KF/AE AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU 15 JANVIER 2015 REPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE ------------------COUR D’APPEL D’ABIDJAN --------------TRIBUNAL DE COMMERCE D’ABIDJAN --------------RG N° 1973/14 ------------JUGEMENT CONTRADICTOIRE du 15/01/2015 ----------------Affaire : Monsieur TANOH THIERRY (SCPA ADJE - ASSI et METAN et SCPA LEX WAYS) Contre 1- Société PUBLIC INVESTMENT CORPORATION dite PIC 2- Monsieur MATJILA DANIEL (Me Jean François CHAUVEAU) 3- ECOBANK TRANSNATIONAL INCORPORATED dite ETI (SCPA DOGUE-ABBE Yao et Associés) ----------------DECISION : -----Contradictoire ------Rejette l’exception d’incompétence et se déclare Le Tribunal de Commerce d’Abidjan, en son audience publique ordinaire du quinze janvier de l’an deux mil quinze tenue au siège dudit Tribunal, à laquelle siégeaient : Docteur Tribunal ; François KOMOIN, Président du Madame TIENDAGA Gisèle, Messieurs KACOU Bredoumou Florent, Ignace FOLOU, N’GUESSAN Gilbert, AMEMATEKPO Jacob et WADJA Eugène, Assesseurs, Avec l’assistance de Maître KONE Songui Adama, Greffier, A rendu le jugement dont la teneur suit dans la cause entre : MONSIEUR TANOH THIERRY, né le 20 avril 1962 à Nogent sur Marne en France, Expert-comptable, de nationalité ivoirienne, anciennement employé à ECOBANK TRANSNATIONAL INCORPORATED dit ETI, domicilié à Abidjan, République de Côte d’Ivoire ; Demandeur représenté par ses conseils, les SCPA ADJE - ASSI et METAN et LEX WAYS, Avocats près la Cour d’Appel d’Abidjan ; compétent ; d’une part, Reçoit Monsieur TANOH Thierry en son action ; Constate la non-conciliation des parties ; Et L’y dit partiellement fondé ; Condamne solidairement Monsieur MATJILA Daniel et les sociétés Public Investment Corporation dite PIC et Ecobank Transnational Incorpored dite ETI à lui payer la somme de sept milliards cinq cent millions (7.500.000.000) de francs CFA à titre de dommages-intérêts ; 1LA SOCIETE PUBLIC INVESTMENT CORPORATION dite PIC, Société anonyme dont le siège social est à Menlo Park, Pretoria, Afrique du Sud, Tél. : + 27 12 742 3400, fax : + 27 12 346 3276, prise en la personne de son représentant légal, Monsieur Elias MASILELA, demeurant es-qualité audit siège social ; 2- MONSIEUR MATJILA DANIEL, Administrateur de PUBLIC INVESTMENT CORPORATION dite PIC, 1 Ordonne la publication de la présente décision dans tous les organes de presse et site internet ayant reçu ou fait état de la correspondance du 1er mars 2014 aux frais des défendeurs sous astreinte comminatoire de deux cent millions (200.000.000) de francs CFA par jour de retard à compter de la signification de la présente décision ; Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision nonobstant toutes voies de recours ; Condamne les défendeurs aux dépens distraits au profit des SCPA ADJE-ASSI-METAN et LEX WAYS, Avocats aux offres de droit. Société anonyme dont le siège social est à Menlo Park, Pretoria, Afrique du Sud, Tél. : + 27 12 742 3400, fax : + 27 12 346 3276 ; Défendeurs représentés par leur conseil, Maître Jean François CHAUVEAU, Avocat près la Cour d’Appel d’Abidjan ; 3- LA SOCIETE TRANSNATIONAL INCORPORATED dite ETI, Société Anonyme dont le siège social est à Lomé (TOGO), 20, Avenue Sylvanus Olympio, P. O. box 3302 Lomé-Togo, Tél. : (228) 22.21.72.14, Fax : (228) 22.21.42.37, prise en la personne de son représentant légal, Monsieur Albert ESSIEN, son Directeur Général, demeurant es-qualité audit siège social ; Défenderesse représentée par son conseil, la SCPA DOGUE-ABBE Yao et Associés, Avocats près la Cour d’Appel d’Abidjan ; d’autre part, Enrôlée pour l’audience du 17 juillet 2014, l’affaire a été appelée et renvoyée successivement au 24 juillet 2014, 31 juillet 2014 et 02 octobre 2014 pour poursuite de la conciliation qui s’est soldée par un échec ; Une mise en état a alors été ordonnée, confiée au juge KOMOIN François, en qualité de juge rapporteur, et la cause renvoyée à l’audience publique du 18 décembre 2014 ; Cette mise en état a fait l’objet d’une ordonnance de clôture n° 1078 du 17 décembre 2014 ; A la date de renvoi, l’affaire a été mise en délibéré pour jugement être rendu le 15 janvier 2015 ; Advenue cette date, le tribunal a vidé son délibéré comme suit : 2 LE TRIBUNAL Vu les pièces du dossier ; Vu l’échec de la tentative de conciliation ; Ouï les parties conclusions ; en leurs fins, demandes et Et après en avoir délibéré conformément à la loi ; FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES Par exploit d’huissier en date du 12 mai 2014, Monsieur TANOH Thierry a assigné la Société Public Investment Corporation dite PIC, Monsieur MATJILA Daniel et la Société Transnational Incorporated dite ETI à comparaître le 17 juillet 2014 devant le Tribunal de ce siège pour s’entendre : - condamner solidairement à lui payer la somme de trente millions (30.000.000) de dollars au coût de cinq cent (500) francs CFA soit la somme de quinze milliards (15.000.000.000) de francs CFA ; - assortir la décision à intervenir de l’exécution provisoire pour sa totalité ; - ordonner la publication de la décision à intervenir dans tous les organes de presse et site internet ayant reçu ou ayant fait état de la correspondance en date du 1er mars 2014 aux frais des défendeurs, sous astreinte comminatoire de cinq millions (5.000.000) de dollars au coût de cinq cent (500) francs CFA soit la somme de deux milliards cinq cent millions (2.500.000.000) de francs CFA, par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ; - condamner aux dépens dont distraction au profit des SCPA ADJE-ASSI-METAN et LEX WAYS, Avocats aux offres de droit. 3 A l’appui de son action, il expose que par correspondance du 1er mars 2014, la société PUBLIC INVESTMENT CORPORATION dite PIC a, sous la signature de Monsieur MATJILA Daniel, son Directeur chargé des investissements, écrit dans les termes suivants, à son sujet, alors Directeur Général d’ECOBANK TRANSNATIONAL INCORPORATION dite ETI : « Il manque d’aptitude au plan technique et moral pour diriger une institution comme Ecobank qui exige la confiance et le respect, le sens élevé de l’éthique et de la morale, l’excellence, le professionnalisme ainsi que l’expertise technique dans le secteur bancaire. Sa première action a été de vouloir tromper l’ancien président à apporter des modifications à son contrat aux fins d’accroître ses avantages tout en réduisant les mesures de rendement, et en s’attribuant de façon frauduleuse plus d’un million de dollars de bonus sans l’approbation du Conseil, plante le décor quant à ce qui est devenu sa marque déposée de manipulation, réduisant ainsi l’excellente réputation d’une institution africaine aussi fière de l’être à un tel niveau de recul. Il a jeté le discrédit sur le nom de la Banque ainsi que le Conseil. Il a mis en place de nouveaux systèmes et valeurs en permettant aux politiciens de s’ingérer dans les affaires de la Banque afin de demeurer à son poste de Président Directeur Général du Groupe. Il a délibérément semé la division au sein du Conseil d’Administration, des actionnaires, du personnel, et des responsables chargés de la règlementation. Il a rejeté les avis critiques des membres fondateurs, des administrateurs, des actionnaires et du personnel et continue de poser des actes au détriment de la Banque. Il a manqué de respect envers le Conseil et des responsables chargés de la règlementation en ce qu’il a de façon constante agi sans leur avis. Il a contribué à la baisse du moral du personnel, provoquant ainsi la peur chez eux, en les amenant à vivre constamment en victimes craignant de poser des actes à l’encontre des désirs du Président Directeur Général du Groupe. Il continue d’utiliser les ressources d’Ecobank (financière et autres) à des fins personnelles. Il a manqué de mobiliser des capitaux, chose qui constitue le gage vital pour une banque, depuis sa prise de fonction en qualité de Président Directeur Général du Groupe. 4 Plusieurs filiales d’Ecobank ont un besoin urgent de capitaux pour conduire leurs activités, alors que le Président Directeur Général du Groupe continue dans la manipulation politique, affaiblissant ainsi la compétitivité de la banque. Il trompe constamment les administrateurs, les actionnaires et les chargés de la règlementation afin de les manipuler aux fins de bénéficier de leur soutien. Il continue de propager délibérément de fausses allégations tendant à faire croire que la Société d’Investissement Public (PIC) et/ou les actionnaires Sud-africains veulent reprendre la Banque. Il continue à induire en erreur le Conseil sur les questions de legs auxquelles Ecobank Nigeria est confronté… Il profère des allégations mensongères volontaires en soutenant qu’il a découvert des problèmes au Nigeria lorsque tous les concernés lui ont fait parvenir l’information de façon volontaire… Le Président Directeur Général du Groupe, dans son incompétence notoire à gérer le Groupe en ayant recours, comme à ses habitudes, de façon ostentatoire, à des actes de défiance tout en continuant à profiter et à utiliser de façon abusive des réalisations positives de ses prédécesseurs. Le Président Directeur Général du Groupe, aidé de son Président, ont écrit une lettre au SEC afin de détourner son attention en n’enquêtant pas sur les accusations formées contre lui par Madame le Président Exécutif chargé des finances et des risques. Interrogé par le Conseil d’Administration au sujet de la lettre remise à la SEC et des réunions tenues avec la SEC, il a fermement nié, alléguant que leurs rencontres avec la SEC ont porté sur des sujets à titre personnel et non sur des affaires liées à Ecobank, proférant ainsi ouvertement des propos mensongers sur le Conseil avec preuve à l’appui. Il continue de dissimuler délibérément des informations essentielles au Conseil d’Administration et ne les a exhibées que lorsque le Conseil lui a demandé de présenter les correspondances échangées avec la SEC et la Banque Centrale du Nigeria. Il a manqué d’assumer ses fonctions avec diligence, compétence et attention. Nous faisons remarquer que cette année, aucun dividende ne pourra être versé pour la première fois après une longue période à Ecobank. 