20 MARS 14 Quotidien Paris OJD : 122744 Surface approx. (cm²) : 208 N° de page : 11 16 RUE DU QUATRE SEPTEMBRE 75112 PARIS CEDEX 02 - 01 49 53 65 65 Page 1/1 L'opéra de la dette Philippe Chevilly [email protected] THÉÂTRE relief les fulgurances du texte, gomme ses côtés convenus et un brin empesés. On rit des mésaventures de Mercadet, l'homme d'affaires ruiné, qui croit sauver sa f o r t u n e en mariant sa fille à un riche héritier (La Brive), alors que le jeune gandin n'est qu'un autre « faiseur » sans le sou. On goûte son ingéniosité pour amadouer ses créanciers et reculer l'échéance de la faillite - jusqu'au deus ex machina qui va le sauver. Mais c'est le cynisme des personnages, obsédés par l'argent, qui ressort avant tout dans cette mise en scène ultrastylisée. « Le Faiseur » de Balzac Mise en scène : Emmanuel Demarcy-Mota. A Paris, Th. de la Ville-Abbesses, OI 42 74 22 77, jusqu'au 12 avril. Durée : I h 50. Le capitalisme tangue, la Bourse fait du yoyo, mais les h o m m e s r e s t e n t debout. Sur la scène du Théâtre des Abbesses, un plateau en bois mouvant ne cesse de se déplier, de former des planchers et des murs en pente. Les comédiens le parcourent tels des acrobates-funambules... « L'équilibre instable » du monde phagocyté par la finance se matérialise dans ce beau décor voulu par Emmanuel Demarcy-Mota pour remettre au goût du jour la pièce de Balzac « Le Faiseur » (1840). Le patron du Théâtre de la Ville aurait pu monter cette comédie de l'argent façon vaudeville noir, il a préféré en faire un genre d'opéra - un opéra de la dette - entre show brechtien et pantomime burlesque. Le texte de Balzac, qui explore les mille façons d'embrouiller ses créanciers et de continuer à faire des affaires, même quand on est ruiné, est entrecoupé de chœurs rock célestes (« Money » de Pink Floyd, « Money Money » d'Abba ou « The Man Who Sold the World » de David Bowie) entonnés par la troupe. Les maquillages très blancs, façon cabaret, composent une atmosphère onirique et fantastique. Seuls les costumes (cravates) ramènent à la réalité d'aujourd'hui. Ce traitement spectaculaire et décalé met en Eblouissant Serge Maggiani Serge Maggiani éblouit dans le rôle de Mercadet, machiavélique et truculent « Faiseur ». Valérie Dashwood (Madame Mercadet) est irrésistible en bourgeoise titubante. Philipe Demarle incarne avec humour le jeune dandy sans foi ni loi, La Brive... Les treize acteurs s'investissent à fond dans cette folle comédie de la cupidité. Un peu hésitants au début, ils trouvent vite leur « équilibre instable » et nous plongent dans une sorte de transe méphitique. Au final, seuls l'or, tombé en pluie sur la scène, et les actions, brandies par les créanciers semblent avoir une existence matérielle. Nos héros sont devenus des ombres, effacées par les flux et reflux de la finance. • Une scène insolite, dont les planchers et les murs peuvent varier d'inclinaison, à l'image des fluctuations de la finance. Photo Jean-Louis Fernandez VILLE3 6972759300509/XTT/ABA/1 Eléments de recherche : Toutes citations : - THEATRE DES ABBESSES, à Paris - THEATRE DE LA VILLE, place du Châtelet, à Paris 29 MARS/04 AVRIL 14 Hebdomadaire OJD : 613234 Surface approx. (cm²) : 262 N° de page : 5 Page 1/1 SCÈNES LA CHRONIQUE DE FABIENNE PASCAUD iii La Vipère Drame Lillian Hellman 12h!51 Mise en scène Thomas Ostermeier I Spectacle en allemand, su rtitré en français I Jusqu'au 6 avril I Les Gémeaux, Sceaux (92) I Tél.: 0146 6136 67 m Le Faiseur Drame Honoré de