I. ESCARRES
La compression prolongée des parties molles peut entraîner une
escarre, par ischémie des tissus cutanés et sous-cutanés. Elles
sont favorisées par l’immobilisation prolongée, les troubles micro-
circulatoires, les déformations neuro-orthopédiques, les troubles
sensitifs, la dénutrition, l’état psychologique et la macération
souvent en rapport avec les fuites urinaires ou les fuites de selles.
On estime que 50 à 80% des blessés médullaires vont présenter
une escarre au moins une fois dans leur vie [1]. Le risque est
d’autant plus important que la lésion est complète et haut située.
Les localisations habituelles chez le patient blessé médullaire
sont le sacrum et les talons en décubitus dorsal, les ischions, les
trochanters et les malléoles en station assise et en décubitus latéral.
Il existe plusieurs échelles afin de dépister les sujets à risque de
développer une escarre et donc adapter au mieux les différents
éléments de prévention. Les trois échelles les plus utilisées sont
Norton, Braden et Waterlow. Concernant les deux premières,
plus le score est bas, plus le risque est élevé ;et inversement pour
l’échelle de Waterlow.
La classification des stades de l’escarre la plus ancienne est celle
de Shea [2], elle décrit 5 stades en fonction de la destruction
tissulaire. Plus récemment, Yarkony et al [3] ont décrit une
classification en six stades:
stade I :rougeur
stade II : ulcération de l’épiderme et/ou du derme
stade III : atteinte de l’hypoderme (tissus graisseux)
stade IV :atteinte des muscles et des fascias
stade V : atteinte osseuse
stade VI : atteinte articulaire.
Les traitements sont avant tout préventifs. Ils nécessitent le choix
d’un support adapté au niveau de risque de chaque patient :
matelas, sur-matelas, lits à air et coussins pour la station assise au
fauteuil. Il est parfois nécessaire d’y associer des postures alternées
afin de diminuer la durée des points d’appui. Par ailleurs, une
hygiène optimale doit être maintenue afin d’éviter la macération
liée aux fuites urinaires et/ou fécales mais aussi à l’hypersudation.
Il est nécessaire d’apprendre au patient ou à son entourage à
inspecter plusieurs fois par jour les zones à risque. Il faut adapter
les supports et notamment les coussins de fauteuil roulant en
fonction de l’évolution du patient, de son état orthopédique
(rétractions tendineuses, spasticité, paraostéoarthropathies…) et
de son mode mictionnel. En effet, il est nécessaire de prescrire aux
patients porteurs de prothèse endo-uréthrale un coussin à air à
cellules pneumatiques évidé afin d’éviter la compression de
l’urèthre lors de la station assise et optimiser la vidange vésicale
dans cette position. Il est important de veiller à une prise en charge
optimale lors des transports pour des radiographies, et de former
le personnel concerné afin d’éviter des attentes trop prolongées
sur des brancards inadaptés. Au bloc opératoire, les patients
doivent être installés sur des gels spéciaux, ce qui permet des
interventions prolongées sans risque cutané.
RÉSUMÉ
La prise en charge des patients blessés médullaires suppose la
connaissance de quelques spécificités non urologiques qui
exposent ces patients à des complications particulières : les
escarres, le développement d’une spasticité ou la survenue d’une
hyperréflexie autonome.
Le risque d’escarre est élevé chez les patients blessés médullaires
puisqu’on estime que la presque totalité des patients en
développera au moins une dans sa vie. Lors d’un séjour à
l’hôpital, l’équipe soignante dans son ensemble doit être
particulièrement attentive à prévenir ces problèmes qui, une
fois installés, peuvent évoluer sur plusieurs mois voire années
avant de cicatriser.
L’hyperréflexie viscérale et la spasticité peuvent avoir comme
origine une cause urologique. Ces deux pathologies peuvent
entraîner un inconfort important pour les patients, et doivent être
considérés chez eux comme des équivalents à la douleur qu’ils
ne peuvent parfois plus ressentir du fait de troubles de la
sensibilité.