5 Il a fait preuve d’incompétence, d’immaturité, de manque d’expérience de gestion aux plans technique et humain. Il manque de sérieux et de posture pour exercer les fonctions de Président Directeur Général d’Ecobank réputé pour être une institution internationale de renom… » ; Que cette correspondance a été adressée aux douze (12) membres du Conseil d’Administration de la Société ECOBANK TRANSNATIONAL INCORPORATED dite ETI ; Que les jours suivants, les termes de ladite correspondance se sont retrouvés dans les colonnes de plusieurs organes de presse de diffusion internationale ; Que c’est tout d’abord le journal FINANCIAL TIMES qui, le premier faisait état du contenu des correspondances en cause, en écrivant que : « Dans un courrier très ferme, le PIC avec 190 milliards de dollars, représentant 18.95 pour cent des parts d’Ecobank accuse Monsieur Thierry TANOH d’être incapable aux plan technique et moral de diriger la banque… » ; Que c’est aussi le site en ligne BLOOMBERG NEWS qui, se faisant l’écho de la correspondance en cause, écrivait, aussi dans les termes suivants : « Tanoh a manqué de se concentrer sur les activités de la Banque et le Conseil, a permis l’ingérence politique, a divisé le Conseil d’Administration, les actionnaires, le personnel et les organismes de la règlementation, a induit les Administrateurs, les actionnaires et les organismes de la règlementation en erreur, et n’a pas réussi à porter le capital de la banque à la hausse, a déclaré MATJILA dans sa lettre qui faisait allusion à 15 plaintes directes contre Tanoh. » ; Que cette caricature n’est pas la sienne, lui qui a reçu une solide formation et s’est taillé une solide réputation professionnelle ; ayant fait ses études en Côte d’Ivoire où il a obtenu en 1980 son baccalauréat série C au Lycée Scientifique de Yamoussoukro ; intégré ensuite la célèbre Ecole Supérieure de Commerce d’Abidjan dite ESCA d’où il est sorti major de sa promotion en 1985 ; obtenu en 1992, après plusieurs années d’études en cours du soir et cours par correspondance, le diplôme français d’Expertise Comptable ; il ajoute 6 qu’il est entré en juin 1992 à la Havard Business School d’où il est sorti en 1994 avec le diplôme de Master in Business Administration (MBA) ; Que cette formation de base lui vaudra par la suite une brillante carrière professionnelle ; Qu’ainsi il est recruté en 1985 par le cabinet international Coopers and Lybrand en France et devient, à force de talent, le premier africain à atteindre le grade de manager dans l’un des « big eigth » en France en 1988 ; Que par souci d’apporter sa contribution à la construction de l’Afrique, il a rejoint en 1990 la toute nouvelle Commission Bancaire de l’UEMOA en qualité d’Inspecteur ; Qu’il est, après une année passée à l’UEMOA, appelé à intégrer la célèbre Direction et Contrôle des Grands Travaux de Côte d’Ivoire en 1991 et devient Conseiller à la Primature ; Qu’en 1994 il est appelé à intégrer le groupe de la Banque Mondiale et plus particulièrement la Société Financière Internationale (SFI) ou (IFC) dans le programme très sélectif des jeunes professionnels. Que là-bas, il a gravi tous les échelons et est devenu vice-président en charge de l’Afrique, de l’Amérique Latine, des Caraïbes et de l’Europe de l’Ouest ; et est ainsi devenu le premier Vice-président noir à la SFI ou IFC et l’un de ses plus jeunes Vice-présidents opérationnels ; Que dans le cadre de ses fonctions, il a géré environ 50 % du portefeuille des investissements de la SFI ou IFC, et était responsable d’un niveau d’investissements annuels de plus de dix milliards (10.000.000.000) de dollars US ; Que sous son leadership, le volume des investissements de la région Afrique de la SFI est passé de US$ 140 millions en 2003 à environ US$ 3.8 milliards en juin 2012 ; Que sous sa direction, la région Afrique de la SFI est passée de la région la moins profitable à la 2ème région la plus profitable après l’Amérique latine ; 7 Que sous sa direction, la présence de la SFI en Afrique a plus que doublé avec moins de cinq (05) bureaux dans la région à plus de 20 bureaux en juin 2012 ; Qu’il a été tout au long de sa carrière un grand défenseur de la diversité et a reçu dans ce contexte le prix du groupe de la Banque Mondiale du leadership et de la diversité ; Qu’il a aussi été distingué pour son travail en faveur du développement de l’Afrique : Chevalier de l’ordre du Lion par le gouvernement de la République du Sénégal ; Officier de l’ordre du Mérite National par le gouvernement de la République de Côte d’Ivoire ; Commandeur de l’ordre du Mérite National par le gouvernement de la République du Burkina Faso ; Qu’au cours de l’année 2011, la société ETI l’a contacté par le canal du cabinet de recrutement international Korn Ferry ; Qu’à la suite d’une procédure rigoureuse de recrutement au niveau international, incluant des tests, ce cabinet a recommandé au Conseil d’Administration de la société ETI de le recruter ; qu’il a été ainsi recruté et a signé son contrat en décembre 2011 ; Qu’une fois à la tête de la société ETI, il a introduit les règles de bonne gouvernance en prenant les mesures idoines, qui ont permis à la société de mettre un frein à la gestion opaque qu’elle connaissait ; Que son impact à la tête d’ECOBANK TRANSNATIONAL INCORPORATED s’est nettement fait sentir par les actions suivantes : la confiance des investisseurs est revenue, traduite par l’augmentation du cours de l’action de la banque cotée à la Bourse qui est passé de trente-deux (32) francs CFA à sa prise de 8 fonction, après quelques mois de présence, à soixante-quinze (75) francs CFA ; les performances du groupe se sont améliorées avec notamment l’une des croissances organiques les plus fortes de l’histoire du groupe en matière de revenus ; la mise en place d’un programme de réduction des coûts sur revenus et donc de la profitabilité de la banque ; la mise en place de procédures d’appel d’offres à la société ETI. C’est ainsi que notamment il a sélectionné le cabinet de conseil McKinsey dans le cadre de l’appui à l’amélioration de l’efficacité, du service client et de la mise en place de règles et procédures pour la gestion des ressources humaines et sélectionné des partenaires stratégiques pour l’activité de banque-assurance ; la révélation, et, ce, pour la première fois, au conseil d’administration de la société ETI d’actes posés lors de la gestion passée en désaccord avec les principes de bonne gouvernance et ayant une implication matérielle sur les états financiers du groupe ETI ; Que le changement dans le mode de gestion de la banque par rapport à la gestion précédente semble avoir incommodé bien des personnes, notamment la société PIC sous la signature de Monsieur MATJILA Daniel qui ont décidé de ruiner sa réputation ; Qu’aussi, a-t-il décidé de demander des comptes aux mis en cause devant le Tribunal de Commerce d’Abidjan ; Que le tribunal de commerce d’Abidjan est compétent pour connaître des faits qu’il reproche aux défendeurs pour les raisons suivantes : ceux-ci n’ayant en Côte d’Ivoire ni domicile, ni résidence, le tribunal compétent est celui du domicile du demandeur, en application de l’article 11 alinéa 4 du code de procédure civile, commerciale et administrative ; 9 en tout état de cause, en sa qualité d’ivoirien, l’article 14 du code civil habilite le demandeur à traduire les défendeurs devant les juridictions ivoiriennes ; le demandeur non commerçant peut attraire les personnes commerçantes devant le tribunal de commerce (article 7 de la Décision N° 01/PR du 11 janvier 2012 sur les tribunaux de commerce) ; Qu’il est constant que le 1er mars 2014 la société PIC, sous la signature de Monsieur MATJILA Daniel, l’a traité, dans une correspondance adressée aux administrateurs, et publiée dans la presse à diffusion internationale de : - immature, - incompétent, - menteur, manipulateur, - délinquant d'abus de biens sociaux, - fraudeur, - sans éthique, - inapte professionnellement et moralement à exercer sa profession de banquier ; Que la réparation du préjudice qu’il subit de ce fait est recherchée sur le fondement des textes ci-après : Article 1382 du Code Civil : « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Article 1383 du Code Civil : « Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. » Que ces textes appellent la démonstration d'une faute commise, d'un préjudice qui en est résulté, et du lien de causalité entre la faute et le préjudice. Que s’agissant de la faute, si elle ne fait pas l'objet d'une définition légale à proprement dit, c'est au pouvoir prétorien des juges qu'est revenu le soin de 10 définir les faits et attitudes qui peuvent constituer une faute au plan civil, résultant d’un délit où d’un quasidélit ; Que la jurisprudence et la doctrine estiment en effet que « La faute consiste en la violation d'un devoir ou d'une obligation préexistante. Il peut s'agir d'une norme générale et abstraite imposant en toutes circonstances de se conduire loyalement et avec prudence » ; « la faute peut consister dans la violation d'une règle légale indiquant avec précision ce qu'il faut faire ou ne pas faire ; c'est alors l'acte illicite proprement dit ». « Elle peut aussi consister dans un écart de conduite, témoignant de la malhonnêteté de l'auteur de l'acte, ou son défaut d'habileté au point de vue physique ou intellectuel. Elle peut enfin consister dans l'imprudence avec laquelle on crée une situation susceptible de nuire aux tiers. » ; Que « La faute s'apprécie normalement in abstracto, par référence à l'attitude qu'aurait eue, à la place de l'agent le "bon père de famille" » ; Qu’«il s'agit de faire une comparaison entre deux attitudes ; celle qu'a eue l'auteur du dommage et celle qu'il aurait dû avoir. Est en faute, celui qui ne s'est pas comporté comme il aurait dû le faire » ; Que dans le cas d'espèce, il s'agit de vérifier si les mis en cause ont agi avec prudence, s'ils se sont comportés comme ils auraient dû le faire, en "Bon père de famille" ; Que s’agissant de Monsieur MATJILA Daniel, il a commis une faute par action, celle d'avoir posé un acte positif, car il est constant qu’il a, d'une plume particulièrement virulente, écrit dans une er correspondance en date du 1 Mars 2014, au sujet de Monsieur TANOH Thierry, ce qui suit : « Il a fait preuve d'incompétence, d'immaturité, de manque d'expérience de gestion aux plans techniques et humain. Il manque de sérieux et de posture pour exercer les fonctions de PDG. » ; 11 Que Monsieur TANOH Thierry est traité dans la même correspondance de manipulateur, fraudeur, délinquant d'abus de biens sociaux, de personne sans éthique, qui trempe constamment dans la tromperie ; Qu’il est aussi constant que ces graves affirmations ont été éventées et portées à la connaissance de plusieurs organes de presse de diffusion internationale, tels FINANCIAL TIMES et BLOOMBERG NEWS ; Qu’il rappelle que, sauf preuve contraire rapportée par Monsieur MATJILA Daniel, il a plutôt eu une formation solide, pour être sorti des plus célèbres Universités, dont la prestigieuse HAVARD, et un parcours professionnel exemplaire l'ayant amené à exercer les plus hautes fonctions au plan international et à gravir tous les échelons pour devenir Vice-Président en charge de l'Afrique, de l'Amérique Latine, des Caraïbes et de l'Europe de l'Ouest, et le premier Vice-Président noir de la (SFI) ou (IFC), et l'un de ses plus jeunes Vice-Présidents opérationnels ; Qu’il est aussi établi que son action à la tête de la société ETI a eu un impact important sur les résultats de cette société, en ce que la valeur de l'action de la banque est passée de trente-deux (32) F CFA à son arrivée à soixante-quinze (75) F CFA, soit une augmentation de plus de 134 % ; Qu’il est encore établi qu'il a amélioré les performances financières du groupe avec notamment l'une des croissances organiques les plus fortes de l'histoire du groupe en matière de revenus ; mis en place un programme de réduction des coûts qui s'est traduit par une amélioration du ratio coûts sur revenus, et donc de la profitabilité de la banque ; Qu’il est de surcroit établi qu'il a mis en place des procédures d'appel d'offres à la société ETI dans l'optique de la transparence et de la bonne gouvernance ; et dans ce cadre a sélectionné : le Cabinet de Conseil Me Kinsey pour l'appui à l'amélioration de l'efficacité du service client et la mise en place de règles de procédures pour la gestion des ressources humaines ; 12 des partenaires stratégiques pour l'activité de banque assurance. Que de même, il est établi que, sous sa direction, et ce pour la première fois, des actes posés lors de la gestion passée en désaccord avec les principes de bonne gouvernance et ayant une implication matérielle sur les états financiers du groupe ETI ont été révélés au Conseil d'Administration ; Que c'est donc gratuitement, avec une intention de nuire, que Monsieur MATJILA Daniel s'en est pris à sa personne en le traitant d'incompétent, d'immature, de personne manquant de sérieux et de posture, de manipulateur, de fraudeur, de délinquant d'abus de biens sociaux, sans éthique, sans aptitude à exercer sa profession de banquier. Que manifestement, Monsieur MATJILA Daniel a nui à sa personne en le traitant, par écrit de cette façon, et en transmettant ou laissant transmettre copie de sa correspondance