Droit public des affaires - 4e édition

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INTRODUCTION GÉNÉRALE
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Lien originel et structurant entre l’État et l’économie. – Qu’il soit libéral ou
qualifié d’interventionniste, l’État s’est construit sur la maîtrise de l’économie, a
assuré de tout temps un rôle de gardien du bon fonctionnement du marché et s’est
parfois même octroyé des prérogatives plus dirigistes. Le monde des affaires est par
nature lié à l’État, n’en déplaise aux plus libéraux d’entre nous. Le danger tient
précisément à la négation de ce lien historique et structurant. Admettre le lien, quelles que soient l’époque et la doctrine économique dominante, autorise au contraire
à l’encadrer juridiquement. Et de l’encadrement juridique de l’action de l’État sur
l’économie procèdent à la fois la définition des principes d’action et d’abstention de
l’autorité publique et la détermination précise des instruments dont il peut faire
usage. C’est l’objet du droit public des affaires.
SECTION I
DÉFINITIONS ET CHAMP D’ÉTUDE
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Définition du droit public des affaires. – Le droit public des
affaires peut se définir comme le droit des relations entre l’administration et les
opérateurs économiques. L’intitulé volontairement large de cet ouvrage repose sur
deux considérations. Un souci de modernité, tout d’abord, sur lequel on ne s’attardera
pas. Une véritable préoccupation de redéfinition de l’articulation des matières impliquant les personnes publiques et les opérateurs économiques, ensuite, préoccupation
qui nécessite une justification. La discipline du droit public des affaires doit être
appréhendée au regard des différents types de relations qu’entretient l’État avec les
opérateurs économiques. Il existe trois positions de l’administration vis-à-vis des
opérateurs économiques, trois corpus de règles constituant le droit public des affaires.
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Trois positions de l’administration. – En premier lieu, l’État1 peut intervenir
comme autorité publique et réglementer, influencer, orienter, diriger ou protéger le
■ 1. Ou les autres autorités publiques. Voir sur ce thème E. DUBOUT, « Les formes publique et privée de
l’État. Essai de modélisation à l’aune du droit européen de la concurrence », DA déc. 2013, Étude nº 17, p. 10.
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DROIT PUBLIC DES AFFAIRES
marché et ses opérateurs économiques. L’État administre l’économie et apparaît
comme une autorité publique extérieure au marché auquel il imprime sa volonté.
En deuxième lieu, l’État est lui-même fournisseur de biens et de services sur le
marché pour des raisons tenant à la présence d’un service public, à l’existence
d’opérateurs publics historiques, ou simplement pour se procurer des ressources.
C’est la situation dans laquelle l’État est offreur de biens et de services sur le marché. En troisième lieu, l’État est amené à collaborer avec les opérateurs économiques, pour satisfaire directement ses besoins ou plus indirectement un besoin d’intérêt général en faveur de sa population. Il est alors en position de demandeur sur le
marché. De ces trois situations émergent trois figures de l’État : l’État régulateur de
l’économie ou État prescripteur, l’État opérateur économique, l’État collaborateur
avec les opérateurs économiques.
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Trois corps de règles. – À chaque position de l’État vis-à-vis du monde des
affaires correspond un corps de droit, un régime juridique particulier. La régulation
de l’économie renvoie aux prérogatives de l’État pour limiter, encadrer l’accès au
marché, définir sa structure, réglementer son fonctionnement, préserver son caractère concurrentiel et aider les opérateurs. L’intervention publique sur le marché est
réglée par le régime juridique applicable au secteur public composé d’entreprises
publiques. Enfin, la collaboration économique entre les personnes publiques et les
opérateurs est régie par le droit de la commande publique au sens large. Ces différents thèmes, bien que liés par certains principes communs de l’action des personnes publiques sur l’économie, sont néanmoins soumis à des problématiques juridiques distinctes.
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Champ d’étude. – Le droit public économique au sens strict, tel qu’il est
enseigné dans les facultés de droit, regroupe les deux premières situations. Il traite
des modalités d’administration de l’économie et du droit des entreprises publiques.
