Approximations Diophantiennes
S. Giraud
La théorie des approximations diophantiennes concerne l’approximation des réels par des rationnels. On se
limitera ici à l’approximation d’un seul réel, bien que de nombreux résultats peuvent être généralisés à l’étude
d’approximations simultanées. Dans le cas d’un seul irrationnel, un rôle essentiel est joué par les fractions
continues utilisées dès 1650 par Huygens. L’approximation des irrationnels algébriques fut étudiée en 1844 par
Liouville ; ses résultats furent améliorés à de nombreuses reprises jusqu’à l’important et définitif résultat de
Roth en 1955.
Il m’a semblé utile de s’intéresser à deux principaux problèmes d’optimisation de l’approximation au lieu
de se limiter à une description contemplative des fractions continues. On ne fera donc qu’évoquer l’algorithme
des fractions continues pour l’obtention de bonnes approximations avant de passer à l’étude des constantes
d’approximation et l’optimisation de l’ordre d’approximation.
1 Généralités – Fractions continues
1.1 Position du problème - Définition
Comme Qest dense dans R, on peut approcher tout réel αpar des rationnels aussi proches que l’on veut au
sens où
 > 0p, q Z
αp
q
.
Mais lorsque l’on fait tendre vers 0, les entiers pet qqui conviennent tendent vers l’infini et on n’a en fait
aucun contrôle de l’interdépendance entre la taille de qet l’écart .
Il semble alors naturel, pour mesurer la qualité de l’approximation, de dire qu’un réel αest bien approché
par un rationnel p
qsi
αp
q
est petit sans que qne soit trop grand. On va donc s’intéresser à construire des
rationnels p
qtels que l’écart
αp
q
soit majoré par une puissance de q.
Ainsi, on dit qu’un réel αest approchable à l’ordre s > 0s’il existe K > 0et une infinité de rationnels p
q
distincts de αtels que
αp
q
<K
qs.
On voit apparaître ici deux nombres, Ket s, que l’on cherchera à optimiser et qui feront donc l’objet des
deuxième et troisième parties.
1.2 Premiers résultats
On a un premier résultat concernant l’approximation des rationnels :
Théorème. Tout rationnel est approchable à l’ordre 1et pas plus.
On a ensuite la caractérisation suivante des irrationnels :
Théorème. Soit αR. On suppose qu’il existe une suite pn
qn
de rationnels vérifiant
nN0<
αpn
qn
(n)
qn
avec (n)
n→∞ 0
Alors αest irrationnel.
Le théorème suivant, dû à Dirichlet (1805 - 1859) montre que réciproquement pour tout nombre irrationnel
α, il existe de bonnes approximations diophantiennes :
Théorème (Dirichlet).Soit αR\Q.
Alors αest approchable à l’ordre 2et on peut choisir K= 1.
1
1.3 Nombres algébriques - Théorème de Liouville
On rappelle ici quelques définitions concernant les nombres algébriques.
Définition. Soit αC. On dit que αest algébrique s’il existe un polynôme PZ[X]non nul tel que P(α)=0.
Le générateur unitaire de l’idéal {PQ[X]/P (α)=0}est appelé polynôme minimal de α.
Le degré du polynôme minimal παdu nombre αs’appelle degré de αet se note deg(α).
Définition. Le nombre complexe αest dit transcendant s’il n’est pas algébrique, c’est-à-dire si
PZ[X]\ {0}, P (α)6= 0
Le théorème suivant dû à Liouville (1844) nous donne une majoration de l’ordre d’approximation d’un
nombre algébrique :
Théorème (Liouville).Soit αun nombre algébrique réel de degré d2.
Alors αn’est pas approchable à un ordre > d.
Ce théorème a une grande importance historique, puisqu’il a permis de définir explicitement les premiers
nombres transcendants appelés nombres de Liouville. Jusque-là, on ne connaissait que l’existence des nombres
transcendants par complémentarité dans Rdes nombres algébriques et ce n’est qu’en 1873 que Hermite établit
la transcendance de e, permettant à Lindemann d’établir celle de πen 1882.
