Véronique CASTELLOTTI
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Cette hybridité, ou ce métissage, comme il les nomme, sont relativement
peu visibles au premier regard mais ils sont assez rapidement perceptibles
dès qu’on observe de plus près certains modes de vie, certaines pratiques
culturelles et artistiques, certains usages sociaux, etc. et aussi du point de vue
linguistique, à la fois pour la langue orale, qui intègre très facilement des ter-
mes étrangers, et aussi, bien sûr, pour le système polygraphique du japonais.
Ces aspects, relevés aussi dans différentes études (notamment Denoon
et al., 1996, Maher & Yashiro, 1995) entrent fortement en contradiction avec
ce que A. Koishi appelle un « habitus monolingue » ou « monologique » et
cela construit un paradoxe intéressant que, d’ores et déjà, on peut rapprocher
de la situation française oscillant constamment entre unification et pluralité
(Castellotti, 2008), dans une tentative de composer avec des éléments forte-
ment antagonistes (Ozouf, 2009) même si, comme le note Kato, cela s’est
construit dans des temporalités différentes.
Ce qu’il me semble important de souligner concerne le poids des repré-
sentations et des imaginaires dans la gestion de la diversité et de la pluralité
et je prendrai quelques exemples pour illustrer cet aspect.
Le premier point est que les femmes, qui sont probablement majoritaires
parmi les apprenants de français au Japon, me sont apparues (du moins cel-
les que j’ai rencontrées) comme plus à l’aise, moins inhibées et en conséquen-
ce plus performantes dans leur pratique du français. En soi, cela n’a rien
d’étonnant : dans la plupart des pays, les femmes sont davantage dirigées vers
les études littéraires ; on peut aussi interpréter cela en fonction des représen-
tations dominantes attachées au français, langue associée à des secteurs tra-
ditionnellement « féminins » comme les arts, la beauté ou encore la cuisine
(Himeta, 2006). Mais on peut aussi, plus globalement, faire l’hypothèse que,
au-delà des capacités « techniques » évoquées ci-dessus, l’apprentissage d’une
autre langue fait toujours intervenir peu ou prou une modification identitaire,
une irruption de la diversité dans la perception des autres et de soi-même,
une forme, plus ou moins sensible et consciente, d’acceptation de la différen-
ce. Il y aurait alors une résistance, peut-être plus sensible chez les hommes
pour des raisons culturelles, au fait de voir évoluer son identité au travers
d’une nouvelle langue « étrangère », qui plus est marquée fortement par des
stéréotypes « féminins ».