Le droit public des affaires recouvre le droit public économique tel que l’on vient de
le définir et le droit de la commande publique. Il est le droit de l’ensemble des relations qu’entretiennent les personnes publiques avec les opérateurs économiques et
traite donc de l’ensemble des situations dans lesquelles les personnes publiques peuvent se trouver : autorité extérieure au marché, offreur ou demandeur sur le marché.
Le droit public des affaires regroupe les trois corps de règles précédemment décrits.
SECTION II
6
ESQUISSE D’UNE THÉORIE GÉNÉRALE
DU DROIT PUBLIC DES AFFAIRES
Problématique. – L’objectif de cet ouvrage est de tenter,
d’une part, de déterminer avec précision les grands principes guidant l’action des
personnes publiques sur le marché et, d’autre part, d’identifier les différentes prérogatives des autorités publiques vis-à-vis des acteurs économiques, ainsi que leur
régime.
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
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Deux principes antagonistes. – Le droit administratif est bâti sur de subtils
équilibres, des dialectiques mouvantes, et le droit public des affaires n’y échappe
pas. En effet, on peut affirmer que les droits et obligations de l’État vis-à-vis des
opérateurs économiques reposent sur la confrontation de deux principes : un principe d’action et un principe d’abstention. Le principe d’action est lui-même fondé
sur deux objectifs. D’une part, il s’agit de diriger, d’orienter, d’inciter l’action des
opérateurs économiques et, d’autre part, il s’agit de prendre toute mesure pour préserver et protéger le bon fonctionnement du marché. Le principe d’abstention est
guidé par le souci de ne pas déséquilibrer les rapports de force du marché qui doivent pouvoir jouer librement, sans intervention extérieure.
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Deux idéologies conciliées. – L’opposition de ces deux principes en droit
public des affaires n’est que le reflet de deux idéologies qui s’affrontent, la doctrine
libérale, d’une part, et la doctrine interventionniste, d’autre part. Toutefois, il faut se
garder de faire coïncider strictement la doctrine libérale avec le principe d’abstention et la doctrine interventionniste avec le principe d’intervention. En effet, on a
vu que le principe d’intervention se divisait lui-même en deux volets. Il apparaît
que le second volet, l’action des pouvoirs publics en vue de la protection du bon
fonctionnement du marché, est revendiqué par les thèses libérales, qui commandent
que l’État s’abstienne de toute intervention directe sur le marché mais qui appellent
tout de même les pouvoirs publics à s’assurer que les opérateurs respectent les
règles du marché. Les deux idéologies semblent s’accommoder depuis quelque
temps autour de l’idée que l’État doit s’abstenir d’intervenir trop directement,
mais qu’il doit être présent pour inciter, orienter et préserver le marché par la
conjonction et l’utilisation d’instruments multiples. On parle alors d’État régulateur. Il est admis que l’État mène une véritable politique économique, mais cette
politique ne peut être relayée que par des instruments procédant de l’incitation plus
que de la contrainte, de la surveillance et de la préservation du marché plutôt que de
son strict encadrement. L’État régulateur s’exprime moins par des moyens d’action
directe sur l’économie (dirigisme) que par l’utilisation de leviers efficaces.
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Droits et libertés économiques. – Les principes d’intervention et d’abstention
sont relayés par des droits et des libertés propres au monde économique. Les libertés telles que la liberté d’établissement, la liberté d’entreprendre, la libre concurrence ou encore la liberté du commerce et de l’industrie jouent comme une fédération de libertés économiques au service du principe d’abstention. Elles sont en effet
invoquées par les opérateurs à l’encontre des contraintes directement imposées par
les pouvoirs publics à leur activité économique ou indirectement induites par les
décisions administratives. La consécration du principe d’intervention est plus délicate à saisir. Peu de textes le traduisent expressément et directement. Tout au plus
peut-on citer le principe des nationalisations issu de l’alinéa 9 du Préambule de
1946, ou se référer, en droit communautaire, à l’article 345 TFUE consacrant la
neutralité de l’Union vis-à-vis du régime de la propriété dans les États membres,
interprétée comme légitimant la présence d’opérateurs publics sur le marché. Mais
le principe d’abstention peut en réalité être appréhendé en négatif à partir des limites aux libertés économiques, ou à travers l’interprétation permissive en faveur de
l’autorité publique, que font les juridictions compétentes de ces mêmes libertés
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DROIT PUBLIC DES AFFAIRES
économiques. Le principe d’intervention trouve également une consécration dans
l’obligation faite aux autorités publiques de réprimer les atteintes à la libre concurrence, et plus généralement d’assurer un rôle de gardien et de garant du bon fonctionnement du marché, obligation qui semble progressivement affirmée.
