MYTHES ET RÉALITÉS SUR LES BARRIÈRES LINGUISTIQUES

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MYTHES ET RÉALITÉS SUR LES BARRIÈRES LINGUISTIQUES DANS LES SOINS DE SANTÉ G. Eric Jarvis Unité de recherche sur la culture et la santé mentale, Hôpital général juif et Université McGill, Montréal, Québec Introduction et objectifs : Le Service de consultation culturelle (SCC) traite des
demandes en soins primaires et en médecine spécialisée pour clarifier le diagnostic et le
plan de traitement d'immigrants et de réfugiés. D'ordinaire, le SCC travaille avec des
patients provenant des minorités linguistiques : les patients des 360 premiers cas qu'il a
traités parlaient en tout 31 langues utilisées dans 31 pays, ce qui exige d'obtenir les
services d'interprètes en milieu clinique. Le SCC est un microcosme reflétant des
tendances plus générales : environ 20 % de la population canadienne est née à l'étranger.
La diversité en milieu clinique devient la norme dans les centres urbains, ce qui soulève
des questions sur l'accès aux soins et sur la qualité des soins offerts aux immigrants et
aux citoyens canadiens ayant le statut de réfugiés. Cet article porte sur les mythes et les
réalités associés aux barrières linguistiques dans les soins de santé, fournit des exemples
cliniques, propose des solutions et pose d'autres questions sur lesquelles il faut réfléchir.
Mythes : 1) En général, le temps et l'argent manquent pour se permettre de recourir
régulièrement aux services d'interprètes dans le cadre des soins de santé offerts aux
patients des minorités linguistiques. Les interprètes sont un luxe dont il est possible de se
passer pour gagner du temps et réduire les coûts; 2) Quand il faut recourir aux services
d'un interprète, il n'est pas nécessaire que celui-ci soit un professionnel; 3) Le plus
souvent, en milieu clinique, les patients de différentes origines linguistiques parlent
suffisamment bien le français ou l'anglais pour décrire leurs problèmes de santé sans
l'aide d'un interprète et 4) Les immigrants et les réfugiés devraient fournir leurs propres
interprètes, au besoin.
Réalités : 1) Ne pas offrir les services d'un interprète aux patients des minorités
linguistiques peut compromettre leur santé ou mettre leur vie en danger, ce qui entraîne à
long terme une perte de temps et d'argent. Offrir les services d'un interprète devrait faire
partie intégrante des soins médicaux de base afin de fournir des soins médicaux
appropriés et éthiques (Worlds Apart, Part 1, Stanford University, 2003); 2) En pratique
clinique, il ne faudrait recourir aux services d'interprètes non professionnels qu'en dernier
ressort; 3) Il arrive souvent que les patients des minorités linguistiques se débrouillent en
français et en anglais, mais rarement suffisamment pour expliquer leurs problèmes de
santé et 4) Si les services d'un interprète ne sont pas offerts, les immigrants et les réfugiés
pourraient chercher à obtenir des soins ailleurs ou pas du tout.
Exemples : 1) Les services d'un interprète ne sont pas un luxe, mais une nécessité en
pratique clinique. Un médecin d'un service d'urgence dit à un albanais de 36 ans que son
groupe sanguin est A+. Le patient comprend VIH+, commence à craindre d'être atteint du
SIDA et fait des recherches sur Internet pendant 4 jours et 4 nuits. Sa femme l'emmène à
Documents de travail sur l'accès aux soins de santé pour les minorités linguistiques (DT‐ASSML) 2014 (1) G. Eric Jarvis l'hôpital où un psychiatre l'évalue. La barrière linguistique fait l'objet d'une note au
dossier, mais jamais a-t-on demandé les services d'un interprète. Le patient rentre chez lui
ayant en main un rendez-vous de suivi chez son médecin de famille et un rendez-vous
pour une consultation d'urgence en clinique externe avec un psychiatre.
