INTRODUCTION GÉNÉRALE
1 Lien originel et structurant entre lÉtat et léconomie. Quil soit libéral ou
qualifié dinterventionniste, lÉtat sest construit sur la maîtrise de léconomie, a
assuré de tout temps un rôle de gardien du bon fonctionnement du marché et sest
parfois même octroyé des prérogatives plus dirigistes. Le monde des affaires est par
nature lié à lÉtat, nen déplaise aux plus libéraux dentre nous. Le danger tient
précisément à la négation de ce lien historique et structurant. Admettre le lien, quel-
les que soient lépoque et la doctrine économique dominante, autorise au contraire
àlencadrer juridiquement. Et de lencadrement juridique de laction de lÉtat sur
léconomie procèdent à la fois la définition des principes daction et dabstention de
lautorité publique et la détermination précise des instruments dont il peut faire
usage. Cest lobjet du droit public des affaires.
SECTION I DÉFINITIONS ET CHAMP DÉTUDE
2 Définition du droit public des affaires. Le droit public des
affaires peut se définir comme le droit des relations entre ladministration et les
opérateurs économiques.Lintitulé volontairement large de cet ouvrage repose sur
deux considérations. Un souci de modernité, tout dabord, sur lequel on ne sattardera
pas. Une véritable préoccupation de redéfinition de larticulation des matières impli-
quant les personnes publiques et les opérateurs économiques, ensuite, préoccupation
qui nécessite une justification. La discipline du droit public des affaires doit être
appréhendée au regard des différents types de relations quentretient lÉtat avec les
opérateurs économiques. Il existe trois positions de ladministration vis-à-vis des
opérateurs économiques, trois corpus de règles constituant le droit public des affaires.
3 Trois positions de ladministration. En premier lieu, lÉtat
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peut intervenir
comme autorité publique et réglementer, influencer, orienter, diriger ou protéger le
1. Ou les autres autorités publiques. Voir sur ce thème E. DUBOUT, « Les formes publique et privée de
lÉtat. Essai de modélisation à laune du droit européen de la concurrence », DA déc. 2013, Étude nº 17, p. 10.
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marché et ses opérateurs économiques. LÉtat administre léconomie et apparaît
comme une autorité publique extérieure au marché auquel il imprime sa volonté.
En deuxième lieu, lÉtat est lui-même fournisseur de biens et de services sur le
marché pour des raisons tenant à la présence dun service public, à lexistence
dopérateurs publics historiques, ou simplement pour se procurer des ressources.
Cest la situation dans laquelle lÉtat est offreur de biens et de services sur le mar-
ché. En troisième lieu, lÉtat est amené à collaborer avec les opérateurs économi-
ques, pour satisfaire directement ses besoins ou plus indirectement un besoin din-
térêt général en faveur de sa population. Il est alors en position de demandeur sur le
marché. De ces trois situations émergent trois figures de lÉtat : lÉtat régulateur de
léconomie ou État prescripteur, lÉtat opérateur économique, lÉtat collaborateur
avec les opérateurs économiques.
4 Trois corps de règles. À chaque position de lÉtat vis-à-vis du monde des
affaires correspond un corps de droit, un régime juridique particulier. La régulation
de léconomie renvoie aux prérogatives de lÉtat pour limiter, encadrer laccès au
marché, définir sa structure, réglementer son fonctionnement, préserver son carac-
tère concurrentiel et aider les opérateurs. Lintervention publique sur le marché est
réglée par le régime juridique applicable au secteur public composé dentreprises
publiques. Enfin, la collaboration économique entre les personnes publiques et les
opérateurs est régie par le droit de la commande publique au sens large. Ces diffé-
rents thèmes, bien que liés par certains principes communs de laction des person-
nes publiques sur léconomie, sont néanmoins soumis à des problématiques juridi-
ques distinctes.
5 Champ détude. Le droit public économique au sens strict, tel quil est
enseigné dans les facultés de droit, regroupe les deux premières situations. Il traite
des modalités dadministration de léconomie et du droit des entreprises publiques.
Le droit public des affaires recouvre le droit public économique tel que lon vient de
le définir et le droit de la commande publique. Il est le droit de lensemble des rela-
tions quentretiennent les personnes publiques avec les opérateurs économiques et
traite donc de lensemble des situations dans lesquelles les personnes publiques peu-
vent se trouver : autorité extérieure au marché, offreur ou demandeur sur le marché.
Le droit public des affaires regroupe les trois corps de règles précédemment décrits.
SECTION II ESQUISSE DUNE THÉORIE GÉNÉRALE
DU DROIT PUBLIC DES AFFAIRES
6 Problématique. Lobjectif de cet ouvrage est de tenter,
dune part, de déterminer avec précision les grands principes guidant laction des
personnes publiques sur le marché et, dautre part, didentifier les différentes pré-
rogatives des autorités publiques vis-à-vis des acteurs économiques, ainsi que leur
régime.