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Moyens de l’administration. – Le principe d’intervention et le principe d’abstention trouvent également une expression concrète dans les moyens utilisés par les
personnes publiques pour les mettre en œuvre. Ainsi, le principe d’intervention
passe d’abord par la création d’institutions ayant un rôle de régulation de l’économie, que ces institutions relèvent directement du pouvoir central, des collectivités
territoriales, ou qu’il s’agisse d’autorités de marché, ou encore d’organismes indépendants à statuts variables jouant un rôle de conseil, d’encadrement ou d’organisation de certaines professions. Le principe d’intervention s’exprime ensuite par
l’adoption d’une réglementation économique au sens large (lois, règlements, décisions). Ces réglementations peuvent avoir directement un objet économique et s’inscrivent alors dans une politique de dirigisme économique. Elles peuvent aussi (et
c’est de plus en plus souvent le cas) ne comporter qu’un effet économique, qu’une
incitation aux opérateurs à orienter leur comportement. Ce sont les leviers de l’économie. Enfin, l’intervention publique peut passer par la constitution d’opérateurs
du secteur public ou par une politique de prises de participation au capital d’opérateurs privés mûrement réfléchie. Les moyens de l’abstention par définition sont
plus délicats à cerner. On peut néanmoins citer l’obligation faite aux autorités
publiques de ne pas fausser le jeu concurrentiel par leurs actions ou décisions, ou
encore la politique de désengagement de l’État dans les entreprises publiques.
11
Nécessité d’un perfectionnement du cadre juridique. – Indéniablement, les
principes d’intervention et d’abstention mériteraient d’être mieux définis et mieux
encadrés par le droit. La frontière entre ces deux principes souffre d’une véritable
imprécision, laquelle constitue la principale faiblesse du droit public des affaires. Il
revient souvent au juge de dire si telle ou telle réglementation ou action dépasse les
limites acceptables de l’interventionnisme, en l’appréciant au regard d’une liberté
économique dont l’interprétation est souvent sujette à fluctuations. Mais en même
temps et très paradoxalement, ces fluctuations constituent la force du système du
droit public des affaires en France, car elles sont à l’origine de la très grande longévité du mode de fonctionnement des relations entre l’administration et les opérateurs économiques, la dialectique du principe d’abstention et du principe d’intervention s’étant accommodée à la fois des périodes interventionnistes et des
périodes libérales.
Cependant, une réflexion sur le juste équilibre entre ces principes, traduisant
l’idée d’un État régulateur, doit être menée. Cette réflexion pourrait passer par
une recherche sur le thème des obligations de l’État vis-à-vis du marché. Aussi
bien le principe d’intervention que le principe d’abstention reposent aujourd’hui
sur un pouvoir discrétionnaire des autorités publiques quant au choix de l’action.
Elles ont la faculté d’intervenir, mais elles en ont rarement l’obligation. Or on a dit
que l’État était appelé à jouer un rôle de préservation du marché, de garant de son
fonctionnement et de gardien de son caractère concurrentiel. Cette évolution
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
appelle irrémédiablement la définition d’obligations d’action et la détermination
précise des événements qui les déclenchent.
