LES CONTRATS DANS L’AVICULTURE : QUELS APPORTS DE L’ECONOMIE ?
Lavergne Pascal
INRA-ESR, BP 27, 31326 Castanet-Tolosan Cedex, France
Résumé
Les contrats d’intégration structurent l’activité économique de la filière avicole. Cet article explique à partir de
quelques faits stylisés comment l’économie permet d’analyser ces contrats. Il s’appuie sur les travaux existants
sur les contrats dans la filière avicole aux Etats-Unis.
Introduction
Les contrats d’intégration structurent l’activité
économique de la filière avicole. On estime que 96%
de la production avicole française est contractualisée.
Cependant, il n’existe pas d’études économiques de
ces contrats en France. Cet article explique à partir de
quelques faits stylisés comment l’économie analyse
ces contrats. L’économiste reconnaît trois grandes
fonctions du contrat. Le contrat agit comme une
assurance pour diminuer une partie des risques qui
pèsent sur l’activité des agents. Il donne des
incitations aux parties à se comporter de manière
favorable dans la relation d’échange. Il permet aux
agents de se coordonner par des engagements
réciproques Après avoir détailler chacune de ces
fonctions, nous illustrons par quelques exemples
chacune des fonctions du contrat. Notre présentation
s’appuie sur des travaux basés sur les contrats
d’intégration dans la filière avicole aux Etats-Unis.
1. Economie des contrats : quelques notions
En économie, le terme contrat est employé dans des
situations diverses. On peut cependant distinguer
quelques traits distinctifs du contrat par rapport à
d'autres modes de relations économiques, comme la
relation de marché.
Un contrat implique deux ou plusieurs agents
identifiés. Il n'y a donc pas d'anonymat des agents, par
opposition à une pure relation de marché.
Un contrat permet la coordination d'activités
décentralisées en vue d'un échange. Les parties
s'entendent sur le type de bien ou de service échangé,
la quantité et les qualités attendues, le processus de
production et la rémunération.
La coordination est assurée par un
engagement oral ou écrit entre les parties
contractantes.
Pour être crédibles, les différents
engagements doivent être reliés à un ensemble de
règles. Ces règles sont déterminées soit par les parties
elles-mêmes, soit par le système légal, juridique,
interprofessionnel, … auquel se réfèrent les parties.
Elles permettent également le règlement des conflits
éventuels en cas de non-respect des engagements ou
d'événements remettant en cause certaines clauses du
contrat.
Les caractéristiques énumérées couvrent un très large
éventail de relations. La littérature économique s’est
particulièrement intéressée au contrat de travail, au
contrat de fermage, répandu dans les pays en voie de
développement, ou au contrat d’assurance.
La théorie économique des contrats s'est développée
dans les trente dernières années (Salanié, 1994). Les
principaux problèmes étudiés par l'économie des
contrats sont reliés à trois concepts économiques
fondamentaux.
L'incertitude est clairement un facteur crucial
à prendre en compte. Face aux différents risques liés à
l’échange, le contrat peut jouer le rôle d’un
mécanisme d’assurance. L'aversion au risque des
parties, c'est-à-dire leur capacité à supporter les
différents risques liés à leur activité économique, est
un facteur déterminant de leurs comportements.
Les asymétries d'information entre les parties
constituent un second enjeu dans les relations
contractuelles. Si une des parties a des informations
privilégiées sur le processus de production, la qualité
des facteurs ou du produit, les conditions du marché,
…, cette partie peut utiliser cette information à son
profit et ainsi rendre plus difficile la coordination. Le
contrat doit alors mettre en place des mécanismes
d'incitation qui conduisent les acteurs à se comporter
de manière favorable.
Les coûts de transaction sont les coûts
spécifiques engendrés par la relation d’échange. Le
contrat permet de faciliter la coordination en
diminuant les coûts de transaction.
Dans l’aviculture, c’est le contrat d'intégration qui est
la forme prédominante de contrat. Dans ce cas, la
plupart des facteurs de production sont la propriété de
Cinquièmes Journées de la Recherche Avicole, Tours, 26 et 27 mars 2003
l'intégrateur, qui les fournit à l’éleveur en vue d'une
tâche déterminée. Seul le travail et une partie du
capital (bâtiments d'élevage) sont de la responsabilité
de l'éleveur. Nous détaillons maintenant les fonctions
du contrat en nous référant plus particulièrement à la
filière avicole.