Balzac hhsolMiseen scène Emmanuel Demarcy-Mota I Jusqu'au 12 avril I Théâtre des Abbesses, Parisis6 I Tél.: 0142 74 22 77. Qu'est-ce donc qui a poussé le virtuose patron de la Schaubiihne de Berlin à monter The Little Foxes (en français, La Vipère), le plus grand succès de l'Américaine Lillian Hellman (19051984)? La dénonciation qu'y fait la dramaturge communiste de l'argent sale qui corrompt tout : couple, famille, relations sociales? On sait Thomas Ostermeier engagé à gauche et vitupérant volontiers le libéralisme de nos sociétés actuelles. Mais le portrait au vitriol de l'infâme Regina et de ses deux frérots cupides et véreux manque de nuances. Sans doute était-ce déjà faire preuve de courage que de stigmatiser sur Broadway, en 1939, les turpitudes capitalistes. Celle qui se voulait l'égale d'Eugène O'Neill ou de Tennessee Williams caricature quand même son héroïne, continûment garce et rapace, qu'interpréta à merveille Bette Davis dans le film de William Wyler (1941), et qu'adapta pour elle-même à la scène Simone Signoret en 1950. Mais dans sa mise en scène diablement chic, Ostermeier se moque de l'intrigue sans finesse. Lui im- Une piquante Vipère, mise en scène par Thomas Ostermeier. portent la forme, le style, et un geste théâtral qui semble constamment défier le cinéma. Par des jeux de miroir, des profondeurs de champ, un travail étonnant de gros plans et d'arrièreplans; par la manipulation paradoxale de procédés ultra théâtraux - telle cette tournelle sur laquelle valsent par instants l'immense piano à queue et les personnages. Il nous transporte dans une espèce de film imaginaire au grand escalier en CinémaScope, au mobilier de films noirs glacés. Il se joue à ce point des images et des codes hollywoodiens qu'on ne sait plus, parfois, si on est devant une scène ou un écran. Exercice éblouissant. Qui compense la faiblesse du texte, situé en 1900 dans la bourgeoisie affairiste du Sud, catapulté ici à notre époque avec des personnages habillés façon série House of cards; et dont l'interprète principale, Nina Boss, évoque Nicole Kidman et Robin Wright. VILLE3 1384469300505/XME/ARN/2 IPad, tweets, les monstres de La Vipère se servent de tous les moyens pour manipuler. Sans remords, Regina sacrifiera jusqu'à mari et fille unique pour s'installer richement à New York. Mais elle finira seule. La troupe de la Schaubiihne dirigée par Ostermeier a traqué avec une distance hautaine les fauxsemblants, montré les risques du jeu et de la quête du fric. Le théâtre est ici plus fort que tous les cinémas. Montant Le Faiseur (1848), comédie peu jouée de Balzac et elle aussi sur les manipulations financières, Emmanuel Demarcy-Mota mise, lui, sur le théâtre. Dans un décor de bois en plan incliné, tout en chausse-trapes et déséquilibres - à l'image des fluctuations de la Bourse et des coups de poker, des mensonges toujours recommencés qu'elle suscite -, le spéculateur Auguste Mercadet (Serge Maggiani, époustouflant) construit sa fortune - et sa ruine - sur ses créanciers, déclamant avec un irrésistible bagou à ses'prêteurs que ses dettes sont pour eux des richesses potentielles. Mercadet crée de l'argent sur du vide, tels les traders d'aujourd'hui. Mais ses illusoires engagements, ses fausses promesses le condamnent à une course infernale. Au risque de détruire sa famille. Si son épouse est obligée de rentrer dans son jeu, Mercadet ira-t-il jusqu'à négocier sa fille (déjà si laide, regrette-t-il)? On est saisi par la modernité visionnaire du