aux rédactions les plus lues dans le monde. En conséquence, il a eu une attitude qu'il n'aurait pas dû avoir et, par cela, a commis une faute en nuisant à sa réputation, à son honorabilité, à son crédit, en un mot à sa personne, lui, l'ancien VicePrésident de la SFI ; Que la société PIC en a fait autant ; Qu’en effet il est constant que la correspondance écrite par Monsieur MATJILA Daniel l'a été sur papier en-tête de la société PIC qui n'a élevé aucune protestation, de sorte qu'elle a endossé les propos de Monsieur MATJILA Daniel, dans les termes qu'il les a tenus. Qu’il sera donc jugé que la responsabilité de la personne morale (PIC) est engagée directement du fait de son préposé, Monsieur MATJILA Daniel. Que dans un arrêt de la Cour de Cassation en date du 15 janvier 1872, le principe est acquis dans les termes suivants : « Attendu que la société défenderesse était tenue, comme obligée directe et personnelle, de toutes les conséquences dommageables du fait de son gérant dans des opérations sociales. » 13 Il ajoute que la société ETI a, elle aussi, commis une faute par inaction, pour avoir laissé faire cette situation ; Qu’en effet il est constant que la correspondance écrite par Monsieur MATJILA Daniel sur papier en-tête de la société PIC qui est l'un des principaux administrateurs de ETI, a été portée à sa connaissance. Que la société ETI n'a émis ni réserve, ni entrepris par ses organes, la moindre action pour s'en désolidariser, épousant de fait les termes de ladite correspondance. Que la jurisprudence considère que la responsabilité de la personne morale, la société ETI en l'espèce, devrait être engagée en ce que la personne morale répond des fautes dont elle s'est rendue coupable par ses organes, et en doit réparation à la victime sur la base de l'article 1382 du Code Civil. Qu’il a été en effet ainsi jugé : « Attendu que la personne morale répond des fautes dont elle s'est rendue coupable par ses organes et en doit réparation à la victime, sans que celle-ci soit obligée de mettre en cause, sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du code civil, lesdits organes pris comme préposés. » : Civ. 2è 17 juillet 1967, GAZ, PAL, 1967, II, 235.) ; Que « s'agissant d'une responsabilité directe, la victime n'a bien entendu pas à mettre en cause l'organe pour que la personne morale soit déclarée responsable ; la solution est d'ailleurs la même lorsque la personne morale est prise en sa qualité de commettant et condamnée à répondre des fautes de ses préposés ; elle s'imposait donc a fortiori lorsque le groupement est responsable à titre personnel » ; Que c'est gratuitement, avec une intention de nuire, que la société ETI a laissé, sans réaction, son administrateur PIC s'en prendre à sa personne en le traitant, sous la signature de Monsieur MATJILA Daniel, d'incompétent, d'immature, de personne manquant de sérieux et de posture, de manipulateur, de menteur, de fraudeur, de délinquant d'abus de biens sociaux, dans une correspondance virulente qu'elle a transmise, ou laissé transmettre aux rédactions les plus lues dans le monde. Que manifestement la société ETI est responsable des dommages ainsi causés à sa personne, et qu’en 14 conséquence, elle a eu une attitude qu'elle n'aurait pas dû avoir et, par cela, a commis une faute en nuisant à sa réputation, à son honorabilité, à son crédit, en un mot à la personne de l'ancien Vice-Président de la SFI qu’il est. Monsieur TANOH Thierry précise qu’au total, il est constant que Monsieur MATJILA Daniel et les sociétés PIC et ETI, pris séparément et/ ou collectivement, ont commis une faute particulièrement intentionnelle, ayant nui gratuitement à sa réputation, à son crédit et à son prestige, lui qui fut le plus jeune et le tout premier noir à avoir occupé le poste de Vice-Président de la SFI. Qu’après un dénigrement aussi odieux, il est clair que sa stature est atteinte, que sa respectabilité est écorchée, que son crédit est touché dans un secteur aussi sensible que celui de la Finance Internationale, après une si longue carrière à des postes aussi prestigieux que respectables, fruit d'une formation solide, d'une correction et d'une droiture dans l'éthique et la bonne gouvernance ; Que cette perte de prestige, qu'il ne recouvrera certainement plus, en raison du rayon de diffusion de la correspondance en cause, distribuée à toutes les rédactions les plus lues dans le monde, est une tache indélébile définitivement portée à sa réputation, à son honorabilité et à son crédit ; Que la réparation d'un tel dommage est acquise en droit, et consolidée par la jurisprudence et la doctrine qui estiment clairement qu’il s'agit toujours d'une « souffrance », « d'un droit à l'honneur », « les hommes ne réagissent pas toujours de la même façon à ce qui attente à leur honneur… la douleur est insusceptible de preuve, le degré d’intensité qu’elle atteint, insusceptible de mesure » ; Que lui, l'ancien Vice-Président de la SFI a souffert et continue de souffrir de la tache portée à sa réputation, à son honorabilité et à son crédit, fruit d'énormes efforts, dans le travail, la droiture et la dignité ; Que ce à quoi il a été porté atteinte n'a aucun prix ; et comme la réparation de tout dommage se résoud par 15 le paiement de numéraires, la condamnation des défendeurs au paiement de la somme de Trente millions (30.000.000) de Dollars, au taux de cinq cent (500) F CFA, qu’il sollicite est parfaitement justifiée ; Que cette réparation est d'autant due que le lien de causalité est plus qu'évident ; Qu’en effet si Monsieur MATJILA Daniel et les sociétés PIC et ETI ne l'avaient pas traité d'incompétent, d'immature, de menteur, de manipulateur, de fraudeur, de délinquant d'abus de biens sociaux, de pas sérieux, manquant de posture, avec une amplification sans précédent dans les rédactions les plus lues dans le monde, il n'aurait pas tant souffert, de sorte que le préjudice subi par lui est donc foncièrement lié à l'attitude des défendeurs ; Qu’en conséquence, la condition du lien de causalité est parfaitement satisfaite. Qu’au regard de l'extrême dommage qui lui a été causé, il sollicite que la décision à intervenir soit assortie des mesures suivantes : l'exécution provisoire, en ce qu'elle est acquise dans tous les cas d'extrême urgence, la réparation de la grave atteinte qui lui a été portée présentant ce caractère d'extrême urgence, au regard de sa réputation. la publication de la décision à intervenir car la faute commise a été amplifiée dans plusieurs organes de presse et reprise sur des sites internet. Les défendeurs s’opposent à cette demande. Ils soulèvent in limine litis l’incompétence des juridictions ivoiriennes pour connaître de cette demande. Ils avancent pour cela : - premièrement, que l’article 7 de la loi organique N° 2014-424 du 1er juillet 2014 portant création, organisation et fonctionnement des juridictions de commerce ne permet pas au tribunal de retenir cette affaire, car elle ne concerne ni des engagements entre commerçants au sens de l’acte uniforme portant sur le 16 droit commercial général, la lettre litigieuse émanant d’un administrateur qui n’a pas qualité de commerçant et portant une appréciation sur la gouvernance de la société et l’action d’un directeur général, Monsieur TANOH Thierry qui n’est pas commerçant ; le litige n’est ni une contestation entre associés d’une société commerciale ou d’un groupement d’intérêt économique ni des procédures collectives d’apurement du passif ni un acte de commerce. Ils précisent, à cet égard, que Monsieur MATJILA Daniel et Monsieur TANOH Thierry n’ont pas agi lors de la commission des faits allégués en qualité de commerçant, de même que la société PIC que Monsieur MATJILA Daniel représente au sein du conseil d’administration de la société ETI qui, outre le fait d’être un organe public de gestion notamment des fonds de retraite de l’Etat Sud-Africain, agit au sein de la société ETI comme administrateur ; et que les faits allégués ne constituent ni un acte de commerce ni un acte de société au sens des articles 2 et 3 de l’acte uniforme portant sur le droit commercial général ; - deuxièmement que les articles 164 et 170 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique ne peuvent fonder la compétence du tribunal de commerce d’Abidjan, car ces articles traitent de l’action individuelle, action en responsabilité contre les dirigeants sociaux, et donne expressément compétence à la juridiction dans le ressort de laquelle est situé le siège de la société pour en connaître, et donc à la juridiction de LOME où la société ETI a son siège social ; - troisièmement que dans le contrat du 15 décembre 2011 conclu par Monsieur TANOH Thierry avec la société ETI existe une clause attributive de juridiction exclusive au profit des juridictions anglaises et une clause compromissoire, de sorte que la contestation actuelle qui est relative à l’exécution de ce contrat, ne peut être connue par le tribunal de commerce d’Abidjan ; - quatrièmement que les articles 11 alinéa 4 du code de procédure civile, commerciale et administrative et 14 du code civil sur lesquels Monsieur TANOH Thierry fonde la compétence du tribunal de commerce 17 d’Abidjan ne peuvent s’appliquer en l’espèce. S’agissant de l’article 11 alinéa 4 du code de procédure civile, commerciale et administrative, ils font valoir qu’à la date de l’introduction de l’instance, Monsieur TANOH Thierry a affirmé être domicilié à LOME, ainsi qu’il l’a déclaré dans le litige social qui l’oppose à la société ETI à Lomé, et à Washington D.C, ainsi qu’il est mentionné dans son contrat de travail ; ville où il a d’ailleurs demandé à la société AGS d’effectuer le déménagement de ses effets personnels, et a également demandé à la société ETI de lui faire délivrer un billet d’avion en business class sur Washington. Ils précisent que l’article 11 alinéa 4 susindiqué ne permet pas, comme c’est le cas en l’espèce, qu’un ressortissant ivoirien sollicite, du seul fait de sa nationalité, la compétence de la juridiction ivoirienne dès lors qu’il est établi qu’à la date de l’introduction de l’instance, il était objectivement et incontestablement domicilié à l’étranger. S’agissant de l’article 14 du code civil, ils indiquent que, de pratique et de jurisprudence constante de tous les Etats civilistes de tradition juridique comme avec la Côte d’Ivoire, l’application de cet article n’est possible que lorsqu’aucun critère ordinaire de compétence territoriale n’est réalisé ; ce qui n’est pas le cas en l’espèce, d’autres critères de compétence territoriale s’appliquant ; Pour tout cela, ils sollicitent que le tribunal de commerce se déclarent incompétent au profit soit des tribunaux togolais soit des tribunaux anglais soit du tribunal arbitral désigné par le contrat du 15 décembre 2011 ; Subsidiairement au fond, ils concluent au mal fondé de l’action. Ils font valoir à cet égard que le litige ne porte pas sur les faits qui ont motivé la lettre litigieuse, mais sur la terminologie de celle-ci. Ils expliquent que cette lettre n’a été que l’expression de l’indignation de Monsieur MATJILA Daniel, représentant de la société PIC, face au report cavalier par Monsieur TANOH Thierry du conseil d’administration du 25 février 2014, qui revêtait une importance stratégique vitale pour le groupe ECOBANK ; car il devait être l’occasion de régler les problèmes de gouvernance ; ce qui a fait accroître la suspicion de la société PIC à l’égard de la 18 gestion du demandeur. Ils ajoutent qu’aucune preuve n’est rapportée par Monsieur TANOH Thierry que c’est bien Monsieur MATJILA Daniel qui a transmis la lettre litigieuse aux organes de presse. Ils précisent que cette lettre n’a été transmise qu’aux administrateurs de la société ETI, et que s’il est vrai