1.1. Le contrat comme mécanisme d’assurance
En aviculture, comme dans d'autres secteurs,
différents types de risque sont subis par les acteurs. Il
est possible de classifier les risques pouvant affecter
l’activité économique des parties et donc leur relation.
1.1.1. Risques liés à l'offre
Le niveau de production est affecté par les conditions
climatiques, les caractéristiques des facteurs de
production comme les poussins, l’aliment, le travail,
et des événements tels que l'apparition de maladies,
… On distingue le risque de production spécifique à
un producteur et le risque de production commun aux
producteurs, soumis par exemple aux mêmes aléas
climatiques et sanitaires. Lorsque la production ne
satisfait pas à des critères sanitaires minima, on parle
de risque qualité.
1.1.2. Risques liés à la demande
La production peut ne pas trouver acquéreur suite à
des changements non anticipés de la demande. On
parle alors de risque de marché. L'usage et la
commercialisation du produit sont également liés à
ses caractéristiques qualitatives. L'homogénéité du
produit est fréquemment nécessaire pour répondre aux
exigences du processus de transformation et à celles
des consommateurs. On est en présence de risque
qualité.
1.1.3. Risque de prix
Les prix des facteurs peuvent varier de manière non
anticipée. Le prix de marché du produit est influencé
par des facteurs dépendant de l'offre et de la demande.
Par rapport à une relation de marché, un contrat
permet de limiter les risques subis par les éleveurs et
le collecteur par différents moyens.
1.1.4. Engagement de livraison
L’éleveur s'engage à livrer sa production au
collecteur, qui pour sa part s'engage à l'acheter. Une
prévision est établie en accord entre les parties. Le
producteur est ainsi assuré que sa production trouvera
un débouché. Le collecteur contractant avec plusieurs
producteurs obtient ainsi l'assurance d'un
approvisionnement régulier, les différents risques
spécifiques des producteurs se compensant en
moyenne. Le risque commun de sur ou sous-
production peut rester significatif si le collecteur a un
approvisionnement local et peu diversifié.
1.1.5. Accord sur les mesures sanitaires
L'accord comprend des mesures en vue d'assurer la
qualité sanitaire.
1.1.6. Règle de rémunération
Le contrat comporte une règle de rémunération établie
par avance permettant de réduire le risque prix.
1.2. Le contrat comme mécanisme d’incitation
Les comportements de chacune des parties dans leur
activité économique jouent un rôle dans l'échange.
Les choix d’une des parties ne sont pas forcément
observés par l’autre partie contractante. Par
comparaison à une relation de marché, le contrat
établit des incitations pour les parties à se comporter
favorablement.
1.2.1. Itinéraire technique
L’éleveur s'engage à suivre un itinéraire de production
détaillé. Des conseillers techniques désignés par le
collecteur sont chargés de suivre régulièrement les
producteurs.
1.2.2. Qualité des facteurs
La qualité des facteurs (potentiel génétique animal,
mélange d'aliments) constitue un élément déterminant
de la qualité du produit final.
1.2.3. Utilisation des facteurs
L’éleveur est rémunéré selon un indice de
performance (rapport poids vif sur quantité d'aliment).
1.2.4. Effort de marketing
La demande adressée au collecteur dépend de la
stratégie de mise en marché du collecteur. Dans les
cas de produit de marque, il y a engagement, parfois
implicite, à promouvoir le produit.
1.3. Le contrat comme mécanisme de coordination
Les coûts de transaction sont les coûts reliés à
l'établissement du contrat, au contrôle de son bon
déroulement, à la résolution des éventuels conflits.
Une autre catégorie de coûts de transaction concerne
les investissements spécifiques au contrat, c'est-à-dire
des investissements qui peuvent être difficilement
valorisés en dehors de cette relation. Dans
l’aviculture, ces investissements sont d’abord
matériels: bâtiments et matériels spécifiques pour
l’éleveur, unités de transformation localisées dans un
bassin de production pour l'industriel. Ils peuvent
également être immatériels (acquisition de
compétences). Afin de réduire ces coûts de
transaction, différents moyens peuvent être mis en
oeuvre.
