La philosophie du langage médiévale

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Philosophies médiévales du langage (et de l’esprit) – CESALLI/Fribourg SP 2012/1
PLAN DE LA PREMIÈRE SÉANCE
« La philosophie du langage médiévale : première approche »
0. Le « phénomène du sens des expressions linguistiques »
Une énigme du quotidien et ses multiples dimensions
1. La philosophie du langage : dénomination, « matière » et histoire
1.1.La philosophie du langage : une discipline (apparemment) récente
1.2.Que faut-il entendre par ‘philosophie du langage’ ?
1.3.Une philosophie du langage médiévale ?
2. La philosophie du langage médiévale comme Sprachphilosophie
2.1.Une anecdote (historiographique) significative
2.2.Les trois axes (du cours)
2.2.1. Le « vouloir dire »
2.2.2. Référence et vérité
2.2.3. Sémantique et pragmatique
TEXTES
[1] « Le langage est la chose la plus quotidienne de toutes : il faut être un philosophe pour être amené à s’en
occuper. » [F. Nietzsche, Rhétorique et langage, textes (cours et notes de 1861 à 1875) traduits, présentés
et annotés par Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, « Rhétorique et philosophie », Poétique 5 (1979), p.
134 (fragment de 1868-1869)]
[2] « La tâche du philosophe du langage est d’expliquer les caractéristiques des différentes langues comme
autant de marques de leurs patrie. » [Johann Gottfried Herder, Abhandlung über den Ursprung der Sprache
(1772)]
[3] « Une philosophie du langage doit ramener le simple donné empirique du langage aux conditions
générales et fondamentales du langage contenues dans la nature même de l’esprit humain et les ordonner
de manière scientifique. » [Karl Heinrich Ludwig Pölitz, Das Gesamtgebiet der teutschen Sprache (1825)]
[4] « Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde [5.6]. […] Le sujet n’appartient pas
au monde, mais il est une frontière du monde [5.632] Où, dans le monde, un sujet métaphysique peut-il
être discerné ? Tu réponds qu’il en est ici tout à fait comme de l’œil et du champ visuel. Mais l’œil, en
réalité, tu ne le vois pas. Et rien dans le champ visuel ne permet de conclure qu’il est vu par un œil.
[5.633]. » [Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus (1922)]
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[5] « Comme l’a montré le philosophe Paul Grice, ce sont d’abord et primitivement les états mentaux –
intentions, croyances, désirs, etc. – qui ont un contenu, le contenu des énoncés étant en quelque sorte
hérité de celui des états mentaux avec lesquels ils sont associés. […] Si l’on admet cette priorité du
contenu psychologique sur le contenu linguistique, alors une théorie du contenu linguistique ne pourra
être considérée comme achevée tant que n’aura pas été produite la théorie du contenu psychologique
dont elle dépend crucialement. » [F. Recanati, Philosophie du langage et de l’esprit, p. 14]
« Au début du premier chapitre, j’ai fait comme s’il y avait seulement deux options pour la sémantique :
une sémantique référentielle qui associe aux mots des choses (leur dénotation), et une sémantique
cognitive, qui associe aux mots des représentations mentales. Le fait que la seconde option soulève une
objection de principe n’est un argument en faveur de la première que si ces deux options sont bien les
seules disponibles. Le sont-elles ? Précisément, je ne le crois pas. Il y a une troisième option : on peut
associer le mot et l’emploi qui en est fait – sa fonction. […] Une sémantique pragmatique, distincte à la
fois d’une sémantique référentielle et d’une sémantique cognitive considère l’emploi, la fonction,
comme l’élément fondamental. » [F. Recanati, Philosophie du langage et de l’esprit, p. 85-86]
[6] « Dicimus, quod sermo significativus duplicem habet comparationem. Unam ad rem quae est extra
animam : et de hac dicit Aristoteles in primo Elenchorum : ‘Quoniam non est ipsas res disputare
volentibus referre, sed nominibus notis utuntur pro rebus, quod accidit in nominibus, in rebus
arbitramur accidere’. Alia comparatio est ad speciem quae est in intellectu vel imaginatione : et de hac
dicit Aristoteles in libro Perihermeneias : ‘sunt ergo ea quae sunt in voce earum quae sunt in anima
passionum notae’. » [Albert le Grand, Summa de creaturis, II, q. 25, a. 2 (milieu du 13e siècle)]
« Nous disons que le mot significatif est pris dans un double rapport. L’un à la chose qui existe hors de
l’âme, et c’est de ce rapport dont parle Aristote dans le premier chapitre des Réfutations sophistiques :