Sans rentrer dans le détail de chacune des trois pathologies qui
vont être décrites dans la suite de cet article, il est capital, si l’on
veut prendre en charge des patients blessés médullaires, de
connaître ces trois risques particuliers que sont les escarres, la
spasticité et l’hyperéflexie autonome (HRA).
Mots-clés: escarres, hyperréflexie, spasticité, blessé médullaire,
vessie neurologique
Progrès en Urologie (2007), 17 454-456
Chapitre H
Spécificités cliniques du blessé médullaire
(escarres, HRA, spasticité)
A. Even-Schneider - E. Chartier-Kastler - A. Ruffion
454
Les traitements curatifs sont de deux types : les traitements locaux
etles traitements chirurgicaux. L’objectif des traitements médicaux
locaux est d’obtenir une détersion, puis un bourgeonnement et enfin
une épithélialisation. La chirurgie est indiquée en cas d’échec des
traitements locaux, ou d’emblée selon la localisation de l’escarre
ou sa profondeur.
II. L’HYPERREFLEXIE AUTONOME (HRA)
L’hyperréflexie autonome ou HRA correspond à une hyperactivité
sympathique en réponse à des stimuli sous-lésionnels chez les
blessés médullaires ayant une lésion au dessus de T6[7], que
l’atteinte neurologique soit complète ou incomplète. Dans environ
80% des cas les stimulations nociceptives sous-lésionnelles sont
d’origine urinaire[8], il peut s’agir d’une rétention aiguë d’urines
par obstruction de la sonde à demeure ou de la prothèse endo-
uréthrale, de lithiase ou d’une infection de l’appareil urinaire.
Les manifestations d’HRA peuvent également survenir lors d’une
exploration de l’appareil urinaire comme un examen
urodynamique[9] ou une cystoscopie , notamment à l’endoscope
rigide. Les autres causes peuvent être digestives (fécalome,
infection…) mais aussi survenir lors d’un déclenchement
d’éjaculation par stimulation vibratoire pénienne ou éléctro-
éjaculation ou lors d’un acte chirurgical, comme la
néphrolithotomie percutanée[10] par exemple.
Les symptômes de l’HRA les plus classiques sont :malaise,
céphalées, sueurs ou érythème sus-lésionnels, horripilation,
obstruction nasale, augmentation de la spasticité et/ou élévation
brutale et importante de la tension artérielle. Dans les cas les plus
sévères, l’épisode d’HRA peut être responsable de convulsions,
d’hémorragie intra-cérébrale, d’arythmie cardiaque, d’œdème
pulmonaire, il peut même parfois conduire au décès du patient.
Le traitement consiste en premier lieu à traiter le facteur
déclenchant, qu’il s’agisse d’assurer en urgence la vidange vésicale
ou l’évacuation d’un fécalome par exemple. Il faut également
retirer tous les éléments de contention tels que les gaines
abdominales et les bas de contention et installer le patient debout
ou assis (diminution du retour veineux). En cas de persistance de
la poussée hypertensive, il est indiqué d’avoir recours aux
traitements médicamenteux antihypertensif tels que les inhibiteurs
calciques (nifédipine per os) ou les dérivés nitrés.
La connaissance de ce dysfonctionnement neurovégétatif spécifique
àlapopulation des blessés médullaires est indispensable à la
prévention des épisodes d’HRA et au traitement en urgence afin
d’en éviter les complications. De façon générale il est nécessaire
de diminuer les afférences nociceptives chez les patients à risque
(même s’ils présentent une atteinte complète sensitivo-motrice)
par la réalisation d’anesthésies locales, régionales, voire générales
en cas de geste invasif ou d’intervention chirurgicale, surtout sur
la sphère génito-urinaire.
III. LA SPASTICITÉ
L’apparition d’automatismes médullaires sous-lésionnels est
fréquente chez le blessé médullaire après la phase de choc spinal,
en général dans les trois mois suivant le traumatisme. Toutefois
certains patients gardent une paraplégie ou tétraplégie flasque,
notamment en cas d’atteinte vasculaire responsable de
myélomalacie.
