :
✓✓ les édulcorants massiques, qui se substituent aux
glucides en gardant un volume et une masse équivalents, le plus souvent 2 fois moins caloriques et de goût
non sucré (polyols, polydextrine, etc.) ;
✓✓ les édulcorants intenses, qui ont un pouvoir sucrant
très élevé, voire extrêmement élevé, de sorte que leur
apport quantitatif peut être très faible et leur apport
énergétique négligeable. Les édulcorants intenses ont
plus d’un siècle pour certains (saccharine) ; d’autres
datent de quelques décennies (aspartame ou cyclamates) ou sont d’introduction plus récente (saccharose,
néotame, rebaudioside A [stévia]). Le plus souvent de
synthèse, mais parfois aussi “naturels” (rebaudioside A),
ils sont régulièrement remis en cause, soit pour des
raisons de sécurité – que nous n’aborderons pas –, soit
Most of the studies show that they do not stimulate insulin
secretion, nor in vivo GLP1 secretion.
They may be useful in weight management but are not
indispensable.
Keywords: Non nutritive sweeteners – Aspartame –
Sucralose – Stevia – Carbohydrates – Insulin – Weight –
Obesity – Taste.
parce que leur bien-fondé sur le plan nutritionnel est
discuté, voire critiqué.
Le contexte
L’épidémie d’obésité est une pandémie. Ses causes ne
sont pas connues avec certitude. Cependant, pour un
individu donné, la prise de poids peut survenir lorsque
l’apport énergétique est chroniquement plus élevé
que le niveau des dépenses énergétiques. L’apport en
glucides peut contribuer à positiver la balance énergétique, même s’il ne peut être considéré comme
causal dans l’épidémie d’obésité. Le goût sucré étant
universellement apprécié, car source de plaisir, voire
de récompense, c’est l’inflation des aliments sucrés qui
est davantage incriminée. Les boissons sucrées sont
particulièrement concernées, car leur consommation a
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012
À quoi servent les édulcorants ?
considérablement augmenté depuis 20 ans, en France,
aux États-Unis et partout dans le monde (1). Outre leur
apport énergétique, on invoque, en ce qui concerne les
boissons sucrées, une altération de la régulation de la
prise alimentaire, avec une perte de la compensation
négative suivant une collation (2-4), bien que cela soit
encore contesté ; on invoque également pour les soft
drinks outre-Atlantique la présence de fructose libre
issu de l’hydrolyse du maïs, en raison de l’utilisation
de High Fructose Corn Syrup (HFCS) [5, 6]. Alors que, à
faible dose, le fructose a un avantage métabolique et
réduit la glycémie, à forte dose, il est très lipogénique,
notamment au niveau hépatique, mais aussi au niveau
adipocytaire ; il est hypertriglycéridémiant, hyperuricémiant et induit un stress oxydatif (7, 8).
Une consommation élevée de boissons sucrées, surtout
riches en fructose, est considérée comme un facteur
pouvant jouer un rôle dans l’épidémie d’obésité, et donc
responsable de syndrome métabolique et de diabète
(9, 10). En France, la consommation de boissons sucrées
reste faible : en moyenne, 2 verres par semaine chez
l’adulte, 1 cannette tous les 3 jours entre 3 et 14 ans,
1 verre tous les 2 jours à l’adolescence.
Il peut être intéressant, en termes de santé publique,
de réduire l’apport en glucides, mais celui-ci s’assortit
souvent d’un apport lipidique accru (en pourcentage de
l’apport énergétique total [AET]). Chez la personne en
surpoids, la réduction de l’apport énergétique s’impose,
mais la réduction de l’apport glucidique a des limites, car
le plaisir du goût sucré, d’une part, et l’effet des glucides
sur l’humeur, d’autre part, peuvent induire des phénomènes de manque, voire de compensation. Les édulcorants intenses, du fait de leur goût sucré, pourraient
a priori faciliter la réduction de l’apport en glucides, si
celle-ci est nécessaire.
✓✓ Peuvent-ils être une aide à la perte de poids ou, au
Les critiques
Les édulcorants stimulent-ils
l’insulinosécrétion ?
