PHILOSOPHER DEPUIS MONTAIGNE ET APRÈS WITTGENSTEIN @ L'Harmattan, 2008 5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 http://www.librairieharmattan.com [email protected] harmattan [email protected] ISBN: 978-2-296-05729-6 EAN : 9782296057296 Paris Christian CAVAILLÉ PHILOSOPHER DEPUIS MONTAIGNE ET APRÈS WITTGENSTEIN Instances des essais L' Harmattan La Philosophie en commun Collection dirigée par Stéphane Douailler, Jacques Poulain, Patrice Vermeren Nourrie trop exclusivement par la vie solitaire de la pensée, l'exercice de la réflexion a souvent voué les philosophes à un individualisme forcené, renforcé par le culte de l'écriture. Les querelles engendrées par l'adulation de l'originalité y ont trop aisément supplanté tout débat politique théorique. Notre siècle a découvert l'enracinement de la pensée dans le langage. S'invalidait et tombait du même coup en désuétude cet étrange usage du jugement où le désir de tout soumettre à la critique du vrai y soustrayait royalement ses propres résultats. Condamnées également à l'éclatement, les diverses traditions philosophiques se voyaient contraintes de franchir les frontières de langue et de culture qui les enserraient encore. La crise des fondements scientifiques, la falsification des divers régimes politiques, la neutralisation des sciences humaines et l'explosion technologique ont fait apparaître de leur côté leurs faillites, induisant à reporter leurs espoirs sur la philosophie, autorisant à attendre du partage critique de la vérité jusqu'à la satisfaction des exigences sociales de justice et de liberté. Le débat critique se reconnaissait être une forme de vie. Ce bouleversement en profondeur de la culture a ramené les philosophes à la pratique orale de l'argumentation, faisant surgir des institutions comme l'École de Korcula (Yougoslavie), le Collège de Philosophie (Paris) ou l'Institut de Philosophie (Madrid). L'objectif de cette collection est de rendre accessibles les fruits de ce partage en commun du jugement de vérité. II est d'affronter et de surmonter ce qui, dans la crise de civilisation que nous vivons tous, dérive de la dénégation et du refoulement de ce partage du jugement. Dernières parutions Jad HATEM, Phénoménologie de la création poétique, 2008. Nelson GUZMAN, Subjectivité et idéologie dans le contexte de la philosophie de la modernité, 2008. Nelson GUZMAN, La crise du logos et des utopies de la modernité, 2008. Christophe SCHAEFFER, De la séparation, 2007. Stavroula BELLOS, Chroniques philosophiques, 2007. Jean-Rodrigue-Elisée EYENE MBA et Irma Julienne ANGUE MEDOUX, Richard Rorty. La fin de la métaphysique et la pragmatique de la science, 2007. À Hélène AVERTISSEMENT Les références aux Essais (successivement au Livre, au chapitre, à la strate du texte, à la page et parfois aussi à la ligne) sont données entre parenthèses avec la pagination de l'édition de Pierre Villey et de V. -L. Saunier (Trois volumes, Paris, PUF, « Quadrige », 1988). Strates du texte: a = édition de 1580 ou édition de 1582 (Livres I et II) ; b = édition de 1588 (Livres I, TI, TII et premières additions aux Livres I et II) ; c = édition posthume de 1595 (édition de 1588 et nouvelles additions aux trois Livres de 1588 à 1592 sur l' « Exemplaire de Bordeaux»). ill, 9, b, 963 signifie: Livre III des Essais, chap. 9, strate b (édition de 1588), p. 963 du tome ill de l'édition Villey-Saunier. Sauf pour quelques termes, l'orthographe est modernisée. Les reformulations en français contemporain sont mises entre crochets []. Pour certaines citations, je me réfère aussi à l'édition des Essais établie par André Tournon (Trois volumes, Paris, Imprimerie nationale Éditions, «La Salamandre », 1998). Dans ce cas se succèdent entre parenthèses la référence à l'édition d'André Tournon indiquée par la lettre T. et la référence à l'édition de Pierre Villey indiquée par la lettre V. L'édition Tournon transcrit le deux-points (:) de l'original soit par un deux-points (:), soit par un tiret (-), soit par un point-en-haut (.) ; dans ce dernier cas, il s'agit d'une ponctuation analogue à celle du point-virgule mais entre segments reliés ou subordonnés. Les références aux Recherches philosophiques de Ludwig Wittgenstein sont données entre parenthèses (PU) avec l'indication de la page pour la Préface, du ~ pour la Première partie, du chapitre et de la page pour la Seconde partie, dans la traduction de F. Dastur, M. Élie, J. -L Gautera, D. Janicaud, É. Rigal (Paris, Gallimard, «Bibliothèque de philosophie », 2004). Pour les citations du texte allemand, je me réfère aux Philosophische Untersuchungen. Zweite Auf/age / Philosophical Investigations. Second Edition, translated by G. E. M. Anscombe, Blackwell Publishers Inc., 1958. Les notes sont regroupées à la fin de chaque chapitre. 