que des extraits de cette lettre se sont retrouvés dans la presse, rien ne permet d’affirmer que cette fuite provient de Monsieur MATJILA Daniel et/ou de la société PIC. Ils attirent l’attention du tribunal sur le fait que le Président et le Directeur général de la société ETI qu’était le demandeur avaient eux-mêmes pris l’initiative de saisir la presse et notamment le Journal FINANCIAL TIMES pour communiquer sur la gouvernance de la société, et qu’en tout état de cause, Monsieur MATJILA Daniel et la société PIC nient catégoriquement être les auteurs de la fuite, et précisent que Monsieur TANOH Thierry ne rapporte aucune preuve contraire pour les contredire. Ils font, en outre, valoir que la lettre écrite par Monsieur MATJILA Daniel ne révèle aucune intention de nuire, d’une part parce que les administrateurs au sein du conseil d’administration ont la liberté d’expression écrite ou verbale à laquelle aucun texte ne fait obstacle, et qu’aucune règle juridique ou déontologique n’impose à ceux-ci une obligation de réserve qui les astreindrait, par exemple, à une forme de courtoisie ; ce qui explique selon eux que la conduite du conseil d’administration puisse fréquemment amener à la manifestation d’oppositions franches voire violentes, encore que la lettre litigieuse a été adressée par la société PIC à l’ensemble des administrateurs dans le seul but d’exposer la perception de Monsieur MATJILA Daniel de la situation de la société ETI et de son management, et rassembler une majorité favorable à la révocation de Monsieur TANOH Thierry ; ce qui relève bien de son droit et de ses compétences d’administrateur ; d’autre part parce que Monsieur MATJILA Daniel avait l’obligation statutaire de dénoncer les faits contenus dans la lettre incriminée car la société PIC est une entreprise publique régie par des statuts et des règles de bonne gouvernance et de transparence, qui font obligation de dénoncer tout fait qui semble anormal ou suspect dans la gestion des entreprises qui bénéficient de ses placements, a fortiori s’ils sont de nature à en affecter la rentabilité et/ou la pérennité. Ils rappellent 19 qu’en l’espèce la société PIC a investi deux cent cinquante millions (250.000.000) de dollars dans le capital de la société ETI dont elle était à l’époque des faits le principal actionnaire et, donc pour cela, ne pouvait se soustraire à sa responsabilité d’actionnaire de référence. En adressant la lettre litigieuse, le but poursuivi par Monsieur MATJILA Daniel n’était autre que la protection des investissements de la société PIC. Ils précisent que cela n’est pas constitutif de faute, car la lettre incriminée est en concordance avec la pratique des affaires. Ils font par ailleurs valoir que Monsieur TANOH Thierry ne rapporte en aucune façon la preuve du préjudice dont il se prévaut, et que, malgré les faits de la cause, l’opinion favorable des milieux politiques et d’affaires à l’égard de celui-ci est demeurée intacte ; qu’à preuve, il a été nommé le 12 septembre 2014, secrétaire général de la Présidence de la République de Côte d’Ivoire avec rang de Ministre, et que ces nouvelles fonctions prouvent plus que tout que son désaccord avec les administrateurs de la société ETI notamment la société PIC ne lui a causé aucun préjudice. Ils sollicitent donc qu’il soit débouté au fond de son action. S’agissant de l’exécution provisoire sollicitée par le demandeur, ils concluent à son rejet, les conditions légales n’en étant pas selon eux réunies en l’espèce. La société ETI ajoute aux moyens de la société PIC et de Monsieur MATJILA Daniel qu’en ce qui la concerne, elle ne peut répondre de la faute d’un administrateur, surtout qu’elle ne disposait d’aucun moyen pour empêcher un administrateur d’exercer ses fonctions, pas plus qu’elle n’avait d’intérêt particulier à s’opposer à la démarche de Monsieur MATJILA Daniel, conforme à la loi et à la pratique du droit des sociétés. Elle fait également valoir que la preuve de l’intention de nuire n’a pas été rapportée par Monsieur TANOH Thierry, prenant à son compte tous les autres moyens opposés par les deux autres défendeurs à l’action de Monsieur TANOH Thierry. 20 Monsieur TANOH Thierry a répliqué à ces arguments. Sur les exceptions d’incompétence territoriale et matérielle il fait valoir que celles-ci sont irrecevables. D’abord, par application de l’article 115 du code de procédure civile, commerciale et administrative qui exige que la partie qui soulève cette exception, indique la juridiction qui selon elle est compétente ; et qu’à cet égard les défendeurs ont indiqué trois juridictions à savoir les tribunaux togolais, anglais et le tribunal arbitral. Il estime que cette indication alternative de la juridiction compétente viole l’article 115 susindiqué. Ensuite, par application combinée des articles 125 du code de procédure civile, commerciale et administrative et 22 de la loi organique N° 2014-424 du 14 juillet de 2014 relative aux juridictions de commerce en ce que l’exception d’incompétence a été soulevée après les défenses au fond, alors qu’elle aurait dû l’être à l’audience de conciliation, qu’il considère comme étant le « seuil du procès ». Très subsidiairement, il estime que les exceptions tenant à la matière sont mal fondées et doivent être rejetées, car s’il est exact que les termes injurieux contenus dans la lettre litigieuse du 1er mars 2014 n’ont pas été tenus dans l’exercice de ses fonctions d’administrateur par Monsieur MATJILA Daniel, ils l’ont été à l’occasion de celles-ci, et que du seul fait de la présence de la société ETI, société commerciale par la forme dans la procédure aux côtés des autres défendeurs, le tribunal de commerce est parfaitement compétent pour connaître de la présente cause, la qualité de non commerçant des autres parties étant totalement indifférente, et les développements sur les dirigeants sociaux faits par les défendeurs sans aucun intérêt. Les faits ayant été commis à l’occasion de l’activité commerciale de la société ETI, ils sont bien justiciables du tribunal de commerce par application de la théorie de l’accessoire. Il poursuit que les articles 164 et 170 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique évoqués par les défendeurs sont sans application en l’espèce, car ils sont relatifs à l’action individuelle qui ne concerne que les faits commis par les dirigeants sociaux dans l’exercice de leurs fonctions ; alors que les faits qu’il reproche à Monsieur MATJILA Daniel, qui l’a traité d’immature, 21 d’incompétent, de menteur, manipulateur, fraudeur et de sans éthique, sont sortis du cadre de l’exercice des fonctions d’administrateur de sorte que ces faits sont détachables de ces fonctions. Il estime l’exception d’incompétence fondée sur les clauses de son contrat de travail également inapplicable, car l’action engagée par lui n’est pas relative aux clauses de ce contrat ni à la critique d’une délibération du conseil d’administration, mais à l’aventure individuelle d’un administrateur en dehors de ses fonctions qui lui a causé un dommage. Il estime par ailleurs que l’exception d’incompétence fondée sur l’article 14 du code civil doit être aussi rejetée, car les défendeurs qui considèrent que les termes de cet article n’ont pas indiqué le caractère subsidiaire qui leur est attribué, introduisent une distinction dans cet article non prévu par celui-ci, en violation du principe général selon lequel « il n’y a pas à distinguer là où la loi ne distingue pas. ». Au total, selon Monsieur TANOH Thierry, les exceptions d’incompétence doivent être rejetées par le tribunal de céans, qui est parfaitement compétent pour connaître des faits qu’il allègue. Sur le fond, il réaffirme le bien-fondé de ses prétentions, car les défendeurs ont été incapables de justifier qu’il est immature, incompétent, menteur et manipulateur, fraudeur, sans éthique, inapte professionnellement et moralement à exercer sa fonction de banquier, propos injurieux et infâmants qui ont fait et continuent de lui faire le plus grand mal. Il ajoute que, puisque les défendeurs ont mis en avant la bonne gouvernance pour justifier la lettre litigieuse, il sollicite la production du rapport du Cabinet Ernst et Young sur la période de 2005 à 2013, qui contredit les vertus de bonne gouvernance dont ils parent la société ETI. Il réitère qu’une faute délictuelle a bien été commise à son égard, résultant de la lettre litigieuse et de sa publication par les défendeurs dans la presse financière internationale la plus prestigieuse. Relativement au préjudice, il rappelle qu’il a fait le choix de faire carrière dans la finance internationale, et 22 que les faits commis à son égard par les défendeurs compromettent sérieusement la poursuite de cette carrière. Il ajoute qu’aussi prestigieuse que soit la fonction que le Président de la République de Côte d’Ivoire lui a confiée, elle reste en deçà de ce qu’il aurait pu normalement espérer, s’il était resté dans le monde de la finance internationale ; et que, sauf à verser dans l’ironie et le mépris, les défendeurs ne peuvent prétendre que leur lettre accusatrice et injurieuse du 1er mars 2014 contre lui, lui a ouvert des opportunités meilleures. En seconde réplique, la société PIC et Monsieur MATJILA Daniel font valoir que l’exception d’incompétence qu’ils ont soulevée est parfaitement recevable au regard de l’article 115 du code de procédure civile, commerciale et administrative, car tant dans sa lettre que dans l’esprit du législateur, le défendeur qui évoque un moyen d’incompétence, doit le motiver en fait et en droit, et surtout indiquer la ou les juridictions compétentes devant lesquelles l’affaire devrait être portée. Ils expliquent que cet article 115 ne sanctionne en réalité que le défaut d’indication d’une juridiction compétente, de sorte que l’indication de deux ou plusieurs juridictions concurremment compétentes ne saurait être une cause d’irrecevabilité de l’exception ; et que la doctrine et la jurisprudence admettent « qu’en cas d’option légale de compétence le défendeur doit pouvoir, ou bien ne citer qu’une des juridictions compétentes, ou bien les citer toutes, même s’il s’agit de juridictions étrangères ». Relativement au moyen que Monsieur TANOH Thierry oppose à leur exception d’incompétence tirée des articles 125 du code de procédure civile, commerciale et administrative et 22 de la loi organique N° 2014-424 du 14 juillet 2014 relative aux juridictions de commerce, ils considèrent qu’ils ont soulevé toutes les exceptions ensemble et bien avant toute défense au fond, car la phase de conciliation, préalable à la phase contentieuse, qui vise à rechercher une conciliation préalable obligatoire, diffère les débats de fond, pour permettre si possible un accord entre les parties, sans confrontation ; de sorte que le demandeur ne peut valablement leur reprocher de ne pas avoir présenté leurs exceptions 23 pendant cette phase ; surtout que certaines de ces exceptions notamment celles relatives à la compétence d’attribution sont d’ordre public. Monsieur MATJILA Daniel et la société PIC réitèrent ensuite le bien-fondé de leurs exceptions fondées sur les articles 7 de la loi organique N° 2014-424 du 14 juillet 2014 relative aux juridictions de commerce, 164 et 170 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, 11 alinéa 4 du code de procédure civile, commerciale et administrative et 14 du code civil. Sur le fond du litige, ils font valoir qu’ils n’ont commis aucune faute car la lettre litigieuse a été écrite par Monsieur MATJILA Daniel dans l’exercice normal de ses fonctions de membre de conseil d’administration, en application des statuts de la société ETI et de l’acte uniforme susindiqué. Ils ajoutent que cette lettre est une lettre adressée par un