Groupes finis et leurs repr´esentations
Antoine Ducros
Cours de master 1 de l’Universit´e Pierre-et-Marie Curie
Ann´ee universitaire 2015-2016, second semestre
Table des mati`eres
1 Rappels : g´en´eralit´es sur les groupes 4
2 Propri´et´es du groupe Z et quelques cons´equences 17
3 Groupes op´erant sur un ensemble et applications 27
4 Groupes de permutations 34
5 Le produit semi-direct 41
6 Groupes libres, groupes d´efinis par g´en´erateurs et relations 53
7 Th´eor`emes de Sylow 59
8 Groupes r´esolubles et nilpotents 63
9 Repr´esentations d’un groupe : g´en´eralit´es 72
10 Repr´esentations complexes des groupes finis 100
11 Exemples de tables de caract`eres 107
A Appendice : entiers alg´ebriques 112
Introduction
Ce cours va illustrer, autour d’une notion fondamentale que vous connaissez
d´ej`a – celle de groupe – , un principe tr`es g´en´eral en math´ematiques : celui du
va-et-vient permanent entre les points de vue abstraitet concretsur une
mˆeme classe d’objets. C’est une d´emarche que vous avez par exemple rencontr´ee
en alg`ebre lin´eaire, avec l’opposition entre les espaces vectoriels abstraits et les
sous-espaces vectoriels de kn(ou, si vous pr´ef´erez, le calcul en coordonn´ees), et
que vous retrouverez ´egalement en g´eom´etrie diff´erentielle, o`u vous travaillerez
tanot avec des vari´et´es diff´erentielles intrins`eques(point de vue abstrait)
tanot avec des sous-vari´et´es de Rn(point de vue concret).
Expliquons maintenant plus en d´etail ce qu’il en est concernant les groupes.
1
Les groupes de transformation
Les premiers groupes que les math´ematiciens ont consid´er´es, avant que la
d´efinition axiomatique que nous connaissons aujourd’hui ne soit d´egag´ee, ´etaient
des groupes de transformations, c’est-`a-dire que l’on consid´erait un ensemble X,
et un ensemble Gde bijections de Xdans Xposs´edant les propri´et´es suivantes :
l’identit´e de Xappartient `a G; si get hsont deux ´el´ements de Galors gh
appartient `a G; et si gest un ´el´ement de Gsa bijection r´eciproque g1appartient
`a G. De tels goupes de transformations sont apparus dans diff´erents contextes ;
donnons quelques exemples.
Exemples g´eom´etriques. Le groupe des applications lin´eaires ou des
isom´etries du plan ou de l’espace, le groupe des isom´etries fixant un cube ou un
t´etra`edre. . .
Le groupe de Galois. Galois a associ´e `a tout polynˆome P`a coefficients dans
Qun certain groupe de permutations de l’ensemble des racines complexes de P,
que l’on appelle aujourd’hui justement le groupe de Galois. Il s’en est servi pour
caract´eriser les polynˆomes Pqui sont esolubles par radicaux, c’est`a-dire
dont les racines peuvent s’exprimer `a partir des coefficients de Pen utilisant
uniquement les quatre op´erations et les racines n-i`emes. Il en a d´eduit que si
Pest de degr´e 64 il est r´esoluble par radicaux (lorsqu’il est de degr´e 2, vous
le savez : c’est la formule bien connue b±b24ac
2a), et fourni des exemples de
polynˆomes non r´esolubles par radicaux en degr´e >5.
La notion de groupe abstrait
Ces diff´erents exemples ont progressivement amen´e les math´ematiciens `a
d´egager une notion de groupe abstrait selon le principe suivant : on remplace
l’ensemble concret de bijections, au sein duquel on sait composer des ´el´ements,
par un ensemble abstrait Gmuni d’une loi de composition interne (l’adjectif
munisignifie que cette loi fait partie des donn´ees), qui satisfait un certain
nombre d’axiomes erifi´es par la composition des applications dans le cas
des groupes de transformations : associativit´e, existence d’un ´el´ement neutre,
existence d’un sym´etrique.