7 AVANT -PROPOS Je tente de philosopher depuis Montaigne et après Wittgenstein en confrontant les Essais aux Recherches philosophiques, ainsi qu'à d'autres textes, de philosopher au présent en faisant apparaître ce qui insiste dans ces « essais» et ces «recherches ». Philosopher depuis Montaigne: j'entends par là philosopher à partir des Essais dans la plus grande attention au texte, philosopher selon et d'après les Essais, mais aussi philosopher bien après Montaigne, en assumant une distance qui ne se mesure pas seulement en siècles et qui tient à la différence des manières d'essayer car l'élaboration proposée est délibérément philosophique, méthodique et conceptuelle alors que les Essais, s'ils sont un texte philosophique, ne sont peut-être pas un texte de philosophie, ne semblent guère méthodiques et ne sont certainement pas (ou du moins pas continûment) un texte conceptuel. Philosopher après Wittgenstein: cela veut dire dans ce travail tenter d'expliciter conceptuellement les éclaircissements les plus philosophiques des Essais en s'inspirant de la précision et de la vigilance avec lesquelles Wittgenstein examine les «jeux de langage ». Philosopher depuis Montaigne et après Wittgenstein, c'est souligner l'apparentement d'essais dans lesquels les capacités de penser, de dire et de vivre sont également à l'épreuve et de recherches qui montrent comment les «jeux de langage» s'inscrivent dans des «formes de vie», c'est reconduire la philosophie à l'ordinaire du langage et à l'examen de ce qui est à sa portée, c'est essayer de pratiquer au présent une très ancienne forme de conjonction de la philologia et de la philosophia, du goût pour le langage et de l'amitié pour la sagesse dans le discernement raisonné. Le travail présenté s'appuie sur les réciproques éclairages et éclaircissements que la lecture des Essais et celle des Recherches philosophiques reçoivent l'une de l'autre. Il s'appuie aussi sur d'autres confrontations. Il doit beaucoup à des études récentes consacrées à ces textes ainsi qu'à des essais philosophiques contemporains qui s'efforcent d'élucider avec vigilance et rigueur les conditions textuelles et contextuelles de leur propre démarche. La lecture et l'élaboration proposées mettent en relief dans le texte de Montaigne l'incidence de très communes et récurrentes notions, concepts mineurs en apparence et pour qui est en attente de principes ultimes, mais concepts que nous pouvons dire primaires, qui seraient comme les tenants ou tenons du texte et pourraient constituer son filigrane. J'étudie les éclaircissements dont s'entourent, dans des passages assez nombreux mais le plus souvent éloignés les uns des autres, ces concepts primaires et je 9 tente de relier ces multiples et discrètes éclaircies au risque de devenir infidèle à Montaigne qui condamne les exposés longuement et lourdement méthodiques. Les remarques de Wittgenstein sur les concepts mobilisés dans les «jeux de langage» inspirent et guident l'explicitation des concepts primaires, mais au risque de devenir infidèle à Wittgenstein aussi, l'élaboration proposée fait l'hypothèse que ces concepts primaires insistants (ces insistantiaux) correspondent à ce que Wittgenstein désigne comme des «faits très généraux» qui se retrouvent dans et entre les «jeux de langage» ; est ainsi soulignée non la disparité des «jeux de langage» mais leur affinité. Délibérément «spéculative », cette élaboration présente un exposé des insistantiaux formulés comme autant de généralités primaires, autant d'expressions des impressions du réel. Je me propose ainsi de distinguer les instances des essais, les diverses manières d'éprouver, de mesurer et d'exprimer l'insistance et la prégnance du réel qui sollicitent, inquiètent ou confortent recherches et tentatives. Je postule qu'essayer de philosopher revient à tenter de penser ces instances. Que la philosophie soit toujours et aujourd'hui encore à l'essai, qu'elle ne puisse être doctrinale sans risquer d'être doctrinaire, qu'un texte de philosophie soit d'abord un essai et reste toujours en essai ne dispense pas de réfléchir sur les conditions et les formes de l'essai en philosophie, ne dispense pas de proposer l'essai (méthodique) d'un exposé sinon d'un traité de ces formes et conditions. Comment lever ou réduire l'indétermination de la philosophie généraliste rendue souvent exsangue par les traversées successives du scepticisme, du criticisme et du nihilisme? Dans les chevauchées et chevauchements que l'écriture de Montaigne décrit, parcourt et pratique, dans les chevauchements et apparentements que les remarques de Wittgenstein analysent, des concepts se déterminent pour autant que des motions élémentaires sont exhibées par les actes d'écriture pensive, y insistent et continuent à y insister pour nous, dans le suspens comme dans la persistance ou la résistance, dans les emportements et jusque dans les désistements, s'écrivant comme telles: instances à penser présentement. 