‘puisqu’il n’est pas possible à ceux qui discutent d’amener les choses elles-mêmes dans la discussion mais
qu’ils se servent de noms connus pour parler des choses, nous pensons que ce qui se produit pour les
noms se produit également dans les choses’. L’autre rapport qu’entretient le mot significatif le relie à
l’image mentale qui est dans l’intellect ou l’imagination, et c’est de ce rapport dont parle Aristote dans
le livre De l’interprétation : ‘ce qui est dans le son vocal est la marque de ces passions qui sont dans
l’âme’. »
[7] « […] uoces per ea, quibus quasi intersignis utimur, intellectus de rebus, non de ipsis, constituunt, cum
uidelicet uoces animum audientis ad similitudinem rei applicant, ut in ea non ipsam, sed rem pro qua
ponitur, attendat. » [Abélard, Glossae super Peri hermeneias, ed. Jacobi & Strub, p. 33-34, mes italiques]
« […] les mots, à travers ce dont nous nous servons comme de signes intermédiaires, constituent des
concepts des choses, non pas de ces signes eux-mêmes, à savoir lorsque les mots dirigent l’esprit de
l’auditeur vers la similitude de la chose afin qu’il considère en elle non pas cette similitude elle-même,
mais la chose pour laquelle elle est posée. »
[8] « Non existente concordia et voluntate hominum volentium per vocem intelligere illud, quod intellectus
alterius hominis vult significare per eam vel consignificare, vox nichil significaret. Et ideo significare vel
consignificare non est ipisus vocis, sed ipsius intellectus per vocem. Ergo si alicui debetur attribui modus
significandi activus, magis attribueretur intellectui.» [Anonyme, Sophisma ‘Tantum unum est’, éd. in
Pinborg 1967, p. 220]
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« Le son vocal ne signifierait rien si n’existaient l’accord et la volonté des hommes voulant intelliger au
moyen du son vocal ce que l’intellect d’un autre homme veut signifier ou consignifier par ce <son
vocal>. C’est pourquoi signifier ou consignifier n’appartient pas au son vocal lui-même, mais à
l’intellect par le moyen du son vocal. Par conséquent, s’il fallait attribuer un mode de signifier à quelque
chose, on devrait l’attribuer davantage à l’intellect <qu’au son vocal>. »
[9] « Differt autem significatio a suppositione primo quia aliqua significatio est ad placitum eo quod
terminus habet illam ex arbitrio voluntatis […]. Suppositio igitur non oritur ex principio voluntatis sed
ex natura rei; verbi gratia non est ex arbitrio voluntatis quod talis consequentia sit bona ‘homo currit
igitur iste homo currit vel iste homo currit et sic de aliis’. […] Similiter terminus qui significat ratione
sue significationis tantum includit duos respectus rationis: unum ad intellectum concipientem, alium ad
rem ad quam movet intellectum intelligendam ; terminus autem qui supponit includit illos duos
respectus et cum hoc tertiam habitudinem habet ad terminum respectu cuius subicitur vel predicatur
[…]. » [Richard Brinkley, De suppositionibus (= Summa logicae, IV), ch. 1, ed. Cesalli & Lonfat – travail en
cours]
« La signification diffère en effet de la supposition tout d’abord en cela que la signification est
conventionnelle puisqu’un terme la possède en vertu d’un choix volontaire […]. La supposition, donc,
n’est pas d’origine volontaire mais provient de la nature de la chose ; par exemple : ce n’est pas en vertu
d’un choix de la volonté que l’inférence suivante est valide : ‘un homme court, donc cet homme-ci
court, ou cet homme-là court, et ainsi des autres’. […] De même, un terme qui signifie n’entre que
dans deux relations de raison en vertu de sa signification : l’une par rapport à l’intellect qui conçoit <la
chose>, l’autre par rapport à la chose à l’intellection de laquelle <ce terme> conduit l’intellect ; mais
un terme qui suppose entre dans ces deux relations, et avec cela, il présente une troisième relation par
rapport au terme dont il est sujet ou prédicat […]. »
[10] « Sed notandum quod quintuplex est proposicio, scilicet : mentalis, vocalis et scripta proposicio ; realis,
ut quelibet res movens ad componendum vere vel false ; et quinta proposicio est sic esse sicut proposicio
significat. […] Proposicio realis est, ut iste homo, iste lapis, etc. quia sicut in alia proposicione est
subiectum et predicatum et copula, sic in isto homine est dare istam personam, que est pars subiectiva
speciei humane, que est tamquam subiectum ; et est dare similiter naturam humanam, que essencialiter
inest isti homini tamquam predicatum, et realiter predicatur de isto homine ; et est dare essenciam istius