Malheureusement, le patient se jette sous les roues d'un tracteur remorque en marche et
meurt de ses blessures avant de se présenter à son rendez-vous (rapport du gouvernement
du Québec, 2005); 2) Chaque fois que c'est possible, il faut utiliser les services
d'interprètes professionnels, plutôt que ceux des membres de la famille ou d'autres nonprofessionnels. Une Chinoise de 39 ans, accompagnée de son mari agissant comme
interprète, se présente à l'urgence. Malgré la présence de graves symptômes de psychose,
le mari souhaite que sa femme continue de travailler, ce à quoi elle semble donner son
accord. À cause de la barrière linguistique et en l'absence d'un interprète professionnel, il
est impossible de connaître exactement les souhaits de la patiente. Elle reçoit finalement
son congé, se retrouvant, selon ses propres exigences, soumise aux bons soins de son
mari; 3) Beaucoup de patients qui parlent une seconde ou une troisième langue
bénéficieraient des services d'un interprète qui parle leur première langue. Un couple
d'âge moyen originaire du Bangladesh consulte un médecin afin que la dépression
chronique de la femme, exacerbée par des tensions avec son mari, soit évaluée. Un
interprète parlant le bengali traduit les questions que le psychiatre pose au couple, mais
c'est seulement le mari qui y répond. Après un moment, l'interprète, qui a remarqué que
l'homme ne parle pas couramment le bengali et le fait avec un accent, demande de quelle
partie du pays ils sont tout deux originaires, pour découvrir que le couple vient de la
même région que lui. L'interprète change de langue, ce qui permet à la femme de
comprendre et de parler en son nom, interagissant ainsi directement avec des
professionnels de la santé pour la première fois depuis son arrivée au Canada 15 ans plus
tôt; 4) La responsabilité de fournir des interprètes ne doit pas revenir aux immigrants et
aux réfugiés eux-mêmes. Une Algérienne de 58 ans parlant arabe est illettrée, reçoit des
prestations d'aide sociale, a peu de contacts sociaux et ne parle pour ainsi dire ni le
français ni l'anglais. Sa demande pour suivre des cours de français au Québec est refusée
parce qu'elle ne sait ni lire ni écrire dans sa langue maternelle. Elle a besoin d'un
interprète pour obtenir des services dans les lieux publics. Quand les services d'un
interprète ont cessé d'être offerts dans son établissement de santé, elle ne s'est plus
présentée à ses rendez-vous de suivi (pour un ulcère gastroduodénal, de l'hypertension et
un trouble panique) parce qu'elle n'arrivait plus à communiquer avec ses médecins.
Compte tenu de la nature de ses problèmes (violence conjugale, séparation), il n'est pas
accepté dans sa culture qu'elle demande à l'une de ses filles d'agir comme interprète.
Propositions de solutions: 1) Accès – Les services d'un interprète doivent être offerts à
tous les patients dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais; 2) Réponse –
Un mécanisme doit être mis en place pour s'assurer les services d'un interprète en soins
d'urgence et 3) Formation – Dès le début de leur formation, les professionnels de la santé
doivent être informés des politiques et pratiques en matière linguistique dans le secteur de
la santé, ce qui inclut la collaboration avec des interprètes en milieu de travail.
Autres questions à se poser : 1) L'utilisation des services d'un interprète devra-t-elle
faire l'objet d'une politique de santé officielle (provinciale ou institutionnelle) avant que
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nous puissions constater des progrès dans ce secteur largement négligé? 2) Les services
d'interprètes sont largement utilisés dans le domaine judiciaire – Le domaine de la santé
doit-il être considéré comme moins important? Quelle leçon le système de santé peut-il
apprendre du système judiciaire à cet égard? 3) Si les services d'un interprète ne sont pas
offerts ou s'ils ne sont pas disponibles, quel genre de soins de santé les minorités
linguistiques reçoivent-elles comparativement à ceux que reçoivent ceux et celles qui
parlent couramment le français ou l'anglais?
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