administrateur à d’autres administrateurs et qu’ « elle n’a pas vocation dans ses termes et son contenu à être justifiée. De ce fait elle n’est ni justifiable ni injustifiable ». Ils précisent que la juridiction commerciale ne peut être le censeur moral du caractère convenable ou non des propos ou des écrits échangés par les administrateurs entre eux dans le cadre de leurs travaux au sein des organes délibérants de la société qu’ils administrent ; et que le fonctionnement des sociétés commerciales sera rendu impossible si l’on devait soumettre à la sanction de la juridiction commerciale la bienséance des débats de leurs organes délibérants ; et encore que si le demandeur estime que les propos tenus sont injurieux ou diffamants à son égard, il lui appartient de saisir la juridiction compétente qui ne saurait en l’état actuel des dispositions légales et de la pratique des affaires, être la juridiction commerciale. S’agissant de la production du rapport du Cabinet Ernst et Young, ils indiquent que cette demande de communication du demandeur ne leur est pas adressée, et donc ne les concerne pas. Concernant la publication de la lettre dans la presse, ils réaffirment que la preuve n’est pas rapportée que cela est de leur fait, surtout qu’une telle diffusion nuit à leurs propres intérêts en qualité de principal actionnaire de la société ETI. Ils s’étonnent en outre que le demandeur n’ait pas sur le fondement de 24 la loi sur la presse engagé la responsabilité des organes de presse considérés. Relativement au préjudice, ils soutiennent qu’il n’existe pas car d’une part le demandeur ne rapporte pas la preuve des propositions d’embauche qui n’ont pu se concrétiser à cause de la lettre litigieuse, et d’autre part sa nomination à la Présidence de la République de Côte d’Ivoire prouve que, même si son expérience chez la société ETI n’a pas répondu à ses attentes ni à celle de ses mandants, cela n’a en aucune façon affecté la perception par ses pairs de ses compétences ni l’accomplissement de sa destinée personnelle et professionnelle. Ils demandent donc que le tribunal rejette la demande en paiement de dommages-intérêts de Monsieur TANOH Thierry. La société ETI, quant à elle, reprend en d’autres termes les arguments de Monsieur MATJILA Daniel et de la société PIC quant à la recevabilité et au bienfondé de leurs exceptions d’incompétence. Au fond, elle rappelle le contexte de la lettre litigieuse, qui a été écrite suite à de nombreuses interpellations des autorités de régulation sur la gouvernance de la société telle que conduite par Monsieur TANOH Thierry, et qu’aucune faute ne peut lui être reprochée, le demandeur ayant été incapable de prouver son abstention par un fait positif qu’elle aurait dû accomplir en vertu d’une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle ou d’une information objective. Concernant la publication de la lettre, elle affirme que le journaliste William WALLIS a écrit ceci, parlant de Monsieur TANOH Thierry : « … qu’il avait 500 millions de Dollars comme nouveaux investissements en attente ; toutefois, il fallait que quelques problèmes internes (certainement les mêmes qui ont présidé à la réprobation de la SEC et repris par PIC) soient résolus au préalable » ; que cela désigne clairement l’auteur des fuites dans la presse, les fuites dans le FINANCIAL TIMES ayant débuté avec l’arrivée de Monsieur TANOH Thierry à la tête de la société ETI ; ce pourquoi le conseil d’administration l’a mandaté pour régler définitivement le problème. Concernant le préjudice, comme les autres défendeurs, elle l’estime non prouvé car Monsieur TANOH Thierry, aux lieu et place de justification objective, réelle et précise du préjudice subi, se plait à faire revisiter son parcours 25 professionnel, sans s’expliquer sur les opportunités réelles manquées par lui du fait de cette publication ; et que le fait de rester sept (07) mois en attente n’induit pas forcément un préjudice. Pour tout cela, elle conclut aussi au débouté de Monsieur TANOH Thierry de sa demande. Les parties ont produit des pièces pour justifier leurs prétentions respectives. SUR CE En la forme Sur le caractère de la décision Les défendeurs ayant été représentés et conclu, il y a lieu de statuer par décision contradictoire conformément à l’article 144 alinéa 1 du code de procédure civile, commerciale et administrative qui dispose que : « Sont contradictoires les décisions rendues contre les parties qui ont eu connaissance de la procédure soit parce que l’acte introductif d’instance leur a été signifié ou notifié à personne, soit parce qu’elles ont comparu en cours de procédure, soit ellesmêmes soit par leurs représentants ou mandataires, soit parce qu’elles ont fait valoir à un moment quelconque de la procédure leurs moyens ». Sur le taux de ressort L’article 8 de la loi organique n°2014-424 du 14 juillet 2014 portant création, organisation et fonctionnement des juridictions de commerce dispose : « Les Tribunaux de commerce statuent : - en premier ressort, sur toutes les demandes dont l’intérêt du litige est supérieur à un milliard de francs CFA ou est indéterminée ; - en premier et dernier ressort, sur toutes les demandes dont l’intérêt du litige n’excède pas un milliard de francs CFA ». En l’espèce, Monsieur TANOH Thierry sollicite la condamnation des défendeurs à lui payer la somme de 26 trente millions (30.000.000) de dollars au taux de cinq cent (500) francs CFA soit la somme de quinze milliards (15.000.000.000) de francs CFA. Cette somme excédant un milliard (1.000.000.000) de francs CFA, il y a lieu de statuer en premier ressort. Sur la compétence du tribunal de commerce d’Abidjan Les défendeurs la déclinent aussi bien territorialement que matériellement au profit des tribunaux de Lomé, de Londres et de la juridiction arbitrale. Monsieur TANOH Thierry soulève l’irrecevabilité de l’exception d’incompétence à lui opposée par les défendeurs d’une part parce qu’elle est intervenue tardivement pour n’avoir pas été présentée en tout début d’audience de conciliation et donc avant toute défense au fond comme le prescrit l’article 115 du code de procédure civile, commerciale et administrative ; et d’autre part parce que ceux-ci ont indiqué trois juridictions compétentes au lieu d’une seule comme l’exige cet article. Le tribunal rappelle, avant d’examiner la pertinence des moyens opposés ainsi par Monsieur TANOH Thierry à l’exception d’incompétence soulevée par les défendeurs, ce qu’est cette exception de procédure. L’article 115 du code de procédure civile, commerciale et administrative qui la prévoit dispose : « L’exception d’incompétence a pour but le renvoi de l’affaire devant la juridiction compétente. La partie qui la soulève doit à peine d’irrecevabilité, indiquer la juridiction qui selon elle est compétente pour connaître du litige ». Du point de vue du droit processuel, les conditions dans lesquelles une partie au procès peut soulever cette exception sont au nombre de deux : - la première condition concerne le moment auquel le moyen tiré de l’incompétence doit être invoqué. Et là c’est l’article 125 du code de procédure civile, commerciale et administrative qui exige que l’exception d’incompétence, tout comme les autres exceptions de procédure, soit présentée en tout début de procès en 27 ces termes : « Les exceptions dès lors qu’elles ne sont pas d’ordre public, ne sont recevables que si elles sont présentées simultanément avant toutes défendes au fond et aucune ne sera reçue après qu’il aura été statué sur l’une d’elles. Il en est de même des fins de non-recevoir lorsque celles-ci ne constituent pas par elles-mêmes de véritables défenses au fond ». - la seconde condition concerne la motivation de l’exception d’incompétence. En effet, il ne suffit pas de contester la juridiction à laquelle le demandeur a entendu soumettre l’affaire ; il faut que le demandeur adopte une attitude positive en indiquant la juridiction qui selon lui est compétente pour connaître de l’affaire. Le tribunal rappelle que ces deux exigences conditionnent la recevabilité même de l’exception d’incompétence ; ce qui signifie que si elles ne sont pas remplies, le juge n’a même pas à statuer sur la pertinence de cette exception. Tout ceci rappelé, il y a lieu de voir ce qu’il en est en l’espèce. Monsieur TANOH Thierry considère que l’exception d’incompétence soulevée par les défendeurs est irrecevable d’abord parce qu’elle aurait dû l’être au seuil du procès ; c’est-à-dire au tout début de l’audience de conciliation devant le tribunal de ce siège. La tentative de conciliation est prévue par l’article 5 de la loi organique N° 2014-424 du 1er juillet 2014 portant création, organisation et fonctionnement des juridictions de commerce en ces termes : « La tentative de conciliation est obligatoire devant le tribunal de commerce et se tient à huis clos. Le huis clos peut être également ordonné à toutes les autres étapes de la procédure si l’ordre public, les bonnes mœurs et le secret des affaires l’exigent. » ; L’article 22 de cette loi précise : « Au jour fixé pour l’audience, si les parties comparaissent ou sont régulièrement représentées, le tribunal de commerce 28 procède obligatoirement à une tentative de conciliation. En cas d’accord, le président dresse un procès-verbal de conciliation signé par les parties, dont une expédition est revêtue de la formule exécutoire. En cas de non-conciliation, et si l’affaire est en état d’être jugée, le tribunal délibère, dans les meilleurs délais, sur rapport de ses membres. Ce délai ne saurait excéder quinze jours. Si l’affaire n’est pas en état d’être jugée, le tribunal la renvoie à une prochaine audience et confie à l’un de ses membres le soin de l’instruire en qualité de juge rapporteur. » ; Il en résulte que la phase de la conciliation obligatoire précède la phase contentieuse, qui, elle, s’ouvre après le constat de la non-conciliation. Le tribunal rappelle que l’objectif de cette phase n’est pas tant de discuter du bien-fondé des prétentions des parties, que de les amener à trouver une issue pacifique à leurs différends au moyen d’une solution négociée. La défense des prétentions respectives et notamment la contestation directe par les défendeurs du bienfondé des réclamations du demandeur n’ayant lieu qu’après constat de l’échec de la tentative de conciliation, Monsieur TANOH Thierry est mal venu à reprocher aux défendeurs de n’avoir pas dès l’amorce de la tentative de conciliation dénié au tribunal de commerce toute compétence pour connaître de la présente cause. Il y a lieu dès lors de rejeter ce moyen. Relativement au second moyen, Monsieur TANOH Thierry considère que l’exception d’incompétence soulevée par les défendeurs est irrecevable parce que ceux-ci n’ont pas indiqué la juridiction compétente selon eux pour connaître du litige, mais en ont indiqué trois (3) au mépris de l’article 115 du code de procédure civile, commerciale et administrative. 