1.3.1. Contrats standard
Des contrats standard peuvent permettre d'économiser
sur les coûts de négociation du contrat. Cependant, ils
peuvent être inadéquats pour prendre en compte
certains aspects d'une relation contractuelle
particulière ou ne pas être suffisamment détaillés,
entraînant des coûts de re-négociation.
1.3.2. Relations de long terme
Les relations contractuelles dans l’aviculture sont
souvent des relations de moyen ou long terme, du fait
de la localisation des agents et des investissements
spécifiques, en particulier matériels. L'engagement
des parties doit permettre de limiter l'opportunisme
des parties.
2. Propriétés des contrats : quelques exemples
Les contrats de la filière avicole constituent pour
l’économiste un objet d’étude particulièrement
intéressant. Ils ont été étudiés aux Etats-Unis, où ils
constituent 80% de la production agricole sous contrat
(Knoeber, 2000, et USDA, 1996). Nous nous
appuyons sur ces travaux pour mettre en évidence
quelques questions relatives à ces contrats.
2.1. Assurance
Certains auteurs ont étudiés les propriétés d’assurance
des contrats dans l’aviculture en fonction de la règle
de rémunération adoptée (Knoeber, 1989, Knoeber et
Thurman, 1995). Deux grands types de règles sont
observés.
2.1.1. Rémunération par rapport à un standard
objectif
Les éleveurs sont rémunérés par rapport à un standard
de performance portant sur le gain moyen quotidien
en poids rapporté à la consommation. Le prix au poids
payé à l’éleveur i est noté prixi et s’écrit
prixi = base + prime × (perfi –standard)
où perfi est la performance de l’éleveur i
2.1.2. Rémunération relative par rapport à un
groupe d’éleveurs
Les éleveurs sont rémunérés par rapport à leur
performance relative à un groupe d’éleveurs. Une telle
forme de rémunération est désignée par le terme de
tournoi. Le prix au poids payé à l’éleveur i s’écrit
prixi = base + prime × (perfi –perf. moyenne)
Dans un schéma classique de rémunération basé sur
un standard, les éleveurs supportent complètement le
risque de production commun à tous les éleveurs.
Ainsi, si les performances globales des éleveurs sont
mauvaises une certaine année, ils subissent tous
collectivement les effets de cette mauvaise année.
Dans un tournoi, les producteurs ne subissent pas le
risque de production commun à leur groupe de
référence. Mais le tournoi rend difficile toute
prévision de leur revenu. Le ``Producer protection
act,'' adopté dans certains états des Etats-Unis, a
interdit l'usage des tournois en faveur d'une
rémunération basée sur un standard objectif de
performance. L'effet global de cette mesure pour les
éleveurs dépend de l'importance relative des risques
communs et spécifiques de production, des
caractéristiques du processus de production et de
l’aversion au risque des éleveurs (Tsoulouhas et
Vukina, 2001).
2.2. Incitations
Un résultat fondamental de l’économie des contrats
est qu’il existe un dilemme entre incitations et
assurance (Salanié, 1994). Ceci signifie que plus un
contrat permet à un agent de s’assurer contre le risque,
moins il fournit d’incitations à ce même agent. Les
contrats observés dans l’agriculture ne font pas
exception (Hueth, Ligon, Wolf et Wu, 1999).
Pour illustrer ce phénomène, considérons tout d’abord
le point de vue de l’éleveur. Si sa rémunération ne
dépend pas de ses performances (salariat), l’éleveur
est complètement assuré contre les risques de
production par l’intégrateur, mais ses performances
peuvent en être affectées. S’il vend sa production au
prix du marché, sa rémunération dépend entièrement
de ses performances, mais il subit complètement les
risques communs et spécifiques de production, ce qui
n’est pas socialement efficace. Ainsi, le contrat doit
permettre un équilibre entre assurance contre les
risques et incitations à produire.