texte. En plus, le sauveur qu'attend désespérément Mercadet, et qu'on ne verra jamais, s'appelle Godeau, devançant étrangement le Godot de Beckett... Balzac, qui sut si bien décrypter nos comédies humaines, avait des dons de voyant, à l'image du confrère Hugo. Nulle emphase, nul lyrisme pourtant dans ce théâtre-là, qui court façon vaudeville, tellement ancré dans le quotidien et la matière qu'il en devient irréel. Absurde à sa façon, juste fondé sur les pouvoirs de la parole, du paraître, du théâtre perpétuel de l'existence. Ainsi Emmanuel Demarcy-Mota n'hésite pas à convoquer Brecht avec des«songs» (le Money des Pink Floyd en leitmotiv) ou Labiche. Il se réfère pour cette apologie de l'infini théâtre de nos vies à toute la tradition. Et sa troupe suit avec allégresse, lorgnant parfois sur le théâtre de tréteaux, pétillante de vie et de mouvement. Ils font théâtre de tout • Eléments de recherche : Toutes citations : - THEATRE DES ABBESSES, à Paris - THEATRE DE LA VILLE, place du Châtelet, à Paris "Qu'y a t'il de déshonorant à devoir? Est-il un seul Etat en Europe qui n'ait pas sa dette?" Comment donner tort à Mercadet, "Le Faiseur" de Balzac quand il argumente ainsi? Naturellement, il pousse le bouchon un peu loin. C'est une crapule, un as de l'emprunt et du bluff à tous les étages. Mercadet n'est jamais à cours d'arguties, du genre "La vie est un emprunt perpétuel". En matière de dettes et de créanciers, Honoré de Balzac était un fin connaisseur, on le sait. Il a beaucoup écrit sur la comédie humaine, en partie pour rembourser ses créanciers, mais curieusement peu pour le théâtre. Dommage. Car "Le Faiseur" est un bijou de comédie. La pièce a parfois été montée genre réalisme XIXème noir et grinçant. Emmanuel Demarcy-Motta a choisi un parti pris joyeux, loufoque, réjouissant. Il situe la pièce quelque part dans une famille d'aujourd'hui, mais sans plus, sans aucune insistance coté actualité. Il laisse filer les répliques de Balzac, elles se suffisent à elles-mêmes, et à notre bonheur.. VILLE3 / 212881729 copyright © 2013, Argus de la presse Tous droits réservés Dans la famille Mercadet, tout va de guingois, y compris les tables, les chaises, et les êtres, sans cesse en déséquilibre, et pour cause: le plateau monte et descend ainsi le niveau des emprunts de Mercadet, ou le cours de la Bourse. Mercadet emprunte comme d'autres font du jogging: ca le dope, ca l'amuse, il ment comme il respire, c'est un conteur né, il vend des marais salants sur du vent, des mines de charbon, et tant qu'à faire du trafic d'influence. Il a une fille (laide) à marier, pas mal d'argent à emprunter encore, les créanciers rodent tels des vautours à sa porte. alors il croit tomber sur un riche parti, prêt à fermer les yeux, un dénommé Michonnin de la Brive (Balzac comme Feydeau a décidemment le sens des noms de famille). Las, ce noble est un fauché, un escroc à la petite semaine. Pour se sauver du désastre de la faillite, Mercadet imagine que son associé, Godeau, revient des Indes... Alors tous, créanciers y compris, d'attendre Godeau comme le messie. Evidemment, avec un nom pareil, ils peuvent toujours l'attendre, même si Beckett n'était pas encore passé par là. Mais évidemment, avec cette histoire de Godeau, Balzac nous amuse encore plus, malgré lui. Serge Maggiani est Auguste Mercadet, grand corps souple en costume, grand sourire, gestes d'oiseaux, regard d'aigle. Cet homme là, personnage et acteur, est d'une inventivité de tous les instants, un rapide, un