29 Il est constant que les défendeurs ont désigné trois juridictions différentes qu’ils estiment compétentes pour connaître de la présente affaire que sont, à titre de rappel, les tribunaux de Lomé et de Londres, et la juridiction arbitrale. Ils estiment que la doctrine et la juridiction les y autorisent. Toutefois, la lecture attentive de l’article 115 sus énoncé révèle que le législateur ivoirien met à la charge de celui qui se prévaut d’une exception d’incompétence l’obligation de désigner selon lui LA juridiction compétente pour connaître du litige. Les dictionnaires des termes juridiques ne donnant pas la définition du mot « LA » utilisé par le législateur ivoirien, c’est à ceux de la langue française qu’il faut se référer à cet effet. Et ces dictionnaires disent que ce mot est un article défini féminin singulier. Il ne peut être contesté par personne que l’article défini, en grammaire, est un mot qui se rapporte à un être ou à un objet déterminé comme « le, la, les » ; au contraire de l’article indéfini qui se rapporte à un être ou à un objet indéfini comme « un, une, des ». L’article défini peut dans son genre être masculin (le) ou féminin (la) et en nombre être singulier ou pluriel. Cet article est singulier lorsqu’il désigne une catégorie qui s’exprime à l’unité (le ou la) et pluriel lorsqu’il désigne une catégorie dont le nombre est supérieur à l’unité (les). De ces précisions grammaticales rendues nécessaires pour une interprétation juste de l’article 115 du code de procédure civile, commerciale et administrative, le tribunal juge qu’en utilisant l’article défini « LA », le législateur ivoirien fait obligation à celui qui se prévaut d’une exception d’incompétence d’indiquer CELLE qui selon lui EST compétente pour connaître du litige, et non pas CELLES qui selon lui SONT compétentes pour connaître du litige. Les défendeurs en désignant plusieurs juridictions compétentes dont deux juridictions étatiques et une juridiction arbitrale n’ont pas satisfait à cette obligation, de sorte que l’exception d’incompétence qu’ils ont soulevée doit être rejetée. Il pourrait être avancé que tout tribunal doit, avant de statuer, vérifier sa compétence, et que le législateur ivoirien a donné au tribunal de commerce une 30 compétence d’attribution qui est d’ordre public de sorte que ce tribunal doit lui-même soulever cette exception d’incompétence. Toutefois en l’espèce, il n’y avait pas lieu pour le Tribunal à soulever d’office l’exception d’incompétence. En effet, ce que Monsieur TANOH Thierry reproche aux défendeurs dont l’un, Monsieur MATJILA Daniel, est administrateur et donc a la qualité de dirigeant social, et les deux autres, les sociétés ETI et PIC, qui sont des sociétés anonymes, sociétés commerciales par la forme, c’est la commission de fautes issues de faits se rattachant par un lien direct à la gestion de la société ETI, fautes qui lui ont causé un préjudice. La connaissance de ces faits ne peut que relever de la compétence de la juridiction commerciale s’il n’est pas, comme c’est le cas en l’espèce, allégué devant le tribunal de commerce le caractère infractionnel de ces faits et que le demandeur ne s’est pas porté partie civile devant une juridiction pénale. Par ailleurs, du point de vue de la compétence territoriale, le tribunal de commerce est bien compétent pour connaître de l’action du demandeur car l’action initiée par Monsieur TANOH Thierry n’est pas, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, une action individuelle à engager devant la juridiction du siège de la société ETI, fondée sur les articles 161 et suivants de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. En effet l’article 162 dudit acte uniforme qui définit cette action, dispose : « L’action individuelle est l’action en réparation du dommage subi par un tiers ou par un associé, lorsque celui-ci subit un dommage distinct du dommage que pourrait subir la société, du fait de la faute commise individuellement ou collectivement par les dirigeants sociaux dans l’exercice de leurs fonctions. Cette action est intentée par celui qui subit le dommage. ». Il résulte de ce texte que l’action individuelle ne concerne que les faits fautifs commis par les dirigeants sociaux dans l’exercice de leurs fonctions. Or, Monsieur Thierry TANOH reproche aux défendeurs une faute détachable des fonctions, c’est-à-dire une faute intentionnelle particulièrement grave incompatible avec l’exercice des fonctions sociales, sur le 31 fondement des articles 1382 et 1383 du code civil. En outre, il est constant qu’en droit processuel, c’est au moment de l’assignation que les vérifications de forme doivent être opérées par le tribunal. Et au 12 mai 2014, Monsieur TANOH Thierry a indiqué dans son acte d’assignation être un ancien employé de la société ETI et domicilié à Abidjan, République de Côte d’Ivoire. Le tribunal rappelle que le principe en matière de domicile n’est pas celui de la fixité, les personnes physiques ou morales pouvant, au gré de leurs intérêts, changer de domicile. Même si dans le contrat de Monsieur TANOH Thierry existe une clause de domicile dans laquelle est indiquée la ville de Washington comme étant ce domicile, même si dans l’instance sociale engagée devant le tribunal de travail de Lomé suite à la rupture qu’il considère abusive de son contrat, celui-ci a déclaré être domicilié à Lomé, le tribunal relève que ces indications sont bien antérieures à sa saisine. Et au moment de celle-ci, Monsieur TANOH Thierry a indiqué être domicilié à Abidjan, et expliqué dans ses conclusions du 21 octobre 2014 qu’une fois révoqué de ses fonctions et revenu dans son pays d’origine, il a fait aussi élection de domicile dans deux sociétés d’avocats. Le tribunal note de cela que ce qui est mis en avant par Monsieur TANOH Thierry n’est pas seulement l’élection de domicile, mais aussi le fait que, révoqué de ses fonctions à Lomé, il est revenu dans son pays d’origine qu’est la Côte d’Ivoire. Il appartient dans ces conditions aux défendeurs d’en apporter la preuve contraire, c’est-à-dire de démontrer au tribunal que nonobstant cette indication contenue dans l’assignation, Monsieur TANOH Thierry, au moment où il les assignait devant le tribunal de commerce, était domicilié à l’étranger, non pas en brandissant la clause de domicile du contrat de travail ou l’acte d’assignation devant le tribunal de travail de Lomé, tous deux, comme susindiqué, antérieurs à la saisine du tribunal de ce siège et inaptes à faire échec au droit qu’à toute personne de changer de domicile. Monsieur TANOH Thierry était donc domicilié à Abidjan au moment où il introduisait son action devant le tribunal de commerce 32 d’Abidjan, jusqu’à preuve contraire, non rapportée par les défendeurs ; et ceux-ci résidant tous en dehors de la Côte d’Ivoire où ils n’ont ni domicile ni résidence, le tribunal compétent est dans ce cas celui du demandeur notamment le tribunal de ce siège en application des dispositions pertinentes de l’article 11 alinéa 4 du code de procédure civile, commerciale et administrative qui dispose : « Si le défendeur est un ivoirien établi à l’étranger, ou un étranger n’ayant en Côte d’Ivoire ni domicile, ni résidence, le tribunal compétent est celui du domicile du demandeur. ». Au total, le tribunal retient sa compétence dans la présente cause. Sur la recevabilité de l’action de Monsieur TANOH Thierry Monsieur TANOH Thierry a introduit son action en paiement de dommages-intérêts dans les conditions légales de forme et de délai. Pour cela, cette action doit être déclarée recevable. Au fond Sur le bien-fondé de la demande en paiement de dommages-intérêts Monsieur TANOH Thierry sollicite la condamnation des défendeurs à lui payer la somme de quinze milliards (15.000.000.000) de francs CFA en réparation du préjudice qu’ils lui ont causé. L’accueil favorable de cette demande par le tribunal nécessite d’une part la réunion des conditions des articles 1382 et 1383 du code civil sur lequel le demandeur fonde son action, et d’autre part la justification du montant réclamé en guise de réparation. * Sur la réunion des conditions des articles 1382 et 1383 du code civil L’article 1382 du code civil dispose : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. ». 33 Quant à l’article 1383 du code civil, il dispose : « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ». Ces articles, considérés comme les articles angulaires de la responsabilité civile délictuelle et quasidélictuelle, nécessitent l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Sur la faute reprochée aux défendeurs Monsieur TANOH Thierry trouve cette faute des défendeurs dans les termes de la lettre du 1er mars 2014 écrite par Monsieur Daniel MATJILA et dans la publicité sans égale qui en a été faite. Le tribunal relève que les adjectifs qualificatifs utilisés par Monsieur MATJILA Daniel et attribués par lui à Monsieur TANOH Thierry sont les suivants : « immature, incompétent, menteur et manipulateur, fraudeur, sans éthique, inapte professionnellement et moralement à exercer sa profession de banquier ». Le sens commun donné à ces termes est le suivant : immature : qui n’a pas encore atteint la maturité intellectuelle, affective, c’est-à-dire qui n’est pas arrivé à maturité, au plein développement physique, affectif et intellectuel, qui n’a pas de sureté de jugement. incompétent : qui manque de compétence, de connaissances pour faire quelque chose, c’est-àdire qui n’a pas l’aptitude et l’expérience nécessaires pour faire quelque chose. menteur : qui ment, qui a l’habitude de mentir, c’est-à-dire de donner pour vrai ce que l’on sait être faux ou nier ce que l’on sait être vrai ou encore tromper par de fausses apparences. fraudeur : qui fraude, c’est-à-dire qui commet des actes malhonnêtes qui vont à l’encontre de la loi ou des règlements, et qui nuit au droit d’autrui. 34 manipulateur : qui manipule autrui, c’est-à-dire qui amène insidieusement (en trompant) autrui à tel ou tel comportement, qui le dirige ainsi à sa guise. sans éthique : qui est sans principes moraux inapte professionnellement et moralement à exercer sa profession de banquier : qui n’a pas les dispositions professionnelles et morales pour exercer la profession de banquier. Monsieur MATJILA Daniel ne conteste pas avoir utilisé ces termes dans sa lettre du 1er mars 2014, termes réprouvés avec véhémence par Monsieur TANOH Thierry qui les considère comme insultants, c’est-à-dire outrageants, blessant sa dignité et son honneur ; et infamants c’est-à-dire déshonorants et nuisibles pour sa réputation. Dans ces conditions, il revient à Monsieur MATJILA Daniel d’apporter la preuve des faits qui l’ont autorisé à attribuer ces épithètes au demandeur et qui justifient que tel est effectivement Monsieur TANOH Thierry. Il est produit au dossier à cet égard différentes pièces principalement une lettre du 12 décembre 2014 adressée au Président du Tribunal de ce siège dans laquelle Monsieur MATJILA Daniel apporte les raisons qui fondent son appréciation sur Monsieur TANOH Thierry. Concernant le qualificatif « immature », le tribunal constate que Monsieur Daniel MATJILA dans sa lettre du 12 décembre 2014 adressée au Président du tribunal de ce siège n’en parle pas. Le tribunal relève que lors de son audition au cours de la mise en état par le juge rapporteur, Monsieur MATJILA Daniel a justifié ce qualificatif par le fait que Monsieur TANOH Thierry a pleuré durant un conseil d’administration et précisé que les réunions du conseil d’administration ne sont pas la maternelle. Le tribunal rappelle que « Pleurer », c’est-à-dire verser des larmes, gouttes de liquide salé produit par les glandes lacrymales situées sous les paupières, qui s’échappent parfois au dehors et coulent sur les joues, peut bien se voir chez des êtres humains matures c’est-à-dire au développement 35 physique, affectif et intellectuel parfaitement achevé ; lorsqu’ils sont mus par des sentiments de joie, de douleur ou de tristesse. Pour cela, le tribunal considère sur ce point que Monsieur MATJILA Daniel n’a pas rapporté la preuve de ses allégations, à savoir que Monsieur TANOH Thierry a pleuré parce qu’il est immature. Concernant le qualificatif « incompétent », Monsieur MATJILA Daniel dans sa lettre du 12 décembre 2014 le justifie par le fait que Monsieur TANOH Thierry n’a pas été capable en tant que directeur général de mesurer la gravité de la crise créée au sein de la société ETI suite au courrier du 08 avril 2013 de la Banque Centrale du Nigeria dénonçant la légitimité de l’ancien Président du conseil d’administration