LES FONDEMENTS D’UNE CULTURE COMMUNE :
SOCLE ET PROGRAMMES A L’ECOLE PRIMAIRE
Philippe CLAUS
Si, depuis plus d’un siècle, la définition des contenus d’enseignement relève dans le premier
degré, comme dans le second de programmes nationaux, arrêtés par le ministre en charge
de l’Education nationale, préciser ce qui doit être enseigné à l’école primaire et ce que
chaque élève doit maîtriser est devenu ou redevenu un enjeu majeur de ce début de siècle.
L’école primaire doit en effet, plus que par le passé, rendre compte de la manière dont elle
prépare les élèves à poursuivre leur formation. Les difficultés observées au collège lui sont
souvent imputées : l’école ne parviendrait plus à transmettre les bases indispensables à une
poursuite d’étude réussie. Les références à un âge d’or tous les enfants avaient, par
l’obtention du certificat d’étude, validé des connaissances et des compétences
indispensables est certes un mythe
1
, il n’en demeure pas moins que l’échec scolaire et le
poids des déterminismes sociaux touchent le premier degré et pénalisent durablement bon
nombre d’élèves. Le socle commun et les programmes publiés en 2008 ont la redoutable
ambition de relever le double défi de définir une culture commune actualisée et adaptée aux
besoins de notre époque et de participer à la réduction du nombre d’élèves en échec
scolaire.
Des finalités ambitieuses
Les résultats de l’école primaire alertent les pouvoirs publics, de plus en plus sensibles aux
comparaisons internationales. Dans la dernière livraison de l’évaluation PIRLS qui concerne
les enfants de 9 à 10 ans, la France se situe légèrement sous la moyenne des pays de
l’OCDE. L’ambition affichée de toutes les politiques publiques en matière d’éducation est
d’améliorer les résultats de tous les élèves, à limiter les retards scolaires et à réduire le poids
des déterminismes sociaux. A cet égard, si l’on ne devait retenir qu’un indicateur, celui de
l’origine sociale des redoublants est éclairant : en 2006, 41% des enfants de ménages
« inactifs » redoublent au moins une fois au cours de leur scolarité élémentaire, ils sont 20%
d’enfants d’ouvriers et d’employés, 7 % d’enfants de cadres et 3% d’enfants d’enseignants.
La tradition française d’une scolarité obligatoire divisée en deux niveaux, tant par le
recrutement et la formation différenciés des enseignants et des cadres pédagogiques que
par la définition des contenus d’enseignement, a été souvent avancée comme un obstacle à
une meilleure réussite des élèves ou, pour le moins, à une meilleure fluidité des parcours, le
collège étant longtemps resté davantage un petit lycée que la deuxième étape d’un parcours
commun. Les résultats des évaluations de la direction de l’évaluation de la prospective et de
la performance démontrent par ailleurs que si les programmes de collège définissaient bien
ce que les enseignants devaient enseigner, ils ne constituaient pas un indicateur pertinent
des acquis des élèves à l’issue de la scolarité obligatoire : seul un quart environ des élèves
maîtrisent en fin de classe de troisième les connaissances et les compétences énoncées
dans les programmes.
Ces constats convergents ont débouché, après une longue maturation, sur l’inscription dans
la loi d’un socle commun de connaissances et de compétences et sur une redéfinition des
1
P. Cabanel évalue à 11,3% la proportion d’élèves admis au certificat d’études en 1907 (La République du
certificat d’études, Berlin, 2002)
programmes de l’école primaire et du collège. Il n’est pas question de détailler ici la longue
histoire qui a conduit à la définition contemporaine de ce que nul n’est censé ignorer à l’issue
de la scolarité obligatoire, il suffit de garder en mémoire que l’idée de cette redéfinition
remonte au moins au mandat présidentiel de Valéry Giscard D’Estaing en 1974, que ce
souhait se retrouve régulièrement exposé dans les travaux du comité national des
programmes et que le socle commun constitue la première proposition du rapport de la
commission nationale sur l’avenir de l’Ecole présidée par Claude Thélot
2
. La loi d’orientation
et de programme pour l’avenir de l’école qui s’inspire de ce rapport, précise dans son article
9 que « la scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens
nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et
de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité,
poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en
société… »
L’Article 16 précise qu « à tout moment de la scolarité obligatoire, lorsqu’il apparaît qu’un
élève risque de ne pas maîtriser les connaissances et les compétences indispensables à la
fin dun cycle, le directeur d’école ou le chef d’établissement propose aux parents ou au
responsable légal de l’élève de mettre conjointement en place un programme personnalisé
de réussite éducative « et enfin l’article 32 porte sur la validation du socle : « le diplôme
national du brevet sanctionne la formation acquise à l’issue de la scolarité suivie dans les
collèges ou dans les classes de niveau équivalent situées dans d’autres établissements. Il
atteste la maîtrise des connaissances et des compétences définies à l’article L. 122-l-1 »….