Cette d´emarche – axiomatiser les propri´et´es de certains objets concrets que
l’on manipule depuis longtemps – ne s’est bien ´evidemment pas limit´ee aux
groupes, elle a peu ou prou concern´e toutes les math´ematiques au d´ebut du
XXi`eme si`ecle : citons par exemple l’arithm´etique (avec les notions d’anneau,
de corps, d’id´eal), l’alg`ebre lin´eaire (avec la notion d’espace vectoriel) ou encore
la topologie (avec la notion d’espace topologique) ; elle est devenue plus ou moins
syst´ematique aujourd’hui.
Elle permet de clarifier les id´ees en d´egageant les propri´et´es qui ne d´ecoulent
que des axiomes choisis, et pas d’aspects plus sp´ecifiques aux objets concrets
consid´er´es jusqu’alors ; elle aide, en ce sens, `a se concentrer sur l’essentiel et `a
ne pas s’encombrer l’esprit avec des hypoth`eses parasites.
Op´erations et repr´esentations lin´eaires : une revanche du
point de vue concret
Cela dit, il est tr`es vite apparu qu’une des meilleures mani`eres de comprendre
un groupe abstrait Gest de le voir comme un groupe de transformations au
2
sens donn´e plus haut. En termes techniques, cela veut dire qu’on se donne
un ensemble Xet un isomorphisme entre Get un sous-groupe du groupe SX
des bijections de Xdans lui-mˆeme ; ou encore, ce qui revient au mˆeme, un
homomorphisme injectif de Gdans SX. En r´ealit´e, l’exp´erience montre qu’il
peut ´egalement ˆetre int´eressant de consid´erer certains homomorphismes non
n´ecessairement injectifs de Gdans SX. Se donner un tel homomorphisme permet
encore de penser `a un ´el´ement de Gcomme `a une bijection de Xdans lui-mˆeme,
mais avec un b´emol important : deux ´el´ements diff´erents de Gpeuvent induire
la mˆeme bijection.
On est ainsi amen´e `a s’ineresser, un ensemble X´etant donn´e, `a tous les
homomorphismes de Gdans SX, que l’on appelle aussi les op´erations de Gsur
X. La section 3 leur est consacr´ee ; ses r´esultats seront notamment appliqu´es
plus tard `a l’´etude des sous-groupes de Sylow (section 7).
Si kes un corps et Xun k-espace vectoriel, il est fr´equent qu’on se limite
aux op´erations k-lin´eaires de Gsur X, c’est-`a-dire aux homomorphismes de
Xdans SXdont l’image est constitu´ee d’applications k-lin´eaires, ou encore
aux homomorphismes de Gdans GL(X). Un tel homomorphisme est ce qu’on
appelle une repr´esentation k-lin´eaire de G(d’espace sous-jacent X). Se donner
une repr´esentation k-lin´eaire de Gd’espace sous-jacent Xpermet de voir un
´el´ement de Gcomme une bijection k-lin´eaire de Xdans lui-mˆeme, avec le mˆeme
b´emol que ci-dessus : il peut arriver (dans le cas non injectif) que deux ´el´ements
diff´erents de Ginduisent la mˆeme bijection lin´eaire.
La section 9 est consacr´ee `a l’´etude g´en´erale des repr´esentations lin´eaires.
Nous portons ensuite une attention particuli`ere aux repr´esentations C-lin´eaires
des groupes finis, dont le C-espace vectoriel sous-jacent est lui-mˆeme de
dimension finie (section 10).
Groupes de transformation versus groupes abstraits :
quelle conclusion ?
On pourrait avoir l’impression, au vu du paragraphe pr´ec´edent, que la notion
de groupe de transformations est finalement meilleure que celle de groupe
abstrait puisque, chass´ee par la porte, elle revient aussitˆot par la fenˆetre via
les op´erations et repr´esentations lin´eaires.
Mais attention : il est tr`es fr´equent, lorsqu’on s’int´eresse `a un groupe abstrait
G, que l’on soit amen´e `a consid´erer diff´erentes op´erations ou repr´esentations
de G. Autrement dit, s’il est souvent utile de voir Gcomme un groupe de
transformations, il n’y a pas une unique fa¸con de le faire, loin de l`a, et la pluralit´e
des points de vue se r´ev`ele tr`es f´econde.
On pourra par exemple, selon les besoins, penser `a Z/2Z×Z/2Zcomme
`a un groupe de permutations de {1,2,3,4}(en envoyant (1,0) sur (12)(34) et
(0,1) sur (13)(24) ) ou un groupe d’isom´etries du plan (en envoyant (1,0) sur
la r´eflexion par rapport `a (Ox), et (0,1) sur la r´eflexion par rapport `a (Oy)) 1.
Ainsi, les th´eories des op´erations et repr´esentations ne consistent pas `a
´evincer les groupes abstraits pour revenir purement et simplement `a la notion
1. Nous laissons le soin au lecteur de v´erifier dans le premier (resp. le second) cas qu’il existe
un unique homomorphisme de groupes de Z/2Z×Z/2Zdans le groupe des permutations de
{1,2,3,4}(resp. dans le groupe des isom´etries du plan) prenant les valeurs requises sur (1,0) et
(0,1) ; et que cet homomorphisme est injectif, ce qui permet ici de vraiment voir Z/2Z×Z/2Z
comme un groupe de transformations.
3
de groupe de transformations ; elles consistent `a utiliser cette derni`ere pour
attacher `a chaque groupe abstrait une multitude de r´ealisations concr`etes.
On observe ici un ph´enom`ene g´en´eral en math´ematiques : l’approche
abstraite ´evite de s´electionner d’embl´ee, ou de privil´egier artificiellement, un
point de vue concret particulier sur un objet donn´e ; mais elle n’empˆeche
nullement, `a l’occasion, d’en adopter un qui soit pertinent vis-`a-vis du probl`eme
´etudi´e.
Vous aviez par exemple d´ej`a rencontr´e ce genre de choses en alg`ebre lin´eaire
abstraite : celle-ci fournit une approche conceptuelle, qui ne requiert pas de fixer
arbitrairement une base ; mais vous pouvez fort bien le moment venu, en choisir
une intelligemment – par exemple pour un calcul explicite.
1 Rappels : g´en´eralit´es sur les groupes
(1.1) D´efinition. Un groupe est un ensemble Gmuni d’une loi de composition
interne :G×GGqui satisfait les propri´et´es suivantes.
i) La loi est associative : pour tout (g, g0, g00)G3on a g(g0g00) =
(gg0)g00.
ii) La loi admet un ´el´ement neutre, c’est-`a-dire un ´el´ement etel que eg=
ge=gpour tout gG(un tel eest n´ecessairement unique, cf. ci-
dessous).
iii) Tout ´el´ement gde Gadmet un sym´etrique pour la loi , c’est-`a-dire un
´el´ement g0de Gtel que gg0=g0g=e(un tel g0est n´ecessairement
unique, cf. ci-dessous).
(1.2) Commentaires.
(1.2.1) Insistons sur le sens de l’adjectif muni: il signifie que la loi fait
partie des donn´ees. En toute rigueur, on devrait donc ´ecrire soit (G, )un
groupe et non soit Gun groupe. Bien entendu, respecter ce principe
conduirait `a alourdir ´epouvantablement la r´edaction, et l’on s’en afranchit donc
le plus souvent ; mais il faut garder en tˆete que l’on commet un petit abus, pour
les rares cas o`u il pourrait y avoir une ambigu¨ıt´e sur la loi de groupe.
(1.2.2) Justifions les ´enonc´es d’unicit´e figurant dans la d´efinition 1.1. Si eet e0
sont deux ´el´ements neutres on a alors ee0=ecar e0est neutre, et ee0=e0
car eest neutre ; ainsi, e=e0.
Si g0et g00 sont deux sym´etriques d’un mˆeme ´el´ement gde Gon a
g0=g0e=g0(gg00) = (g0g)g00 =eg00 =g00
et partant g0=g00.
(1.2.3) Un groupe est toujours non vide, puisqu’il poss`ede un ´el´ement neutre.
(1.2.4) Quelques notations. Lorsqu’on ´ecrira soit Gun groupesans mention
explicite de sa loi interne, celle-ci n’aura droit le plus souvent `a aucune symbole
sp´ecifique et sera simplement not´ee (g, h)7→ gh ; en g´en´eral, on d´esignera par e
l’´el´ement neutre de G(s’il y a plusieurs groupes en jeu, il arrive qu’on le note eG
pour ´eviter toute confusion). Si (g, h)G2, on parlera de gh comme du produit
de get het l’on notera g1le sym´etrique de g, qu’on appellera ´egalement
4
son inverse. On a les formules (g1)1=get (gh)1=h1g1(attention au
renversement de l’ordre des facteurs).
Comme la loi interne de Gest associative, on peut d´efinir le produit de toute
famille finie ordonn´ee d’´el´ements de G(sans avoir `a sp´ecifier un parenth´esage) ;
lorsque la famille est vide, ce produit est ´egal `a e.
On ´ecrira souvent g1...,gnpour d´esigner le produit de la famille ordonn´ee
(gi)16i6nd’´el´ements de G. Lorsque n= 0 cette famille est vide et l’on a donc
g1. . . gn=e.
Si gGet si n>0 on posera
gn=g . . . g
|{z}
nfacteurs
(si n= 0 on a donc gn=e). Si n < 0 on posera gn= (gn)1. Ces d´efinitions
assurent la validit´e des formules usuelles gn+m=gngmet (gn)m=gnm.
Si get hsont deux ´el´ements de Get si Eest un sous-ensemble de Gon
d´esignera par gE (resp. Eh, resp. gEh) l’ensemble des ´el´ements de Gde la forme
gx (resp. xh, resp. gxh) avec xE. On a ´evidemment eE =Ee =eEe =E. Si
g0et h0sont deux autres ´el´ements de G, l’associativit´e de Gentraˆıne les ´egalit´es
(g0g)E=g0(gE), E(h)h0=E(hh0) et g0(gEh)h0= (g0g)E(hh0).
(1.2.5) Dans un groupe, on peut simplifier `a gauche `a droite. Plus
pr´ecis´ement, soit Gun groupe et soient g, g0et htrois ´el´ements de G. Si hg =hg0
alors g=g0(mutliplier `a gauche par h1) ; si gh =g0halors g=g0(mutliplier
`a droite par h1).
Mentionnons quelques cas particuliers que nous utiliserons
syst´ematiquement :
i) si hg =g(= eg) alors h=e;
ii) si gh =g(= ge) alors h=e;
iii) si gh =e(= gg1) alors h=g1(et donc h1=g).
(1.2.6) Soit Gun groupe. On dit qu’il est commutatif, ou ab´elien, si gh =hg
pour tout (g, h)G2. Si c’est le cas, on adopte parfois pour Gla notation
additive : la loi interne est not´ee +, l’´el´ement neutre 0, le sym´etrique d’un
´el´ement gest not´e get parfois appel´e son oppos´e, et l’on ´ecrit ng au lieu de
gn.
(1.3) Quelques exemples.
(1.3.1) Le singleton {e}muni de la seule loi interne possible (celle pour laquelle
ee =e) est un groupe, qui est dit trivial.
(1.3.2) L’ensemble Zmuni de l’addition est un groupe ab´elien, sur lequel nous
reviendrons un peu plus loin.
(1.3.3) Soit Xun ensemble. L’ensemble SXdes bijections de Xdans lui-mˆeme,
muni de la composition des applications, est un groupe. Nous aurons l’occasion
de revenir longuement sur ce groupe lorsque Xest de la forme {1, . . . , n}.
(1.3.4) Soient Get Hdeux groupes. L’ensemble G×Hmuni de la loi interne
d´efinie par la formule
(g, h)(g0, h0)=(gg0, hh0)
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