1. MANAGEMENT DES PERSONNES

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MEP-Début-1-4 Page 3 Lundi, 19. décembre 2005 5:17 17
Sous la direction de
Claude
Claude
Jean-Pierre
LÉVY-LEBOYER
LOUCHE
ROLLAND
RH, les apports
de la psychologie du travail
1. MANAGEMENT
DES PERSONNES
© Groupe Eyrolles, 2006
ISBN : 2-7081-3462-0
Lévy-Leboyer-2005 Page 167 Lundi, 12. décembre 2005 4:27 16
Chapitre 9
Faut-il prendre en compte
la personnalité dans les décisions
de recrutement et de sélection ?
Le rôle particulier de la
dimension « Conscience »
© Groupe Eyrolles
FILIP DE FRUYT
Ce chapitre est articulé autour de quatre questions centrales auxquelles il
faut fournir des éléments de réponse lorsqu’on aborde la personnalité dans
les opérations de recrutement et de sélection. La première est : « Est-il
réellement important (ou non) de prendre en considération la personnalité
dans les décisions de recrutement et de sélection ? ». Si l’on répond à
cette question par l’affirmative, la seconde question est : « Quelles dimensions de personnalité faut-il prendre en compte et comment ces dimensions affectent-elles l’efficience (la performance) professionnelle ? ». Ce
chapitre est centré sur la dimension dénommée « Conscience » qui est un
prédicteur général de la performance professionnelle dans différents
emplois et pour différents critères d’efficience professionnelle. Si l’on est
convaincu que ces traits sont importants, il faut pouvoir disposer d’instruments de mesure permettant d’évaluer les différences individuelles entre
candidats et entre employés. Ce troisième point sera donc également discuté. Nous discuterons enfin les questions relatives au développement de
la personnalité au cours du déroulement de la carrière professionnelle. Ces
quatre questions centrales sont précédées d’une courte introduction à la
psychologie des traits.
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RH, LES APPORTS DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL
LA PERSONNALITÉ ET LES TRAITS
Les psychologues qui étudient les traits ne contestent pas l’existence d’une variabilité des conduites attribuable à la situation, ils ne
nient pas non plus que la conduite résulte d’une interaction entre la
personne et l’environnement, mais ils estiment que l’environnement
ne peut exercer une influence sur l’individu que dans la mesure où il
existe – chez l’individu – un noyau central qui puisse être influencé.
Dans des conditions environnementales identiques, on peut observer que les comportements de personnes différentes sont très différents. Ainsi, dans la même unité ou le même service, la performance
professionnelle des employés placés dans les mêmes conditions,
manifeste une très grande variabilité quantitative ou qualitative. De
la même manière, dans un entretien structuré qui tend à placer
l’ensemble des candidats postulant pour le même emploi dans les
mêmes conditions (plus ou moins standardisées), on peut constater
que ces candidats se conduisent néanmoins de manière très différente. L’objectif spécifique de l’évaluation de la personnalité est
d’examiner ces patterns individuels de conduite relativement stables
(stabilité temporelle) et relativement consistants (consistance transsituationnelle).
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© Groupe Eyrolles
Les traits sont des dispositions durables, reflétant des différences
individuelles qui manifestent une relative stabilité temporelle et une
relative consistance trans-situationnelle. Compte tenu de leur caractère dispositionnel, les traits affectent les manifestations comportementales en conjonction avec les exigences et les influences des
situations. Ils constituent le noyau central de l’individu, et doivent
être inférés à partir des comportements, des cognitions, des préférences et des émotions observés de préférence sur de longues
périodes temporelles et dans des situations différentes. Si l’on utilise une métaphore, les traits renvoient au climat, un pattern spécifique observable dans une région particulière sur une longue période,
plutôt qu’au temps qu’il fait, pour lequel on peut – jour après jour –
observer des variations. Néanmoins, l’observation du temps qu’il
fait sur de longues périodes fournit une estimation du climat et procure une meilleure base pour la décision et la prédiction. A titre
d’exemple, pour bénéficier du temps que l’on souhaite, il est préférable de fonder le choix d’une destination et de la période de vacances sur des données climatiques. Cette méthode n’exclut pas que
l’on trouve la pluie en arrivant en juillet dans un aéroport de Grèce,
mais deux heures plus tard vous pouvez également profiter du soleil
au balcon de votre hôtel et bénéficier des conditions climatiques
habituelles et attendues pour le reste de votre séjour.