En dehors des aspects “sécuritaires”, que nous n’aborderons pas et qui sont régulièrement réexaminés par les
agences nationales et internationales (Agence nationale
de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail [Anses], Autorité européenne de
sécurité des aliments [Efsa]), dont nous partageons les
conclusions rassurantes pour les produits actuellement
disponibles en France, se posent les questions nutritionnelles, métaboliques et comportementales suivantes :
✓✓ Ne favoriseraient-ils pas une prise de poids paradoxale, voire ne joueraient-ils pas un rôle dans l’épidémie d’obésité ?
✓✓ N’induisent-ils pas une sécrétion d’insuline ?
contraire, empêchent-ils la perte de poids ?
✓✓ N’induisent-ils pas une augmentation de l’appétit ?
✓✓ N’entraînent-ils pas des phénomènes de compensation liés au déficit énergétique ?
✓✓ N’entretiennent-ils pas l’appétit pour le goût sucré ?
Ne pourraient-ils pas faire grossir ?
Il y a longtemps que certains esprits chagrins ont mis
en parallèle la courbe de progression de l’obésité et
celle de la consommation d’édulcorants, considérant
que la seconde était responsable de la première. Mais
la relation pourrait aussi bien être inverse. Toutefois,
dès 1985, T. Blundell avait observé que les édulcorants
ne réduisaient pas le désir de manger et avait souligné cet effet paradoxal possible. S.P. Fowler et al. (11),
plus récemment, constatant que les consommateurs
d’édulcorants sont plus gros, a repris ce discours, mais
cette simple observation n’a pas de valeur scientifique.
L’hypothèse serait confirmée sur la base d’expérimentations chez l’animal (12, 13). Des rats de 24 jours, recevant
une précharge sucrée inconstamment calorique, lors
d’une phase d’entraînement, consomment plus de nourriture de laboratoire ensuite. Chez des rats adultes, la
manipulation de la viscosité d’un supplément (faible ou
forte viscosité mais apport énergétique identique) fait
prendre plus de poids. Ces manipulations diététiques
sont en réalité l’expression de l’effet connu de modifications de l’apprentissage alimentaire par un mécanisme
pavlovien qui perturbe le rassasiement conditionné :
dans ce cas, en raison de la mauvaise perception des
effets post-ingestifs, l’animal a des difficultés à ajuster
ses apports. Ces conditions expérimentales ne peuvent
être extrapolées à l’homme, mais elles ont le mérite de
soulever des questions.
De nombreuses études se sont intéressées à l’insuline,
puisque l’hyperinsulinémie déclenchée par la prise orale
de glucose est considérée comme favorisant la prise
de poids, en présence d’un apport lipidique, stimulant
alors la lipogenèse. Si les édulcorants favorisaient la
sécrétion d’insuline, ils pourraient être une des causes
de l’épidémie d’obésité.
Les études les mieux conduites (14-16) montrent que
la consommation d’une boisson contenant des édulcorants intenses n’induit pas de sécrétion réflexe d’insuline
et ne stimule pas la phase céphalique d’insuline. Une
étude (17), cependant, a montré que le simple fait de
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012
263
Mise
au
point
boire une boisson sucrée à la saccharine sans même
l’avaler suffisait à déclencher une sécrétion d’insuline,
ce qui témoigne du rôle propre du goût sucré dans la
phase céphalique de la sécrétion d’insuline. Dans la
mesure où la sécrétion d’insuline lors de l’alimentation orale passe par la mise en jeu du GLP1 et/ou du
GIP, ces entérohormones ont été mesurées : après la
consommation d’un soda aux édulcorants (aspartame),
leur concentration plasmatique, l’aire sous la courbe et
l’insulinémie diminuent, comme avec la prise d’eau, et
sont nettement plus basses qu’après la consommation
d’un soda sucré (4). De même, le sucralose n’a pas d’effet
significatif in vivo sur l’insulinosécrétion (16, 18) et n’a
pas d’effet sur la phase céphalique de sécrétion du GLP1
(16), alors qu’un effet avait été observé in vitro.
Perdre du poids avec ou sans édulcorants
Perdre du poids convenablement nécessite 4 conditions : négativer durablement l’équilibre énergétique
grâce à une adhésion au régime adapté ; promouvoir
un réapprentissage et une véritable rééducation alimentaire ; ne pas induire de troubles du comportement
alimentaire ; maintenir au mieux la masse maigre.
