Mathilde Reichler, Haute Ecole de musique de Lausanne Cours de synthèse, décembre/janvier 2014-5
Portrait de Berg par Schoenberg, 1910
Alban Berg, Wozzeck : introduction
(résumé cours 1 et 2)
« Cela fait maintenant dix ans que jai commencé à composer Wozzeck ; tant de choses ont déjà
été écrites à son sujet qu’il m’est difficile de dire quoique ce soit sans plagier mes critiques. »
Cité dans Douglas JARMAN, Alban Berg, Wozzeck, Cambridge Opera Handbooks, New York, Cambridge University Press, p.152..
Wozzeck: quelques mots sur la réception
Cet opéra est le seul opéra atonal qui soit entré au répertoire et qui soit considéré aujourd’hui par les
maisons d’opéra et par le public (conservateur par nature...) comme un vrai « classique », malgré son
langage très radical.
Et en effet, on trouve une immense littérature critique sur cet opéra, depuis sa création. Cest une
œuvre qui a fait couler énormément d’encre ; une œuvre dont le langage, la structure - fascinante -
en même temps que la force expressive immédiate ont suscité d’innombrables études. Wozzeck est
donc un véritable monument dans l'histoire de la musique du 20ème siècle.
Il est remarquable de constater que Wozzeck a immédiatement été reçu comme un événement, si
bien que Berg écrit avec humour, en 1927, dans un texte intitulé « Un mot sur Wozzeck » :
Exemple emprunté à Jody Nagel, « Pitch Structure and Dramatic
Association in The Murder Scene of Alban Berg's Wozzeck », in :
http://www.jomarpress.com/nagel/articles/BergWozzeck.html
L'opéra, semble-t-il, a déjà été analysé sous toutes ces coutures, et selon diverses méthodes analytiques.
A titre d'illustration, ci-dessous une analyse qui utilise la méthode des « pitch class sets » :
Il faut dire que Wozzeck est le premier grand
succès d’une œuvre atonale d’envergure -
succès qui vaudra à Berg une notoriété très
importante. En 1925 en effet, le courant de
la musique atonale n’avait pas encore
« produit » d’œuvre de vastes dimensions.
Laspect novateur, moderniste, de Wozzeck en fait une œuvre d’avant-garde qui va être perçue comme
emblématique du nouveau courant de la musique atonale, représenté par Schoenberg et ses élèves. De
nombreux éléments de la partition (que ce soit au niveau de son organisation ou de son langage) ont
été perçus comme révolutionnaires.
Berg insistait pourtant sur le fait qu’il n’avait pas cherché, avec cet opéra, à faire école ni à faire acte
révolutionnaire, mais seulement à « exprimer par les sons le contenu spirituel du drame immortel de
Büchner », à « transposer son langage poétique dans le langage musical », à « donner au théâtre une
œuvre qui lui convienne entièrement »
1
- autrement dit à servir le drame.
1 Voir le texte de Berg traduit dans l'Avant-Scène Opéra sur
Wozzeck, Paris, éd. Premières Loges, no 215, pp. 80-81.
L'ensemble des textes de Berg sur son propre opéra sont
traduits en anglais dans l'ouvrage de Douglas JARMAN, Alban
Berg. Wozzeck, Cambridge Opera Handbooks, Cambridge,
Cambridge University Press, 1989, pp. 149-170.
A partir du moment où l'on renonce à la tonalité - facteur numéro 1 de cohésion et de cohérence
formelle (même lorsqu’on l’élargit et lorsqu’on la repousse dans ses derniers retranchements) -
comment créer des œuvres qui se déroulent sur une longue durée ? Comment sortir du fragmentaire ?
Quels autres moyens trouver pour construire la forme, surtout sur une grande échelle ?
Schoenberg se pose cette question avec insistance dans les années qui vont du passage à l'atonalité à
la mise au point du système dodécaphonique. Berg partageait l'inquiétude de son maître.
Commentaires sur la citation
Le problème semble si délicat que Berg traverse, dans les années qui précèdent immédiatement
l’écriture de Wozzeck, une véritable crise dans la création - notamment à cause des critiques de
Schoenberg envers sa tendance à écrire uniquement des œuvres brèves, voire aphoristiques.
Wozzeck permet-il à Berg de franchir une étape, par rapport à cette question de la grande forme ? Il n’est
pas interdit de le penser. En tout cas le problème de la forme, en rapport au passage à l’atonalité, est un
point sur lequel Berg revient souvent dans ses réflexions sur Wozzeck.
Manifestement, le compositeur déploie dans son opéra toutes sortes de stratégies pour structurer la
musique de façon « absolue », en l’absence de tonalité, et ce même en-dehors de l’action théâtrale
(c'est d'ailleurs l’un des aspects plus passionnants à étudier dans Wozzeck). En cela, il se distingue du
type d'écriture, entièrement continue (durchkomponiert), utilisée par Schoenberg dans un monodrame
comme Erwartung (1909) (mentionné par Berg dans l'extrait ci-dessus).
On peut donc comprendre ce que le compositeur cherche à exprimer dans la citation de la page
précédente : Wozzeck, à ce niveau, crée effectivement un véritable événement dans le monde musical.
1 / 18 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !