PARCOURS
DE LECTURE ( De l'institution des enfants
-Essals
(1580)
, lrrae
proposition
d'idêal pêdagogique
Avec ses
Essors,
publiés
à
partir
de t580,
Michet de
Montaigne
propose
une
æuvre
originale
mêtant
à une
démarche
autobiographique
une dimension
phitosophique.
En
s'appuyant
sur
des événements
de sa vie,
sur ses expériences
personneltes,
sur ses
tectures ou
encore sur
['actualité,
['auteur
écrit
une série
de réflexions
qu'iI
répartit
en trois Iivres.
Le titre,
fssars, reftète
ta facon
dont
Montaigne
travailte :
celui-ci,
en effet,
rr
essaie
r de transcrire
au mieux
ce
qu'ilpense
des
suiets
qui
[uitiennent
à cæur
à travers
un texte
qu'it
modifie tout
au [ong de
sa
vie
par
des aiouts
successifs.
ExrRAlrr
t]ne tête bien faite plutôt qu,une
bien pleine
))
'.,
MICHEL
DE
MONTAIGNE
(1s33-1592)
NOTTCE
Bt0cRAPHTQUE
P 601
Ecolier, miniature extraite
du < Livre des costumes r,
début xvr" slècle.
1. Socrate (v. 470-399 av. J.-C.) ei
Arcésilas (v. 316-v. 241
av. J.-C.J sont
des philosophes qui ont diffusé leurs
systèmes de pensée sans laisser
d'ceuvre écrite.
446
.t
,,,.r,,;;
:li
tête "':!
..
,,:,
t-)
Ce chapitre, consacré à l,éducation des enfants, est le plus long-
du premier livre des
.Essais.
Lfauteur s,adresse
â Djane de Foix, qui
attend un enfant, et à qui il trrosse le portrait du précepteur iA1at .
et donne quelques conseils
pour guiderl,apprentissage
des
enfants.
;'..l::
La mission d,u
précepteur que vous donnerez à votre enfant - e[ji-
dont le choix conditionne la réussite de son éducation - compor.tir
:
plusieurs autres grandes tâches dont je ne parTerat
pas, putce.qaslii
je ne saurais rien en dire de valable.
Et sur le point à propos
duquel
s je me mêle de Iui donner un avis,
il m,en croira
pour autant
qu,il y".
*'ï #""tHîînu:ï:î:: ffïï", s, adonne
à i,
étude
a", r"*ii,,
I
non pas pour gagner de l'argent (car un but aussi abject est rnd1g1,e;
pas non plus d'éventuels avantages
extérieurs,
mais piutôt les
siei
propres,
pour s'en enrichir et s'en parer au-dedans,
comme
j'ai pll
tôt envie de faire de lui un homme habile qu,un
savant,
je vou-.
drais que l'on prenne soin de lui choisir un guide qui erit plutôi
rs tête bien faite que la tête bien pleine. Et qu,on exige
de lui ces
qualités, mais plus encore la valeur morale et l,inteiligence qi
savoir, et qu'i1
se comporte dans i'exercice de sa charge
d'ana,i
velle manière.
Enfant, on ne cesse de clier à nos oreil1es,
comme si 1'on
zo dans
un entonnoir, et l'on nous demande seulement
de
redrre
l'on nous a dit. Je voudrais que 1e
précepteur change cela,
etqu;el
le début, selon la capacitê de 1'esprit dont i1 ala cltarge,
17
com@.
à mettre celui-ci sur 1a
piste, lui faisant apprêcier, choisir et di
les choses de lui-même. Parfois 1ui ouvrant 7e chemrn, pafiois
zs laissant ouvrir. Je ne veux pas qu'i1
invente et parle seu1,
je vou.2r
écoute son é1ève
parler à son tour. Socrate,
et plus tard
faisaient d'abord parler leurs élèves, puis leur parlaien| àleut 1
Sforza
(1490-1530)
précepteuq,
miniature.
n (106-43 av. J.-C.), Denatura
livre I, chap. 5.
lez [a thèse et les arguments
que
Montaigne
dans
cet extrait des fssols.
une
métaphore fltée.