10 I PROPOSITIONS À L'ESSAI 1 Invites « Un suffisant [habile, capable] lecteur découvre souvent ès écrits d'autrui des perfections autres que celles que l'auteur y a mises et aperçues, et y prête des sens et des visages plus riches» (I, 24, a, 127) . « ce que ma force ne peut découvrir, je ne laisse pas de le sonder et essayer; et, en retâtant et pétrissant cette nouvelle matière, la remuant et l'échauffant, j'ouvre à celui qui me suit quelque facilité pour en jouir plus à son aise, et la lui rends plus souple et maniable... » (II, 12, a, 560). « J'aurai élancé quelque subtilité en écrivant. (...) ; je l'ai si bien perdue que je ne sais ce que j'ai voulu dire: et l'a l'étranger découverte parfois avant moi (I, 10, c, 40). « Un parler ouvert ouvre un autre parler et le tire hors, comme fait le vin et l'amour» (III, 1, c, 794). « (h) Ce n'est rien que faiblesse particulière qui nous fait contenter de ce que d'autres et que nous-mêmes avons trouvé en cette chasse de connaissance; un plus habile ne s'en contentera pas. Il y a toujours une place pour un suivant, (c) oui et [certes même] pour nous-mêmes, (b) et route par ailleurs. Il n'y a point de fin en nos inquisitions; notre fin est en l'autre monde» (III, 13, b-c, 1068). Ces textes et d'autres encore invitent à entrer dans les questions et dans les réponses interrogatives des Essais pour s'essayer à une de leurs suites possibles. Mais comment faire preuve d'une pertinence et d'une consistance renouvelées après de si nombreux essais sur les Essais ou inspirés par eux? Et comment s'interroger sur les Essais et à partir d'eux sans se déterminer pour certaines questions, en ne retenant ainsi qu'une partie des possibilités ouvertes par cette œuvre? Les réponses interrogatives que les Essais invitent à ressaisir ont à voir avec l'excès des effets sur les propos, excès reconnu, mais non exactement connu et ressource pour Il d'autres penséesl. Dans une addition (c), Montaigne écrit: « Qu'on accuse, si on veut, mon projet; mais mon progrès, non» (II, 17, c, 653). Sa « confession» délibérée et véridique est exposée au reproche de frivolité et de bassesse (la «bassesse» du sujet: de la matière traitée), mais son « progrès» (sa manière de traiter le sujet, l'allure de sa démarche) est au-delà de ces critiques car il ne s'en tient pas à l'exposition de soi qui constitue son motif plusieurs fois revendiqué et le plus apparent. Nous pouvons entendre par « progrès» une manière de s'avancer, une manière de proposer et de livrer une teneur de sens imprévue, qui donne à penser, et qui notamment donne à penser philosophiquement. C'est ce que je retiens: une invite à philosopher, conscient que l'on peut tirer bien d'autres leçons des Essais, mais convaincu qu'il y a matière à philosopher dans la manière de Montaigne et dans l'excès de sens que son écriture produit. Mon propos, délimité autant que possible, concerne la philosophie entendue « à l'ancienne », cette démarche dans laquelle est en question le savoir-être comme savoir penser, savoir dire et savoir vivre, la philosophie qui s'écrit ou s'ébauche dans les Essais, celle dont nous parle Montaigne avec des questions et des réponses qu'il accepte ou désavoue, et celle dont je fais l'hypothèse qu'HIa pratique plus qu'il ne la thématise et qui ne serait que très discrètement théorisée. L'écart reconnu par Montaigne entre ce qui est délibérément agencé ou prémédité et ce qui se produit de façon inattendue ou inespérée ne concerne pas seulement la philosophie, mais les questions que je veux poser portent sur la singularité de l'écriture et de la pensée philosophiques de Montaigne. Je les poserai à partir de la lecture et de l'étude du chapitreZ De la vanité (III, 9) ; c'est un des plus importants du Livre ill et c'est le plus long des Essais après l'Apologie de Raimond Sebond; il commence par une réflexion sur la vanité de l'écriture et comporte d'autres réflexions sur la vanité de la sagesse et les vaines prétentions d'une certaine philosophie. Je me risque donc à poser à partir de Montaigne des questions qu'il ne formule pas explicitement ou qu'il ne traite pas de façon suivie et systématique mais que le texte des Essais invite à poser à partir de certains éclaircissements. Qu'est-ce qu'une écriture philosophique? Qu'est-ce qui est philosophique littéralement? Comment une écriture non philosophique et parfois délibérément anti-philosophique devient-elle philosophique en certains de ses actes dès lors qu'elle pratique une exploration en tous sens? Je me propose non d'exposer la philosophie des Essais mais de retenir et de souligner ce qu'ils ont de plus philosophique à la fois dans leur écriture et dans la teneur d'une pensée non doctrinale mais qui ne se réduit pas au commentaire ou à la destitution des doctrines connues. 