L’étude PREMIER (19) est intéressante parce qu’elle a
l’avantage de la simplicité et de la qualité. Huit cent
dix adultes de 25 à 79 ans consommant au départ en
moyenne 356 kcal sous forme de calories liquides (soit
19 % de l’apport énergétique total) ont reçu des conseils
pour réduire leur consommation de boissons sucrées.
Toute réduction de 100 kcal de calories liquides a induit
une réduction de 0,25 kg à 6 mois, identique à 18 mois,
de façon plus efficace que la réduction des calories
solides. Mais faut-il remplacer les calories sucrées
liquides par de l’eau, des boissons édulcorées ou rien ?
L’étude CHOICE (20) tente de répondre à cette question.
Trois cent dix-huit sujets adultes en surpoids ou obèses
consommant en moyenne plus de 280 kcal sous forme
de soft drinks ont remplacé 200 kcal par des boissons
light (aux édulcorants) ou par de l’eau, ou ont reçu une
éducation comportementale : la probabilité d’avoir une
perte de poids d’au moins 5 kg à 6 mois était 2 fois plus
forte dans le groupe édulcorants, qui servait de témoin,
et plus élevée que dans le groupe eau.
N’y a-t-il pas une augmentation
de l’appétit ou de la sensation de faim ?
Plusieurs études ont été menées chez des sujets de
poids normal.
264
Sur le court terme, une étude avec l’aspartame et avec
la saccharine dans des boissons a montré une augmentation de la sensation de faim et du désir de manger
(21). Une autre étude avec l’aspartame dans un aliment
solide a également fait état d’une augmentation de
l’envie de manger (22).
Dans un protocole très rigoureux et très complexe,
V. Van Wymelbecke (23) a montré que la sensation de
faim était identique à moyen terme, que l’on consomme
des boissons aux édulcorants ou des jus de fruits.
Deux études très récentes ont été menées sur le court
terme avec un autre édulcorant, le sucralose. La première (16) a montré l’absence de différence sur le score
d’appétit et une absence d’augmentation du GLP1, du
peptide YY et de l’insuline ; l’autre étude (18) n’a pas
mis non plus en évidence de différence concernant la
ghréline plasmatique.
Mais la question est de savoir si ce goût sucré est perçu
de façon identique à celui du glucose au niveau du
cerveau : en résonance magnétique nucléaire (RMN)
fonctionnelle mesurant l’activité cérébrale, il apparaît
que l’aspartame a le même effet que la maltodextrine
(non sucrée) et un effet nettement moindre que le
glucose, seul à modifier l’activité de l’hypothalamus
(14). Le goût sucré de l’édulcorant ne leurre donc pas
le cerveau. Il est plaisant mais n’a pas ses effets psychotropes, ce qui pourrait faire penser qu’il n’entraîne
pas le même plaisir.
Quels que soient ces résultats, en partie hétérogènes,
y a-t-il une différence sur la prise alimentaire à court
et à moyen terme ?
N’y a-t-il pas des phénomènes
de compensation ?
La régulation très fine de notre comportement alimentaire conduit à des adaptations permanentes
visant, grâce à des corrections permanentes de nos
apports, en fonction de ce que nous avons mangé, de
nos dépenses et de l’état de nos réserves, à maintenir
un poids stable. Ainsi, une compensation positive est
envisageable face à une réduction des apports : celle-ci
prend la forme d’un véritable rattrapage calorique physiologique lorsqu’elle est inconsciente ; mais elle peut
aussi être consciente : “parce que l’on a mangé moins”,
voire perverse : “on mange moins pour manger plus”.
Dès 1991, D.J. Canty et M.M. Chan (21) avaient montré
que le désir de manger était plus élevé sur le très court
terme après la prise d’une boisson aux édulcorants ou
d’eau, mais qu’il n’y avait pas de différence significative
sur l’apport énergétique du repas ad libitum 1 heure
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012
À quoi servent les édulcorants ?
après cette consommation, même si la tendance était
à la hausse comparativement à une boisson sucrée.
Afin de considérer les conséquences de l’adaptation
sur la totalité de la journée alimentaire, une étude (24)
a soumis des sujets à une précharge solide (fromage
blanc) à l’aspartame produisant un déficit énergétique
de 400 kcal : une compensation partielle (111 kcal) a
été observée sur le repas du midi, mais, sur la journée
totale, il persiste un déficit de 420 kcal.