La libération de ces réflexes médullaires est responsable de la
spasticité, qui est un des éléments du syndrome pyramidal. Elle
aété définie par Lance[4] comme un désordre moteur caractérisé
par une augmentation vitesse dépendante du réflexe d’étirement
accompagnée d’une hyperréflexie tendineuse. Elle peut parfois être
extrêmement invalidante lorsqu’elle est responsable de douleurs,
de troubles neuro-orthopédiques ou de gêne fonctionnelle.
Cliniquement, il existe plusieurs échelles d’évaluation de la
spasticité, les deux les plus utilisées sont celles d’Ashworth,
révisée par Bohannon et Smith en 1987 (Figure 1)et l’échelle des
spasmes de Penn [5]. Celle-ci permet d’évaluer l’importance des
spasmes en fonction de la fréquence horaire et des facteurs
déclenchants éventuels (stimulation nociceptive ou spontanés).
0pas d’augmentation du tonus musculaire
1légère augmentation du tonus musculaire avec
simple sensation d’accrochage ou minime résistance en
fin de course
1+ légère augmentation du tonus musculaire avec simple
sensation d’accrochage suivie d’une minime résistance
au cours de la première moitié de la course musculaire
2augmentation importante du tonus musculaire durant
toute la course musculaire mais le segment de membre
reste facilement mobilisable
3augmentation considérable du tonus musculaire le
mouvement passif est difficile
4rigidité segmentaire en flexion ou extension, le
mouvement passif est impossible
Figure 1 : Echelle d’Ashworth modifiée
La spasticité et les spasmes sont souvent responsables d’une gène
fonctionnelle en limitant le recrutement des muscles agonistes
par augmentation de la résistance des antagonistes. Ils peuvent aussi
entraîner des escarres (frottements liés aux spasmes, position
vicieuse au lit ou au fauteuil), des douleurs et des déformations
des membres le plus souvent par rétractions tendineuses.
Les objectifs du traitement de la spasticité peuvent être
doubles :
-amélioration du confort, en diminuant les douleurs, en améliorant
l’installation au fauteuil, en facilitant le nursing et notamment
l’accès au périnée pour la prise en charge vésico-sphinctérienne
et génito-sexuelle
-amélioration fonctionnelle des préhensions ou de la marche.
En cas d’apparition ou d’aggravation de la spasticité chez le blessé
médullaire, il est nécessaire de rechercher et traiter un éventuel
facteur déclenchant. En effet, elle peut être déclenchée ou majorée
par une stimulation nociceptive sous-lésionnelle, appelée « épine
irritative » ; il peut s’agir notamment d’une rétention d’urines, d’une
infection urinaire, d’une hyperactivité du détrusor non contrôlée,
455
d’une lithiase urinaire, d’une escarre, d’une hémorroïde, d’une
fissure anale, d’un fécalome, d’un ongle incarné, d’une
paraostéoarthropathie, d’une syringomyélie ou d’un ulcère
digestif…
Laseconde étape consiste en l’instauration d’un traitement
spécifique de la spasticité. Il peut s’agir d’une prise en charge en
kinésithérapie avec cryothérapie locale, balnéothérapie ou
étirements musculo-tendineux, ceux-ci ont en général un effet
transitoire sur la spasticité.
Les traitements médicamenteux par voie générale les plus utilisés
sont le baclofène (Liorésal®), le dantrolène sodique (Dantrium®)
et le diazepam (Valium®). Leur utilisation est malheureusement
souvent limitée par les effets secondaires, tels que la somnolence,
la baisse du seuil épileptogène ou l’hépato-toxicité.
Lorsque la spasticité est localisée à un muscle ou à un groupe
musculaire, un traitement local peut être proposé par alcoolisation
d’un tronc nerveux ou injection intramusculaire de toxine
botulique[6]; la durée moyenne d’efficacité de la toxine est
d’environ 2 à 4 mois, les injections peuvent être répétées autant
que nécessaire. On peut également envisager en cas de spasticité
localisée des neurotomies sélectives qui consistent en une section
chirurgicale partielle d’un nerf moteur
Lorsque la spasticité est moins localisée et rebelle aux traitements
per os, on peut proposer la pose d’une pompe sous-cutanée à
diffusion intra-thécale programmable de baclofène. L’efficacité du
baclofène intra-thécal est limitée aux membres inférieurs
(l’efficacité sur les membres supérieurs est en général moindre)
et permet de faciliter les soins de nursing, l’accès au périnée, de
diminuer les douleurs, mais aussi parfois d’améliorer la qualité
de la marche.