Ces trois extraits montrent à eux seuls l’importance des bases dans la construction d’un
parcours scolaire. La scolarité obligatoire n’apporte pas que le socle commun, mais ce
dernier doit être maîtrisé par tous. L’engagement de l’Etat dans la lutte contre l’échec
scolaire et sa volonté de réduire les inégalités sont manifestes.
Un décret signé le 26 juin 2006 définit les contenus du socle. Les connaissances, les
capacités et les attitudes attendues sont organisées en sept champs. L’ensemble est
ambitieux et novateur parce que commun aux deux premiers niveaux de notre système
d’enseignement, mais aussi parce que confirmant une place prééminente, dès l’école
élémentaire pour les langues vivantes étrangères, les technologies de l’information et de la
communication et les compétences sociales et civiques. Très largement inspiré par les
compétences clés prônées par l’Union européenne, la définition française de ce que nul ne
doit ignorer reste originale, en particulier par la place accordée à la culture humaniste. Ce
faisant, le socle introduit des dimensions nouvelles non explicites dans les programmes alors
en vigueur et son niveau de maîtrise aux deux paliers de l’école élémentaire n’est pas
précisé par le décret.
Après une tentative maladroite d’isoler dans les programmes ce qui relève du socle, le
ministre Xavier Darcos décide de refondre plus totalement les programmes de l’école
primaire dans le cadre d’une réforme de grande ampleur, conçue et mise en œuvre en un
temps record : de nouveaux programmes, une nouvelle organisation du temps des élèves à
l’école et une régulation par les résultats, dont l’ambition est de diviser par trois en cinq ans
le nombre d’élèves en échec scolaire.
Les programmes publiés en juin 2008
3
ont pour objectifs d’être lisibles par tous, en particulier
par les parents, et concis : le texte doit énoncer les objectifs et contenus d’enseignement
sans considérants épistémologiques ou psychologiques ni prescriptions relatives aux
modalités didactiques ou pédagogiques. Ils s’inscrivent ainsi dans le respect de la liberté
2
Pour la réussite de tous les élèves : rapport de la commission nationale sur l’avenir de l’Ecole, la
Documentation française, octobre 2004
3
Bulletin officiel hors série n° 3 du 19 juin 2008
pédagogique des enseignants rappelée par la loi d’orientation et de programme. Ces textes
valorisent particulièrement les enseignements fondamentaux que sont le français et les
mathématiques : le temps consacré à ces enseignements est préservé voire renforcé
malgré la diminution globale de l’horaire, les programmes de ces enseignements sont plus
ambitieux : certains apprentissages renvoyés au collège depuis quelques années sont à
nouveau abordés dès l’école, des progressions annuelles sont proposées aux enseignants. Il
s’agit de repères partagés à l’échelle du territoire qui permettent une meilleure régulation des
enseignements.
Ces programmes sont en outre conçus en cohérence avec les objectifs du socle commun.
Les compétences attendues à la fin du CE 1 et du CM2 sont explicites et constituent les
repères pour la maîtrise du socle commun tant pour les enseignants que pour les
concepteurs des évaluations nationales qui depuis janvier 2009 mesurent les acquis des
élèves en français et en mathématiques à la fin des deux cycles de l’école élémentaire.
Des programmes pour aider les élèves à mieux maîtriser ce qui leur sera
indispensable au collège
Les lignes qui suivent soulignent les nouveautés majeures de ces textes au regard de ce qui
pénalise le plus les élèves à l’entrée au collège : les fragilités en lecture, surtout pour les
compétences de « haut niveau », le manque d’aisance avec la production d’écrits, des
connaissances sur la langue insuffisantes, ou mal assimilées et non appliquées quand elles
doivent l’être, des fragilités dans les quatre domaines des mathématiques, particulièrement
quand il s’agit de résoudre des problèmes ainsi que des écarts très importants entre élèves,
fortement corrélés à leur « origine ».
L’identité propre de l’école maternelle est maintenue, sa finalité prééminente, au service de
l’égalité des chances, est lisible dans l’affirmation de son rôle propédeutique. La nécessaire
progressivité des exigences est confirmée (contenus, gestion du temps, modalités
pédagogiques adaptées aux besoins et possibilités des élèves).