12 2 Philosophie « Je ne suis pas philosophe... » (III, 9, c, 950). « ... la philosophie (...) comme formatrice des jugements et des mœurs (...) a ce privilège de se mêler partout» (I, 26, a, 164). «Des opinions de la philosophie, j'embrasse plus volontiers celles qui sont les plus solides, c'est-à-dire les plus humaines et nôtres: mes discours sont, conformément à mes mœurs, bas et humbles » (III, 13, b, 1113). « Ma philosophie est en action, en usage naturel et présent: peu en fantaisie» (III, 5, b-c, 842). «. . .ç' a été merveille à moi -même de ( ...) rencontrer <mes mœurs>, par cas d'aventure, conformes à tant d'exemples et discours philosophiques. De quel régiment [de quelle sorte] était ma vie, je ne l'ai appris qu'après qu'elle est exploitée et employée [accomplie et mise en oeuvre]. Nouvelle figure: un philosophe imprémédité et fortuit! » (II, 12, c, 546). a) - Impréméditation et discrétion Confortable et paresseuse représentation des Essais: ils appartiendraient à la philosophie littéraire ou morale, l'art d'écrire et de vivre qu'ils pratiquent et qu'ils prônent pourrait tout au plus servir de préparation à la philosophie rigoureuse qui élève l'art de penser au rang de méthode. Moraliste et artiste plutôt que philosophe, Montaigne ne serait véritablement original que littérairement ; son interprétation du scepticisme lui permettrait à la fois d'invalider tous les dogmatismes et de faire l'économie de toute élaboration théorique (y compris de l'argumentation méthodiquement poursuivie par les sceptiques véritablement philosophes) ; puisée à diverses sources dans la philosophie morale des anciens, sa propre morale composerait la défense et l'illustration de l'autonomie intellectuelle avec un hédonisme et un conservatisme prudents... L'éclatante invention littéraire des Essais et tous leurs effets libérateurs ou civilisateurs ont sans doute masqué le pénétrant travail d'élucidation pertinente et radicale des raisons auquel se livre Montaigne, ce philosophe aussi discret 13 qu'« imprémédité ». Montaigne philosophe exigeant et difficile3: «Mon humeur n'est propre, non plus à parler qu'à écrire, pour les principiants [les ignorants, ceux qui en sont aux débuts et aux principes] » (ITI, 8, c, 938). Difficulté signalée et revendiquée: Montaigne dans ce passage nous parle de sa manière de converser, de disputer, de conférer et refuse « d'aller prêcher le premier passant et régenter l'ignorance ou ineptie du premier rencontré» (ibid., b) car les apprentissages doivent « être faits avant la main, par longue et constante institution [éducation, apprentissage]. Nous devons ce soin aux nôtres, et cette assiduité de correction et d'instruction... » (ibid., c-b, 937938) ; il en est de même pour les Essais qui procèdent avec la même liberté, la même rapidité et la même acuité que la conversation entre gens avertis; aussi ne sont-ils pas destinés à des gens ignorants et ineptes et ne s'adressent-ils pas à des débutants considérés comme des écoliers auxquels on fournit longuement et progressivement des éléments et des définitions afin de les amener ensuite et beaucoup plus tard à la maîtrise d'un discours qui accède aux principes-fondements et en déploie toutes les conséquences. Leur lecteur doit être déjà capable ou doit devenir assez rapidement capable (à partir d'une « institution» ou instruction préalable) de saisir rapidement l'essentiel, soit d'être attentif aux successives et mouvantes pertinences de J'essai, sans avoir besoin de longues explications et définitions. Difficulté redoublée dans l'apparente facilité: dans toutes les manières de « conférer» et d'essayer, la mobilisation du sens commun des mots et de leur élémentaire richesse s'effectue de façon non pas raisonneuse mais raisonnée et pertinente, avec de loin en loin des éclaircissements dont la discrétion peut faire manquer l'importance. Difficulté singulière puisque Montaigne en vient à révéler et à relever dans la bassesse du sens le plus aisément disponible les éléments irréductibles des pensées les plus hautes et subtiles, concepts primaires faisant la trame de toutes les instances que les Essais mettent philosophiquement en jeu. Philosophie ou sagesse, sagesse ou sapience: Montaigne ne se soucie pas de bien les distinguer4. La philosophie pratiquée « à l'ancienne» recherche un savoir-être que la sagesse s'approprie et que la sapience porterait au plus haut point. Mais le savoir-penser et le savoir-dire de la philosophie font partie de la sagesse (du savoir-être) comme conditions du savoir-vivre. Pour cette raison et parce que la recherche fait partie de notre condition à jamais séparée de l'absolue sapience, il est sage de