sont trop souvent abandonnées par les économistes aux politiques qui en décident en
fonction de critères différents. En revanche, l'historien rappelle l'absence d'homogénéité
interne de la plupart des États au plan économique jusque tard dans le XIXe siècle (au
moins pour certains critères). La pregnance du cadre politique freine la création de
statistiques à d'autres niveaux que national, alors qu'on ne peut nier a priori tout effet sur
les anticipations, et donc sur l'évolution des taux de change ou des économies, de soldes
de balance des paiements publiées au niveau européen ou régional, en plus (ou à la
place) des données nationales. Un tel problème est essentiel pour comprendre la situation
des pays grands ou petits, ou pour les comparer.
Enfin, dernier apport de type critique de l'historien à l'économiste : une meilleure
perception de la relativité historique des théories et des modèles économiques. Non que la
théorie économique soit purement relative. Mais les variables essentielles sont différentes,
les relations stables varient selon les époques (le XIXe siècle semble ainsi contredire en
France la loi d'Engel) ; les institutions et le "cadre juridique" changent. La théorie
économique, qui doit expliquer une situation donnée, s'y adapte (cf. la notion de "faits
stylisés", faits considérés comme importants par certains auteurs, voire par la
communauté des économistes). Elle oublie parfois quand elle regarde ailleurs que les
éléments de théorie et les spécifications de modèles les plus adaptés ici et maintenant ne
sont pas universels. Ainsi une théorie de l'économie internationale au XIXe ne peut se
passer du facteur “terre et ressources naturelles” ni de la mesure des coûts de transport
pour comprendre les échanges ou les mouvements de facteurs.
La variété des expériences historiques a amené et doit amener à repenser et élargir un
certain nombre de théories, comme les exemples du free banking, du fonctionnement des
sociétés de services publics privées, ou des conséquences variables des kracks financiers
selon les époques en témoignent. Elle fait aussi ressortir des débats parfois disparus
momentanément.
Un domaine comme l'innovation technologique, qui connait un développement important
actuellement, est étudié depuis très longtemps par les historiens qui ont accumulé une
quantité importante non seulement de données et de réflexions de méthode, mais aussi
des modèles théoriques désormais largement utilisés par les économistes. Des notions
comme celles d’irréversibilité, de “dépendance envers le chemin”, de systèmes nationaux
d’innovation ont été, sous d’autres appellations, reprises à des historiens, qui, les
premiers, ont étudié le rôle des interactions entre les institutions étatiques, les stratégies
des entreprises et les coûts des facteurs dans l’évolution du progrès technique. On
constate la même chose au niveau macro-économique où, après un long refus, on a
introduit d'abord des méthodes issues de la théorie de la concurrence imparfaite, puis des
éléments issus des théories du rattrapage technologique, qui considèrent spécifiquement
les conditions et les voies du rapprochement technologique entre nations et renonçent aux
approches en terme de technologie exogène comme de simple croissance endogène
reposant sans contrainte sur des disponibilités de facteurs.
Cet exemple montre que l'apport des historiens ne se limite pas à fournir des données (en
fait, les données historiques sont, à tort, rarement utilisées pour tester les modèles de
croissance, au profit de données en coupes instantannées qui imposent de lourdes
hypothèses sur l'évolution économique des différents pays) ; il permettrait presque de
soutenir que ce sont surtout des idées que les économistes empruntent aux historiens : le
rôle de l'éducation dans la capacité innovatrice des pays, ou l'utilité de certains choix
technologiques, politiques ou sociaux irréversibles, sont soulignés par les historiens de
longue date. L'avantage comparatif de l'économiste est alors un savoir-faire modélisateur
appuyé sur une théorie de l'équilibre général permettant seule de mettre en évidence
(avec rigueur, mais aussi parfois rigidité) les multiples interdépendances qui sont au coeur
d'une économie ; il est aussi de pouvoir mieux que les historiens obtenir les budgets
nécessaires pour constituer les séries statistiques permettant des tests approfondis.