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Méthodes d’évaluation
© Groupe Eyrolles
Il y a – bien évidemment – une large gamme de différences individuellles et donc il est pratiquement impossible d’évaluer les personnes
sur l’ensemble des traits. Les adjectifs visant la description de caractéristiques de personnalité constituent une catégorie de mots particulièrement bien adaptés à la description des différences entre
personnes. A titre d’exemple, supposons que « prendre le
leadership » « influencer les autres » et « imposer sa volonté » soient
des caractéristiques importantes pour un manager, il nous faut donc
un vocabulaire qui renvoie à ces conduites. On trouve, en effet, dans
le langage naturel des adjectifs tels que « assertif » et « dominant »
pour décrire ces conduites de manière plus abstraite et ces adjectifs
résument très bien différents patterns de conduite. Dans les dernières années, les chercheurs étudiant les traits ont démontré de
manière convaincante que – dans de très nombreuses langues – les
listes d’adjectifs permettant la decription de caractéristiques de personnalité peuvent se résumer à cinq dimensions que l’on dénomme
les Big-Five ou les dimensions du Five Factor Model. Les Big-Five et le
FFM sont des perspectives de recherche différentes que nous ne
décrirons pas ici. Dans ce chapitre, nous utiliserons le label FFM pour
le Modèle en Cinq Facteurs. Une description de l’émergence des
dimensions du FFM est presentée par Rolland (1996). Ces dimensions sont le Neuroticisme ou Névrosisme (vs. Stabilité Emotionnelle), l’Extraversion, l’Ouverture à l’expérience, l’AgréabilitéAltruisme et la dimension dénommée « Conscience ». Ces cinq
dimensions sont des dimensions bipolaires (Neuroticisme-Stabilité
Emotionnelle, Extraversion-Introversion etc.) largement indépendantes les unes des autres. L’indépendance des dimensions de ce
modèle signifie qu’une information sur le score en Extraversion d’une
personne ne fournit aucune information sur son score aux autres
dimensions du Big-Five, telle que la « Conscience » par exemple. Ces
dimensions fondamentales constituent la base des différences individuelles de la même manière que les combinaisons des trois couleurs
primaires permettent de définir l’ensemble du spectre des couleurs.
L’Extraversion renvoie à la sociabilité, l’assertivité, l’ascendance,
l’énergie et l’optimisme par opposition à la préférence pour le travail solitaire, la tendance à suivre les objectifs, les instructions et
les ordres des autres et l’introversion.
L’Agréabilité est une dimension qui décrit la qualité (la tonalité)
des interactions sociales. Cette tonalité peut varier d’une disposition à rechercher et entretenir des relations chaleureuses, amicales, empathiques et altruistes, à une tendance à la froideur, la
distance, l’égocentrisme et l’antagonisme.
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RH, LES APPORTS DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL
La dimension Conscience décrit la tendance à la précision,
l’ordre et l’ambition mais également l’autodiscipline et le sentiment de compétence. Ce type de dispositions trouve naturellement son application dans les situations de travail et les
contextes professionnels.
Le Neuroticisme versus Stabilité Emotionnelle est une dimension
qui décrit des différences individuelles d’anxiété, d’hostilité, de
vulnérabilité et d’émotionalité négative.
Finalement, l’Ouverture renvoie à la créativité et l’ouverture
d’esprit versus le manque d’imagination, les intérêts terre-àterre et la préférence pour les méthodes et solutions connues et
établies.
Il est important de souligner que ces dimensions décrivent l’étendue
normale des différences individuelles et que les scores extrêmes (de
part et d’autre du continuum) n’impliquent pas nécessairement des
conduites psychopathologiques ou des problèmes d’ajustement.