Cependant, la question est de savoir s’il n’y a pas des
adaptations sur le plus long terme, ce qui annulerait
l’effet à court terme : pour cela, un protocole (25) a comparé l’effet d’un apport de 1 150 g de soda au fructose
ou de soda à l’aspartame et de l’absence de soda, sur
3 semaines : l’apport en calories alimentaires et en calories liquides était plus faible dans le groupe aspartame
que dans le groupe sans soda (tant chez les hommes
que chez les femmes), indiquant qu’il n’y avait pas de
compensation : le groupe soda au fructose avait le même
niveau d’apport en calories alimentaires, mais un apport
calorique total beaucoup plus élevé, bien entendu.
Une méta-analyse (26) de 16 études sur la perte de
poids associée à la prise d’édulcorants, randomisées
et contrôlées, avec un suivi de la consommation alimentaire pendant au moins 24 heures, montre qu’il
existe une compensation partielle de 32 % pour les
aliments solides et de 15,5 % pour les aliments liquides,
mais que le déficit énergétique global est de 10 %, soit
1 560 kcal/semaine ; la perte de poids prédite est de
200 g/semaine, identique à celle observée.
Qu’en est-il chez les sujets obèses,
en termes d’appétit et surtout
en termes de poids ?
Une étude ayant inclus à la fois des sujets obèses et des
sujets de poids normal a montré qu’une précharge à l’aspartame ou au stévia, produisant un déficit de 200 kcal
par rapport au saccharose, avant les repas du midi et du
soir, ne modifiait ni la faim, ni la satiété, engendrait un
déficit énergétique total de 300 à 330 kcal et n’induisait
donc pas de compensation significative (27). Sur le court
terme, une étude très récente menée par une excellente
équipe danoise (4) a comparé l’effet de 500 ml de lait
demi-écrémé, d’un soda sucré, d’une boisson aux édulcorants ou d’eau chez des sujets obèses. D’une part, le
lait diminue la faim, accroît le rassasiement et la satiété ;
d’autre part, les boissons caloriques n’entraînent pas
de réduction des apports au repas suivant ; enfin, la
boisson aux édulcorants n’augmente pas l’appétit ni
l’apport énergétique comparativement au repas suivant.
Chez des sujets en surpoids, sur le moyen terme
(10 semaines), la prise de boissons et d’aliments aux
édulcorants (240 kcal) ou au saccharose (815 kcal) induit
respectivement un déficit de compensation sur les autres
aliments de − 23 et − 58 %, mais les apports réels totaux
sont respectivement de − 105 et + 359 kcal, de sorte que
l’évolution pondérale est respectivement de − 1,0 et
+ 1,6 kg et celle de la masse grasse de − 0,3 et + 1,3 kg (28).
Il est clair que la plupart des protocoles se sont attachés
à savoir si les édulcorants induisaient une compensation
susceptible d’annuler l’effet de la réduction d’énergie
qu’ils produisent : la réponse est non. L’étude CHOICE
(20) est la seule qui montre que, chez le sujet obèse, le
choix d’une boisson édulcorée permet une réduction du
poids à 6 mois plus importante que la simple éducation
non moins importante que le choix de l’eau. Y aurait-il
plus de satisfaction ?
Qu’en est-il à long terme ? L’étude de G.L. Blackburn
(29) a consisté en un programme de perte de poids
de 19 semaines, soit avec des aliments et des boissons
à l’aspartame soit sans ces produits, suivi d’un programme de maintien pendant 1 an et avec un suivi de
2 ans supplémentaires. La perte de poids est identique
à 19 semaines, puis la reprise de poids survient dans
les 2 groupes, mais elle est 2 fois plus importante (en
pourcentage) dans le groupe sans aspartame. En outre,
elle est corrélée à l’activité physique et au contrôle alimentaire. Cette différence pourrait-elle s’expliquer par
l’acquisition de meilleures habitudes alimentaires par
les sujets ayant reçu de l’aspartame ? Pourtant, l’on dit
habituellement que la prise d’édulcorants entretient
l’appétit pour le goût sucré.
Les édulcorants entretiennent-ils l’appétit
pour le goût sucré ?
A. Mahar et L.M. Duizer ont montré qu’une exposition
répétée à une boisson au saccharose ou aux édulcorants n’entraînait pas de différence dans la préférence
pour le sucré (30).