Une redéfinition juridique des principes d’intervention et d’abstention en dehors
des libertés économiques qui les sous-tendent constituerait sans doute une étape
marquante du droit public des affaires. En effet, si l’on résume la situation actuelle,
on se rend compte que les autorités publiques peuvent choisir n’importe quel type
d’instrument juridique pour contraindre l’opérateur économique (réglementation,
mécanisme d’autorisation préalable, incitation fiscale, aide, sanction, institution
d’une autorité de marché à champ d’intervention large, etc.) et que le mécanisme
ainsi mis en place est seulement jugé au regard de l’atteinte plus ou moins importante qu’il comporte pour les libertés économiques. Peut-être faudrait-il que le droit
encadre les situations dans lesquelles tel ou tel instrument peut être utilisé, qu’il
évalue les différentes obligations que cet instrument peut mettre à la charge des
opérateurs, etc. Peut-être faudrait-il aussi que le droit détermine avec précision
quelles sont les caractéristiques que doit revêtir une profession ou un marché pour
faire l’objet d’un encadrement par la puissance publique. Surtout, quand faut-il que
l’autorité publique intervienne sur l’économie, quels sont les événements qui doivent placer l’administration en situation de compétence liée pour faire usage de ses
instruments ?
SECTION III
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SPÉCIFICITÉS DU DROIT PUBLIC
DES AFFAIRES
Confrontation entre le modèle français et le modèle communautaire. – La spécificité la plus marquante de l’analyse du droit public des
affaires reste la confrontation de plus en plus vive entre le modèle français et le
modèle communautaire. Lorsque les autorités publiques sont en situation d’administration de l’économie, le droit français admet assez largement les réglementations contraignantes imposées aux opérateurs économiques. Le principe semble
être celui d’un interventionnisme rationalisé. Le droit communautaire est fondé
sur le principe inverse, fortement imprégné d’une doctrine libérale. En droit communautaire, comme on le verra, chaque contrainte économique doit d’abord être
fondée sur un objectif précis, contrôlé, et ne tenant pas à des considérations économiques. Ensuite, les moyens utilisés par l’autorité publique doivent être strictement
proportionnés à l’objectif à atteindre. En droit français, l’appréciation est beaucoup
plus souple et l’on s’assure seulement que le mécanisme institué n’entrave pas une
liberté économique. Lorsque les personnes publiques créent des opérateurs économiques publics, le droit communautaire est encore plus rigoureux. Il porte une
contestation du statut public des entreprises publiques, voire même de l’actionnariat
public. Quant à la politique d’ouverture des réseaux à la concurrence, on peut dire
qu’elle a véritablement bouleversé le modèle français reposant jusqu’alors sur un
opérateur à statut public, verticalement intégré et détenteur d’un monopole national. Enfin, il n’est nul besoin de s’étendre, en matière de collaboration entre
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DROIT PUBLIC DES AFFAIRES
autorités publiques et opérateurs économiques, sur la confrontation perpétuelle
entre le droit communautaire de la commande publique et les textes français.
L’un des enjeux majeurs du droit public des affaires dans les années à venir sera
précisément de s’adapter au modèle communautaire, à moins que l’Union européenne n’adopte elle-même un modèle d’administration de l’économie plus continental et moins anglo-saxon.
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Intérêt général économique. – La deuxième spécificité du droit public des
affaires est précisément son fondement, sa raison d’être, qui tient à ce que la préservation et la direction de l’économie constituent des composantes de l’intérêt
général. C’est l’intégration de préoccupations et d’impératifs économiques dans
l’intérêt général qui génère une branche économique du droit public et qui justifie
l’intervention des pouvoirs publics. On a en effet pu constater que le Conseil d’État
qualifiait, par exemple, les règles de la concurrence de « but d’intérêt général »2 et
qu’il avait jugé que « l’existence d’une situation de concurrence effective sur le
marché » était « d’intérêt public »3. Le motif économique peut ensuite constituer
un motif régulier d’une décision administrative4, ou d’une loi de validation5. Dans
certains cas il doit constituer le motif d’une décision administrative6. En droit français, le développement économique a même été érigé en service public7.
Comme toutes les composantes de l’intérêt général en droit français, les impératifs économiques doivent être conciliés avec d’autres intérêts ou objectifs. Par
exemple, à propos de la détermination du nombre de licences accordées dans le
cadre d’une profession réglementée, le juge administratif a pallié la carence des
textes sur ce point en décidant que les autorités « doivent fixer ce nombre en tenant
compte, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, des besoins de la population, des conditions générales de la circulation publique et des équilibres économiques de la profession »8. Lors de l’examen de la légalité du décret sur l’occupation
des plages à titre économique, ont été conciliés la protection du littoral, les intérêts
économiques et le développement du tourisme9.