L’intelligence est un prédicteur de la performance (efficience) professionnelle dans les différents emplois et pour différents critères. Il y a dans la
communauté scientifique un consensus sur ce point (Salgado, dans ce
volume ; Schmidt et Hunter, 1998). Les coefficients de validité varient de .23
à .58, selon les exigences de la tâche, ce qui suggère que l’intelligence explique de 5 % à 35 % de la variance des critères d’efficience professionelle. Les
valeurs inférieures sont obtenues pour les emplois d’exécution simple tels
que les caissiers(ères) dans les magasins et supermarchés, tandis que les
valeurs supérieures sont obtenues pour les fonctions de management. Ces
résultats, très solidement établis par la recherche et différentes synthèses,
contrastent avec les pratiques actuelles de sélection et d’évaluation dans
lesquelles la mesure de l’intelligence est souvent négligée ou simplement
réfutée sous le prétexte que cela serait « démodé, inapproprié, ou politiquement
incorrect ». Les praticiens de la sélection doivent toutefois affronter les faits :
l’intelligence prédit jusqu’à 35 % de la future performance au travail des candidats et par voie de conséquence la satisfaction des clients des cabinets de
conseil en recrutement. L’intelligence est donc un prédicteur incontournable
et il faut souligner que l’on trouve chez les éditeurs de tests des instruments
de mesure de l’intelligence valides et fidèles qui nécessitent moins de 30
minutes de passation. Les praticiens des ressources humaines doivent donc
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© Groupe Eyrolles
LES TRAITS AFFECTENT LA PERFORMANCE
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Méthodes d’évaluation
admettre que l’intelligence est sans conteste l’un des prédicteurs les plus
valides de la performance au travail et en tirer les conséquences pour leur
pratique.
© Groupe Eyrolles
Un grand nombre d’études montrent, par ailleurs, que les dimensions de
personnalité du modèle en cinq facteurs (FFM) prédisent également différents critères de performance (d’efficience) professionnelle. Les dimensions
de Conscience et de Stabilité Émotionnelle (vs. Neuroticisme) sont – en
effet – des prédicteurs généraux de l’efficience professionnelle de l’ensemble
des critères étudiés et de l’ensemble des emplois étudiés, tandis que les
autres dimensions du FFM prédisent de manière spécifique certains critères
dans certains emplois (Barrick, Mount, et Judge, 1999). On observe ainsi que
l’Extraversion prédit la performance professionnelle dans les emplois impliquant des contacts sociaux fréquents (métiers de la vente par exemple), tandis que l’Ouverture prédit des critères spécifiques tels que la réussite en
apprentissage et en formation. Les coefficients de validité de dimensions de
personnalité spécifiques varient en général de .10 à .30 selon le type de critère et l’application de corrections pour la fidélité, taille et la diversité des
échantillons.
De plus, (et ce point est essentiel) il est maintenant établi que les dimensions de personnalité procurent une validité incrémentielle (une information utile et non redondante) en complément des autres méthodes de
sélection telles que l’intelligence ou les mises en situation (exercices) des
assessment centers. C’est cette validité incrémentielle qui fait leur intérêt
dans les procédures de recrutement (Salgado, 1999 ; Schmidt et Hunter,
1998). Ainsi, Schmidt et Hunter (1998) ont montré que la dimension Conscience procure une validité supplémentaire de 18 % dans la prédiction de
l’évaluation générale de la performance professionnelle en complément de
celle fournie par les tests de GMA (intelligence générale), tandis que la validité complémentaire fournie par les mises en situations des assessment
centers (en complément de la GMA) n’est que de 4 %. Et pourtant la validité
de la dimension Conscience et celle des mises en situation des assessment
centers examinées indépendamment de la GMA étaient respectivement de
.31 (Conscience) et .37 (Assessment Centers).