Les programmes soulignent l’importance du langage et de la langue, de l’acquisition des
attitudes favorables à l’apprentissage (devenir élève). Ce sont ces domaines qui font le lien
entre l’origine des enfants et leur adaptation et leur réussite à l’école. Le langage et la langue
au cœur des programmes de l’école maternelle ne s’acquièrent cependant pas au détriment
des autres domaines d’activités mais en interaction avec eux. L’importance de l’oral mérite
d’être soulignée. En activités de production, il s’agit, pour de nombreux élèves, de la
conquête de la maîtrise du « récit » comme oral proche de l’écrit (langage décontextualisé).
C’est un enjeu essentiel qui constitue une base indispensable pour les apprentissages
ultérieurs en lecture, en production écrite et dans l’étude de la langue. Le travail sur la
compréhension à partir de textes lus par le maître est un précurseur du travail qui sera fait
plus tard en lecture.
En matière de langue et de langage, trois nouveautés sont à relever. Les programmes
comptent moins d’attentes d’un point de vue quantitatif dans l’apprentissage de l’écriture
manuscrite mais des exigences du point de vue qualitatif. On commence à apprendre les
gestes de l’écriture sans pour autant copier des lignes entières. Les programmes sont plus
exigeants en matière de langue : les enrichissements du lexique et de la syntaxe sont des
objectifs importants (il ne suffit pas de bien communiquer) et les programmes proposent des
repères pour organiser la progressivité des apprentissages. On n’apprend pas à lire de
manière systématique à l’école maternelle, mais on commence à comprendre, grâce à un
parcours d’apprentissage structuré, comment fonctionnent les relations entre l’oral et l’écrit
en s’appuyant sur quelques sons aisés à repérer.
Le programme de français pour l’école élémentaire respecte pleinement la
réglementation définie pour les cycles avec des repères annuels. Il est compatible et
cohérent avec le socle commun, il souligne la transversalité de la pratique de la langue dans
ses divers usages, il précise, pour chaque palier, de vraies compétences souvent très
complexes qui impliquent la mobilisation de connaissances variées que le programme
détermine.
En ce qui concerne le cycle des apprentissages fondamentaux, la continuité l’emporte pour
la lecture. Les programmes invitent à travailler à la fois le code et le sens, ils respectent la
liberté pédagogique et recherchent l’efficacité. En ce qui concerne l’écrit, l’apparition du mot
rédaction ne doit pas masquer l’essentiel à savoir l’importance de la production d’écrits et la
liaison avec la lecture. Il s’agit d’ambitions qui peuvent paraître plus modestes, mais pour
lesquelles les exigences de qualité sont soulignées. Enfin l’étude de la langue est
incontestablement revalorisée par un programme explicite.
Au cycle des approfondissements, en lecture les exigences sont très élevées en matière de
compétences de lecture, elles sont totalement compatibles avec le référentiel d’évaluation de
PIRLS. En rédaction, on soulignera les liens avec toutes les autres composantes du
domaine Français : pour produire des textes, il faut avoir lu et intégré des « modèles », il faut
mobiliser ses connaissances en matière de langue (vocabulaire, grammaire et orthographe).
Enfin, comme au cycle 2, l’étude de la langue est revalorisée sans que le programme ne soit
plus étendu que ceux que nous avons connus depuis la rénovation de l’enseignement du
français dans les années 1970.
C’est donc incontestablement la place accordée à l’étude de la langue à l’école élémentaire
qui constitue une des inflexions majeures des programmes de 2008. Cette étude suppose un
travail systématique sur les composants de la langue phonologie », grammaire,
vocabulaire-lexique, orthographe) en vue de la connaissance et de l’utilisation des
ressources qu’ils constituent. La mise en œuvre des programmes induit des séances
spécifiques : on n’étudie pas la langue au fil des textes lus ou écrits mais selon une
« progression ». Des phases de structuration des connaissances, des phases d’exercice,
des phases d’apprentissage du transfert des connaissances aux situations elles
s’appliquent sont aussi indispensables pour que les élèves aient des connaissances et
sachent les mobiliser à bon escient. Les finalités de l’étude de la langue sont claires : des
connaissances sûres et des raisonnements adéquats. Ces derniers sont à enseigner
explicitement. Les élèves les maîtriseront grâce à un entraînement en situation. Les
raisonnements s’automatisent par la pratique régulière, guidée d’abord puis autonome, dans
des situations variées. La mobilisation adéquate des raisonnements utiles suppose
l’intelligence de la situation. Sens et automatismes ne sont jamais disjoints.
