
N°123 - Mars 2012
asbl
En ces premières journées
de printemps, j’oscille
entre optimisme et pessi-
misme. Année 2012: dixième
anniversaire de la loi relative
à l’euthanasie. Avec le recul,
je me rends compte combien
nous avons été bien inspi-
rés de jeter toutes nos forces dans le débat par-
lementaire après la formation du gouvernement
arc-en-ciel en 1999!
Lorsque je lis certains témoignages de proches de
personnes ayant bénéfi cié de l’euthanasie ou en-
core les quelques mots qu’écrivent les médecins
à la fi n de leur déclaration adressée à la commis-
sion euthanasie, je ressens toujours une sacrée
émotion : ce combat a permis à plus de 5.000 pa-
tients depuis l’entrée en vigueur de la loi le 22
septembre 2002 de choisir cette mort digne.
Le fi lm « Tot altijd » reprenant l’histoire de Mario
Verstraete, qui fut le premier à pouvoir bénéfi-
cier de cette loi, me rappelle aussi certains épi-
sodes tantôt pénibles, tantôt enthousiasmants de
ce débat. Mario fut le seul patient en chair et en
os à s’exprimer devant les commissions réunies
de la justice et des affaires sociales du Sénat. Et
il eût à affronter les discours habituels de ceux
qui considèrent que la vie n’appartient pas à
l’homme. « Quel exemple il donne ainsi à tous
les patients atteints de la sclérose en plaques ! ».
C’est oublier que chaque cas est unique. Et c’est
aussi une attitude bien peu empathique que de
vouloir culpabiliser une personne qui fait ce choix.
Mario eût aussi à tenir compte de la tristesse de
ses parents qui ne comprenaient pas que leur fi ls
les quitte. Ce fut sans doute sa plus lourde tâche
sur le plan émotionnel.
Mario dévorait la vie à pleines dents. Jusqu’à son
dernier souffl e, il a témoigné de son amour de
la vie. Mais aussi de sa détermination à décider,
sans que quiconque puisse lui imposer une autre
voie, le moment de quitter cette vie qui peu à peu
perdait tout sens pour lui. Sa seule concession fut
d’accepter d’attendre que la loi entre en vigueur
pour ne pas mettre en danger ses médecins.
Mario est resté vivant dans nos mémoires. Et son
souvenir s’imposait en moi lorsque j’écoutais, ces
derniers jours, les discours des « pro life » qui en-
tendent imposer leur propre morale à la terre en-
tière et qui usurpent des mots tels que « le respect
pour tous » et « une chance pour une société plus
humaine ». Je n’ai pas de place dans la société
du passé qu’ils entendent nous imposer, une so-
ciété où la femme n’aurait aucune maîtrise sur
son propre corps, une société où des personnes,
envahies par des souffrances physiques ou psy-
chiques causées par une maladie incurable ou un
accident, seraient condamnées à vivre. Et je suis
frappée par leurs discours culpabilisants. Non, il
n’y aucune lâcheté à vouloir construire un projet
parental à un moment choisi et de renoncer à une
grossesse non désirée. Non, il n’y a aucune lâche-
té à vouloir mourir debout. Pour beaucoup d’entre
nous, nous n’avons aucun espoir dans un au-de-
là. C’est maintenant que nous devons profi ter de
notre vie. C’est notre choix de vouloir la ponctuer
de ce dernier acte de la vie, notre mort, selon nos
propres conceptions.
Et pour ceux qui d’entre nous ont l’espérance
d’une autre vie, quelle est la raison pour laquelle
ils seraient contraints à souffrir ? Le discours de
la souffrance rédemptrice appartient à un triste
passé. Jean-Marie Tesmoingt fait partie de ceux
qui croyaient qu’il y avait autre chose après la
mort. Il sera enterré religieusement ce 28 mars
après, comme il l’a déclaré au journaliste Frédéric
Soumois, avoir connu l’enfer. Parce que des per-
sonnes lui refusaient d’accéder à sa demande
d’euthanasie. Parce que des personnes ont eu
une attitude indigne, je serais tentée de dire, peu
chrétienne. Doté d’une grande force de caractère,
il s’est battu jusqu’au bout pour obtenir l’eutha-
nasie. Combien d’autres personnes n’ont plus
cette force ?
Mario, je lève un verre de vin à toi ! Tu vois, nous
continuons le combat !
Jacqueline Herremans
Éditorial