Définition. On dit que le nombre réel irrationnel αest un nombre de Liouville, si, pour tout nassez grand il
existe un rationnel p
qavec q2vérifiant
αp
q
<1
qn.
Tout nombre de Liouville est transcendant.
Exemple. La somme de la série de Engel α=
X
k=0
1
10k!est transcendante.
1.4 Fractions continues
Pour tout irrationnel α, le théorème de Dirichlet assure l’existence d’une suite de couples (pn, qn)telle que
nN,
αpn
qn
<1
q2
n
et qn
n→∞ . On s’attache donc ici à construire de telles approximations.
Définition. La fraction p
qest dite fraction de meilleure approximation, ou réduite du nombre réel α, si q > 1
et si
(p0, q0)Z×N, q0< q ⇒ |q0αp0|>|qα p|
La fraction p1
1= [α]est aussi une réduite de αet c’est la seule réduite de dénominateur 1si α[α]1
2; si
α[α]>1
2, la fraction p2
1= [α]+1 est aussi une réduite de α, et c’est la seule autre réduite de dénominateur 1.
On montre que si αest irrationnel, la suite de meilleure approximation de αest infinie et αest la limite de
sa suite de meilleure approximation. Si αest rationnel, la suite de meilleure approximation de αest finie et de
dernier terme α. Les réduites sont alors données par l’algorithme suivant :
Théorème (Algorithme des fractions continues).La suite de meilleure approximation de αest déterminée par
les formules de récurrence valables pour tout nNtel que qnαpn6= 0 :
pn+1 =anpn+pn1
qn+1 =anqn+qn1
an=qn1αpn1
qnαpn
en introduisant deux réduites conventionnels (p1, q1) = (0,1) et (p0, q0) = (1,0).
Définition. Pour tout entier n0tel que la réduite de rang n+ 1 du réel αexiste, on appelle quotient
complet de rang nde αla fraction xn=qn1αpn1
qnαpn
et quotient incomplet de rang nde α an= [xn]. La
suite, finie ou infinie, des quotients incomplets ans’appelle développement de αen fraction continue et on note
ha0, a1,··· , ani(respectivement ha0, a1,··· , an,···i) la dernière réduite de αsi α=pn+1
qn+1 Q(resp. la limite
des réduites de αsi αest irrationnel).
2
Remarque. On a xk=ak+1
xk+1
et en développant les formules précédentes il vient
α=a0+1
a1+1
a2+
...1
an1+1
xn
et pn+1
qn+1
=a0+1
a1+1
a2+
...1
an1+1
an
.
Citons le résultat suivant dû à Lagrange.
Théorème. Le développement en fractions continues d’un réel αest périodique à partir d’un certain rang si et
seulement si αest un nombre quadratique.
Nous définissons ici une notion que l’on utilisera dans la deuxième partie :
Définition. Deux réels αet α0sont dits équivalents (noté αα0) si a, b, c, d Ztq α0=+b
+det adbc =±1
Il s’agit d’une relation d’équivalence. On voit que tous les rationnels sont équivalents.
Théorème. Deux réels αet α0dont les quotients incomplets de rang nsont notés anet a0
nsont équivalents
si et seulement si leurs développements sont tous deux finis, ou s’il existe dans Ndeux entiers ket n0tels que
pour tout nn0,an=a0
n+k.
2 Constante d’approximation – Chaînes de Markoff
2.1 Définition
Définition. Pour tout irrationnel α, on appelle constante d’approximation de αl’élément γ(α)de Rdéfini par
γ(α) = lim inf
q→∞ q|qα p|,pdésignant l’entier le plus proche de qα.
D’après le téorème de Dirichlet, on a γ(α)[0,1]. Si αest approchable à un ordre s > 2, on a γ(α)=0.
Si γ(α)>0, sa définition signifie que ]0, γ(α)[, l’inégalité
αp
q
<γ(α)
q2n’a qu’un nombre fini de
solutions tandis que l’inégalité
αp
q
<γ(α) +
q2en a un nombre infini : γ(α)est donc la constante optimale
que l’on peut choisir pour approcher αà l’ordre 2, d’où la dénomination de γ(α).
