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dOssier
Idées en mouvement : Que peut
apporter l’anthropologie au
débat sur le mariage
homosexuel ?
Maurice Godelier : Son
point de vue n’est évidemment
pas prescriptif, mais la perspec-
tive descriptive et analytique dans
laquelle elle s’inscrit permet de
poser quelques repères, qui
peuvent aider à mieux formuler le
débat.
La question des alliances, par
exemple, a trouvé dans la diver-
sité des sociétés humaines des
formes très différentes, dont le
mariage tel que nous le connais-
sons n’est qu’une variante parmi
d’autres. L’homosexualité, par ail-
leurs, est non seulement reconnue
dans de nombreuses sociétés mais
elle apparaît dans certaines
d’entre elles comme une véritable
institution. Néanmoins, il ne faut
pas se dissimuler que la question
de l’homoparentalité est inédite.
Cette nouveauté n’est en rien dis-
qualifiante, mais elle incite à la
prudence. En particulier, et sur ce
point l’anthropologie a son mot à
dire, sous les questions touchant
aux alliances et à l’organisation en
quelque sorte horizontale de la
famille, se jouent d’autres ques-
tions, touchant à la filiation.
En d’autres termes, la question
des enfants serait prioritaire sur
celles de parents ?
Je ne le dirais pas exactement
en ces termes, mais on peut en
tout cas considérer qu’elle est plus
délicate et demande à être consi-
dérée avec attention. Essayons de
dégager les questions qui se
posent, en distinguant ce qui res-
sort de l’idéologie, ou simplement
d’une tradition particulière, et ce
qui pose réellement question.
Tout d’abord, il n’est pas inutile
de rappeler que l’homosexualité
n’est pas une sexualité anormale :
c’est simplement une autre sexua-
lité. Par ailleurs, les homosexuels
ne se définissent pas seulement par
leur différence ou par leur sexua-
lité, et c’est précisément le propre
de l’homophobie que de les ré-
duire à cette différence. On peut au
contraire insister sur ce qu’ils ont
en commun avec les hétéro-
sexuels… et rappeler que le désir
d’enfant, considéré aujourd’hui
comme allant de soit pour les se-
conds et pas pour les premiers, est
en réalité, pour tous, un phéno-
mène social et culturel plutôt ré-
cent, associé au mouvement de
valorisation de l’enfance qui a
commencé au siècle des Lumières
avec notamment l’Émile de Jean-
Jacques Rousseau. Auparavant, le
rapport aux enfants était centré sur
l’idée de descendance. Aujour-
d’hui, il ne s’agit plus seulement de
transmettre un nom : l’enfant revêt
une valeur nouvelle, il représente
un idéal de réalisation de soi. Ce
désir moderne d’enfant est une
nouveauté, et si cette nouveauté
saute aux yeux dans le cas des ho-
mosexuels, elle concerne aussi les
hétérosexuels. Tout cela pour vous
dire qu’il faut se garder d’essentia-
liser les comportements. Plus lar-
gement, la référence à la nature me
semble dénuée de sens : certes, les
couples homosexuels sont infer-
tiles, mais chez les Baruya, chaque
individu a plusieurs pères et plu-
sieurs mères. Est-ce naturel ? Non !
Mais c’est précisément ce qui défi-
nit l’humanité.
Vous parliez de repères : où en
trouver dans cette vaste
diversité culturelle ?
En anthropologue, je vous ré-
pondrai que les sociétés sont
construites sur des systèmes de
différences, et que l’une des diffé-
rences fondamentales concerne le
masculin et le féminin – quelles
que soient les valeurs portées par
chaque foyer. Si subjectivement l’enfant est
porté aux nues, collectivement ce choix se
révèle beaucoup moins évident lorsqu’on
regarde la difficulté de la société française à
intégrer professionnellement les nouvelles
générations. Mais paradoxalement, c’est
aussi face à ces difficultés d’insertion que la
famille se révèle une valeur refuge et les so-
lidarités familiales, y compris économiques,
sont plus actives que jamais.
LES CONFLITS
INTERGÉNÉRATIONNELS S’APAISENT
Compte tenu de ces évolutions, les
conditions pour que se manifestent des
conflits de génération au sein des familles
sont moins réunies qu’autrefois. L’heure n’est
plus à la révolte contre les parents, qui, dans
un pays en crise, offrent le meilleur rempart
contre les aléas de l’existence. Alors que les
jeunes sont porteurs d’innovation, notam-
ment en raison de leur maîtrise des nou-
veaux outils technologiques et mais aussi par
leurs expériences et par leurs goûts culturels,
les différences d’approches du monde entre
générations subsistent. Mais elles sont da-
vantage vécues sous l’égide des apports mu-
tuels entre classes d’âge que sous l’angle des
antagonismes. Simultanément, les modes de
vie et les valeurs qui distinguent les généra-
tions se sont rapprochés, un modèle relati-
vement unifié émerge que l’on pourrait dé-
crire ainsi : grande permissivité pour la vie
personnelle, demande d’ordre et de sécurité
pour la cité. Comme dans toute unité de vie
humaine et de tous les temps, la famille est
un terrain potentiel de tensions et de senti-
ments exacerbés, mais de façon générale,
sous la bannière d’une tolérance réciproque,
les liens intra familiaux semblent aujourd’hui
relativement apaisés.
●Monique Dagnaud
Monique Dagnaud est sociologue, directrice de
La Teuf.
Essai sur le désordre des générations
« Est-ce naturel ? Non ! Mais c’est
précisément ce qui dénit l’humanité »
Les débats enammés autour du mariage homosexuel et de l’homoparentalité voient s’opposer des systèmes de références variés,
de la morale à la nature en passant par différentes traditions philosophiques. Le point de vue d’un anthropologue est utile pour
remettre en perspective ces différentes approches. Entretien avec Maurice Godelier 1.
ces deux catégories, qui varient
évidemment d’une culture à
l’autre. C’est dans cette perspec-
tive que l’on peut reprendre le
débat sur l’homoparentalité : ce
qui importe, c’est que les attitudes
dites masculines ou féminines
soient assumées, quelle que soit la
personne qui les assume. La pa-
ternité et la maternité sont des
fonctions, un ensemble de res-
ponsabilités vis-à-vis de l’enfant,
à assumer à travers des conduites
sociales et affectives. Dans les so-
ciétés, ces fonctions peuvent se
répartir entre plusieurs personnes
qui les assument. Et elles le font.
Vous parliez de liation : au-delà
de la question du masculin et du
féminin, se pose celle de
l’ascendance. Le don de sperme
est anonyme. Si la procréation
médicalement assistée est
autorisée pour les couples de
lesbiennes, comme le souhaitent
des parlementaires, ne risque-
t-on pas d’organiser la
conception d’enfants privés de la
connaissance d’une partie de
leur ascendance biologique ?
Je suis contre l’anonymat du
don. Donner du sperme ou un
ovocyte n’est pas donner du maté-
riel biologique, mais offrir à
quelqu’un la capacité d’être parent.
La référence au donneur doit être
présente puisqu’elle fait partie du
processus moderne de conception
de la vie. Il faut que dans l’histoire
de vie que les parents trans-
mettent, la référence à la naissance
soit claire pour l’enfant, et considé-
rée comme une création, pas une
honte. Il y a de ce point de vue une
grande responsabilité des parents
homosexuels. Mais elle existe aussi
pour les couples hétérosexuels qui
recourent au don de sperme ou
d’ovocytes pour avoir un enfant.
●Propos recueillis par
Richard Robert
hautes études en sciences sociales,
Maurice Godelier a notamment
publié Métamorphoses de la parenté