philosopher, sagesse et philosophie sont pour l'essentiel indistinctes. Montaigne admet apparemment tout cela et, indifférent aux définitions générales ou ne s'y arrêtant pas, s'intéresse aux philosophes, à ce qui, dans leur vie, corrobore ou dément leur doctrine et peut servir de leçon pour sa propre vie. En même temps, les Essais sont parsemés de réflexions sur le caractère à la fois limité et transgressif de la philosophie. D'abord, l'intérêt 14 véritable de la philosophie semble se limiter pour Montaigne à la morale ou à l'éthique; les développements de gnoséologie ou de physique, les spéculations d'ailleurs moins savantes que poétiques, ne sont que d'artificieuses excroissances; la diversité des doctrines et les différends doctrinaux suscitent le doute suspensif. Ensuite, la vie des philosophes et notamment celle des vrais philosophes, montre l'outrecuidance ou du moins l'impuissance de la philosophie; le philosophe ne peut que reconnaître dans la foi religieuse, dans l'amitié, dans le réel multiple du monde, des forces et des effets qui surpassent ses préceptes; il ne peut que se soumettre à la fortune, au hasard, qui ne dépendent pas de lui et favorisent ou annulent son activité intellectuelle; sa meilleure leçon de vie n'est pas différente de celle à laquelle sont depuis toujours parvenus sans lui les simples gens. Une brève addition (c), aphorisme fulgurant et joueur, condense la manière dont Montaigne pense la fin de sa philosophie venant à coïncider avec le sens commun: «est toute sapience insipide, qui ne s'accommode à l'insipience [absence de sagesse] commune» (ID, 3, c, 820). Le chapitre De la vanité surabonde dans le jeu du scepticisme (d'un scepticisme non moins joueur que «fidéiste»): vanité de toute la sagesse humaine et mondaine. Montaigne y déclare: « Je ne suis pas philosophe» en avouant son incapacité à maîtriser la douleur car « C'est chose tendre que la vie et aisée à troubler» (ill, 9, b, 950). Les modèles de vies « célestes» lui paraissent inaccessibles, irréalisables, voire inconcevables et la fermeté qui serait nécessaire pour devenir sage n'appartient qu'à la sagesse (il faudrait que l'effet de la sagesse en devienne la cause). L'entremise de la raison «trouble-fête» et « contrerôleuse », comme la dureté du devoir exigeant d'« âpres» efforts dissuadent plus qu'ils n'encouragent et finissent par désunir l'homme. D'ailleurs «L'humaine sagesse n'arriva jamais aux devoirs qu'elle s'était elle-même prescrits et, si elle y était arrivée, elle s'en prescrirait d'autres audelà, où elle aspirât toujours et prétendît, tant notre état est ennemi de consistance» (ibid., b, 990). Faiblesse et «limites» de la philosophie s'agissant des limites, des extrêmes et de la recherche du milieu entre les extrêmes: elle en juge «bien incertainement » (ibid., b, 976), elle est incapable de réaliser (sauf héroïsme exceptionnel ou intervention de la grâce divine) les devoirs qu'elle prescrit, elle participe de la très humaine outrecuidance transgressive. Troisième considération enfin sur les limites de la philosophie: Montaigne désigne et recueille sous ce nom toutes les pensées humaines, pensées d'une humanité en débat sur ses limites, des plus outrecuidantes opinions aux plus humbles et aux plus lucides, parmi lesquelles Montaigne dit vouloir embrasser « les plus solides, c'est-à-dire les plus humaines et nôtres... » (Ill, 13, b, 1113). De même que 1'« état de Rome (...) comprend en soi toutes les formes et aventures qui touchent un état» (III, 9, b, 960), « tous nos songes et rêveries <se> trouvent <dans la philosophie>. L'humaine fantaisie ne peut rien concevoir en bien ou en mal 15 qui n'y soit» (II, 12, b, 546). Tout serait déjà dit en philosophie, le pire comme le meilleur. Et Montaigne distingue pour lui-même trois temps ou moments: le temps initial et primordial de la conduite, le temps de l'exposition par la mise en récit et de l'élaboration réflexive qui assiste la conduite, et le moment où il reconnaît que ses mœurs sont « conformes à tant d'exemples et discours philosophiques ». Cette reconnaissance étant rétrospective et inattendue, Montaigne se considère comme « un philosophe imprémédité et fortuit» (ibid., c, 546). Quelques lignes plus haut, Montaigne développe une comparaison fort éclairante: si l'on ignore la langue italienne, il suffit, pour se faire comprendre en Italie, d'employer «les premiers mots qui viennent à la bouche, latins, français, espagnols ou gascons» et de leur ajouter la terminaison italienne; on sera alors entendu dans «quelque idiome du pays, ou toscan, ou romain, ou vénitien, ou piémontais, ou napolitain» (ibid., b, 546). Nous pouvons l'interpréter ainsi: une pensée, une opinion, la narration d'un expérience réelle ou imaginaire que nous formulons dans la langue vernaculaire et