Monsieur KOLAPO Lawson à présider ce conseil et sa publication dans le journal FINANCIAL TIMES ; et de n’avoir pas su ou voulu prendre les moyens appropriés pour y faire face ; d’être à l’origine de pratique de mauvaise gouvernance de la société ETI, notamment d’être à l’origine de la rupture de la confiance au sein de l’équipe dirigeante, de la nomination du contrôleur interne comme son assistant alors que celui-ci doit jouir d’une totale indépendance vis-à-vis de lui, d’avoir manqué de respect envers le conseil d’administration et l’autorité de régulation en licenciant la directrice des Finances et des Risques Madame DO REGO, malgré l’opposition de ceux-ci ; et d’avoir empêché par des manœuvres publiques et judiciaires la tenue du conseil d’administration du 25 février 2014. Certes, il produit des pièces ; mais à l’examen attentif de chacune d’elles, le tribunal se rend compte qu’elles ne justifient pas le qualificatif « incompétent » attribué à Monsieur TANOH Thierry, le demandeur ; ce d’autant moins qu’il n’est pas contesté par les défendeurs qu’il a été choisi pour diriger le groupe ETI parmi bien d’autres candidats desquels il était le meilleur, et que les défendeurs ne contestent pas l’augmentation de la valeur des actions de la société ETI obtenue sous sa direction. Or la valeur des actions d’une société anonyme cotée à la Bourse comme c’est le cas pour la société ETI reflète, sans conteste, la santé financière et les performances économiques de celle-ci. 36 Le tribunal note par ailleurs que Monsieur TANOH Thierry a prétendu qu’en réalité c’est parce qu’il avait mis lui-même en exergue les problèmes de mauvaise gouvernance au sein du groupe ETI que son éviction a été orchestrée par les défendeurs, et a sollicité la production du rapport du cabinet Ernst et Young pour confirmer ces allégations. Le tribunal note également qu’il a lui-même demandé aussi la production au dossier de ce rapport pour apprécier par lui-même la question de la gouvernance au sein du groupe ETI, et que le conseil d’administration de cette société a finalement refusé d’y satisfaire. Il ressort aussi du procès-verbal d’audition des parties établi par le juge rapporteur que Monsieur MATJILA Daniel n’a pas contesté que le rapport du cabinet Ernst et Young que le conseil d’administration du groupe ETI a refusé de communiquer au tribunal, a révélé des graves problèmes de gouvernance au sein de ce groupe ; et que Monsieur MATJILA Daniel a déclaré et confirmé que si la société PIC qu’il représente au sein du groupe ETI l’avait su, elle n’aurait pas investi dans le capital de ce groupe. Il est par ailleurs constant qu’un administrateur de la société ETI a démissionné de son poste d’administrateur pour ne pas être comptable de la mauvaise gouvernance observée dans cette société. Tout ceci ajoute grand crédit aux déclarations de Monsieur TANOH Thierry selon lesquelles, à titre de rappel, la lettre du 1er mars 2014 a été écrite parce qu’il avait mis en exergue la mal gouvernance dans la société ETI. Concernant le qualificatif « menteur », le tribunal relève qu’il n’est nulle part prouvé par Monsieur MATJILA Daniel dans sa lettre du 12 décembre 2014 censée justifier les faits évoqués dans la lettre du 1er mars 2014 ni dans aucune autre pièce versée par lui au dossier. Concernant le qualificatif « fraudeur », Monsieur MATJILA Daniel le justifie par le fait que Monsieur TANOH Thierry a de manière frauduleuse obtenu la modification de son contrat de recrutement avec la complicité du Président du conseil d’administration, 37 sans que ce conseil en soit informé alors que c’est lui qui est compétent en la matière selon l’article 31 des statuts de la société ETI ; et que dans le nouveau contrat, il s’est vu octroyer des avantages supplémentaires tout en réduisant les critères de performance qui lui ont été fixés. Il revient à Monsieur MATJILA Daniel de prouver au tribunal l’existence de cette collusion frauduleuse entre Monsieur TANOH Thierry et le Président du conseil d’administration. Le tribunal constate qu’une telle collusion n’est pas prouvée en l’espèce par Monsieur MATJILA Daniel ; de même qu’il n’a pas été prouvé par les défendeurs que Monsieur TANOH Thierry, en sollicitant la modification de son contrat de travail, avait entendu contourner le conseil d’administration dont il avait du reste saisi le président, auquel il appartenait sans doute possible de réunir ce conseil. Son inaction ne peut donc être mise à la charge de Monsieur TANOH Thierry. Le tribunal considère ce point comme non prouvé. Concernant le qualificatif « manipulateur », Monsieur MATJILA Daniel ne produit au dossier aucune pièce de nature à prouver que Monsieur TANOH Thierry a manipulé le conseil d’administration de la société ETI, se contentant de simples allégations. Il avait, en outre, avancé lors de la mise en état que Monsieur TANOH Thierry avait fait intervenir des autorités politiques dans le fonctionnement de la société ETI, ce que celui-ci conteste. Alors qu’il lui revenait de prouver cette allégation devant le tribunal, il se contente de décrire dans sa lettre du 12 décembre 2014 censée justifier ses propos ceci : « ce point ne mérite pas amples développements, Monsieur TANOH n’ayant pas pu apporter des éléments de contradiction à mes déclarations lors de la dernière audition des parties ». Le tribunal tient donc ce point également pour non prouvé. Concernant le qualificatif « sans éthique », Monsieur MATJILA Daniel le justifie dans sa lettre du 12 décembre 2014 par trois faits à savoir la réclamation indue de bonus au titre de l’exercice 2012, l’achat non autorisé de véhicule de luxe et l’utilisation abusive du jet de la société. Le bonus au titre de l’exercice 2012, Monsieur MATJILA Daniel le trouve non éthique parce 38 qu’en violation de son contrat de recrutement qui fixait ce bonus à 25 % de son salaire annuel, Monsieur TANOH Thierry a réclamé et obtenu un bonus de 40 % de la prime annuelle du directeur général sortant, sans que cette question, qui constitue une modification du contrat de recrutement, ait été préalablement soumise à l’approbation du conseil d’administration. Le tribunal note que Monsieur MATJILA Daniel écrit lui-même que c’est le Président du conseil d’administration, Monsieur KOLAPO Lawson, qui a donné son accord pour cela. Comme il a été susindiqué pour les avantages que, selon Monsieur MATJILA Daniel, le demandeur s’est octroyé avec la complicité de Monsieur KOLAPO Lawson, Monsieur TANOH Thierry ayant saisi ce dernier en sa qualité de Président du conseil d’administration de la société ETI, il lui appartenait de soumettre cette question au conseil d’administration qu’il préside. Sauf à prouver la collusion frauduleuse à l’origine de cette opération, ce que Monsieur MATJILA Daniel n’a pu faire, le tribunal considère que c’est à tort que Monsieur MATJILA Daniel écrit cela au compte des actes non éthiques du demandeur. Il en va de même pour ce qu’il considère comme des « achats non autorisés de véhicules de luxe », achats pourtant dûment autorisés par le Président du conseil d’administration. Là non plus, la preuve de la collusion frauduleuse entre ce dernier et Monsieur TANOH Thierry pour contourner les procédures n’est pas rapportée. Quant à l’utilisation du jet de la société ETI, Monsieur MATJILA Daniel considère que celle-ci a été abusive car lors de son court passage à la tête de la société ETI, Monsieur TANOH Thierry a laissé, à cet égard, des factures de deux milliards deux cent quarante-trois millions trois cent vingt-neuf mille neuf cent trente-cinq (2.423.329.935) francs CFA, et qu’une lecture attentive de l’état d’utilisation du jet à Abidjan prouve également qu’il s’est agi d’une utilisation à des fins personnelles, sinon étrangères aux fonctions de directeur général de Monsieur TANOH Thierry. Les pièces qu’il produit à cet égard ne sont que des récapitulatifs des voyages effectués et ne prouvent nullement que ces voyages n’étaient pas nécessaires et/ou avaient des buts autres que professionnels. Lors de la mise en état, Monsieur MATJILA Daniel a même prétendu que Monsieur TANOH Thierry a utilisé le jet pour aller jouer au tennis ; ce qu’il a été bien en peine 39 de justifier par la suite tant devant le juge rapporteur que devant le tribunal. Concernant le qualificatif « inapte professionnellement et moralement à exercer sa profession de banquier », Monsieur MATJILA Daniel le déduit de tous les faits, du reste non prouvés, qu’il a reprochés à Monsieur TANOH Thierry, dont il ne conteste paradoxalement pas les performances à la société financière internationale. Il a même déclaré devant le juge rapporteur lors de son audition avoir du respect pour Monsieur TANOH Thierry à qui pourtant il n’a pas hésité à attribuer des qualificatifs peu flatteurs. Au regard de tout ce qui précède, le tribunal considère que Monsieur MATJILA Daniel à qui il incombait d’apporter la preuve des faits à l’origine des qualificatifs qu’il a attribués à Monsieur TANOH Thierry n’a pu le faire en l’espèce. Ces qualificatifs portant atteinte à l’honneur et à la considération, c’est à juste titre que Monsieur TANOH Thierry lui reproche une faute délictuelle à son égard. Monsieur MATJILA Daniel dans sa lettre du 12 décembre 2014 écrit ce qui suit : « Comme déjà amplement développé dans les précédentes écritures, il était du devoir et de la responsabilité des administrateurs signataires de la Lettre Litigieuse, et notamment de moi-même, de dénoncer ces manœuvres, eu égard : (i) à l'objet et au statut d'institution financière publique en charge de la gestion des retraites des travailleurs sudafricains, l'actionnaire dont j'ai le devoir de défendre les intérêts, (ii) au fait que cet actionnaire était, alors, le principal actionnaire d'ETI, et donc son actionnaire de référence, de ce fait, potentiellement, garant de la solvabilité du Groupe, et (iii) à la responsabilité légale et statutaire des administrateurs signataires, garants de la bonne gouvernance de la Société, et ne pouvant, à ce titre, être complices des dérèglements managériaux soulignés en synthèse dans la présente lettre. II est également important de rappeler avec insistance qu'au regard des principes et des règles régissant les sociétés commerciales aussi bien dans l'environnement juridique sudafricain que dans celui de l'OHADA, les administrateurs disposent d'une totale liberté de parole, d'expression et donc d'écriture pour faire valoir les intérêts qu'ils représentent. La Lettre Litigieuse, quels qu'en soient les termes ou le ton, adressée à un Conseil d'Administration, ne saurait donc être 40 constitutive d'une faute au sens des différents Actes Uniformes régissant les sociétés commerciales et le droit commercial, ni même au sens des dispositions de l'article 1382 du code civil. ». Les conseils de Monsieur MATJILA Daniel dans leurs écritures ont longuement mis en avant cette liberté totale de parole, d’expression écrite et orale dont des administrateurs jouissent pour faire valoir les intérêts qu’ils représentent, en prétendant même que le juge commercial ne saurait être le censeur des propos tenus par ceux-ci dans le cadre de l’accomplissement de leur mission. Le tribunal rappelle que l’exercice du mandat confié à un administrateur n’est pas un îlot dépourvu de règles juridiques et que le statut d’administrateur d’une société commerciale ne confère à leur titulaire ni immunité ni privilège. S’il est vrai que les administrateurs bénéficient de cette liberté de parole et d’écrit, l’exercice de cette liberté doit néanmoins être conforme à l’obligation générale de prudence imposée à toutes personnes quelles qu’elles soient par l’article 1382 du code civil en ces termes : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. ». Tout