La mise en évidence de cette validité incrémentielle est particulièrement
importante pour le développement de procédures multi-méthodes d’évaluation équitables et économiques. Une procédure d’évaluation idéale devrait –
en effet – comporter diverses méthodes valides mais non-redondantes et
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RH, LES APPORTS DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL
À titre d’exemple, les Assessment Centers n’expliquent (en complément des
mesures d’intelligence) qu’une faible part de variance supplémentaire des
critères d’efficience professionnelle. La validité incrémentielle des assessment centers est donc faible bien que – si on les considère isolément – les
AC aient une validité prédictive considérable (Schmidt et Hunter, 1998). En
fait, la plus grande partie de la validité des assessment centers provient
d’une sorte d’estimation non consciente de l’intelligence générale des candidats que les évaluateurs inférent à partir de leur comportement dans les
diverses mises en situation. De plus, si l’on retirait également de la validité
des assessment centers la contribution des dimensions de personnalité
(évaluées par ailleurs par des tests) la validité incrémentielle des assessment centers pourrait diminuer encore. Finalement, la part de variance prédite par les assessment centers (en complément de l’intelligence et de la
personnalité) pourrait s’avérer si faible que l’information que procure cette
méthode ne compenserait plus son coût très élevé. Si les assessment centers sont actuellement une méthode d’évaluation du personnel si populaire,
c’est essentiellement en raison de leur validité apparente (lien apparent
avec l’emploi) très élevée. Bien que la validité apparente puisse être une raison suffisante pour adopter les mises en situation (les exercices) proposées
par la méthode des assessment centers, si on les combine avec des mesures
d’intelligence et de personnalité, ces mises en situation (ces exercices) n’ont
sans doute qu’une validité prédictive incrémentielle limitée.
En résumé, dans les procédures de sélection et d’évaluation, la prise en
compte des traits de personnalité, comparée aux autres méthodes d’évaluation, mérite de retenir l’attention pour cinq raisons :
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© Groupe Eyrolles
permettre l’évaluation d’individus ou de groupes pour des coûts (temporels
et financiers) raisonnables. Si ces conditions sont réunies, l’ensemble des
personnes concernées dans une procédure de sélection et de recrutement
(candidats, clients et évaluateurs) en bénéficient. En pratique, l’intelligence,
qui est un prédicteur général (le meilleur), devrait être la première variable
mesurée et prise en compte. Il faudrait ensuite mesurer et prendre en
compte la personnalité parce que les dimensions du FFM prédisent la performance professionnelle au-delà et en complément des mesures d’intelligence. Cette procédure d’évaluation pourrait être améliorée par le recours à
des méthodes complémentaires telles que l’entretien structuré ou nonstructuré et des mises en situation, à condition qu’elles procurent des informations valides et supplémentaires en complément des informations déjà fournies par les mesures de l’intelligence et de la personnalité.
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Méthodes d’évaluation
1) Les traits procurent une nette validité incrémentielle en complément
de l’intelligence ;
2) Les inventaires de personnalité sont d’administration facile, que ce
soit de manière individuelle ou en groupes ;
3) L’évaluation des traits de personnalité est d’un coût très faible ;
4) La cotation des inventaires de personnalité est standardisée et la
cotation ainsi que la présentation d’éléments de restitution peuvent
être automatisés ;
5) Des versions autorisées d’inventaires de personnalité valides et fidèles sont disponibles dans différentes langues, ils sont mis au point et
validés par des équipes de chercheurs, ils procurent les indispensables garanties relatives à leur fidélité, leur validité et leur stabilité
inter-culturelle.
© Groupe Eyrolles
COMMENT FONCTIONNENT LES TRAITS ?