intelligent, un fantaisiste. Irrésistible en un mot, et ce n'est pas un hasard de mise en scène..Autour de ce prince du vent, Demarcy-Motta a réuni sa bande d'acteurs, dont Valérie Dashwood, Madame Mercadet, Philippe Demarle, noblaillon escroc. Ils jouent à l'emporte-pièce, c'est le cas de le dire; il chantent en chœur "Money" des Pink Floyd. On s'amuse follement, et pas sans arrière-pensée.. "Le Faiseur" de Honoré de Balzac, mise en scène Emmanuel Demarcy Motta. Théâtre de la Ville/ Les Abbesses à Paris jusqu'au 12 avril (01 42 74 22 77) puis en tournée. VILLE3 / 212881729 copyright © 2013, Argus de la presse Tous droits réservés Une femme d'argent Thomas Ostermeier, le directeur de la Schaubühne est non seulement un as de la mise en scène, c'est avéré, mais il a l'art de choisir ses sujets, sachant à qui il s'adresse. Ainsi "l'ennemi du peuple" d'Ibsen, où, au fond, il montrait combien la démocratie est un art bien compliqué, sans parler des ambiguités d'une certaine bien-pensance "de gauche", en un mot celle de son public. Pourquoi est-il allé exhumer "La Vipère" (The Little Foxes) de Lillian Hellman, une américaine engagée , ce qui lui valut bien des ennuis au temps du maccarthysme. "La Vipère" titre français donc de ce qui se nomme en anglais "les petits renards" a été crée en 1939, jouée beaucoup à Brodway et inspiré à Billy Wilder un film épatant avec une Bette Davis qui ne l'était pas moins, dans le rôle de Regina. Chez Ostermeier, c'est Nina Hoss qui la joue. Glacée, superbe. Mais qui est Regina? Une femme de la haute bourgeoisie, mal mariée, qui veut s'émanciper de ses frères, de son mari. Elle veut donc le pouvoir, donc l'argent, pour rentrer dans une affaire qui lui permettrait d'aller vivre à New-York. Or l'argent, c'est son mari qui l'a. Il est malade, il se repose loin, de toutes façons ces deux là ne sont jamais aimés. Et Regina n'hésite pas à envoyer sa fille pour lui faire un chantage à l'affection, pour qu'il revienne. Mais lui, il a tout compris, il résiste, il en meurt. Pour finir la fille de Regina refuse de suivre sa mère. Pour conquérir sa liberté, fuir ce nœud de vipère qu'est sa famille, ses frères surtout, Regina piétine décidemment tout sur son passage. A t-elle un autre choix? Pas une once d'amour dans cette pièce glacée et glaçante qu'Ostermeier monte avec une élégance froide. Le décor est un huis clos sombre, avec un immense escalier aux marchés métalliques, un VILLE3 / 212881729 copyright © 2013, Argus de la presse Tous droits réservés salon chic sur plateau tournant. Pour un peu, on se croirait dans un film de Hitchcock. Mais on est bien dans une grande famille de la bourgeoisie financière d'aujourd'hui. Modèle allemand? Comme toujours - et on ne s'en lasse pas...- les comédiens de la Schaubühne jouent directs, vifs, comme surgis d'une télé-réalité, avec ce qu'il faut de léger fantasme inquiétant en plus. Un personnage, Birdie ( merveilleuse Ursina Lardi) traine son alcoolisme, et son désarroi de mal aimée, éternelle petite fille quelque part du coté de Tennessee Williams. Birdie a la nostalgie aristocratique du Sud d'autrefois. Dans ce monde de brutes, elle est la seule encore un peu humaine. Encore un paradoxe. Thomas Ostermeier sait faire du théâtre un jeu séduisant, et implosif. "La Vipère" de Lillian Hellman, mise en scène Thomas Ostermeier. Les Gémeaux. Sceaux. Jusqu'au 6 avril. 01 46 61 36 67 Photographie Arno Declair. VILLE3 / 212881729 copyright © 2013, Argus de la presse Tous droits réservés