Les maladies rares ne peuvent être négligées

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Cette page Magazine santé
est réalisée en collaboration
avec l’Hôpital du Jura et le
Service cantonal de la santé
publique.
Les maladies rares
ne peuvent être négligées
V ÉTAT DES LIEUX Les maladies orphelines ne sont pas faciles à diagnostiquer. Rencontre avec le Dr Jean-Claude
Minet, spécialiste en neurologie pédiatrique, médecin-chef du Service de pédiatrie de l’Hôpital du Jura
P
d’entre elles des traitements appropriés existent. Aujourd’hui, des médicaments spécifiques ou des régimes alimentaires substitutifs permettent d’avoir une plus longue espérance de vie, voire même de
contrôler l’évolution de la maladie
pendant toute la vie du patient. «Afin
que ces traitements soient vraiment
efficaces, il faut idéalement diagnostiquer la cause de la maladie le plus
tôt possible.»
ar le terme «maladies rares»,
on définit un groupe hétérogène constitué d’innombrables pathologies. Elles ne
concernent que très peu de personnes,
moins de 1 sur 2000. Ces maladies,
très diverses, sont aussi qualifiées d’orphelines, car dans plusieurs cas aucun
traitement spécifique n’existe.
Des pathologies souvent
pédiatriques
Ces pathologies se manifestent en
majorité au cours de la première enfance. «Mon intérêt pour le suivi médical des patients atteints de maladies rares remonte à mes années de formation en médecine. Les maladies rares
font partie du cursus universitaire
d’un pédiatre et cet intérêt a grandi
pendant ma spécialisation en neurologie pédiatrique», explique le docteur
Jean-Claude Minet, spécialiste en neurologie pédiatrique, médecin-chef du
Service de pédiatrie de l’Hôpital du
Jura. Au contraire des autres organes
qui, à la naissance, sont déjà formés, le
cerveau, en pleine évolution durant les
deux premières années de la vie, reste
extrêmement sensible et dépendant
d’une multitude de facteurs. «Le moindre défaut génétique se traduit le plus
souvent par une manifestation neurologique», note le spécialiste. Au-delà
du cerveau, ceci n’empêche pas la maladie d’évoluer vers d’autres organes
tels les reins, les poumons, voire les
yeux.
Certaines de ces pathologies se décèlent dès la petite enfance, d’autres apparaissent plus tardivement. «Des études sur les adultes en état de coma démontrent clairement que ces maladies
peuvent survenir bien au-delà de l’enfance et apparaître à l’âge adulte.»
C’est le cas, par exemple, d’un défaut
au niveau d’enzymes ou de mitochondries. Un stress, une infection et bien
d’autres causes ou facteurs déclenchant peuvent induire une décompensation chez des patients qui, jusque-là,
ne présentaient pas de symptômes.
Avoir le réflexe de penser
à la rareté
«En me basant sur la centaine de cas
que je traite actuellement, si je devais
résumer en une phrase la difficulté à
diagnostiquer une maladie rare, ce se-
Un travail d’équipe
Chaque maladie rare entraîne son parcours du combattant, long et épuisant pour les patients, les parents et les médecins.
rait: il faut y penser.» En raison de la
rareté, le diagnostic n’est pas toujours facile à poser.
Les médecins, avec la collaboration des parents, jouent un rôle important dans la détection d’un cas.
Ce sont eux qui gardent un regard attentif sur l’état de santé des enfants,
surveillent à la fois leur croissance,
leur poids, la qualité et la durée de
leur sommeil, ainsi que l’appétit et
leur état émotionnel. De même, le
pédiatre ou le médecin généraliste
doit être très vigilant face à des
symptômes inhabituels et apprécier
de façon critique une réponse non
prévue à un traitement, par rapport
aux résultats généralement attendus.
«Les maladies orphelines sont cachées et, souvent, elles se dévoilent
en ne répondant pas aux traitements
habituels», précise le spécialiste.
Plusieurs de ces maladies orphelines n’invalident pas à 100% la fonction du gène touché, de sorte que les
FLa phénylcétonurie
Cette maladie rare, provoquée par le défaut d’un enzyme empêchant la
transformation normale de l’acide aminé essentiel phénylalanine, entraîne une atteinte progressive du cerveau et des cellules nerveuses chez les
enfants non traités. La conséquence est un retard mental sévère. Un dysfonctionnement de l’enzyme peut survenir à l’âge adulte et provoquer
un manque de concentration, une baisse des performances, une nervosité, voire de l’épilepsie. «Le traitement de la phénylcétonurie consiste essentiellement à réduire au maximum l’apport de phénylalanine avec l’ingestion d’aliments spéciaux et des compléments alimentaires dédiés.
Quand la phénylcétonurie est traitée dès la naissance, l’enfant se développe normalement», confirme le Dr Minet.