La validité des traits de personnalité étant établie, on peut se demander
quels critères ils prédisent et comment ils affectent la performance professionnelle ainsi que les comportements au travail. Nous avons déjà dit que la
dimension « Conscience » est un prédicteur général de la performance au
travail. Plusieurs théories ont été développées pour expliquer comment
cette dimension peut opèrer dans les situations de travail. Ones and Viswesvaran (1997) décrivent cinq raisons pour lesquelles le caractère consciencieux prédit la performance (l’efficience) au travail : « Les individus
consciencieux : (a) passent plus de temps sur les tâches qui leurs sont assignées (plutôt que de rêver ou de s’engager dans des activités improductives), il en résulte une plus grande productivité ; (b) ils passent plus de
temps sur la tâche qui leur est assignée, ce qui leur permet d’acquérir plus
de connaissances relatives à la tâche et à l’emploi ; (c) ils vont, d’euxmêmes, au-delà des exigences de leur rôle professionnel ; (d) ils se fixent
eux-mêmes des objectifs de manière autonome et manifestent de la persévérance dans la poursuite de ces objectifs ; et enfin (e) ils évitent les comportements contre-productifs (Ones et Viswesvaran, 1997).
S’ils sont extravertis, et plus particulièrement s’ils ont des scores élevés à la
composante « énergie/activité » de l’extraversion, la performance des individus consciencieux se caractérise par une association « vitesse-qualité ». Ils
accomplissent la tâche qui leur est assignée avec rapidité et avec soin ce qui
leur donne un sérieux avantage sur le marché de l’emploi (De Fruyt & Mer173
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RH, LES APPORTS DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL
Les recherches sur les relations entre la personnalité et l’intelligence montrent que la dimension « Conscience » prédit la performance professionnelle
et la réussite en formation au-delà de la validité de l’intelligence ou de
l’aptitude cognitive générale (GMA) (Salgado, 1999 ; Schmidt et Hunter,
1998). La majorité des tests d’intelligence sont conçus pour évaluer la performance maximale : on présente aux sujets des items de difficulté croissante jusqu’au moment où ils ne peuvent plus fournir de réponse correcte et
ceci dans un intervalle temporel limité. Cette forme d’évaluation se différencie des méthodes visant à évaluer la performance typique c’est-à-dire à
décrire la manière dont un sujet se comporte de manière typique ou habituelle et non pas son potentiel maximum (Ackerman et Heggestad, 1997).
L’évaluation de la personnalité est un bon exemple de la mesure de comportement typique. Bien que la mesure de la performance maximale soit très
importante dans un contexte de sélection et d’évaluation du personnel, les
critères de performance évalués en entreprise sont généralement de nature
typique. Ce n’est pas la performance maximale que peut réaliser un employé
qui importe mais la performance qu’il réalise habituellement, au jour le jour.
A titre d’exemple, il est souvent plus important de connaître la prestation
qu’un commercial est capable de réaliser habituellement dans une négociation avec un client plutôt que de connaître la performance maximale qu’il
serait capable de réaliser parfois de manière exceptionnelle. Mais de nombreuses méthodes d’évaluation actuellement utilisées dans les procédures
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© Groupe Eyrolles
vielde, 1999). Comme ils consacrent beaucoup de temps à leur activité professionnelle, les individus consciencieux finissent par acquérir plus de
connaissances relatives à leur activité professionnelle et atteignent des
niveaux d’habiletés et de compétences plus élevés. Ils ne se contentent pas
d’atteindre les objectifs minimaux et essaient d’exceller dans leur travail. Ils
ont l’auto-discipline nécessaire pour résister aux tentations et au découragement et pour perséverer dans la poursuite de leurs objectifs personnels et
ceux de l’entreprise. Finalement – et selon Ones et Viswesvaran c’est probablement le plus important – ils évitent les comportements contre-productifs
(absences, utilisation des moyens de l’entreprise pour des raisons personnelles, etc.). Pour terminer, des recherches récentes sur les relations entre
les traits de personnalité et les valeurs professionnelles montrent que les
personnes consciencieuses adhèrent à des valeurs professionnelles en
phase avec les objectifs des entreprises telles que la préférence pour des
activités bien structurées, la rationalité, l’autonomie, la participation, la
compétition, l’innovation et une plus grande sensibilité pour les gains et les
renforcements externes.