Une étude très originale (31) s’est attachée à comparer
les habitudes alimentaires dans 2 groupes de sujets de
poids normal et équivalent (21 à 22 kg/m2) : 172 sujets
ayant maintenu plus de 10 % de perte de poids depuis
11,5 ans et 131 sujets ayant toujours eu un poids normal.
Le premier groupe consommait significativement moins
de lipides, de boissons sucrées, plus de sauces allégées,
de produits laitiers allégés, d’eau et de boissons aux
édulcorants. Ainsi, la prise de boissons aux édulcorants
fait partie des stratégies pour le maintien du poids à
long terme chez les sujets en surpoids initial.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012
265
Mise
au
point
L’étude SU.VI.MAX (32), en France, a montré que les utilisateurs de produits allégés en sucre avaient un IMC et un
rapport taille/hanche plus élevés que les sujets qui n’en
utilisaient pas, et consommaient parallèlement moins
de glucides et moins de glucides simples. Il est clair que
leur attirance pour les glucides simples n’est pas accrue
et qu’ils consomment plus de produits allégés parce
qu’ils sont en surpoids. C’est donc probablement l’obésité qui entraîne la consommation d’édulcorants et non
l’inverse. On peut rapprocher cela du fait que, dans une
étude épidémiologique, la consommation de boissons
aux édulcorants est associée au risque de diabète (9).
D’ailleurs, les consommateurs de boissons light avaient
plus souvent des variations pondérales, avaient plus
souvent tenté un régime basses calories et avaient plus
souvent un IMC élevé avant leur entrée dans l’étude (9).
Une enquête (33) sur les habitudes alimentaires
de 50 000 ménages a montré que les consommateurs
de boissons aux édulcorants achetaient davantage de
versions allégées pour les autres aliments (lait, crèmes
glacées, plats surgelés, sauces de salade), de fruits et
de yaourts et moins d’aliments très caloriques (jus de
fruits et boissons aux fruits, frites, sucre) et qu’il existait
une relation positive entre les quantités de boissons aux
édulcorants achetées et la consommation de légumes.
Enfin, une enquête (34) sur les achats de 9 000 adultes
a confirmé que les consommateurs d’aliments et boissons allégés en sucre avaient de meilleures habitudes
alimentaires (plus de fruits, moins de graisses et de
sucres ajoutés, plus de yaourts) et que leurs apports
en micronutriments ajustés sur l’apport énergétique
étaient plus élevés.
Ainsi, non seulement les consommateurs de produits
allégés en sucre et aux édulcorants ne consomment
pas plus de produits sucrés, mais ils ont également de
meilleures habitudes alimentaires. Il semblerait que
ce choix alimentaire soit le reflet, ou la cause, d’une
meilleure adhésion à la diététique et d’un meilleur
comportement alimentaire.
Conclusion
Face à l’épidémie d’obésité, il est nécessaire de réduire
la part de l’apport énergétique fournie par les boissons
et aliments sucrés (au même titre que l’apport lipidique
s’il est excessif). Éduquer les populations, apprendre
à manger moins sucré, à boire de l’eau est, bien sûr,
une priorité.
Mais les édulcorants peuvent-ils être une aide pertinente ? Les études chez l’adulte montrent que les
édulcorants ne stimulent qu’inconstamment l’appétit, n’entraînent pas de compensation sur les apports
journaliers totaux, n’entretiennent pas l’appétit pour
le goût sucré et ne stimulent pas l’insulinosécrétion.
Ils peuvent faciliter une perte de poids et réduire le
risque de reprise de poids en facilitant l’adhésion aux
changements alimentaires. Ainsi, ils peuvent être utiles,
n’induisent pas d’effet métabolique ou comportemental
nocif, mais ils ne sont pas indispensables. Cependant,
les avis sont encore très partagés en France (35, 36).
Enfin, ainsi que le rappelaient très récemment (37)
l’American Heart Association et l’American Diabetes
Association, leur utilité sur le plan nutritionnel et pondéral ne peut se comprendre que s’ils s’inscrivent dans
une diététique globale soutenue par une éducation alimentaire. Chez l’enfant, des données complémentaires
sont nécessaires pour préciser la place des boissons aux
édulcorants dans la prise en charge de l’obésité (38).
Chez l’adulte, il sera intéressant d’évaluer leurs effets
sur le risque cardiométabolique.