Les autres technique chirurgicales telles que les radicotomies
postérieures et les dreztomies sont plus rarement pratiquées depuis
l’utilisation du baclofène intrathécal. Les pompes à baclofène
n’ont pas besoin d’être arrêtés en cas de chirurgie, même si le
bistouri électrique est utilisé.
RÉFÉRENCES
1. Rodriguez GP, Garber SL. Prospective study of pressure ulcer risk in spinal
cord injury patients. Paraplegia 1994;32:150-8
2. Shea JD. Pressure sores: classification and management. Clin Orthop Relat Res
1975:89-100
3. Yarkony GM, Kirk PM, Carlson C, et al. Classification of pressure ulcers.
Arch Dermatol 1990;126:1218-9
4. Lance JW, Feldman RG, Young RR, Koeller C. Spasticity : disorder of motor
control. In, Year Book Medical. Chicago; 1980:485-94
5. Penn RD, Kroin JS. Continuous intrathecal baclofen for severe spasticity.
Lancet 1985;2:125-7
6. Ben Smail D, Denys P, Bussel B. [Botulinum toxin and spinal cord injury].
Ann Readapt Med Phys 2003;46:296-8
7. Kewalramani LS. Autonomic dysreflexia in traumatic myelopathy. Am J Phys
Med 1980;59:1-21
8. Ascoli R. The neurovegetative syndrome of vesical distension in paraplegics.
Prevention and therapy. Paraplegia 1971;9:82-4
9. Perkash I. Autonomic dysreflexia and detrusor-sphincter dyssynergia in spinal
cord injury patients. J Spinal Cord Med 1997;20:365-70
10. Chang CP, Chen MT, Chang LS. Autonomic hyperreflexia in spinal cord injury
patient during percutaneous nephrolithotomy for renal stone: a case report. J
Urol 1991;146:1601-2
____________________
SUMMARY
Clinical specificities of spinal cord injurypatients (pressure
ulcers, autonomic hyperreflexia, spasticity)
The management of spinal cord injury patients requires a
knowledge of several non-urological aspects associated with a risk
of particular complications in these patients: pressure ulcers,
spasticity and autonomic hyperreflexia. Spinal cord injury patients
present a high risk of pressure ulcer, as almost all patients develop
at least one pressure ulcer during their lifetime. During a stay in
hospital, the medical team must be particularly attentive to prevent
these problems, as, once they develop, they can take several
months or even years to heal. Autonomic hyperreflexia and
spasticity can be due to a urological cause. These two diseases
can cause major discomfortfor the patient and, in these patients,
must be considered to be equivalent to the pain that they can no
longer feel due to sensory disorders. The management of spinal
cordinjurypatients must take into account these three particular
risk factors: pressure ulcers, spasticity and autonomic
hyperreflexia.
Key-Words: pressure ulcers, hyperreflexia, spasticity, spinal cord
injury
CE QU’IL FAUT RETENIR
1Le risque d’escarre est très élevé chez les patients blessés
médullaires et impose un encadrement très strict des patients
durant les consultations et les hospitalisations.
2La spasticité est une conséquence du traumatisme
médullaire. Les traitements prescrits doivent être poursuivis
durant l’hospitalisation. Si une pompe sous-cutanée a été
implantée, elle ne doit pas être arrêtée pour intervention.
3L’hyperréflexie autonome est une complication qui traduit
des stimuli nociceptifs dans le territoire sous lésionnel des
patients blessés médullaires au-dessus de T6. Le traitement
et la prévention de ces stimuli (comme la douleur) est
impératif et peut imposer de faire les gestes chirurgicaux
sous anesthésie, même si les patients n’ont pas de sensibilité
dans le territoire concerné.
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