Que
signifie-t-etle
?
que
ce chapitre des
Essois a un
destinataire
quels
moyens Montaigne donne-t-il
t une
dimension
générale
à son texte ?
expressions
définissent [e rôte du
précepteur
guide
des enfants
qu'iI
a en
charge ?
vient confirmer ce rôle ?
que
Montaigne n'attend
pas
du
précepteur
Un
puits
de science.
Quette
quatité
doit-iI
posséder
avant
tout
? lustifiez
Liautonté de ceux
qui enseignent nuit gértéralement
à ceux
qui ueulent
apptrendre'.
I1 est
bon qu'il le fasse trotter devant lui pourjuger de son allure,
et jusqu'à quel point i1 doit descendre pour s'adapter à ses possibili-
tés. Faute d'étab7î ce rapport, nous gâchons tout. Et savoir le discer-
ner, puis y conformer sa conduite avec mesure, voilà une des tâches
les plus ardues que je connaisse ; car c'est ie propie d'wne àme é7e-
vée et forte que de savoir descendre,au niveau de l'enfant, et de 1e
guider en restant à son pas. Cat je marche plus sûrement et plus fer-
mement en montant qu'en descendant.
Si, comme nous le faisons habituellement, on entreprend de diri-
ger plusieurs esprits de formes et de capacités si différentes en une
même 1eçon
et parlarnêrne méthode, i1 n'est pas étonnant que sur
tout un groupe d'enfants, i1 s'en trouve à peine deux ou trois qui
tirent quelque profit rnéritê de l'enseignement qu'ils ont reçu.
Que 1e maître ne demande pas seulement à son élève de Tuirêpé-
ter les mots de sa leçon, mais de lui en donner le sens et la subs-
tance. Et qu'il juge du profit qu'i1 en aara titê, non par 1e têrnoignage
de sa mémoire, mais par celwi de son comportement. Qu'il lui fasse
reprendre de cent façons différentes ce qu'il vient d'apprendre, en
7'adaptant à autant de sujets différents, pour voir s'il l'a vraimentbien
acquis*et bien assimilé ; et qu'il règ1e sa progression selon les prin-
cipes pédagogiques
de Platon. Régurgiter la nourriture telle qu'on
I'a avaTêe
prouve qu'el1e est restée crue sans avoir été transformée :
l'estomac n'a pas fait son travall, s'il n'a changê7'êtat et la forme de
ce qu'on lui a donné à digérer.
MICHEIDE MONTAIGNE,
< De f institution des enfants >,
-Essais, I, 26, 1580,
traduit en français moderne par Guy de Pernon.
Des
méthodes nouvelles
3.
Quetles
expressions montrent
que
Montaigne est
désireux
de voir ['éducation des enfants évoluer ?
4.
Quette
ptace
Montaigne accorde-t-il à l'enfant ?
justifiez
votre réponse.
5.
Quelles
méthodes
Montaigne
prône-t-it pour
rendre
l'apprentissage des
enfants efficace ? Vous
pourrez
utiliser votre réponse
à [a
question
b.
6. Montrez
que
t'Antiquité
reste un modèle
pour
Montaigne.
La
question
sur le corpus
Vous confronterez
votre lecture de ce
premier
extrait
du chapitre
a De ['institution
des enfants
>
aux
extraits de Pontogruel
eT de Gorgontua
(p. 437
eI
p. 44o).
Quelles
différences
pouvez-vous
rema rq uer
entre Montaigne
et Rabelais
?
Quets
points
communs
semb[ent les rapprocher
?
,Pépie: soif.
Allusion aux guerres
de Religion.
s'étonne
que les désordres
relativement supportabies,
f impunité dont bénéflcient
acteurs des guenes de Religion.
épicuriens croient en l'existence
ExrRArrz
Apprendre en observant le monde
Montaigne ineiste ensuite sur l,importance de forger des esprits
aptes à la peneée, plutôt que des puiæ de savoir. Il recommande
également de fortifier les enfants, aussi bien phyeiquement qu€
moralement, et de les faire voyager, non pas pour accumuler des
connaissances, mais porra ( frotter et lirner notre cervelle confic
celle d'autrui >. Ilétude de I'homme fait en effet partie intégrante
de la formation de l'enfant si l'on veut lui enseigner la vertu. Aussi
Montaigne conseille-t-il l'aliprentissage de l,histoire, non pas pona
connaître par c(Eur la date des événements historiques, mais pour
comprendre la moralité des hoanmes qui ont mLatqaê l,histoire.
