European Society for the History of Economic Thought Annual Conference, Porto 2006 “The Future of the History of Economics: Young Scholar’s Perspective” EN REVEDICANT UNE DEFINITION POUR L’HISTOIRE DE LA PENSEE ECONOMIQUE BY REBECA GOMEZ BETANCOURT* ALEXANDER TOBON** Résumé Cet article donne quelques idées sur le caractère, la méthode et l’identité de l’historien de la pensée économique. Celui-ci s’identifie comme un genre d’économiste « généraliste » dont son point d’appuie est sa connaissance des théories économiques générales. Cette connaissance lui permet, d’un côté, d’établir un lien avec les différentes spécialisations économiques dominantes aujourd’hui et, d’autre côté, de se réconcilier avec l’économie contemporaine. Ainsi, l’historien de la pensée économique occupe une place précise et permanente dans l’économie et non pas dans l’histoire. Nous revendiquons le rôle des jeunes chercheurs en histoire de la pensée économique dans l’étude des théories générales. Le développement de la science économique dans les vingt dernières années a été caractérisé par la spécialisation à l’intérieur des écoles de pensée traditionnelles. Certains concepts économiques (ou certains marchés) sont devenus des ‘sous disciplines’, notamment dans la pensée microéconomique néoclassique. On parle ainsi de l’économie du travail, de l’économie de la santé, de l’économie des contrats, de l’économie évolutionnaire, de l’économie publique, de l’économie de l’environnement, de l’économie du bien-être, l’économie du comportement, de l’économie des organisations, etc. Il s’agit d’une désarticulation des différents thèmes dans la de recherche en économie. La spécialisation est renforcée par l’intégration des idées d’autres sciences : la sociologie, la phycologie, la philosophie, mais aussi la médicine, le droit etc.1 On ne considère pas la spécialisation mauvaise en elle-même. Elle permet l’approfondissement de la connaissance scientifique en même temps qu’elle donne des bases * Ph. D Student. Phare, University of Paris I Panthéon Sorbonne. Email : [email protected]. Street adress : Bureau 326, Maison de Sciences Economiques, 106-112 Boulevard de l’Hôpital 75647 Paris Cedex 13, France. ** Ph. D Student. EconomiX, University of Paris X Nanterre. Email : [email protected]. Street adress : Bâtiment K-131, 200 Av. de la République, 92001 Nanterre Cedex, France. 1 Pour simplifier le débat, nous avons omit les développements du coté de la macroéconomie (la macrodynamique avec des fondements microéconomiques, etc) et de la théorie monétaire (les modèles de prospection, etc). 1 solides au travail en économie appliquée dans des différents domaines. La spécialisation devient mauvaise lorsqu’elle encourage l’éloignement des questions fondamentales de la science économique et lorsqu’ elle oblige à la constitution des pôles des savoirs spécifiques de notre science. Dans la plupart des cas si éloignés les uns des autres qu’ils n’arrivent plus à communiquer. C’est le cas aujourd’hui. Les questions fondamentales de la science économique sont celles qui donnent une explication théorique générale du système capitaliste ou de la société marchande2. Il est bien connu qu’il existent grosso modo quatre grandes courantes de la pensée économique qui ont donnée les arguments les plus solides: la théorie classique, la théorie néoclassique, la théorie marxiste et la théorie keynésienne. L’un des derniers efforts, peu être le plus important, dans l’explication d’une société marchande, a été donné par la théorie néoclassique, notamment par la démonstration de l’existence d’un équilibre général3. Le constat actuel, assez partagé pour la plupart des économistes, est le suivant : l’étude de ces quatre théories générales est devenue l’objet d’étude de l’histoire de la pensée économique et les études des théories (ou marchés) spécialisées est devenue la théorie économique contemporaine. Il y a donc une déconnexion entre les spécialités et l’histoire de la pensée économique. Par conséquent, ce n’est pas seulement la théorie économique contemporaine qui devient des spécialisations ou sous disciplines mais aussi l’histoire de la pensée économique, mais cette dernière est considérée hors l’ensemble des sous disciplines qui conforment la théorie économique contemporaine. Ce constat marginalise les théories générales du débat économique contemporain et, par conséquent, des économistes consacrés à leur étude. Ce marginalisation a plusieurs conséquences comme celles qui sont mentionnées dans les articles du supplément de la revue History of Politcal Economy de 2002 : la disparition de l’enseignement des théories générales dans les programmes universitaires d’économie et la notable réduction des travaux de recherche qui sont associés à cette problématique. Cette réalité inquiète les jeunes doctorants en histoire de la pensée économique à l’heure actuelle. Néanmoins, ce constat de marginalisation, si malheureux soit-il, ne doit pas nous décourager dans nos carrières professionnelles. En nous interrogant sur cette problématique, nous nous demandons pourquoi notre « spécialisation » est elle relevante et fondamentale pour l’étude de la science économique en général. 