Les programmes de mathématiques de l’école primaire structurés en 4 domaines
comme ceux du collège, demandent que soit proposé aux élèves un « enseignement
structuré et explicite, orienté vers l’acquisition de savoirs de base et offrant des
entraînements systématiques ». Ils précisent aussi que « la résolution de problèmes joue un
rôle essentiel dans l’activité mathématique et qu’elle est présente dans tous les domaines et
s’exerce à tous les stades des apprentissages. » Ces objectifs sont très clairement
opérationnalisés par les progressions proposées pour chacun des deux cycles : la
connaissance des nombres ainsi que la pratique du calcul (sous toutes ses formes) sur les
quatre opérations sont abordées rapidement et font l’objet d’un entraînement tout au long
des cinq années de la scolarité élémentaire ; la résolution de problème n’est plus conçue
comme une activité à part, mais intégrée à chacun des domaines ; la géométrie des figures
fait l’objet d’une attention particulière. L’usage des instruments de dessin est préconisé plus
tôt, les exercices de construction et de reproduction, qui mobilisent les connaissances des
figures et de leurs propriétés apparaissent dès le CP ; dans le domaine des grandeurs et
mesures, des savoir-faire précis en terme de manipulation et de conversions sont visés.
Les objectifs de l’enseignement des mathématiques restent clairement affichés : aider
l’élèves à « décider et agir dans sa vie quotidienne ». Ce qui singularise le programme 2008
pour les mathématiques, ce sont les moyens qu’il préconise pour y parvenir. Le programme
souligne deux principes essentiels : la capacité à résoudre des problèmes mérite un
apprentissage et un entraînement, elle ne s’acquiert pas par la simple fréquentation de
situations problèmes ; la résolution d’un problème, qu’il soit « simple » au sens taxonomique
du terme, ou « complexe », nécessite la maîtrise d’un grand nombre de connaissances et
d’automatismes. Inversement, les connaissances et les automatismes notamment dans le
domaine du calcul ne prennent sens que s’ils sont conjointement mobilisés pour la résolution
de problèmes.
Raisonnement et automatismes sont doublement liés. Au rang des attitudes, le goût de la
recherche et du raisonnement est placé en avant parce qu’il développe le plaisir de faire des
mathématiques, mais aussi parce que, au-delà des mathématiques, il développe chez l’élève
l’opiniâtreté et la pugnacité face à la difficulté. Les programmes insistent aussi sur les
connaissances et sur les automatismes. Si le terme de connaissance est à peu près partagé,
il convient encore certainement d’expliciter ce que l’on entend par automatismes. Un
automatisme est un réflexe intellectuel, qui s’acquiert dans la durée sous la conduite du
professeur. Il se développe en mémorisant et en automatisant progressivement certains
résultats, certaines procédures, certains raisonnements particulièrement utiles, fréquemment
rencontrés et qui ont valeur de méthode. Certains automatismes sont plutôt de l’ordre des
connaissances (résultats des tables), d’autres de l’ordre du raisonnement (sens de
l‘addition), progressivement les automatismes deviendront au collège plus riches et
conjugueront des connaissances et du raisonnement (mise en œuvre du théorème de
Pythagore). On remarquera que l’installation des automatismes nécessite du raisonnement
et qu’inversement développer un raisonnement nécessite la mobilisation de nombreux
automatismes.
Les autres disciplines ou domaines d’enseignement ne sont pas à considérer comme
secondaires, leur présentation dans les programmes souligne leur fonction propre et leur
rôle pour conforter les apprentissages en français et en mathématiques. Leur organisation
sans progressions ni horaires hebdomadaires relève de l’initiative des équipes enseignantes.
Les contenus proposés s’inscrivent dans une forme de continuité. Les programmes de
sciences expérimentales et de technologies changent peu. Le texte souligne la place de la
démarche d’investigation qui développe « la curiosité, la créativité, l’esprit critique et l’intérêt
pour le progrès scientifique et technique » ainsi que le sens de la responsabilité face à
l’environnement, au monde vivant et à la santé, en particulier par une première approche du
développement durable. Le programme de langue vivante reste défini par le cadre européen
commun de référence au niveau A 1. Le programme qui concerne les techniques usuelles
d’information et de communication est organisé selon les cinq domaines propres au B2i.
L’enseignement de l’éducation physique et sportive vise, comme dans les programmes
précédents le « développement des capacités motrices et la pratique…Elle contribue à
l’éducation à la santé…Elle éduque à la responsabilité… ».
La littérature, l’histoire, la géographie, les pratiques artistiques et l’histoire des arts
participent d’un ensemble plus vaste intitulé « culture humaniste » telle que définie dans le
socle des connaissances et compétences communes. Cette présentation nouvelle amène à
croiser des composantes disciplinaires pour leur donner plus de sens autour d’objectifs
communs : une démarche intellectuelle fondée sur la curiosité, l’observation et un
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