2.2 Premiers résultats
On a un premier résultat, qui va permettre l’étude des constantes d’approximation par classes d’équivalence :
Théorème. Si les irrationnels αet α0sont équivalents, leur constante d’approximation sont égales.
On peut, montrer avec les propriétés des fractions continues, le théorème suivant qui nous donne une majo-
ration de γ(α):
Théorème (Hurwitz).Pour tout irrationnel αl’inégalité
αp
q
<1
5
1
q2
a une infinité de solutions et cette constante ne peut pas être améliorée comme on peut le montrer en prenant
α=51
2.
Markoff a montré que le théorème de Hurwitz pouvait être amélioré. Si αest équivalent à 51
2, c’est-à-
dire une des racines de x2+x1, la constante 5ne peut pas être améliorée.
Sinon l’inéquation
αp
q
<1
22
1
q2a une infinité de solutions et la constante ne peut pas être améliorée si α
est équivalent a une racine de 2x2+ 4x2.
Et ainsi de suite, la suite des nombres 1
5,1
22,... tend vers 1
3et constitue le résultat de la théorie de Markoff
classique.
3
2.3 Une équation diophantienne
La détermination des constantes d’approximation nécessite l’étude des solutions entières positives de l’équa-
tion
m2+m2
1+m2
2= 3mm1m2(1)
A des permutations près, on peut supposer mm1m2. Les valeurs de mqui apparaissent ici sont appelées
les nombres de Markoff.
Si deux des nombres m, m1, m2sont égaux, alors les solutions sont les solutions triviales (1,1,1) et (2,1,1).
Sinon m, m1, m2sont distincts.
On montre que chacune des solutions non-triviales fournit trois solutions distinctes (m0, m1, m2),(m, m0
1, m2),
(m, m1, m0
2)
m0= 3m1m2m, m0
1= 3mm2m1, m0
2= 3mm1m2
et que l’on obtient en répétant ce procédé toutes les solutions. Parmi ces trois solutions, l’une d’entre elles a un
maximum inférieur à la solution "génératrice" alors que les deux autres ont un maximum strictement supérieur,
c’est pourquoi on représente les solutions par un arbre binaire appelé arbre de Markoff. Il est alors facile de
programmer un algorithme donnant les triplets solutions jusqu’au niveau n(voir Annexes).
On montre par induction que les entiers m, m1, m2sont premiers entre eux deux à deux.
2.4 La théorie de Markoff classique
Définition. Soient m, m1, m2des entiers positifs solutions de l’équation (1) avec mm1m2.
Comme pgcd(m1, m)=1,m1est un générateur de Z/mZ, donc il existe k[|0, m 1|]tel que m1km2(m).
On a aussi m2k≡ −m1(m), donc k2≡ −1 (m). On note alors ll’entier défini par k2+ 1 = lm.
On appelle forme de Markoff Fmassociée au nombre de Markoff mle trinôme définie par
mFm(x, y) = mx2+ (3m2k)x+ (l3k)
Son discriminant est 9m24>0,Fmpossède donc deux racines, ces racines étant de plus équivalentes. On
note θmune de ses racines.
Théorème. Soit αun irrationnel.
(i) Si γ(α)>1
3alors αest équivalent à une racine de Fm, où Fmest une forme de Markoff.
(ii) Réciproquement si αest équivalent à une racine de Fmalors γ(α) = 1
r94
m2
>1
3et l’inéquation
αp
q
<γ(α)
q2a une infinité de solutions.
(iii) Il existe une infinité de réels non-équivalents tels que γ(α) = 1
3.
Ce théorème réalise donc une amélioration du théorème de Hurwitz. Si on note (mk)kN, la suite ordonnée
des nombres de Markoff, le théorème affirme que nNαR\Qα(θk)k[|0,n1|]γ(α)1
r94
m2
n
(ie
l’inégalité
αp
q
<1
r94
m2
n
1
q2a une infinité de solutions) et cette majoration est optimale pour l’ensemble
des irrationnels privé des classes d’équivalence de (θk)k[|0,n1|]puisque γ(θn) = 1
r94
m2
n
.