Le même type de dilemme peut exister pour
l’intégrateur. Lorsque le risque de production est
complètement supporté par l’éleveur, l’intégrateur
peut ne pas être incité à fournir les facteurs de
production (aliment et poussins) les plus favorables
pour l’éleveur. La qualité des facteurs peut être reliée
à des éléments comme la composition de l'aliment ou
l’âge des poules pondeuses, mais n'est pas vérifiable
par l’éleveur (Leegomonchai et Vukina, 2002). Plus le
collecteur supporte les risques de production, plus ses
incitations à fournir des facteurs de production de
qualité augmentent.
2.3. Coordination
L’observation révèle que les clauses du contrat type
homologué sont peu reprises de façon explicite. De
plus, certains contrats d’intégration sont souvent
incomplets, en cela qu’ils ne précisent pas toutes les
contingences de l’accord : durée des vides sanitaires,
nombre de bandes par an, règle de rémunération, ...
Cela peut entraîner des coûts de renégociation non
négligeables et ne permet pas aux agents d’évaluer
avec précision leurs droits et obligations.
Dans la pratique, de nombreux contrats observés sont
de court terme et reconduits par accord tacite, ce qui
peut amener les acteurs à re-négocier périodiquement.
Or, le niveau d'engagement atteint par un contrat de
court terme tacitement reconduit n'est pas comparable
à celui d'un contrat de long terme. L’engagement des
parties a un effet sur les propriétés incitatives du
contrat. En effet, les parties sont moins incitées à
effectuer des investissements spécifiques si elles ne
sont pas assurées de pouvoir amortir ces
investissements sur le long terme (Tsoulouhas et
Vukina, 1999).
2.4. Difficultés dans l’analyse
L’analyse des contrats est compliquée par le fait que
les agents n’ont pas tous les mêmes caractéristiques. Il
n’est ni légalement possible, ni socialement et
économiquement souhaitable d’individualiser les
contrats. Par exemple, les règles de rémunération
simples utilisées en pratique (basées sur un standard
de performance ou sur une évaluation relative)
peuvent être expliquées par les coûts de transaction
qui seraient engendrés par des règles plus complexes
(Goodhue R., 2000, Levy et Vukina, 2002). Le
problème demeure de formaliser un contrat unique
proposé à un ensemble d’éleveurs hétérogènes. Dans
certains cas, des schémas de rémunération plus
complexes sont utilisés. Il s’agit de créer plusieurs
tournois dans des groupes homogènes de producteurs
aux caractéristiques identiques, et d’assurer un
péréquation entre ces groupes pour ne pas défavoriser
certains d’entre eux (Levy et Vukina, 2002).
Un autre problème concerne la dynamique des
contrats. Si l’engagement des parties permet aux
agents de mettre en place des stratégies de long terme
favorables à l’échange, il peut également être moins
incitatif lorsqu’il s’agit de prendre des décisions de
court terme, puisque les agents savent que le contrat
ne sera pas remis en question.
Ainsi, les propriétés du contrat comme mécanisme
d’assurance, d’incitation et de coordination sont
intimement liées. Un contrat qui assure bien une des
parties contre certains risques aura des effets incitatifs
moindres. Un contrat permettant une coordination
importante, comme un engagement de long terme,
peut avoir des effets mitigés sur les incitations. Un
contrat optimal, c’est-à-dire qui permet d’équilibrer
les différentes fonctions du contrat pour chacune des
parties, ne saurait être déterminé sans analyser le
contexte dans lequel il intervient.
Conclusion
Les contrats d’intégration structurent la filière avicole
française et ont ainsi des répercussions sur les revenus
des éleveurs, la qualité des produits, les prix et le
marché en général. Le contrat apparaît ainsi comme
un instrument stratégique pour les acteurs et pour
l’activité économique de la filière. Qu’il soit objet de
controverse s’explique parce qu’il joue différents
rôles (assurance, incitations, coordination) et que les
parties n’ont pas forcément les mêmes priorités quant
à ces fonctions. L’analyse économique peut être utile
pour évaluer les différents effets de ces contrats et
ainsi dépassionner le débat. Mais ceci ne peut se faire
sans la coopération des acteurs de la filière.
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