La fréquentation du monde fournit an êc1afuage
précieux pour
la compréhension du genre humain. Nous sommes tous repliés sur
nous-mêmes, et notre vue ne dépasse
guère le bout de notre nez. On
demandait à Socrate d'où il était ; il ne répondit pas n dâthènes ,,
mais r du monde >. Lui qui avait un esprit mieux rempli et plus
large que celui des autres, il ernbrassait l'univers comme sa vi1le, et
dédiait ses connaissances, sa société et ses affections à tout le genre
humain ; à la différence de nous qui ne regardons que le bout de
nos pieds. Quand 1es
vignes gèlent dans mon village, mon curé en
tire argument disant que c'est 1a manifestation de la co1ère de Dieu
contre la race humaine, et il doit penser que 1es
Cannibales eux-
mêmes en aurontbientôt la pêpie'...
À voir nos guerres civi1es2,
qui ne s'écrierait que 1e monde se
détraque, et que nous sommes bons pour 1e Jugement Dernie4 sans
voir que bien des choses
pires encore se sont produites, et que pour-
tantla plus grande part de l'humanité continue de mener joyeuse
vie pendant ce temps-là ? Et moi, devant f impunité dont jouissent
ces
guerres-là,
je m'étonne de les voir si douces
et si tièdes3. Celui à
qui la grê1e
tombe sur la tête s'imagine volontiers que la tempête et
7'orage règnent sur tout l'hémisphère. [...]
Mais celui qui se représente, comme dans un tableau, cette
grande image de notre Mère Nature, dans toute sa majesté ; celui
qui 1it sur son visage une te1le constance dans 1a diversité ; celui qui
voit là-dedans non lui-même seulement, mais tout un royaume, tracé
d'une pointe fine et dêlicate, celui-là seulement donne aux choses
leur véritable dimension.
Ce grand monde, que certains divisent en multiples espèces
appartenarrt au même genrea, c'est le miroir dans lequel i1 faut
nous regarder
pour bien nous voir. En somme,
je veux que ce soit le
livre de mon élève. On y voit tant de caractères, de sectes, de juge-
ments, d'opinions, de lois et de coutumes, que ceia nous apprend
à
juger sainement des nôtres, et enseigne à notre jugement de savoir
reconnaître son imperfection et sa faiblesse naturelle - ce qui n'est
pas un apprentissage si aisé. Thnt de bouleversements politiques
et de changements dans le destin commun nous apprennent à ne
pas faire grand cas de la nôtre. lbnt de grands noms, tant de-
vic-
toires et de conquêtes ensevelies par l'oubli rendent ridicule,lfgsp-oir
plusieurs
mondes.
RENAISSANCE
ET HUMANI5ME
. SEQUENCE
T 4T!9
5. Pythagore : philosophe et
mathématicien grec du vr"
siècle
av. J.-C.
6. ,,
Lui " désigne
l'enfant qu'il s.agrt
o'lnstrurre_
7. Sujétion : dépendance, soumlsslon.
8. Virgile, linéide, chant tII.
d'immortaliser notre nom par ia prise de dix arquebusiers
à cheval
et d'une bicoque dont ie nom n,est
connu que parce
qu,elie
a été
+o
prise l-orgueil et 1a
fierté de tant de cortèges
étrangers,
ra majesté
si ampoulée de tant de cours et de dignitaires, nous affermit la vue
et nous perrnet de soutenir l'éclat des nôtres sans plisser res
yeux.
Thnt de millions d'hommes ont été enterrés
avant nous que cela
doit
nolls encourager
à a77er
nous retrouver en si bonne compagnie...
Et
+s ainsi.
de tout le reste.
Notre vie, disait pythagores,
ressemble
à la grande et populeuse
assemblée
des
Jeux Olympiques : les uns y exercent
leur corps
pour
en obtenir la gl0ire des
Jeux et d'autres
y portent des
marchandises
à
vendre,
pour gagner del,atgent.