DROIT PUBLIC DES AFFAIRES
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7 Deux principes antagonistes. Le droit administratif est bâti sur de subtils
équilibres, des dialectiques mouvantes, et le droit public des affaires ny échappe
pas. En effet, on peut affirmer que les droits et obligations de lÉtat vis-à-vis des
opérateurs économiques reposent sur la confrontation de deux principes : un prin-
cipe daction et un principe dabstention. Le principe daction est lui-même fondé
sur deux objectifs. Dune part, il sagit de diriger, dorienter, dinciter laction des
opérateurs économiques et, dautre part, il sagit de prendre toute mesure pour pré-
server et protéger le bon fonctionnement du marché. Le principe dabstention est
guidé par le souci de ne pas déséquilibrer les rapports de force du marché qui doi-
vent pouvoir jouer librement, sans intervention extérieure.
8 Deux idéologies conciliées. Lopposition de ces deux principes en droit
public des affaires nest que le reflet de deux idéologies qui saffrontent, la doctrine
libérale, dune part, et la doctrine interventionniste, dautre part. Toutefois, il faut se
garder de faire coïncider strictement la doctrine libérale avec le principe dabsten-
tion et la doctrine interventionniste avec le principe dintervention. En effet, on a
vu que le principe dintervention se divisait lui-même en deux volets. Il apparaît
que le second volet, laction des pouvoirs publics en vue de la protection du bon
fonctionnement du marché, est revendiqué par les thèses libérales, qui commandent
que lÉtat sabstienne de toute intervention directe sur le marché mais qui appellent
tout de même les pouvoirs publics à sassurer que les opérateurs respectent les
règles du marché. Les deux idéologies semblent saccommoder depuis quelque
temps autour de lidée que lÉtat doit sabstenir dintervenir trop directement,
mais quil doit être présent pour inciter, orienter et préserver le marché par la
conjonction et lutilisation dinstruments multiples. On parle alors dÉtat régula-
teur.Il est admis que lÉtat mène une véritable politique économique, mais cette
politique ne peut être relayée que par des instruments procédant de lincitation plus
que de la contrainte, de la surveillance et de la préservation du marché plutôt que de
son strict encadrement. LÉtat régulateur sexprime moins par des moyens daction
directe sur léconomie (dirigisme) que par lutilisation de leviers efficaces.
9 Droits et libertés économiques. Les principes dintervention et dabstention
sont relayés par des droits et des libertés propres au monde économique. Les liber-
tés telles que la liberté détablissement, la liberté dentreprendre, la libre concur-
rence ou encore la liberté du commerce et de lindustrie jouent comme une fédéra-
tion de libertés économiques au service du principe dabstention. Elles sont en effet
invoquées par les opérateurs à lencontre des contraintes directement imposées par
les pouvoirs publics à leur activité économique ou indirectement induites par les
décisions administratives. La consécration du principe dintervention est plus déli-
cate à saisir. Peu de textes le traduisent expressément et directement. Tout au plus
peut-on citer le principe des nationalisations issu de lalinéa 9 du Préambule de
1946, ou se référer, en droit communautaire, à larticle 345 TFUE consacrant la
neutralité de lUnion vis-à-vis du régime de la propriété dans les États membres,
interprétée comme légitimant la présence dopérateurs publics sur le marché. Mais
le principe dabstention peut en réalité être appréhendé en négatif à partir des limi-
tes aux libertés économiques, ou à travers linterprétation permissive en faveur de
lautorité publique, que font les juridictions compétentes de ces mêmes libertés
INTRODUCTION GÉNÉRALE
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économiques. Le principe dintervention trouve également une consécration dans
lobligation faite aux autorités publiques de réprimer les atteintes à la libre concur-
rence, et plus généralement dassurer un rôle de gardien et de garant du bon fonc-
tionnement du marché, obligation qui semble progressivement affirmée.
10 Moyens de ladministration. Le principe dintervention et le principe dabs-
tention trouvent également une expression concrète dans les moyens utilisés par les
personnes publiques pour les mettre en œuvre. Ainsi, le principe dintervention
passe dabord par la création dinstitutions ayant un rôle de régulation de lécono-
mie, que ces institutions relèvent directement du pouvoir central, des collectivités
territoriales, ou quil sagisse dautorités de marché, ou encore dorganismes indé-
pendants à statuts variables jouant un rôle de conseil, dencadrement ou dorgani-
sation de certaines professions. Le principe dintervention sexprime ensuite par
ladoption dune réglementation économique au sens large (lois, règlements, déci-
sions). Ces réglementations peuvent avoir directement un objet économique et sin-
scrivent alors dans une politique de dirigisme économique. Elles peuvent aussi (et
cest de plus en plus souvent le cas) ne comporter quun effet économique, quune
incitation aux opérateurs à orienter leur comportement. Ce sont les leviers de léco-
nomie. Enfin, lintervention publique peut passer par la constitution dopérateurs
du secteur public ou par une politique de prises de participation au capital dopéra-
teurs privés mûrement réfléchie. Les moyens de labstention par définition sont
plus délicats à cerner. On peut néanmoins citer lobligation faite aux autorités
publiques de ne pas fausser le jeu concurrentiel par leurs actions ou décisions, ou
encore la politique de désengagement de lÉtat dans les entreprises publiques.