2 Les théories économiques des systèmes non capitalistes sont aussi concernées par le débat. Nous avons fait abstraction des courantes hétérodoxes qui sont associées à ces quatre théories générales, par exemple la théorie postkeynésienne, la théorie neoricadienne (ou sraffienne), la théorie du circuit, les théories neomarxistes, etc. 3 2 L’histoire de la pensée économique définie par nous comme l’étude des théories générales, devrait porter un intérêt à l’ensemble des collègues économistes. Cet intérêt peut être expliqué par trois éléments : (I) le caractère de la recherche, (II) la méthode de la recherche et (III) la quête d’une identité. I) LE CARACTERE DE LA RECHERCHE : LA THEORIE ECONOMIQUE Il nous semble que le premier élément d’intérêt envers l’ensemble des collègues économistes est que l’histoire de la pensée économique puisse contribuer au développement de la théorie économique actuelle. Dans ce sens, l’histoire de la pensée économique doit contribuer au développement des modèles généraux dans lesquels les différentes spécialités puissent se rencontrer. Pourtant, telle qu’on la conçoit, l’histoire de la pensée économique n’est pas rétrospective4. D’un côté, elle ne se limite pas à décrire le processus de formation ou de progrès de la théorie économique dans le temps historique. Ceci veut dire qu’elle ne tient pas à une conception évolutive de la théorie économique. D’un autre côté, elle ne cherche pas seulement à établir des liens entre les différentes théories, ou bien à démontrer l’héritage de certaines idées actuelles dans les auteurs anciens. Ceci a été le rôle traditionnel de l’histoire de la pensée économique depuis l’Histoire de l’Analyses Economique de Schumpeter. Dans l’état actuel marginal de l’histoire de la pensée économique, celui-ci n’est peut plus être le rôle. C’est justement ce type de conception de l’histoire de la pensée économique qui est l’une des responsables de l’état actuel de notre profession. En revanche, le type de la recherche en histoire de la pensée économique que nous allons proposer n’est pas nouveau. C’est le contexte de marginalisation ce qui est nouveau. Dans la théorie économique actuelle existent des travaux dont la démarche implicite est celle de l’histoire de la pensée économique exposée ici. Il suffit de citer, par exemple, les travaux sur la formation des prix de marché à partir de la théorie des jeux, les modèles postkeynésiens qui établissent des liens avec la théorie néoricardienne pour expliquer des comportements stratégiques de la firme, les modèles sur la croissance économique d’inspiration classique, la nouvelle synthèse néoclassique en macroéconomie à partir d’une relecture de Wicksell, les développement récents des modèles de prospection à partir de certaines idées de la théorie autrichienne (Schumpeter et Menger) etc. 4 Nous pensons ici à Mark Blaug dans son Economic Theory in Retrspect dans sa première édition de 1962. 3 Lapidus (1996) appelle ce caractère de la recherche « la démarche intensive ». Il prend comme exemple la démarche de Piero Sraffa lors de son ouvrage Production de Marchandises par des Marchandises. Un autre exemple est celui de Karl Marx dans sa Théorie sur la Plus-Value. Sraffa a commencé par lire et éditer les ouvrages de Ricardo ce qui lui a permis par la suite de construire sa propre théorie. Il utilise son propre résultat pour éclaircir les textes de Ricardo. A partir de la théorie de Sraffa on peut mieux comprendre les arguments de Ricardo. Marx, de son côté, discute avec les auteurs comme s’ils étaient là. Il les assit en face de lui et il leur parle. Cette démarche s’oppose à celle de Schumpeter qui n’interroge pas les auteurs. Il cherche la logique des concepts, il fait l’analyse économique des instruments et il suit un temps logique. Nous voudrions, donc, sauvegarder de l’histoire de la pensée économique son caractère ouvert à l’étude des théories et problèmes fondamentaux en économie et toujours mise en relation avec la science économique contemporaine. Nous revendiquons le fait que les jeunes chercheurs en histoire de la pensée économique travaillent sur les théories générales. La seule histoire de la pensée économique qui nous intéresse est celle qui puisse dialoguer avec n’importe quelle autre spécialité de l’économie, sinon elle n’a pas de sens. L’histoire de la pensée économique à des intentions généralistes. II) LA METHODE DE LA RECHERCHE : L’HISTOIRE Il s’agit ici de l’une des majeures craintes des économistes et paradoxalement celui qui fait de l’histoire de la pensée économique: être considérés comme des historiens. Le mot ‘histoire’ produit deux effets : peur et honte. D’une part, cela fait peur car les économistes nous n’avons pas nécessairement la formation et la méthode de travail rigoureuse et spécifique des historiens professionnels de nous jours. En plus parce que cela n’a jamais été dans nos propos. D’autre part, cela fait de la honte car l’économie, en venant d’un savoir qui se fait appeler « science », en utilisant l’histoire comme méthode de travail, celle-ci peut être vue comme une sortie facile et comme une incapacité face aux nouveaux développements des outils d’analyse mathématiques de notre science. Il est courant d’entendre parmi nos collègues économistes que le recours à l’histoire signifie vouloir échapper à la rigueur de la science économique, et surtout vouloir échapper à l’usage des mathématiques. On entend aussi que les historiens de la pensée sont ceux qui utilisent dans leurs recherches les grands ouvrages classiques du XIXe et XVIIIe siècle. Plus on se remonte loin dans les siècles, plus on est un historien et moins un économiste. 