Il en est
encore
d,autres
(qui ne sont
s0 pas
les pires), qui n,y cherchent d,autrebénéfi.ceque celui de regar_
der comment et pourquoi chaque chose
se
fait, et d,être
spectateurs
de 1a
vie des autres pour enjuger et ainsi diriger laleur.
On pourra faire correspondre
à ces
exempies
les raisonnements
les plus profitables
de la philosophie,
qui est la pierre de touche des
ss actions
humaines, et qu,elles
doivent prendrepour règle.
[...] On h-ri6
dira aussi
ce
qu'est
savoir
et ignore4 ce
qui doit être
le but àe
i,etuae ;
ce que sont la vaillance,
7a
tempêrance
et la justice ; 1a
différence
à
faire
entre l'ambition er7'avarice,la
servitude
et la sujétion7,
la licence
et la liberté ; à quels signes
on reconnaît Ie vrai et solide
bonheur :
eo
jusqu'à quel point il faut craindre
la mort, la douleur et la honte.
Et comment
éuiter
ou supporter
chaque
peineï.
On lui dira aussi quelles forces nous font agir, et à quoi sont
dus les divers mouvements qui nous agltent. Car il me semble
que les premiers raisonnements
par lesquels
on doit nouirir son
es intelligence,
ce doit être ceux qui règlent
sa conduite et son
jugement, ceux qui 1ui ,
apprendront à se connaître, et à savoir viwe
et mourir comme il faut. parmi les
arts libé- ,,.
raux, commençons par ceiui qui nous faits l;l
zo libres. .,:,
,,,:i
MtCHEt
0E
MONTAtcNt,
u De l,instltution .
des enfants r, Essais, I, 26, 15S0,.
,.jf
traduit en français moderne par Guy de pernon. :.É
.
.t::i
,::lË
..,,,i:i;
.+
,i:È
,::t:,t
.,,ij
''l}
.::i;,+!
l
-'a
,.{
ATETIER
DE
NICOTAs
NEUFCHATET, .::
Portrait du calligraphe et du mathématicien l;'
allemand lohann Neudorfer le Viettx. i ,,i"
;Éi
:-r
450
DE
PÉTRARQUE,
maître illettré (détail), 1532
talgne évoque toujourc I,enfant
s'agirâ d,éduquer
le: maladie vénérienne
( petite vérole , désigne la variole
; celui qui a la manie
de
tout contester.
(f3f3-1375)
: auteur
italien,
ExrRArrr
Philosopher dès
l,enfance
Montaigne continue de développet l,idêe qu,il se fait de < l,édu_
cation > idéale des enfants et prône l'enseignement de la philoso-
phie dês le plus jeune âge.
Puisque la philosophie est ce qui nous apprend à vivre, et que
même I'enfance, tout autant que les autres âges, y a des leçons à
prendre, pourquoi ne pas la lui1 enseigner
?
Iiargile est molle et humide : il faut nous hâter.
s Et que la roue agile en tournant la façonne,
!
On nous apprend à vivre quand la vie est
passée
; cent étudiants
ont attrapé la vérole3 avant d'en être arrivés à la 1eçon
dâristote leur
enseignant Tatempérance ! cicéron disait que, même s,il vivait aussi
longtemps que deux hommes, il ne prendrait pas la peine d,étudier
io les poètes
lyriques. Etje trouve ceux qu,on peut appeler des ergo_
teursa
encore
plus tristement inutiles. Lenfant dont
je parle estbien
plus pressé
: ii ne doit à l'éducation que les
premiers qwinze
ou seize
ans de sa vie ; le reste est dri à l,action. Il faut donc employer un
temps si court aux enseigaements nécessaires.
otez toutes 1es choses
rs superflues, comme les subtilités épineuses de la dialectique qui sont
sans effet sur notre vie, et preîez les sujets simples dont s,occupe la
philosophie ; sachez
les choisir et les traiter comme il faut, ils sont
plus faciles
à comprendre qu,un conte de Boccaces
: un enfant en est
capable dès qu'ii a quitté sa nourrice, bien mieux que d,apprendre
RÊNAfssANcE
Fr
HUMANISMT
. sÉeuENcE I 45t
1 / 6 100%