dirigeant social dans l’exercice de ses fonctions doit agir avec prudence aussi bien dans les informations qu’il donne, dans les décisions qu’il prend que dans les propos qu’il tient. En l’espèce, Monsieur MATJILA Daniel a manqué cruellement à cette prudence ; il a abusé de sa liberté d’expression, et commet par là une faute. Cette faute intentionnelle d’une particulière gravité doit être considérée comme détachable de sa fonction d’administrateur, car incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions d’administrateur, qui n’inclut nullement le droit de tenir des propos portant atteinte à l’honneur et à la considération des tiers, notamment du directeur général de la société. Monsieur TANOH Thierry trouve également la faute des défendeurs dans la publicité sans égale qui a été faite de la lettre litigieuse du 1er mars 2014. Il est constant que cette lettre s’est retrouvée dans les journaux tels que FINANCIAL TIMES et BLOOMBERG 41 NEWS. Monsieur MATJILA Daniel conteste être à l’origine de cette publication, et dans sa défense suggère même que Monsieur TANOH Thierry pourrait bien en être luimême l’auteur ; sauf qu’il ne prouve pas cela, se contentant d’allégations et de raisonnement non étayés par des éléments de preuve. Pourtant dans l’article intitulé « Public Investment Corp. (la société d’investissement public) demande la démission du PDG TANOH d’Ecobank » écrit par le journaliste Renée BONORCHIS dans le Bloomberg News, le 1 er mars 2014, le jour même de la rédaction de la lettre, il apparaît clairement ceci : « MATJILA a transmis le courrier à Bloomberg après un entretien téléphonique aujourd’hui ». Monsieur MATJILA Daniel n’a pu apporter au tribunal des éléments de preuve contraire. De même concernant le journal FINANCIAL TIMES, il n’a pu justifier avoir protesté contre la publication de la lettre litigieuse, qu’il n’avait selon lui destinée qu’aux seuls administrateurs de la société ETI ; Le tribunal tient donc aussi ce point allégué par Monsieur TANOH Thierry à la charge de Monsieur MATJILA Daniel pour acquis en l’espèce. Au regard de tout ce qui précède, le tribunal juge qu’en l’espèce, Monsieur MATJILA Daniel, en écrivant aux administrateurs de la société ETI la lettre du 1er mars 2014 contenant des termes portant atteinte à l’honneur et à la considération de Monsieur TANOH Thierry et en divulguant cette lettre dans la presse, a commis une faute détachable de ses fonctions d’administrateur qui engage sa responsabilité personnelle en tant qu’administrateur. Il est constant que Monsieur MATJILA Daniel siège au conseil d’administration de la société ETI en tant que représentant de la société PIC, qui occupe un siège d’administrateur au sein de ce conseil. Il a ainsi agi pour le compte de la société PIC et dans l’intérêt de celle-ci en vue, comme il l’a répété à l’envi, de protéger les investissements de cette société, qu’il dit être l’actionnaire principal de la société ETI. La faute qu’il a commise à l’égard de Monsieur TANOH Thierry engage donc la responsabilité solidaire de la société 42 PIC, qu’il convient de retenir. Concernant la société ETI, il est constant que l’action de Monsieur MATJILA Daniel a été accomplie par celui-ci en tant qu’administrateur de cette société et dans l’intérêt aussi de celle-ci, dont il se considérait du reste garant de la bonne gouvernance. Il est également constant qu’à aucun moment la société ETI ne s’est désolidarisée des propos tenus par Monsieur MATJILA Daniel ; bien au contraire elle a durant tout le procès tant dans ses déclarations orales qu’écrites, tenté de justifier ces propos ainsi que le droit qu’à son auteur de les tenir, et même précisé n’avoir aucun intérêt particulier à réprouver ces propos où à les empêcher. Dans ces conditions, la faute commise par Monsieur MATJILA Daniel engage aussi sa responsabilité solidaire, qu’il convient également de retenir. Sur le préjudice Il est constant que le contenu de la lettre litigieuse du 1er mars 2014 porte atteinte à l’honneur et à la considération de Monsieur TANOH Thierry. Il est également constant que la publication de cette lettre dans la presse internationale notamment dans les journaux FINANCIAL TIMES, quotidien centenaire d’informations économiques et boursières destinée à la haute sphère financière internationale et BLOOMBERG NEWS, site d’informations spécialisé dans l’économie et la finance, journaux à large diffusion et à grande audience, porte gravement atteinte à sa réputation. Il y a là incontestablement un préjudice dont le demandeur est fondé à demander réparation ; sans qu’il y ait lieu à prêter la moindre attention à l’argument des défendeurs tiré de la nomination de Monsieur TANOH Thierry à la Présidence de la République de Côte d’Ivoire. Cela n’ayant pas pour conséquence d’effacer l’humiliation que la lettre litigieuse lui inflige à la face de la communauté financière internationale et de toutes les personnes qui ont vu et lu les articles contenant les faits incriminés ; et la Présidence de la République n’étant pas une banque prestigieuse de dimension internationale où le destine normalement la renommée qu’il s’est patiemment bâtie. 43 Sur le lien de causalité De tout ce qui précède, ce lien apparaît avec une évidence telle qu’elle dispense le tribunal de longs développements à cet égard, le préjudice subi par le demandeur résultant directement, sans contestation possible, de la faute commise par les défendeurs. Au total, le tribunal juge qu’en l’espèce, les conditions des articles 1382 et 1383 du code civil sont bien réunies, et accueille pour cela favorablement la demande en paiement de dommages-intérêts de Monsieur TANOH Thierry contre Monsieur MATJILA Daniel et les sociétés ETI et PIC. * Sur la réparation Monsieur TANOH Thierry sollicite la condamnation des défendeurs à lui payer la somme de quinze milliards (15.000.000.000) de francs CFA. Ceux-ci s’y opposent au motif qu’il ne justifie pas ce montant. Le tribunal rappelle que le droit à l’honneur et à la considération fait partie des droits de la personnalité et est garanti par les alinéas 1, 2 et 3 de l’article 2 de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000 en ces termes « La personne humaine est sacrée. Tous les êtres humains naissent libres et égaux devant la loi. Ils jouissent des droits inaliénables que sont le droit à la vie, à la liberté, à l’épanouissement de leur personnalité et au respect de leur dignité. Les droits de la personne humaine sont inviolables. Les Autorités publiques ont l’obligation d’en assurer le respect, la protection et la promotion. ». Le tribunal rappelle également que l’article 12 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 à laquelle le Peuple de Côte d’Ivoire dans le préambule de la Constitution a proclamé son adhésion dispose que : « nul ne peut faire l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». 44 Le tribunal rappelle en outre qu’en matière d’indemnisation, le principe est celui de la réparation intégrale selon lequel ce qui doit être réparé par le juge, c’est le dommage, tout le dommage et rien que le dommage. Il est constant que Monsieur TANOH Thierry évolue dans la sphère de la finance internationale. Il est également constant que les prétendants à ces fonctions doivent justifier d’une réputation sans tâche pour ce qui concerne l’intégrité et l’éthique et d’un bon prestige professionnel. Il ne peut être non plus contesté que la faute commise par les défendeurs ruine le crédit de Monsieur TANOH Thierry dans ce milieu et compromet sérieusement ses chances de retrouver la considération que lui vouaient ses pairs avant la faute dont il a été victime, faute qui ternit sa renommée et est de nature à forger dans l’opinion financière internationale des faux jugements quant à son intégrité morale et à son prestige professionnel ; étant du reste précisé que tant la réputation au niveau de l’entreprise est considérée comme son actif stratégique le plus important sur le plan de la création de la valeur, tant au niveau des individus la réputation joue un rôle capital pour qui veut établir et sauvegarder sa valeur morale et professionnelle auprès de ses semblables et des personnes physiques ou morales susceptibles de l’employer. Toutefois le tribunal considère que la somme sollicitée est excessive, et en tenant compte de l’ensemble des éléments de la cause, fixe le montant de la réparation à la somme de quinze millions (15.000.000) de dollars au taux de cinq cent (500) francs CFA soit sept milliards cinq cent millions (7.500.000.000) de francs CFA au paiement de laquelle il condamne les défendeurs. Sur la publication de la présente décision Monsieur TANOH Thierry la sollicite. Elle se justifie en matière de violation des droits de la personnalité comme moyen accessoire de réparation, la publication de la décision contribuant à redonner au demandeur l’honneur et la considération dont il a été privé par la faute qu’il a subie, et à le rétablir dans l’estime des 45 tiers particulièrement de la communauté de la finance internationale dont il est issu. Il y a lieu d’y faire droit et d’encourager les défendeurs à y satisfaire, sous astreinte comminatoire, dont le montant doit cependant être réduit à deux cent millions (200.000.000) de francs CFA par jour de retard à compter de la signification de la présente décision. Sur l’exécution provisoire L’article 146 du code de procédure civile, commerciale et administrative l’autorise en cas d’extrême urgence. Tel est bien le cas en l’espèce, la réputation de Monsieur TANOH Thierry injustement bafouée et ternie par les défendeurs devant sans délai être compensée par la réparation par équivalent et la publication décidées par le tribunal. Il y a lieu de l’ordonner nonobstant toutes voies de recours. Sur les dépens Puisque les défendeurs succombent en la cause, ils doivent les supporter conformément à l’article 149 du code de procédure civile, commerciale et administrative qui dispose : « Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, sauf au Tribunal à laisser la totalité ou une fraction de ceux-ci à la charge d’une autre partie, par décision spéciale et motivée. ». Ces dépens doivent être distraits au profit des SCPA ADJE-ASSI-METAN et LEX WAYS en application de l’article 152 alinéa 1 du code de procédure civile, commerciale et administrative qui dispose que : « Les avocats pourront demander la distraction des dépens à leur profit, en affirmant, lors de la prononciation du jugement, qu’ils ont fait la plus grande partie des avances. ». PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, premier ressort ; contradictoirement et en Rejette l’exception d’incompétence et se déclare compétent ; Reçoit Monsieur TANOH Thierry en son action ; 46 Constate la non-conciliation des parties ; L’y dit partiellement fondé ; Condamne solidairement Monsieur MATJILA Daniel et les sociétés Public Investment Corporation dite PIC et Ecobank Transnational Incorpored dite ETI à lui payer la somme de sept milliards cinq cent millions (7.500.000.000) de francs CFA à titre de dommagesintérêts ; Ordonne la publication de la présente décision dans tous les organes de presse et site internet ayant reçu ou fait état de la correspondance du 1er mars 2014 aux frais des défendeurs sous astreinte comminatoire de deux cent millions (200.000.000) de francs CFA par jour de retard à compter de la signification de la présente décision ; Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision nonobstant toutes voies de recours ; Condamne les défendeurs aux dépens distraits au profit des SCPA ADJE-ASSI-METAN et LEX WAYS, Avocats aux offres de droit. Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus. ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./. 47