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Méthodes d’évaluation
de sélection (les assessment centers par exemple) sont conçues essentiellement pour observer des performances maximales plutôt que des performances typiques ou habituelles. C’est cette centration sur la performance
maximale (et donc inhabituelle) qui contribue à leur médiocre validité audelà des mesures les plus valides que sont les tests évaluant les aptitudes
cognitives générales (GMA). En revanche, les scores relatifs à des traits renvoient à des comportements typiques et sont inférés à partir de réponses à
des items de personnalité envisageant diverses conduites habituelles dans
diverses situations.
Les mesures de performance maximale fournissent des indications sur la
limite supérieure de la performance tandis que les mesures de performance
typique décrivent la part de cette capacité maximale qui sera effectivement
mise en œuvre et donc fournissent une information complémentaire indispensable. On peut comparer la performance maximale à la capacité de
mémoire et de vitesse d’un ordinateur. La capacité totale de la machine peut
occasionnellement être utile et mise en œuvre mais en utilisation courante,
très généralement, nous n’utilisons qu’une partie de cette capacité de
mémoire et de vitesse. On peut expliquer l’interaction Intelligence-Caractère
Consciencieux de la même manière : la composante pro-active du caractère
consciencieux déterminerait la part de la capacité cognitive totale couramment et habituellement mise en œuvre pour accomplir les tâches et atteindre
les objectifs. Cette explication, très spéculative pour l’instant, cadre bien avec
les résultats de validité prédictive et avec les observations de terrain. Dans la
vie professionnelle courante, une personne d’intelligence moyenne et ayant
un très fort besoin de réussite est probablement préférable à une personne
intelligente très peu motivée ou à un arriviste très limité sur le plan cognitif.
© Groupe Eyrolles
L’ÉVALUATION DES TRAITS
De nombreux inventaires ont été mis au point pour opérationnaliser et
mesurer les dimensions de personnalité du modèle en cinq facteurs ainsi
que les facettes qui les composent. L’inventaire NEO-PI-R (Costa et McCrae,
1992 ; adaptation française par Rolland, 1998) est sans nul doute le questionnaire le plus communément utilisé pour mesurer ces cinq dimensions
dans des perspectives de recherche et d’application. Cet inventaire est organisé de manière hiérarchique, chaque domaine (N, E, O, A, C) étant composé de six facettes. Ces 30 facettes représentent un niveau de description
intermédiaire entre les cinq domaines d’une part (qui représentent dans ce
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RH, LES APPORTS DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL
cas le plus haut niveau d’abstraction) et le comportement d’autre part. Le
NEO-PI-R inclut 240 items (6 facettes par domaine, 8 items par facette, 48
items par domaine) et peut s’administrer en 40 à 45 minutes. Par sa structure hiérarchique qui permet de définir et d’évaluer les domaines mais également les facettes (et notamment la déclinaison en facettes du domaine
Conscience) le NEO-PI-R est particulièrement bien adapté aux opérations
d’évaluation et de sélection. Le domaine « Conscience » est en effet
décomposé ici en six facettes parmi lesquelles le sentiment de compétence
(C1) la recherche de réussite ou ambition (C4) et l’auto-discipline (C5) évaluent l’aspect dynamique (pro-actif) de ce domaine, tandis que les facettes
ordre (C2), sens du devoir (C3) et délibération (C6) abordent la composante
contrôle et inhibition des impulsions du domaine « Conscience ». Les facettes constituant la composante dynamique (pro-active) interagissent avec les
ressources cognitives disponibles, tandis que les facettes constituant la
composante inhibitrice sont plus en relation avec l’intégrité du sujet et sa
capacité à contrôler les impulsions ainsi que les conduites indésirables.
Costa et McCrae (1998) ont récemment proposé le regroupement des dimensions de personnalité du modèle en cinq facteurs en six styles issus d’interactions entre les domaines. Le domaine « Conscience » est impliqué dans la
définition de trois de ces six styles de personnalité. L’interaction entre Extraversion et Conscience rend compte d’un « style d’activité » qui permet une description de l’intensité et de la direction du comportement. Les aspects
énergétiques du comportement sont représentés par l’Extraversion, tandis
que la Conscience reflète la manière dont cette activité est canalisée et
orientée pour atteindre les objectifs personnels et/ou ceux de l’entreprise.