Autrefois, les enfants atteints de phénylcétonurie étaient condamnés.
Aujourd’hui, grâce à un diagnostic précoce, suivi d’un régime stricte et la
prise des compléments alimentaires, le malade peut grandir, poursuivre
des études et devenir un adulte comme les autres.
En Suisse, l’accès à la thérapie est assuré jusqu’à 20 ans par une prise en
charge par l’AI. Par la suite, les autres assurances doivent prendre le relais
et là, la situation se complique. MP
14 | Mercredi 4 avril 2012 | Le Quotidien Jurassien
symptômes peuvent se diluer sur un
temps relativement long. L’aggravation suivra plus tard, avec des répercussions importantes sur le développement de l’enfant, qui subsisteront
à l’âge adulte. «Une fois les symptômes reconnus, les pédiatres généralistes, en lien étroit avec les spécialistes, nous envoient ces cas. C’est à ce
moment-là que nous pouvons agir,
en mettant en place des examens
spécifiques, visant à identifier la cause des symptômes, puis en instaurant un traitement adéquat.» L’objectif est plutôt pragmatique: il s’agit
de détecter les maladies pour lesquelles il existe un traitement.
Jouer contre la montre
Pour une grande partie des maladies rares, des méthodes de diagnostique existent et permettent de déterminer assez aisément la cause. Mais
ces tests, parfois même courants, représentent souvent une épreuve
pour l’enfant et aussi pour les parents. Leur rôle est cependant fondamental. «Alors que tous les parents
acceptent un examen d’IRM ou un
prélèvement de liquide céphalorachidien quand leur enfant est hospitalisé en urgence en état de coma,
certains refusent les mêmes examens, voire une simple prise de
sang, lorsque leur enfant est encore
en bonne santé.» Ce refus n’a rien
d’étrange. Il est en effet difficile pour
des parents de concilier la lourdeur
des examens avec une manifestation
encore assez timide d’une maladie
qui peut progresser lentement mais
inexorablement.
«Si je demande tous ces efforts
aux parents, c’est uniquement pour
donner une meilleure chance de traitement à leur enfant», explique le Dr
Minet. Si certaines maladies orphelines ne peuvent être traitées faute de
médicaments adaptés, il n’en demeure pas moins que pour plusieurs
Dépistage chez l’enfant
Depuis 40 ans, on dispose en Suisse d’un dépistage néonatal pour de
nombreuses maladies métaboliques congénitales,
communément
appelé
«test de Guthrie» d’après
le nom du médecin américain Robert Guthrie, père
des tests de masse chez les
nouveau-nés.
Test de routine
Guthrie, concerné personnellement par deux cas
de phénylcétonurie dans
sa famille (une maladie
rare bien connue qui entraîne un retard consé-
quent du développement
de l’enfant si elle n’est pas
traitée), développa un test
particulièrement simple et
bon marché, effectué au
quatrième jour de vie.
Depuis 2005, ce test
s’applique de routine sur
les nouveaux-nés du canton. Centralisés auprès de
la clinique pédiatrique universitaire de Zurich, les résultats de ce diagnostic
précoce permettent une intervention adéquate et rapide en cas de détection
d’une maladie orpheline
couverte par ce dépistage.
MP
DR
Les patients atteints de maladies
rares demandent un effort d’équipe
et un travail de coordination considérables au corps médical. Pédiatres,
médecins généralistes, spécialistes
de différents domaines ainsi que des
généticiens, sont indispensables
pour dénicher la cause des symptômes de maladies rares. Le travail des
psychologues est aussi important
pour soutenir l’enfant et les parents
durant tout le suivi, souvent long.
A cela s’ajoute un travail bureaucratique considérable et parfois fastidieux de la part du médecin spécialiste. Il doit justifier, auprès des assurances, la coûteuse et lourde prise en
charge des examens et des traitements pour chaque patient. «Bien
que je n’aie pas connu de refus jusqu’à présent, ce travail administratif
monopolise beaucoup de temps médical.»
Dans des situations particulières,
en raison de leur rareté, certains examens diagnostiques ou traitements
ne sont même pas disponibles en
Suisse, voire en Europe. La rareté a
aussi des répercussions sur les coûts
de prise en charge, qui peuvent s’élever à plusieurs dizaines de milliers
de francs par patient et par année.
«Derrière ces frais, se pose la problématique d’un choix de société, un
acte de solidarité sociale en somme.
En tant que médecin, mon métier
consiste à soigner le patient avec
tous les moyens accessibles.» Il ne
faut jamais oublier que derrière chacun des ces patients atteints d’une
maladie rare, il y a un enfant avec
son sourire, sa sérénité, sa possibilité de jouer et de vivre harmonieusement avec les autres.
MARCO PRUNOTTO
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