De l'induction à la métaphore : le cercle vertueux des pratiques et des projections chez Goodman.
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ajustement opéré à partir d’une diversité d’usages et non comme une proposition ana-
lytique qui connecterait de manière nécessaire et universelle un ensemble de prédicats
définitionnels au prédicat à définir1. Plus précisément, la définition est un processus
d’ajustement entre les définitions et les usages. Dans « La nouvelle énigme de l’induc-
tion »,2Goodman applique ce principe de définition au « vieux problème de l’induc-
tion »3, via une analogie avec l’inférence déductive : de même que la logique déductive
consiste à formaliser une pratique de la déduction, la logique inductive consiste à for-
maliser une pratique de l’induction. Ici formaliser signifie définir des règles qui per-
mettent de discriminer entre les déductions ou les inductions qu’en pratique nous ac-
ceptons, ou que nous refusons. Cette réorientation du problème sur la détermination
des pratiques appelle plusieurs commentaires :
Goodman propose ici une philosophie empiriste de la logique : les lois de la logique
ne sont pas a priori. Ou plus précisément la logique n’est pas a priori au sens où elle pré-
cède en tant que condition de possibilité de toute opération d’inférence. Ce qui est pre-
mier, c’est la pratique de l’opération d’inférence. En revanche, la logique, sous sa for-
me déductive au moins, reste a priori au sens où elle permet de déduire a priori une
proposition vraie, en présence d’une prémisse vraie. D’un point de vue épistémologique,
cela consiste à mettre la logique sur le même plan que les sciences expérimentales, avec
les implications que cela comporte au niveau d’une logique de la découverte. Le trans-
fert de la logique de la découverte scientifique, élaboré par Popper 4autour de la notion
1. En ce sens, Goodman a retenu la leçon de Quine, qui a pointé les faiblesses de la distinction entre énoncés
analytiques et énoncés synthétiques. A la suite de Kant, on désigne par analyticité la propriété qu’a un énon-
cé d’être vrai, en vertu de sa seule signification, par exemple : « aucun homme célibataire n’est marié ».
C’est pourquoi analyticité implique universalité et nécessité. La vérité d’un énoncé synthétique implique,
à l’extérieur du langage, une relation contingente à des faits : « elle a été surprise la nuit dernière avec un hom-
me marié » est vrai si effectivement elle a été surprise la nuit dernière avec un homme marié (cf. W.V. Quine,
« Main trends in recent philosophy : two dogmas of empiricism », The Philosophical Review, Vol. 60, No. 1,
janvier 1951, pp. 20-43). La position de Goodman sur la question est plus discrète. Cette distinction fait
partie des notions « suspectes », mais plutôt que de l’attaquer directement comme le fait Quine, Goodman
préfère l’ignorer et ne pas en tenir compte dans ses analyses.
2. N. Goodman, Faits, fictions et prédictions, « La nouvelle énigme de l'induction », Paris, Editions de Minuit,
1984, pp. 76-95.
3. Ce problème, dans sa forme moderne, est hérité de Hume (cf. D. Hume, A Treatise of Human Nature, Part
III, Section XIV, Oxford, Oxford University Press, 1949, pp. 155-172). L’induction est l’opération qui per-
met d’inférer de la succession invariablement répétée de deux phénomènes A et B, une loi causale de type
A => B. C’est par induction, par exemple que nous pouvons formuler des prédictions sur la seule base de
la répétition de cas similaires dans le passé. Un énoncé prédictif pose problème car il n’est ni un compte ren-
du d’expérience, ni la conséquence logique d’une expérience. La réponse de Hume consiste à donner une
explication de fait, de la connexion que nous inférons, en la réduisant à des conditions subjectives d’habi-
tuation par répétition. A la suite de Popper, on a baptisé « problème de Hume » le problème de la justifica-
tion des énoncés inductifs.
4. K. Popper, Logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1978.