176
© Groupe Eyrolles
La décision d’analyse au niveau des cinq domaines ou des trente facettes
peut dépendre d’un ensemble varié de paramètres, mais le critère essentiel
est la nécessité (ou non) d’une description fine. Par exemple, des cadres, des
officiers de police et des infirrmières performants peuvent éventuellement
avoir tous des scores élevés sur le domaine « Conscience » mais ils peuvent
également être très différents au niveau des facettes. On peut ainsi imaginer
que les cadres obtiennent des scores élevés en « recherche de réussite »
(ambition) mais modérément en « ordre » et « sens du devoir » tandis que
pour les officiers de police et les infirmières ce soit l’inverse, ce qui aboutit
néanmoins à des scores identiques en « Conscience » après addition des
scores aux facettes (Furnham, Crump, et Whelan, 1997). Les inventaires de
personnalité conçus de manière hiérarchique, tels que le NEO-PI-R, permettent de détecter de telles différences.
Lévy-Leboyer-2005 Page 177 Lundi, 12. décembre 2005 4:27 16
Méthodes d’évaluation
Deux candidats au poste de directeur commercial international peuvent tous
les deux se décrire comme ambitieux et centrés sur les objectifs (= Conscience), mais ils peuvent se différencier très nettement sur le plan de l’énergie (= Extraversion), ce qui fait que l’un d’entre eux sera plus performant
dans un emploi impliquant un très grand nombre de voyages et 60 à 70 heures de travail hebdomadaires.
© Groupe Eyrolles
L’interaction entre l’Ouverture et la Conscience définit un « style
d’apprentissage », la conscience décrivant l’application, la méthode, l’organisation et la persévérance que les personnes peuvent combiner avec une
manière convergente ou divergente (décrite par l’ouverture) d’aborder les
problèmes. Enfin, l’Agréabilité et la Conscience définissent un « style de
caractère » qui décrit l’interaction entre des comportements coopératifs versus
compétitifs et la valeur accordée au travail ou à la détente. Les styles de personnalité permettent une meilleure description de l’interaction dynamique
entre les dimensions de personnalité du modèle en cinq facteurs et permettent une meilleure compréhension de la manière dont la dimension
« Conscience » se manifeste dans les situations de travail.
Dans les procédures de sélection, les scores sont habituellement dérivés de
descriptions de soi qui peuvent favoriser la manifestation de biais de
réponses tels que l’autoduperie (la personne se trompe inconsciemment sur
elle-même) ou l’hétéro-duperie (la personne tente délibérément de tromper
l’évaluateur). Ces deux mécanismes se traduisent – dans des situations de
sélection – par des présentations positives de soi qui affectent les niveaux
des scores, mais il a été démontré que ces mécanismes n’affectent pas la
validité critérielle (Barrick et Mount, 1996). Par ailleurs, bien qu’il affectent
les niveaux des scores, ces mécanismes n’influencent pas de manière significative les corrélations entre les échelles de l’inventaire. Dans les situations
de sélection, les moyennes des scores peuvent – en effet – être de un demi à
un écart type plus élevées dans le sens de la désirabilité sociale et donc, il
vaut mieux quand cela s’avère possible disposer de normes spécifiques. Ces
biais d’autodescriptions sont probablement moins prononcés dans les
situations de bilan et de conseil dans lesquelles il est improbable que les
personnes tentent de donner une image positive d’elles-mêmes.
Pour terminer sur ce point, Piedmont, McCrae, Riemann et Angleitner (2000)
ont remis en question l’utilisation des échelles de validité dont l’emploi est
parfois préconisé pour corriger les scores biaisés ou pour identifier les protocoles invalides. Ils concluent que les échelles de validité ne prennent pas
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Lévy-Leboyer-2005 Page 178 Lundi, 12. décembre 2005 4:27 16
RH, LES APPORTS DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL
en considération les cas où des scores élevés sur ces échelles de validité
peuvent être obtenus alors que les protocoles ne sont pas réellement valides, ce qui limite leur utilisation ainsi que leur validité. Ils suggèrent que la
solution à ce problème est d’améliorer les conditions de passation de ce
type d’inventaire fondé sur l’auto-description plutôt que d’utiliser des échelles de validité. Par ailleurs, ces auto-descriptions peuvent être validées par
le recours aux évaluations fournies (à partir du même questionnaire) par les
collègues, les supérieurs et les subordonnés.