Contribution modeste mais réelle, les édulcorants ne
peuvent être rejetés ; ils ont leur utilité dans la gestion
de l’alimentation et du poids.
■
et physiopathologiques. Obésité 2012;7:10-7.
2. Cassady BA, Considine RV, Mattes RD. Beverage consumption, appetite, and energy intake: what did you expect? Am J
Clin Nutr 2012;95:587-93.
3. Fantino M. Boissons caloriques sucrées et prise de poids :
quel mécanisme d’action ? Cahiers de nutrition et de diététique
2012;47:72-7.
4. Maersk M, Belza A, Holst JJ et al. Satiety scores and satiety
hormone response after sucrose-sweetened soft drink compared with isocaloric semi-skimmed milk and with non-caloric
soft drink: a controlled trial. Eur J Clin Nutr 2012;66:523-9.
5. White JS. Straight talk about high-fructose corn syrup: what
it is and what it ain’t. Am J Clin Nutr 2008;88:1716S-1721S.
D
Vo
(Coc
o••
o••
o••
* Me
Vo
(Coc
o••
o••
o••
* Me
V
➊
➋
Références
1. Lê KA. Boissons sucrées et obésité : aspects épidémiologiques
s
6. Stanhope KL, Griffen SC, Bremer AA et al. Metabolic responses
10. Duffey KJ, Steffen LM, Van Horn L, Jacobs DR Jr, Popkin BM.
7. Tappy L, Egli L, Theytaz F, Campos V, Akaffou N, Schneiter P.
11. Fowler SP, Williams K, Resendez RG, Hunt KJ, Hazuda HP,
➌
12. Swithers SE, Baker CR, Davidson TL. General and persistent
o••
to prolonged consumption of glucose- and fructose-sweeten­ed
beverages are not associated with postprandial or 24-h glucose
and insulin excursions. Am J Clin Nutr 2011;94:112-9.
La consommation de fructose est-elle associée au syndrome
métabolique ? Cahiers de nutrition et de diététique 2012;47:7884.
8. Maersk M, Belza A, Stødkilde-Jørgensen H et al. Sucrose-
sweetened beverages increase fat storage in the liver, muscle,
and visceral fat depot: a 6-mo randomized intervention study.
Am J Clin Nutr 2012;95:283-9.
9. De Koning L, Malik VS, Rimm EB, Willett WC, Hu FB. Sugarsweetened and artificially sweetened beverage consumption
and risk of type 2 diabetes in men. Am J Clin Nutr 2011;93:1321-7.
Dietary patterns matter: diet beverages and cardiometabolic
risks in the longitudinal Coronary Artery Risk Development in
Young Adults (CARDIA) Study. Am J Clin Nutr 2012;95:909-15.
Stern MP. Fueling the obesity epidemic? Artificially sweeten­ed
beverage use and long-term weight gain. Obesity 2008;16:1894900.
effects of high-intensity sweeteners on body weight gain and
caloric compensation in rats. Behav Neurosci 2009;123:772-80.
@
Retrouvez l’intégralité
des références bibliographiques
sur www.edimark.fr
Vo
N°
Dat
Sig
(obl
o••
o••
266
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012
À quoi servent les édulcorants ?
Références (suite)
13. Davidson TL, Swithers SE. Food viscosity influences caloric intake compensation and body weight in rats. Obes Res
2005;13:537-44.
14. Smeets PAM, de Graaf C, Stafleu A, van Osch MJ, van der
Grond J. Functional magnetic resonance imaging of human
hypothalamic responses to sweet taste and calories. Am J Clin
Nutr 2005;82:1011-6.
15. Ma J, Chang J, Checklin HL et al. Effect of the artificial
sweetener, sucralose, on small intestinal glucose absorption
in healthy human subjects. Br J Nutr 2010;104:803-6.
16. Ford HE, Peters V, Martin NM et al. Effects of oral ingestion
vs noncaloric sweet drinks on indices of hunger and food
consumption in normal adults. Am J Clin Nutr 1991;53:1159-64.
22. Drewnowski A, Kurth CL, Rahaim JE. Taste preferences
in human obesity: environmental and familial factors. Am J
Clin Nutr 1991;54:635-41.