hominis, que est realis copula copulans istum hominem cum sua natura. Et sicut in proposicione
artificiali predicatum dicitur de subiecto, sic in ista proposicione reali, iste homo est essencialiter et
realiter natura humana. Quinta proposicio est veritas significata a parte rei, sicut ista veritas : hominem
esse est veritas complexe, quia verum complexum ; et hec est causa qualiter debet dici proposicio. »
[Jean Wyclif, Lociga, c. 5, ed. Dziewicki, p. 14]
« Il faut noter qu’il y a cinq types de proposition, à savoir : mentale, vocale et écrite ; <la proposition>
réelle, comme n’importe quelle chose motivant <l’intellect> à juger avec vérité ou avec fausseté ; et la
cinquième proposition est : ‘en être ainsi que le signifie une proposition’. […] Une proposition réelle
est par exemple cet homme-ci, cette pierre-ci, etc., parce que de même que dans une autre proposition,
il y a un sujet, un prédicat et une copule, de même, il y a dans cet homme-ci : cette personne, qui est le
substrat de l’espèce humaine et qui est comme un sujet ; et il y a également la nature humaine qui existe
essentiellement dans cet homme comme un prédicat et se prédique réellement de cet homme ; et il y a
l’essence de cet homme, qui est une copule réelle couplant cet homme <i.e. cette personne> avec sa
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nature. Et de même que dans une proposition artificielle un prédicat est dit d’un sujet, de même dans
cette proposition réelle cet homme est essentiellement et réellement la nature humaine. La cinquième
proposition est la vérité signifiée dans les choses, comme cette vérité : qu’un homme existe est une vérité
de manière complexe, parce qu’il s’agit d’un complexe qui est vrai, raison pour laquelle <ce
complexe> peut être appelé une proposition. »
[11] « Ad quartum dicendum quod in re corporali non potest esse virtus spiritualis secundum esse
completum; potest tamen ibi esse per modum intentionis : sicut in instrumentis motis ab artifice est
virtus artis, et sermo audibilis existens causa disciplinae […] continet intentiones animae ; quodammodo
etiam in motu est virtus substantiae separatae moventis […]. » [Thomas d’Aquin, Scriptum super libros
Sententiarum IV, d. 1, q. 1, art. 4]
« Au quatrième argument il faut répondre qu’il ne peut exister de vertu spirituelle dans une chose
corporelle selon un être complet <ou achevé> ; elle peut pourtant y exister sur le mode de l’intention,
à savoir comme la vertu de l’art existe dans les instruments mus par l’artisan, et comme la parole
audible existant en vue <de l’enseignement> d’une discipline […] contient des intentions de l’âme ;
<et> d’une certaine manière, la vertu d’une substance séparée motrice existe aussi dans un
mouvement […]. »
[12] « Tertio distinguo hoc membrum ‘modus significandi’ qui potest accipi dupliciter : uno pro modo agendi
intellectus, qui modus est in intellectu subiective ; et quia <quod>libet agens habet modum agendi, sic
dico quod est considerare modum significandi, qui nichil est aliud quam modus agendi intellectus
significantis et consignificantis. Alio modo accipitur ‘modus significandi’ pro quodam derelicto in
constructione per intellectum, mediante quo vox significat et habet modum sue actionis significandi et
consignificandi. Et sic negatur modus significandi, quia voc ex solo usu et exercitio significat et non ex
aliquo, quod sibi formaliter vel subiective acquiratur. » [Johannes Aurifaber, Determinatio de modis
significandi, ed. in Pinborg 1967, p. 226-227]
« Troisièmement, je pose une distinction concernant cet élément ‘mode de signifier’ lequel peut être
compris de deux manières : d’une manière pour le mode d’agir de l’intellect, lequel mode existe dans
l’intellect comme dans un sujet ; et puisque tout agent possède un mode d’agir, je dis que c’est ainsi
qu’il faut considérer le mode de signifier, lequel n’est rien d’autre que le mode d’agir de l’intellect
signifiant et consignifiant ; d’une autre manière, on prend ‘mode de signifier’ pour quelque chose qui est
laissé <ou déposé> par l’intellect dans la construction <grammaticale> et au moyen de quoi un son
vocal signifie et possède le mode de son action de signifier et de consignifier. Et selon ce dernier sens, il
faut nier l’existence du mode de signifier, car ce n’est qu’en vertu du seul usage et de la pratique qu’un
son vocal signifie et non pas en vertu de quelque chose qu’il acquerrait formellement ou comme un
sujet. »
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