Les recherches en génétique du comportement ont montré que l’intelligence
a une base génétique substantielle qui explique entre 50 % et 70 % de la
variance. Pour des traits tels que le caractère consciencieux, les taux
d’héritabilité sont quelque peu inférieurs : entre 40 % et 60 %. La variance
complémentaire est attribuée en partie à l’environnement commun mais
surtout à l’environnement non partagé. L’influence de l’environnement commun (tous les facteurs communs aux membres d’une même famille) est limitée (entre 5 % et 10 %), tandis que l’environnement non partagé (les facteurs
propres au sujet) et l’erreur de mesure expliquent la majeure partie de la
variance non attribuée à une base génétique. De plus, il est désormais établi
que l’intelligence et les traits de personnalité ont une stabilité temporelle
considérable sur des intervalles temporels très importants (de la préadolescence à l’adolescence et l’âge adulte) et prédisent la réussite professionnelle
sur la durée de vie (Judge, Higgins, Thoresen, et Barrick, 1999). La mise en
évidence d’une forte base génétique et d’une importante stabilité temporelle de ces traits (aptitudes cognitives et traits de personnalité) implique
certainement des limites aux interventions possibles sur ces conduites,
mais une forte base génétique n’exclut aucunement l’intervention et le développement de l’efficience. Compte tenu des bases génétiques de ces conduites, les programmes de développement et de formation doivent débuter par
un effort très précis et très complet d’évaluation afin de définir les ressources maximales de la personne ainsi que ses performances typiques. Le programme de formation devrait se centrer tout spécialement sur l’interaction
entre les ressources disponibles (c’est-à-dire l’Aptitude Mentale Générale :
GMA) et les patterns comportementaux typiques (le caractère consciencieux
notamment). Durant le siècle passé, il a été clairement démontré que la performance maximale ne peut pas être accrue de manière substantielle. Mal178
© Groupe Eyrolles
FORMATION ET DÉVELOPPEMENT
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Méthodes d’évaluation
gré de considérables efforts dans les années 60 et 70, les programmes
d’intervention visant l’accroissement du QI ont échoué (Brody, 1992 ; Deary,
2000). En effet, les programmes d’intervention intensive se sont traduits par
des améliorations de la performance dans des tâches similaires, mais ces
effets ne se sont pas généralisés à des tâches légèrement différentes et par
ailleurs n’ont persisté que sur de courtes périodes.
Par conséquent, il faut faire porter les programmes de développement sur
l’interaction optimale entre les ressources maximales (aptitudes cognitives)
et les patterns de comportement typiques (traits de personnalité). Les renforcements (gratifications, récompenses) et les plans de carrière doivent
viser une mise en œuvre optimale des ressources de l’individu par une
action sur le comportement typique. Pour en revenir au caractère consciencieux, les plans de carrière et les feed-backs peuvent être conçus et programmés de manière à accroître la compétence perçue et la recherche de
réussite, en facilitant la réussite progressive dans des tâches et des missions
de difficulté croissante. Une telle démarche, procédant par étapes et par
niveaux, développe la motivation et la satisfaction au travail. Si l’accent est
mis sur le développement des composantes pro-actives (dynamiques) de la
dimension « Conscience », cela entraînera un accroissement de l’utilisation
des ressources disponibles et par conséquent de la performance au travail.
Les composantes inhibitrices de cette dimension peuvent, par ailleurs, être
développées au moyen de feed-back et de renforcements des conduites
désirables d’une part, ainsi que d’une tolérance-zéro des comportements
indésirables d’autre part. En conclusion, on peut souligner le rôle essentiel
de l’évaluation qui occupe une place centrale dans le développement personnel et les plans de carrière.
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