4 Cependant, il faut rejeter avec force ces clichés sans fondements. Pour nous, les historiens de la pensée économique font attention au contexte dans lequel se développent les théories. Ils s’en servent d’une connaissance historique pour mieux comprendre leurs propositions, mais leur analyse n’est pas historiciste ni historiographique. Lorsque aujourd’hui un théoricien des jeux utilise le texte de Nash de 1950, il fait un recours à l’histoire. Lorsqu’un économiste du développement base sa recherche sur des textes de Malthus, il fait aussi un recours à l’histoire. Cette méthode historique n’est donc pas exclusive à l’histoire de la pensée économique mais à toutes les autres sous disciplines. La spécificité de cette méthode est dérivée du rapport avec le caractère de la recherche que nous avons déjà souligné. Quoi qu’il en soit, le fait d’utiliser des articles et ouvrages anciens et des archives de n’importe quelle époque, confère à cette méthode de recherche une validité permanente. De la même manière que pour un musicien, les partitions de Beethoven sont toujours d’actualité lorsqu’il cherche une source d’inspiration pour composer des nouvelles chansons. III. L’IDENTITE DU CHERCHEUR : ECONOMISTE HISTORIEN DE LA PENSEE ECONOMIQUE Une fois défini le caractère et la méthode de la recherche en histoire de la pensée économique, il ne reste plus qu’assumer le rôle d’historien de la pensée économique dans la discipline en tant qu’économiste. Il nous semble que le succès d’un historien de la pensée économique ne dépend pas seulement de sa qualité de chercheur -et d’enseignant- mais aussi de sa reconnaissance comme un économiste généraliste. Cette reconnaissance s’oppose, bien évidement, à celle des économistes spécialisés. Tant qu'il y ait les conséquences négatives de la spécialisation, il serait difficile que les historiens de la pensée économique aient du succès comme économistes généralistes. Lors de cette identification au cœur de la discipline, il est peut-être nécessaire d’introduire une nouvelle distinction au sein de ceux que l’ensemble de la profession appelle couramment des historiens de la pensée économique. D’un côte les économistes, qui avec un caractère et une méthode différente à celle rappelée ici, font une histoire de la pensée 5 économique alternative. Nous parlons de ceux qui adoptent les méthodes de recherche connues comme extensive et rétrospective5. D’un autre côté, il est impératif établir une distinction avec ceux qui font de l’histoire de l’économie comme histoire des sciences. Roy Weintraub (1996), membre de l’Association d’Histoire de l’Economie, a bien défini l’objet de cette sous discipline. Dans cette approche, certains historiens des sciences travaillent dans certains domaines très spécifiques (histoire de la théorie des jeux, histoire de la théorie monétaire, histoire de l’économétrie etc.), tandis que d’autres s’inquiètent par une étude du contexte des théories économiques plus que par une étude de la théorie elle-même. Il nous semble que les titres d’histoire de la pensée économique et histoire de l’économie ne sont pas synonymes et sa confusion est mauvaise pour les deux sous disciplines. En résumé, l’historien de la pensée économique doit participer directement aux débats actuels sur la théorie économique. Son argument principal, on le sait déjà, est celui faire ressentir le besoin d’une théorie générale dans laquelle les différentes spécialités puissent se rencontrer de façon cohérente. Celui-ci sera le besoin spontané de la science économique tôt ou tard. C’est à travers cette participation sans ambiguïté qui permet de lutter contra la marginalisation et d’éviter la disparition de l’historie de la pensée économique dans les départements d’économie des universités. REFERENCES Blaug, M. (1962) Economic Theory in Retrospect. (London: Heinemann Educational Books Ltd., 1977). History of Politcal Economy (2002) Supplement, vol. 34, Issue 4. Lapidus, A. (1996). Introduction à une Histoire de la pensée économique qui ne verra jamais le jour, Revue économique, vol. 47 (4), pp.867-892. Schumpeter, J. (1954) History of Economic Analysis. (London : George Allen and Unwin). Weintraub, R. (1996). What defines a Legitimate Contribution to the Subdiscipline « History of Economics ». http://www.eh.net/HE/hes_list/Editorials/weintraub.php 5 La méthode extensive fait référence au traitement des problèmes économiques anciens avec les outils anciens. La méthode rétrospective, telle qu’on l’a déjà définie, traite les problèmes économiques anciens dans une logique temporaire ou de progrès. Voir Lapidus (1996). 6