11 Nécessité dun perfectionnement du cadre juridique. Indéniablement, les
principes dintervention et dabstention mériteraient dêtre mieux définis et mieux
encadrés par le droit. La frontière entre ces deux principes souffre dune véritable
imprécision, laquelle constitue la principale faiblesse du droit public des affaires. Il
revient souvent au juge de dire si telle ou telle réglementation ou action dépasse les
limites acceptables de linterventionnisme, en lappréciant au regard dune liberté
économique dont linterprétation est souvent sujette à fluctuations. Mais en même
temps et très paradoxalement, ces fluctuations constituent la force du système du
droit public des affaires en France, car elles sont à lorigine de la très grande lon-
gévité du mode de fonctionnement des relations entre ladministration et les opéra-
teurs économiques, la dialectique du principe dabstention et du principe dinter-
vention sétant accommodée à la fois des périodes interventionnistes et des
périodes libérales.
Cependant, une réflexion sur le juste équilibre entre ces principes, traduisant
lidée dun État régulateur, doit être menée. Cette réflexion pourrait passer par
une recherche sur le thème des obligations de lÉtat vis-à-vis du marché. Aussi
bien le principe dintervention que le principe dabstention reposent aujourdhui
sur un pouvoir discrétionnaire des autorités publiques quant au choix de laction.
Elles ont la faculté dintervenir, mais elles en ont rarement lobligation. Or on a dit
que lÉtat était appelé à jouer un rôle de préservation du marché, de garant de son
fonctionnement et de gardien de son caractère concurrentiel. Cette évolution
DROIT PUBLIC DES AFFAIRES
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appelle irrémédiablement la définition dobligations daction et la détermination
précise des événements qui les déclenchent.
Une redéfinition juridique des principes dintervention et dabstention en dehors
des libertés économiques qui les sous-tendent constituerait sans doute une étape
marquante du droit public des affaires. En effet, si lon résume la situation actuelle,
on se rend compte que les autorités publiques peuvent choisir nimporte quel type
dinstrument juridique pour contraindre lopérateur économique (réglementation,
mécanisme dautorisation préalable, incitation fiscale, aide, sanction, institution
dune autorité de marché à champ dintervention large, etc.) et que le mécanisme
ainsi mis en place est seulement jugé au regard de latteinte plus ou moins impor-
tante quil comporte pour les libertés économiques. Peut-être faudrait-il que le droit
encadre les situations dans lesquelles tel ou tel instrument peut être utilisé, quil
évalue les différentes obligations que cet instrument peut mettre à la charge des
opérateurs, etc. Peut-être faudrait-il aussi que le droit détermine avec précision
quelles sont les caractéristiques que doit revêtir une profession ou un marché pour
faire lobjet dun encadrement par la puissance publique. Surtout, quand faut-il que
lautorité publique intervienne sur léconomie, quels sont les événements qui doi-
vent placer ladministration en situation de compétence liée pour faire usage de ses
instruments ?
SECTION III SPÉCIFICITÉS DU DROIT PUBLIC
DES AFFAIRES
12 Confrontation entre le modèle français et le modèle com-
munautaire. La spécificité la plus marquante de lanalyse du droit public des
affaires reste la confrontation de plus en plus vive entre le modèle français et le
modèle communautaire. Lorsque les autorités publiques sont en situation dadmi-
nistration de léconomie, le droit français admet assez largement les réglementa-
tions contraignantes imposées aux opérateurs économiques. Le principe semble
être celui dun interventionnisme rationalisé. Le droit communautaire est fondé
sur le principe inverse, fortement imprégné dune doctrine libérale. En droit com-
munautaire, comme on le verra, chaque contrainte économique doit dabord être
fondée sur un objectif précis, contrôlé, et ne tenant pas à des considérations écono-
miques. Ensuite, les moyens utilisés par lautorité publique doivent être strictement
proportionnés à lobjectif à atteindre. En droit français, lappréciation est beaucoup
plus souple et lon sassure seulement que le mécanisme institué nentrave pas une
liberté économique. Lorsque les personnes publiques créent des opérateurs écono-
miques publics, le droit communautaire est encore plus rigoureux. Il porte une
contestation du statut public des entreprises publiques, voire même de lactionnariat
public. Quant à la politique douverture des réseaux à la concurrence, on peut dire
quelle a véritablement bouleversé le modèle français reposant jusqualors sur un
opérateur à statut public, verticalement intégré et détenteur dun monopole natio-
nal. Enfin, il nest nul besoin de sétendre, en matière de collaboration entre
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