2.5 Le spectre de Markoff - Aspects non abordés
La théorie de Markoff classique étudiée ici nous montre donc l’existence de constantes d’approximation dans
l’intervalle h1
3,1
5i. Je me suis alors demandé si l’on pouvait trouvé des constantes d’approximation en dehors
de cet intervalle. On sait bien sûr que 0et une constante d’approximation pour tout nombre approchable à un
ordre s > 2. Mais qu’en est-il pour les nombres de l’intervalle 0,1
3?
Pour éclaircir mes questions, je suis rentré en contact avec le département théorie des nombres de l’Institut
Fourier de Grenoble. Les chercheurs m’ont affirmé que beaucoup de questions se posent encore sur la répartition
du spectre de Markoff et les résultats sur les constantes inférieures restent lacunaires. Ils m’ont alors orien
vers Serge Perrine qui a soutenu une thèse sur le sujet en 1988 et a réalisé une synthèse sur l’état contemporain
4
de cette théorie dans son livre. Ce dernier a su éclaircir mes interrogations.
Les constantes données par la théorie de Markoff classique sont des nombres isolés à l’exception de 1/3qui
est un point d’accumulation. La partie du spectre comprise entre 1/3.334367 et 1/3contient comme l’a montré
Flakive en 1976 une infinité de points d’accumulations dont la valeur 1
5+1. Kinney et Pitcher ont montré
l’existence d’une infinité de trous dans le spectre de Markoff au dessus de 1/12 qui est point d’accumulation.
On connaît notamment l’existence du trou 1
13,1
12. De plus, il existe un nombre βappelé nombre de
Freiman, β1= 4 + 253589820 + 283748462
491993569 , telle que toute valeure comprise entre 0et βsoit une constante
de Markoff.
3 Mesure d’irrationalité
3.1 Définition
Définition. Soit αun nombre irrationnel. On dit que µ > 0est une mesure d’irrationalité pour αs’il existe
une constante C > 0telle que pour tout rationnel p
qon ait
αp
q
C
qµ
Remarque. Le théorème de Liouville entraîne que tout nombre algébrique de degré dadmet dpour mesure
d’irrationalité. Par contre un nombre de Liouville n’admet pas de mesure d’irrationalité.
Définition. Si αadmet une mesure d’irrationalité, la borne inférieure de toutes ces mesures d’irrationalité
s’appelle la mesure optimale d’irrationalité de αet se note µ(α).
Cette définition signifie que µ(α)est la valeur optimale de l’ordre d’approximation du réel α.
3.2 Propriétés - Application
Proposition. µ(α)2
Une des applications importantes de la connaissances de la mesure d’irrationnalité est l’étude d’équations
diophantiennes. Ainsi on peut s’interesser à savoir s’il existe une infinité de solutions entières à l’équation
x32y3= 1. On a x
y3
2 = x
y3
2x
yj3
2x
yj23
2.
S’il existait une infinité de solutions, on aurait
x
y3
2
C
y3pour une infinité de rationnels x
yet 3
2serait
approchable à l’odre 3.
Le théorème de Liouville ne nous permet pas ici de répondre, c’est pourquoi on a cherché à améliorer ce
résultat à plusieurs reprises, jusqu’à aboutir au théorème de Roth.
3.3 Théorème de Roth
Théorème (Thue (1909)).Soit αun réel algébrique de degré d.
On a µ(α)1
2d+ 1.
Ce théorème permet alors d’affirmer que l’équation x32y3= 1 n’a qu’un nombre fini de solutions.
Théorème (Siegel (1922)).Soit αun réel algébrique de degré d.
On a µ(α)2d.
Théorème (Gelfand - Dyson (1947)).Soit αun réel algébrique de degré d.
On a µ(α)2d.
Et enfin le théorème de Roth, qui lui a valu la médaille Fields en 1955 :
Théorème (Roth).Soit αun réel algébrique irrationnel.
On a µ(α)=2.
Ce théorème a une très grande importance puisqu’il affirme que tout nombre algébrique n’est pas approchable
à un ordre >2et donne donc une condition suffisante de la transcendance d’un nombre. L’étude des constantes
d’approximation de la partie 2 concerne ainsi l’ensemble des nombres algébriques.
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