pour restaurer le système de représentation et d'accommodement communautaire qui les
avait portés au pouvoir en 1972. Mais ce " miracle " était surtout le fait d'un deus ex
machina, ou plutôt de deux puissances régionales. L'Arabie Saoudite, d'abord, favorable,
dans toute la région arabe, à des régimes politiques fondés sur une foi religieuse, ou
taillés à la mesure des communautés de croyants. Pour les dirigeants saoudiens, un
régime dominé par une communauté chrétienne, comme le régime libanais l'était par les
Maronites avant la guerre, est préférable à un régime sécularisé ; un Etat communautaire
dont l'exécutif est dominé par un président du Conseil musulman sunnite, comme l'est le
régime libanais mis en place à Taëf, comble leurs voeux. La Syrie, ensuite, trouvait dans la
formule de Taëf la consécration d'un maintien illimité de son contrôle militaire sur le
Liban. Car, tout en approuvant la restauration du système communautaire et en
marquant sa sollicitude pour les chefs de communautés, religieux et politiques, elle
obtenait l'insertion, dans le chapitre des réformes, d'une exigence ferme d'abolition du
communautarisme politique, abolition à laquelle elle conditionnait le retrait de ses forces
10. En somme, la pérennisation du communautarisme assurait la pérennisation de son
occupation.
4 Un rempart contre les totalitarismes Conservatisme, force d'inertie et
instrumentalisation d'une stratégie par des acteurs sont des explications convaincantes
du renforcement du communautarisme politique après la guerre du Liban. Ces
explications doivent pourtant être complétées par l'examen de thèses abondamment
débattues à Beyrouth, selon lesquelles l'adoption d'un mode de représentation laïque,
basé sur une majorité démographique, comporte un sérieux risque de dérive totalitaire.
La première thèse consiste à opposer les voies constitutionnelles choisies par différents
Etats successeurs de l'Empire Ottoman au Moyen-Orient, le Liban d'une part, les autres
Etats arabes de l'autre, après la décolonisation. Alors que le premier faisait accéder les
communautés à la représentation politique, reprenant en le transformant le système des
millet11, les autres récusaient ce mode d'organisation " traditionnel " (de même que le
tribalisme). Pour accéder à la modernité, ils choisissaient théoriquement la voie de la
sécularisation et de l'intégration nationale, celle dans laquelle les citoyens égaux en
droits et en devoirs ont l'Etat pour interlocuteur. En principe, donc, la majorité politique
de ces pays est dessinée par la seule loi du nombre. En pratique, leur sécularisation est
incomplète, puisque l'islam ou la sharî'a figurent, à un titre ou un autre, dans toutes les
constitutions du monde arabe. Surtout, la plupart de ces systèmes, loin d'assurer une
compétition équitable, favorisent la domination d'une communauté (un segment
ethnique ou religieux de la population) sur les autres 12. Ainsi, la soi-disant sécularisation
d'Etats comme la Syrie ou l'Iraq masque un système de préférence et d'exclusion
communautaire plus virulent que le communautarisme institutionnalisé, parce qu'il
échappe à la régulation constitutionnelle. En dénonçant le caractère dictatorial de
régimes " modernes " et sécularisés, en proclamant même que le Liban est le seul Etat de
la région qui a échappé au totalitarisme, les défenseurs du communautarisme politique
mettent l'accent sur un autre problème : celui du déficit démocratique. Or, ce n'est pas
parce qu'ils sont laïques que ces régimes arabes sont dictatoriaux, mais plutôt parce qu'ils
ne le sont qu'en façade et, qu'au fond, ils sont farouchement communautaristes. Ils ont
dévoyé le principe laïque de la séparation du religieux et du politique en identifiant l'Etat
à une seule communauté ; ils ont transformé le principe démocratique " un homme, un
vote " en un plébiscite sans choix ; ils ont " dé-politisé " les opposants au système en les
excluant d'une nation pour le moins hypothétique. Mais, pour aigu qu'il soit dans ces
régimes patrimoniaux et militarisés, le problème de la démocratie ne se pose pas moins
Les habits neufs du communautarisme libanais
Cultures & Conflits, 15-16 | 2002
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