C’est aussi l’opération de conciliation des diverses composantes de l’intérêt
général, dont l’intérêt du développement économique, qui légitime certaines
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2. CE 10 avr. 2002, Somatour, CMP 2002, nº 148, note Ph. DELELIS, JCP G 2002, I, p. 169, note
S. BRACONNIER.
3. CE 21 févr. 2005, Fédération nationale UFC Que Choisir, nº 277442.
4. Voir le recensement effectué par G. CLAMOUR, JCP A 2007, nº 44-45. CE 10 mai 1985, SA Boussac
Saint-Frères, Rec. p. 145, AJDA 1985, p. 434, concl. CAZIN D’HONINCTHUN, RFDA 1986, p. 74, note
H.-G. HUBRECHT et G. MELLERAY ; CE 30 déc. 1998, Sté laitière Bellevue, Rec. p. 777 ; CE 2 juill. 1999,
Cne Volvic, RFDA 1999, p. 1185, note R. HOSTIOU ; CE 6 févr. 2006, Cne Lamotte-Beuvron, AJDA 2006,
p. 775, concl. C. DEVYS. Dans certains cas, le motif économique est strictement interdit CE Sect. 25 janv.
1991, Brasseur, JCP G 1991, II, 21654, note J. MOREAU, RFDA 1991, p. 372 : pas de limitation du commerce ambulant pour préserver les commerçants sédentaires.
5. CC nº 96-375 du 9 avr. 1996.
6. En matière d’aides locales, il a été jugé que l’opération bénéficiant d’une garantie devait répondre à
un intérêt général économique (CE 5 mars 1997, Ville de Nice, nº 169753).
7. CE 25 janv. 2006, Cne de la Souche, nº 284878.
8. CE 27 juin 2007, Synd de défense des conducteurs du taxi parisien, DA août-sept. 2007, nº 129, note
M. BAZEX et S. BLAZY.
9. CE 14 avr. 2008, Fédération nationale des plages restaurants, nº 298810.
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
atteintes au bon fonctionnement du marché, au nom d’autres impératifs d’intérêt
général. C’est aussi la dimension supérieure d’un intérêt général économique qui
distingue le droit public du droit privé des affaires. Au-delà de l’intérêt des opérateurs économiques et des relations qu’ils entretiennent entre eux, il existe un intérêt
supérieur, qui est celui de l’économie tout entière, lui-même devant être concilié
avec d’autres composantes de l’intérêt général. Pour simplifier, on peut dire que
le droit privé des affaires règle les relations entre opérateurs économiques et que
le droit public des affaires manifeste cette dimension supérieure.
La difficulté tient alors essentiellement à ce que le droit communautaire n’admet
pas que l’intervention publique puisse être fondée sur des motifs économiques de
direction du marché. La tradition libérale exclut le motif économique des considérations d’intérêt général. Par exemple, dans la procédure d’infraction qui avait été
lancée contre la France10 à propos de la réglementation française sur l’urbanisme
commercial, la Commission estimait que celle-ci était fondée en grande part sur des
considérations économiques et n’était pas justifiée et proportionnée aux objectifs
d’intérêt général poursuivis. Des motifs de politique économique ne peuvent être
invoqués pour fonder l’institution d’une action spécifique au moment de la privatisation d’une entreprise publique11. Des objectifs économiques ne peuvent constituer des raisons d’ordre public, au sens de l’article 52, TFUE susceptibles de justifier des atteintes aux grandes libertés économiques protégées par le Traité12. Des
considérations d’ordre public économique, comme la régulation ou la protection
d’un marché ou d’une catégorie d’opérateurs, ne peuvent constituer des raisons
impérieuses d’intérêt général en droit communautaire13. Très paradoxalement, la
Cour a admis à plusieurs reprises que les États membres étaient légalement en
droit d’utiliser les entreprises, notamment du secteur public, en tant qu’« instrument
de politique économique »14. C’est même précisément l’objet de l’article 106 § 2
TFUE, prévoyant une exemption des règles du Traité en faveur des entreprises
chargées d’un service d’intérêt économique général. Dès lors, ni l’Europe ni la
France ne pourront faire l’économie d’une réflexion sur l’existence d’un intérêt
général économique justifiant l’action des pouvoirs publics, sauf à faire perdre
aux États désireux d’orienter leur économie les moyens de leur politique.