le discours commun en nous demandant si elle a ou non une portée et une valeur générales (en nous interrogeant sur son humanité), prend dès lors une tournure philosophique déterminée dans un discours de type platonicien, ou aristotélicien, ou stoïcien, ou épicurien, ou sceptique... Ce philosophe «imprémédité et fortuit» n'aurait pas de philosophie qui lui soit propre. Remarquons d'abord que les philosophies dont il parle dans l'avant-dernier texte cité et dans lesquelles il se reconnaît, sont des philosophies morales ou considérées dans leurs implications morales et vitales; c'est même l'accord entre ses mœurs et ses discours qui se trouve conforme aux mœurs et aux discours (eux-mêmes accordés) de tels ou tels philosophes. Ailleurs, lorsque Montaigne parle davantage des démarches intellectuelles de la philosophie, il se reconnaît délibérément sceptique en paraphrasant les textes de «Pyrrhon et autres Sceptiques ou Épéchistes»: «Quiconque cherche quelque chose, il en vient à ce point: ou qu'il dit qu'il l'a trouvée, ou qu'elle ne se peut trouver, ou qu'il en est encore en quête. Toute la philosophie est départie en ces trois genres» (II, 12, a, 502)5. Si Montaigne est philosophe dans tous les sens du terme, en quête de vie bonne et de vérité (d'un vivre pour de vrai et pour le vrai), de façon délibérée ou impréméditée, il ne l'est qu'en s'appropriant des formes de pensée et de vie doublement étrangères parce qu'elles sont philosophiques et qu'elles sont déjà signées et attribuées. Reste le paradoxe de cette « nouvelle figure» qui consiste à se reconnaître après coup dans de très anciennes doctrines. Nous pourrions dire que l'innovation est dans la manière: elle consiste à tirer librement et lucidement profit du hasard, des rencontres, de la spontanéité la plus vive, avec modestie, sans jamais prendre une posture savante ou doctrinaire et en déjouant tout argument d'autorité. Les innovations dans l'art de penser, de dire et de vivre, redécouvrent des arguments (notamment sceptiques), des 16 poèmes, des récits de vies exemplaires avec lesquels elles s'accordent tour à tour, librement et sans exclusive. Nouveauté dans la forme: dans la vivacité erratique de la pensée et de l'écriture qui élabore une interprétation à la fois fidèle et originale du scepticisme en essayant un « nouveau langage» (il, 12, a, 527). TI me semble que nous pouvons encore élargir le sens de la nouveauté revendiquée par Montaigne en nous rendant attentifs à ce qui est plus méthodique qu'il n'y paraît dans son art de penser, comme mise à l'épreuve des généralités et des particularités et comme mise au jour des singularités. Montaigne en est venu à dire que « de <ses> premiers essais, aucuns [quelques-uns] puent un peu à l'étranger» (nI, 5, b, 875) ; ne pourrions-nous dire que la singularité philosophique de sa propre démarche ne s'est que progressivement affirmée et ne lui est apparue que tardivement? La nouveauté ou singularité résiderait dans les manières d'essayer qui induisent un autre traitement des matières philosophiques, et font apparaître comme source et but irréductibles de toutes les démarches les notions les plus communes. Les manières d'essayer pourraient concerner toute espèce de matière parce qu'en elles se trouverait comme exhaussée la matière primaire, la matière commune du plus simple sens commun (dont Montaigne souligne la bassesse avec humilité). C'est ce qui, dans la « nouvelle figure» serait le plus difficile à identifier en se référant à une philosophie ou à un philosophe de la tradition, car Montaigne philosopherait vers et à partir de la teneur primaire de la pensée, en général subordonnée à des concepts tenus pour principiels et ultimes parce qu'ils seraient hors du commun. Et il ne suffirait pas de reconnaître ce mouvement qui dévoile une « assiette» de sens bien en deçà des fondements ou principes posés par les doctrines; il faudrait rendre lisible dans ses manières d'essayer la teneur notionnelle ou conceptuelle de cette pensée, son intrigue conceptuelle. Je dirais que Montaigne est un philosophe discret ou imprémédité et plus discret encore qu'imprémédité, ses éclaircissements les plus philosophiques étant laconiques et n'apparaissant que de loin en loin. Avant même de faire apparaître sa singularité philosophique majeure (elle réside à mon sens dans ce que donne à penser la mobilisation incessante et sur tous les plans de toutes les manières d'essayer), nous pouvons déjà la reconnaître dans son traitement des plus vieux philosophèmes. Montaigne sait déjouer et retourner ou remettre à leur modeste place les pensées les mieux entendues; une pensée pertinente résulte de ce travail souvent ironique ou paradoxal et dont on ne sait s'il faut admirer la simplicité ou la subtilité. Nous verrons que, dans De la vanité, après