La dignité de la personne créée n’est pas sans liens, et notre liberté a pour fin, non pas de
rompre ces liens, mais de nous libérer en les raffermissant. Ces liens sont la cause principale de notre
dignité. La liberté elle-même n’est pas garante de dignité et de vérité pratique. « L’aversion même de
Dieu a raison de fin en tant qu’elle est désirée sous la raison de liberté, selon cette parole de Jérémie
(II, 20) : Depuis longtemps tu as brisé le joug, tu as rompu tes liens, et tu as dit : Je ne servirai pas! »3
On peut à la fois affirmer la dignité de la personne et être en fort mauvaise compagnie. /{2}
Suffirait-il d’exalter la primauté du bien commun? Non plus. Les régimes totalitaires saisissent le
bien commun comme prétexte pour asservir les personnes de la façon la plus ignoble. Comparée à
l’esclavage où ils menacent de nous soumettre, la servitude des bêtes est liberté. Commettrons-nous
la lâcheté de concéder au totalitarisme ce pervertissement du bien commun et de sa primauté ?
N’y aurait-il pas entre l’exaltation du bien tout personnel au-dessus de tout bien vraiment
commun, et la négation de la dignité des personnes, quelque lien de conséquence très logique et mis
en oeuvre au cours de l’histoire ? Le péché des anges fut une erreur pratiquement personnaliste : ils
ont préféré la dignité de leur propre personne à la dignité qui leur serait venue dans la subordination
à un bien supérieur mais commun dans sa supériorité même. L’hérésie pélagienne, dit Jean de Saint
Thomas, peut être considérée comme une étincelle de ce péché des anges. Elle n’en est qu’une
étincelle, car, alors que l’erreur des anges fut purement pratique, l’erreur des pélagiens était en même
temps spéculative.4 Nous croyons que le personnalisme moderne n’est qu’une réflexion de cette
étincelle, spéculativement encore plus faible. Il érige en doctrine spéculative une erreur qui fut à
etiam Divus Thomas fatetur in hac quaestione LXIII, a.3, in calce. Accedit ad hoc auctoritas S. Gregorii papae, ... :
‘Angelos perdidisse participatam celsitudinem, quia privatam desideraverunt’, id est, recusarunt coelestem
beatitudinem, quia participata, et communis erat multis, et solum voluerunt privatam, scilicet quatenus privata.m, et
propriam, quia prout sic habebat duas conditiones maxime opportunas superbiœ, scilicet singularitatem, seu nihil
commune habere cum inferioribus, quod ipsis vulgare videbatur, etiamsi esset gloria supernaturalis, et non habere
illam ex speciali beneficio, et gratia, et quasi precario: hoc enim maxime recusant superbi, et maxime recusavit
angelus. Et ad hoc pertinet parabola illa Lucae XIV, de homine qui fecit ccenam magnam, et vocavit multos, et
cum vocasset invitatos coeperunt se excusare : ideo enim fortassis recusaverunt ad illam coenam venire, quia
magna erat, et pro multis, dedignantes consortium habere cum tanto numero, potiusque eligerunt suas privatas
commoditates, licet longe inferiores, utpote naturalis ordines, iste quia villam emit, ille quia juga boum, alius quia
uxorem duxerat, unusquisque propriam excusationem praetendens, et privatum bonum, quia proprium, recusans
vero coenam, quia magnam, et multis communem. Iste est propriissime spiritus superbiae. » Jean de saint Thomas,
Curs. Theol., édit. Vivès, T. IV, d. 23, a. 3, nn. 34-5, pp. 950-1. « ... quia suam naturalem, et propriam excellentia,m
judicabat non haberi ex speciali gratia, et beneficio Dei, sed jure creationis, nec ut multis communem, sed sibi
singularem ... » ibid., n. 40, p. 955. « Angelus in primo suo peccato inordinate diligens bonum spirituale, nempe
suum proprium esse, suamque propriam perfectionem, sive beatitudinem naturalem ... ita voluit, ut simul ex parte
modi volendi, quamvis non ex parte rei volitae, per se veluerit aversionem a Deo, et non subjici ejus regulae in
prosecutione suie celsitudinis ... ». Salmanticenses, Curs. Theol., édit. Palmé, T. IV, d. 10, dub. 1, p. 559b.
3 Saint Thomas III Qu. 8 art. 7 c.
4 Jean de Saint Thomas loc. cit. n°39 p 954