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Absence d’autonomie. – La troisième spécificité du droit public des affaires est
précisément qu’il est de moins en moins autonome par rapport aux autres branches
du droit public15. Le juge administratif interprète et applique les libertés
■ 10. Comm. UE 13 déc. 2006, communiqué IF/06/1794.
■ 11. CJCE 2 juin 2005, Commission c/Italie, aff. C-174/04.
■ 12. CJCE 26 avr. 1988, Bond van Adverteerders, aff. C-352/85 ; CJCE 25 juill. 1991, Gouda, aff. C288/89.
■ 13. Motifs de nature économique CJCE 5 juin 1997, Ypourgos Ergasias, aff. C-398/95, lutte contre la
concurrence déloyale des entreprises de bâtiment à main-d’œuvre moins onéreuse, CJCE 25 oct. 2001,
Finalarte Sociedade de Construçao Civil, aff. C-49/98.
14. CJCE 19 mars 1991, France c/Commission, aff. C-202/88, point 12 et CJCE 23 oct. 1997, Commission c/France, aff. C-159/94, point 55.
15. Sur ce thème très discuté en doctrine, voir C. CHAMPAUD, « Contribution à la définition du droit
économique », D. 1967, chron. p. 215 ; B. CUBERTAFOND, « Pour une approche du droit : l’exemple du
DPE », Rev. adm. 1982, p. 499, « Du droit au mythe : l’exemple du droit économique français », Rev. adm.
1988, p. 541 ; A. DE LAUBADÈRE, « Existe-t-il un droit administratif économique ? », RD prosp. 1976,
■
■
15
DROIT PUBLIC DES AFFAIRES
économiques comme d’autres libertés publiques. Sont applicables en droit public
des affaires les droits et libertés traditionnels du droit public, comme le principe
d’égalité, la transparence, la liberté contractuelle, le droit de propriété. Le raisonnement adopté par le juge administratif en présence de faits économiques ne diffère
pas véritablement de ce que l’on rencontre en droit administratif général, si ce n’est
que le juge administratif appréhende parfois les considérations économiques à
l’aide de concepts propres à l’analyse économique. Il s’agit là d’une appréciation
quelque peu particulière de motifs de fait, mais s’insérant dans un raisonnement
plus global propre au droit administratif. Enfin, la marge de manœuvre plus large
que l’on attribuait parfois à l’administration en matière économique est en voie de
résorption, le juge administratif s’inscrivant depuis quelques années dans la voie
d’un renforcement de son contrôle16.
SECTION IV
15
PLAN DE L’OUVRAGE
Trois parties. – Aux trois situations des personnes publiques
vis-à-vis des opérateurs économiques correspondent les trois parties de cet ouvrage.
Seront abordées successivement la régulation de l’économie (Partie I), la participation au marché (Partie II) et la collaboration avec les opérateurs économiques (Partie III).
■ S.
BIBLIOGRAPHIE
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16. CE 27 juin 2007, Synd. de défense des conducteurs du taxi parisien, DA août-sept. 2007, nº 129,
note M. BAZEX et S. BLAZY, interprété comme le passage à un contrôle normal dans le domaine économique. Voir également par exemple, en matière de sanctions professionnelles, le Conseil d’État a finalement opéré une généralisation du contrôle normal sur la proportionnalité de la sanction par rapport au
manquement professionnel constaté, dans l’arrêt de section du 22 juin 2007, ARFI, RFDA 2007, p. 1199,
concl. GUYOMAR.
■
16
INTRODUCTION GÉNÉRALE
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17
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