avoir semblé reprendre à son compte le « Tout est vanité », il montre la vanité de ce précepte général qui se condamne luimême, pour enfin « faire valoir» la vanité (en la reconnaissant lucidement, et à la condition qu'elle soit plaisante). Avant d'analyser les manières d'essayer qui ne sont lisibles qu'à l'échelle d'un long chapitre, considérons 17 dans l'ensemble des Essais, ces philosophèmes élémentaires: la philosophie commence par l'étonnement, la philosophie commence avec Socrate et ne cesse de réfléchir sur la vie et la mort (étonnantes) de Socrate. b) - Admiration-étonnement Montaigne reprend le thème platonicien et aristotélicien selon lequel l'étonnement (le thaumazein) régit la philosophie dès son commencement: «Iris est fille de Thaumantis. L'admiration est fondement de toute philosophie, l'inquisition le progrès, l'ignorance le bout» (TII, Il, c, 1030). L' « admirable» est, chez Montaigne, au voisinage de l' « étonnant », du « merveilleux», du « miraculeux», du « monstrueux», de l' « étrange», de l' « extravagant», du «bizarre», du «fantastique», du «singulier», de l' « extraordinaire », du «rare », du «sublime », du «divers ». Sous le thème convenu, une pensée singulière s'exprime en diverses façons, toujours nuancées, pensée attentive aux variations qui l'affectent ou dont elle est capable, et qui peuvent l'asservir ou la libérer. L'étonnant peut frapper de stupeur, étourdir, transir et terrasser; la monstruosité peut être humaine et inhumaine6, l'étrangeté et la nouveauté peuvent suffire à donner crédit et la fascination pour le miraculeux est le plus souvent un signe de superstition. L'admiration étonnée peut aussi bien stupéfier que solliciter la réflexion et la recherche; attentif à cette proximité, Montaigne pratique l'essai dans l'élément d'une admiration qui donne à penser, admiration sollicitée par les variations de l'expérience et les surprises qu'elle occasionne, admiration elle-même mobile, prenant diverses formes, selon diverses dispositions et humeurs. Ces dispositions et humeurs sont celles de Montaigne, mais leur diversité atteste leur humanité. Pour qu'une expérience soit véritablement pensive et engage une démarche philosophique comme entame ou entrée d'une manière d'essayer et d'un registre des essais, il faut qu'elle soit admirative de ce qui lui advient ou qu'elle fait advenir. Étonnée ou émerveillée, naïve ou ironique, scandée panois d'exclamations et d'interrogations rhétoriques, l'ouverture à la diversité des choses, des événements et des opinions du monde est admirative. Dans le premier chapitre du Livre I (Par divers moyens on arrive à pareille fin), l'admiration étonnée, admiration au second degré, vient de ce que la magnanimité peut répondre à la soumission (qui suscite la pitié) ou à la résistance courageuse (qui suscite une admiration étonnée de premier degré) et de ce que la soumission et le courage n'entraînent pas nécessairement la magnanimité, même de la part des plus magnanimes. Et Montaigne d'écrire «Certes, c'est un sujet merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme» (I, 1, a, 9). Dans le chapitre Des cannibales, il écrit des habitants du Nouveau Monde qu'« il y a une merveilleuse distance entre leur forme et 18 la nôtre» (I, 31, a, 212). Dans un chapitre du Livre III, montrant à quel point l'homme est exposé aux contingences sensibles, influencé dans les cérémonies par les apparences externes, il emploie l'adverbe « merveilleusement» : « C'est toujours à l'homme que nous avons affaire, duquel la condition est merveilleusement corporelle» (ill, 8, b, 930). L'étonnement admiratif est éprouvé ou exercé à de multiples occasions. TIest maintes fois associé au doute suspensif sans que cela fasse contradiction car ce doute suspensif, lui-même interrogatif et souvent ironique, ne réduit et ne met à distance que les formes crédules, passivement fascinées et superstitieuses de l'émerveillement. Le doute (le suspens) sceptique chez Montaigne préserve et réserve la capacité de s'étonner; c'est ainsi qu'il s'exerce sur les questions cruciales et délicates des monstres et des miracles. Ce qui apparaît comme monstrueux ne l'est en fait que selon telle coutume (étonnante force de la coutume !) et ne l'est sans doute pas selon la raison (une raison se réclamant de la nature et prenant en compte les hasards de la fortune) ; « ce qui est hors des gonds de la coutume, on le croit hors des gonds de la raison» (I, 23, c, 116). Ce qui est tenu superstitieusement pour miraculeux (rien n'est plus étonnant que la crédulité humaine!) est miracle en un autre sens, comme manifestation humaine étonnante, à l'existence et aux raisons possibles de laquelle il faut être attentif. De l'incitation ayant porté tel personnage à une bouleversante conversion religieuse Montaigne dit: « lui l'appelait miracle, et moi aussi, à [en] divers sens» (II, 29, c, 710). Entre l'absolument impossible, la toutepuissance incompréhensible de Dieu et les faits attestés ou, mieux encore, rapportés à des causes déterminées, il faut reconnaître tous les degrés de la possibilité parmi lesquels ces « monstruosités» et ces « miracles» relatifs, étrangetés faisant partie de notre humanité dans son rapport à la nature et à la fortune. Ils côtoient le miraculeux dont se réclame la foi, comme croyance en un être absolument (c'est-à-dire tout autrement que nous) sage, puissant et bienveillant. Sans être fatalement superstitieuse, cette croyance peut toujours alimenter ou raviver la superstition prompte à voir dans tout événement surprenant une manifestation de la surpuissance divine et s'attendant à de telles surprises. Il semble que, pour Montaigne, la foi religieuse qui témoigne des faiblesses et des capacités humaines, soit un des propres de notre condition, plutôt que l'essence de notre nature; elle avoue et accuse nos très humaines limites à commencer par celles de la raison7. Tous ces possibles doivent être à la fois respectés et tenus en respect sous le regard de l'étonnement dubitatif. L'exercice de la raison et du jugement permet à Montaigne de ne pas croire aux perversions « dénaturées », aux monstres et aux miracles « <s'il n'y est> forcé par grand témoignage» (ill, 12, b, 1060); la démarche raisonnée peut bien parvenir à lever certains doutes en telle façon que l'on s'étonne, comme le dit Aristote, d'avoir pu s'étonner, mais l'excès de la différence sur la ressemblance renouvelle 19 l'étonnement et le plaisir que l'on prend à la chasse plutôt qu'à la prise. « n n'y a point de fin en nos inquisitions (...) . Nul esprit généreux ne s'arrête en soi (...) ; ses poursuites sont sans terme, et sans forme; son aliment c'est admiration, chasse, ambiguïté» (ill, 13, b-c, 1068). Cette recherche fait l'épreuve du monstrueux et cultive l'admiration. Ce qui est au-delà de notre intelligence est (ou plutôt est tenu pour) « monstrueux et désordonné» (II, 12, a, 526) ; dans une radicale mise en cause de notre prétention à la connaissance qui révèle notre incapacité à assurer quoi que ce soit et invalide notamment notre représentation de l'ordre et du désordre, tout apparaîtra comme monstrueux: si tout ce qui dépasse notre pouvoir de connaître est monstrueux et si nous ne pouvons rien connaître « tout sera donc monstrueux» (ibid.). Cette déposition-destitution conduit Montaigne à se limiter à ce qui lui est accessible et à se concentrer sur l'exposition de soi; il se découvre alors luimême prodigieusement étonnant, signifiant par là qu'il n'est pas nécessaire pour être surpris d'aller chercher au loin d'extraordinaires révélations: « Je n'ai vu monstre et miracle au monde plus exprès que moi-même. On s'apprivoise à toute étrangeté par l'usage et le temps; mais plus je me hante et me connais, plus ma difformité m'étonne, moins je m'entends en moi» (ln, Il, b, 1029). Se rendre attentif aux agitations de l'esprit et notamment à l'expérience extrême de l'évanouissement au voisinage de la mort qui est au centre du chapitre De l'exercitation c'est à la fois «une épineuse entreprise» et « un amusement nouveau et extraordinaire, qui nous retire des occupations communes du monde, oui, et des plus recommandées» (II, 6, c, 378). La pensée est mobilisée par la variation volubile des humeurs qui est comme en résonance avec le branle général affectant toutes choses. La fixation d'une humeur en disposition exclusive réduirait à presque rien la cogitation. L'admiration étonnée est à la fois ce qu'il y a de meilleur et ce qu'il y a de pire pour la pensée vive et active: elle peut la motiver ou la stupéfier. Elle est liée à la mélancolie qui, pour Montaigne comme pour ses contemporains, a une forme maladive pouvant aller jusqu'à la folie et une forme féconde qui alimente le génie (mais au risque de la folie). Montaigne a fait l'épreuve de cette dualité pour se dégager de la mélancolie maladive et de l'étonnement stupéfié. Il a éprouvé et subi la plus noire des mélancolies: c'est « une humeur mélancolique (...) produite par le chagrin de la solitude (...) qui <lui a> mis premièrement en tête cette rêverie de <se> mêler d'écrire» (II, 8, a, 385). Il écrit plus tard et ailleurs: « Ayant besoin d'une véhémente diversion pour m'en distraire <pour me distraire du puissant déplaisir dont je fus autrefois touché - lors de la mort de La Boétie -> je me fis par art, amoureux, et par étude [artificiellement et à dessein], à quoi l'âge m'aidait» (III, 4, b, 835). L'écriture permettrait-elle de surmonter la mélancolie alors qu'elle en procède? Il semble qu'elle engage dans une exploration dont les variations détournent de la mélancolie maladive. Quelle 20