23. Van Wymelbeke V, Béridot-Thérond ME, de La Guéronnière
V, Fantino M. Influence of repeated consumption of beverages
containing sucrose or intense sweeteners on food intake. Eur
J Clin Nutr 2004;58:154-61.
24. Drewnowski A, Massien C, Louis-Sylvestre J, Fricker J,
of sucralose on gut hormone response and appetite in healthy
normal-weight subjects. Eur J Clin Nutr 2011;65:508-13.
Chapelot D, Apfelbaum M. Comparing the effects of aspartame and sucrose on motivational ratings, taste preferences,
and energy intakes in humans. Am J Clin Nutr 1994;59:338-45.
17. Just T, Pau HW, Engel U, Hummel T. Cephalic phase insulin
25. Tordoff MG, Alleva AM. Effect of drinking soda sweetened
release in healthy humans after taste stimulation? Appetite
2008;51:622-7.
with aspartame or high-fructose corn syrup on food intake
and body weight. Am J Clin Nutr 1990;51:963-9.
18. Brown AW, Bohan Brown MM, Onken KL, Beitz DC. Short-
26. De la Hunty A, Gibson S, Ashwell M. A review of the effecti-
term consumption of sucralose, a nonnutritive sweetener,
is similar to water with regard to select markers of hunger
signaling and short-term glucose homeostasis in women.
Nutr Res 2011;31:882-8.
19. Chen L, Appel LJ, Loria C et al. Reduction in consumption
of sugar-sweetened beverages is associated with weight loss:
the PREMIER trial. Am J Clin Nutr 2009;89:1299-306.
20. Tate DF, Turner-McGrievy G, Lyons E et al. Replacing calo-
ric beverages with water or diet beverages for weight loss in
adults: main results of the Choose Healthy Options Consciously
Everyday (CHOICE) randomized clinical trial. Am J Clin Nutr
2012;95:555-63.
21. Canty DJ, Chan MM. Effects of consumption of caloric
veness of aspartame in helping with weight control. Nutrition
Bulletin 2006;31:115-28.
27. Anton SD, Martin CK, Han H et al. Effects of stevia, aspartame, and sucrose on food intake, satiety, and postprandial
glucose and insulin levels. Appetite 2010;55:37-43.
28. Raben A, Vasilaras TH, Møller AC, Astrup A. Sucrose com-
pared with artificial sweeteners: different effects on ad libitum
food intake and body weight after 10 wk of supplementation
in overweight subjects. Am J Clin Nutr 2002;76:721-9.
29. Blackburn GL, Kanders BS, Lavin PT, Keller SD, Whatley J.
The effect of aspartame as part of a multidisciplinary weightcontrol program on short- and long-term control of body
weight. Am J Clin Nutr 1997;65:409-18.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012
30. Mahar A, Duizer LM. The effect of frequency of consumption of artificial sweeteners on sweetness liking by women.
J Food Sci 2007;72:S714-8.
31. Phelan S, Lang W, Jordan D, Wing RR. Use of artificial
sweeteners and fat-modified foods in weight loss maintain­
ers and always-normal weight individuals. Int J Obes (Lond)
2009;33:1183-90.
32. Bellisle F, Altenburg de Assis MA, Fieux B et al. Use of ‘light’
foods and drinks in French adults: biological, anthropometric
and nutritional correlates. J Hum Nutr Diet 2001;14:191-206.
33. Binkley J, Golub A. Comparison of grocery purchase
patterns of diet soda buyers to those of regular soda buyers.
Appetite 2007;49:561-71.
34. Sigman-Grant M, Hsieh G. Reported use of reducedsugar foods and beverages reflect high-quality diets. J Food
Sci 2005;70:S42-6.
35. Goudable J. Les édulcorants intenses : utiles pour lutter
contre l’obésité ? Obésité 2011;6:212-7.
36. Amouyal C, Andreelli F. Effets métaboliques des édulcorants. Réalités en nutrition et en diabétologie 2012;41:25-8.
37. Gardner C, Wylie-Rosett J, Gidding SS et al. Nonnutritive
sweeteners: current use and health perspectives: a scientific statement from the American Heart Association and the American
Diabetes Association. Diabetes Care 2012;35:1798-808.
38. Foreyt J, Kleinman R, Brown RJ, Lindstrom R. The use of
low-calorie sweeteners by children: implications for weight
management. J Nutr 2012;142:1155S-62S.
249
Téléchargement